1

Imaginez-vous coincés par des mots : la Ronde du Carré

Ou comment une pièce à l’histoire somme toute banale se transforme en véritable performance théâtrale.

Le metteur en scène vous semblait tout à fait correct. Il vous avait parlé d’une succession de saynètes relatant les déboires de différents couples. Jusque là, rien d’anormal. Les répétitions, qu’elles soient italiennes, couturière, ou générale allaient suivre un chemin somme toute classique.Seulement voilà, le premier jour, votre texte en tête, vous pensiez votre italienne terminée, vous n’aviez pas mis l’intonation comme l’exercice l’exige, vous contentant de déclamer le texte appris pendant les semaines précédentes. Lorsque, du fond de la salle, vous entendez « Redis ton texte mais en plus vite » !

Vous veniez de découvrir à vos dépends l’exercice de style que constitue « La Ronde du Carré », pièce écrite par Dimitris Dimitriadis et mise en scène par Giorgio Barberio Corsetti. Cette pièce aurait pu se limiter à un classique théâtre de boulevard avec les péripéties de quatre couples observées en parallèle par le spectateur. Mais elle devient un véritable exercice de style, par la répétition successive de chacune de ces tranches de vie.

Le rythme s’accélère jusqu’à ne plus laisser la place qu’à des mots lancés ça et là par les acteurs, tels les acteurs de Ionesco dans le final de La Cantatrice Chauve.

Et pourtant, on assiste au portrait effroyablement réaliste des jeux d’amours, de désamour, de domination et de soumission au sein de couples (hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, … ). Et par l’accélération progressive, l’érosion du discours pour ne plus être que mots, interjections, exclamations, on a l’impression de toucher l’émotion pure, le sentiment à l’état brut. Les acteurs sont réellement à fleur de peau, ils se dévoilent au fur et à mesure qu’ils se déshabillent des mots, rendus superflus par le génie de l’écriture de Dimitriadis.

Le public assiste, tantôt riant allègrement, tantôt méditant gravement en même temps qu’éclatent disputes, ruptures et drames conjugaux, au vaste champ des possibles de l’amour et de la domination.

Autant vous dire que l’on ne ressort pas indemne d’une telle expérience. Soyez sûr qu’après ces 2h30 de pur bonheur (mais pourtant de véritable angoisse), on en vient à réfléchir sur le sens des mots, la brutalité du discours, l’arme terrible que peut représenter le mépris verbal.