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L’orange mécanique: cru 2010

 

 

Fin de journée. Surprise d’avoir une fois de plus vaincu le duo sadique-comique RER-métro. Radio allumée en fond sonore, affalée sur l’objet salvateur marron qui envahit mon ridicule salon parisien, je feuillette les pages du journal du jour. Roms, expulsions, sécurité, violence, racisme, guerre nationale, voyous… Tout d’un coup les premières notes de la 9ème symphonie – 4ème mouvement – d’un certain Ludwig Van Beethoven me viennent en tête… La mélodie de l’Orange mécanique.



Célèbre film de Stanley Kubrick sorti sur les écrans en 1971, adaptation du roman d’Anthony Burgess du même nom (A Clockwork Orange) paru en 1962, l’oeuvre s’impose à nouveau en 2010 et revient nous jeter à la gueule, en vrac : banalisation et esthétisme de la violence, viols collectifs, drogues, manipulations, conformisme social, morale publique, expérimentation scientifico-politique, enfermement…

Au public, s’il survit, d’en tirer les conclusions.

Outrés, choqués, mal à l’aise, admiratifs, époustouflés, les réactions des spectateurs d’hier sont les mêmes qu’aujourd’hui. Et faute d’un Kubrick qui viendrait réveiller cette société étouffée sous le poids des annonces racistes et sécuritaires, on ressort le classique et ose la comparaison.


Pas de droogies-boogy avant vos prières du soir


Dans un décor nocturne urbain, une bande de jeunes, les droogies, déambule au gré de ses pulsions dictées par un puissant mélange de drogues en tout genre. Tabassages et viols collectifs  rythment leurs soirées, le tout en musique, on se souvient du passage où I’m singing in the rain a perdu pour toujours sa légèreté, et en sourire… L’inconscience, l’insouciance d’une jeunesse poussée à l’extrême bat son plein.

Puis, tout fout le camp. Un cambriolage se termine en meurtre, l’autorité d’Alex, le chef de bande est remise en cause avant d’être trahie et de le conduire directement à la case prison. Là-bas, il comprend vite que la Bible peut lui être très utile, pour faire mine de se racheter une bonne conduite aussi bien que pour se laisser aller à des fantasmes inspirés des principaux protagonistes.

Pas assez rapide, une autre solution lui est proposée: être le cobaye d’une nouvelle technique de lutte contre la délinquance financée par le gouvernement : une thérapie qui éradique la violence. Le principe est simple : tout acte de violence est lié à une douleur physique intense ressentie par l’individu au moment où il veut passer à l’acte. Et ca marche. Alex ressort de prison, psychologiquement toujours autant démoniaque mais physiquement doux comme un agneau, incapable de faire « le Mal » autant que de se défendre, d’avoir des relations sexuelles consenties et surtout… d’écouter son air favori : la 9ème symphonie – 4ème mouvement – d’un certain Ludwig Van Beethoven, suite à une malencontreuse erreur du thérapeute. Après d’autres péripéties, Alex se retrouve sur un lit d’hôpital, encadré par un membre du gouvernement qui a soudainement vu un intérêt politique à ce qu’Alex retrouve sa vraie nature….


Remake 2010


Le rôle des droogies serait ici joué par les jeunes de banlieues. A peu de choses près: tournantes, vols, braquages de casinos et tabassages en règle, leurs occupations sont finalement assez proches de celles d’Alex et de ses potes. Non? Mais l’actualité y rajoute aussi de nouveaux acteurs amateurs de violences plus folklos, comme des coups de haches: les roms, gitans, roumains, tziganes- choisissez celui que vous préférez pour plus de simplicité.

Le Nadsat, langage des droogies, mélange d’argot anglo-russe porte désormais le nom de Romlan, mélange de romani et de verlan. Pour exemple: – « Téma la gadji, j’y mettrais bien mon pelo dans le luc! », est une phrase typique des droogies d’aujourd’hui. Terminé  le vieux slibard blanc par dessus le falsard, grosses cylindrées et casquettes à l’envers font partie de la nouvelle tenue réglementaire. Pour une bande-son raccord, les viols se dérouleraient au son des Gypsies ou de Booba selon les ethnies droogies.

Côté casting, le rôle du docteur Brodsky serait tenu par notre ministre de l’Intérieur, rempli d’idées productives ou plutôt de « bonnes intentions » en matière de nouveaux traitements. Les derniers en date : déchéance de la nationalité pour les délinquants français d’origine étrangère et peines de prison pour parents négligents viennent s’ajouter aux plus classiques expulsions, démantèlements de camps, contrôles d’identité au faciès, gardes à vue supplémentaires…. Autant de méthodes pour apprendre aux délinquants à devenir « meilleurs ». L’ aumônier Sarkozy prêcherait la bonne parole aux délinquants prisonniers car l’église seule dispose des enseignements nécessaires pour que l’individu puisse décerner le bien du mal.

Et comme le film, sûrement censuré, n’aura pas un gros budget, on remettrait le même acteur au sommet du gouvernement, l’imaginant plutôt bien tirer les ficelles de cette mécanique de l’orange.


L’homme à tête d’orange


« Orange » signifie l’homme en argot anglais. L’homme mécanique. En français, c’est un fruit, un fruit susceptible de pourrir. Encore que toute pourriture soit relative, entendons-nous.

Est-ce à la « nature du fruit » que l’on doit la pourriture ? Ou parce que l’on a fait de lui une véritable machine ?

Comme l’orange, il arrive à l’homme de pourrir, déposer ses germes sur le reste de ses copines de filet… Mais la pourriture n’est pas forcément là où l’on croit semblait déjà dire M. Kubrick.

C’est lorsqu’elle le prive de sa liberté de choisir entre deux notions relatives aux limites bien complexes: le bien, le mal que la mécanique termine d’achever son forfait sur l’homme à tête d’orange.

Attention cher docteur, à ce que dans le processus en cours, vous ne développiez pas aux meilleurs d’entre nous, une aversion  pour la 9ème symphonie de Beethoven , ou l’autre chant pourtant bien connu qui parle de sang impur et de sillons.

Crédit photos: (c) Manon El Hadouchi