Il était une fois, à Sète…

image_pdfimage_print



Après les succès mérités de « La Faute à Voltaire et de « L’esquive », c’est sur fond de conte social qu’Abdellatif Kechiche nous revient.

A Sète, un ouvrier immigré, Slimane, la soixantaine dessinée sur son visage, vit ses derniers jours de travail sur un chantier naval auquel il aura consacré 35 années de sa vie. Proche de sa famille bien que divorcé, c’est avec leur appui et de celui de la fille de sa concubine, Rhym qu’il décide de réaliser son rêve, l’ouverture d’un restaurant proposant le couscous de poisson, mets familial. Ce rêve, pas solitaire mais solidaire, sera l’occasion pour toute une famille de transcender leurs difficultés, mesquineries, un passé laborieux autour d’un projet commun.

Kechiche nous offre ainsi le portrait aigre-doux d’une famille en travaux et d’un vieil homme qui n’en a pas fini avec la vie.

Un conte social

Le visage ridé par les ans, le verbe rare mais le regard bleu éloquent, Slimane est le portrait-parole de cette première génération d’immigrés, rompue au travail, travail érigé en valeur centrale et seul moyen d’insertion, à sang et à eau. Son visage affiche résignation quand ses yeux déclarent rêve en graine et en mulet.

La graine – le couscous et le mulet revêtent l’habit du merveilleux. A la lecture du titre, on imagine conte oriental ou fable. Ils occupent une place fondamentale, enjeux de l’histoire, voire personnages à part entière.

Le mulet est moyen de nous présenter les différents personnages et lieux du « conte », cadeau de Slimane passant de main en main. Il est aussi témoin du décalage de Slimane, dépassé par un monde où rentabilité est le maître-mot. « Tu n’es plus rentable. Tu es fatigué » assène le patron au vieil homme silencieux, poisson qui devient un don dérisoire.

La graine, aussi, s’installe au centre de l’intrigue. Elle est tour à tour convivialité, reconversion, espoir puis tragédie absurde.

Femmes, je vous aime

Et comme dans tout conte, l’adjuvant du héros y trouve sa place. Mais loin du prototype de l’homme macho et tout-puissant, ce sont les femmes qui endossent ce rôle.  Les femmes brillent et sauvent la mise face aux hommes, à l’exception de Slimane, qui pèchent, l’un par mollesse, s’éprenant de loin de la jeune fille vive et volontaire (merveilleuse Hafsa Herzi), l’autre par sa lâcheté, pitoyable mari volage, qui déclenche la catastrophe, l’envol de la graine.

La graine est, effectivement, le point d’orgue du repas « opération séduction » des notables dans le futur restaurant de Slimane.

S’ensuit une course à corps et cœur perdus des personnages pour sauver la soirée, la famille s’acharnant à tromper le temps en distrayant les invités, Rhym en voluptueuse Schéhérazade, contant jusqu’à l’ivresse l’Orient à coups de déhanchements, Slimane, lui, sur sa motocyclette en Don Quichotte moderne, à la poursuite de la graine.

La chute de Don Quichotte

Coup de mektoub, le destin, sa monture lui est dérobée. Jusqu’à épuisement, il la pourchassera, sublime métaphore du héros à la poursuite de son rêve envolé.

Le conte aura duré 150 minutes sans soupirs d’impatience, magie d’un réalisateur, artisan virtuose dont les dialogues ciselés s’enchaînent avec fluidité et authenticité. On se souviendra de scènes d’anthologie, véritable travail d’orfèvre, témoin celle de la fille essayant de convaincre sa mère en passant par toute une palette de sentiments et arguments.

Kechiche est un merveilleux directeur d’acteurs doublé d’un excellent conteur. Son pouvoir de suggestion est énorme.

Et quand le Don Quichotte désarçonné s’effondre, on ne peut s’empêcher de fredonner un air « kechichien » connu, « Si je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire. »

La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche. Avec Habib Boufares, Hafsia Herzi, Farida Benkhetache, Abdelhamid Aktouche,… 2h13. 2007. Disponible en DVD.

Du même auteur ...