1

« Au fond des bois » : Dis moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu aimes

Le cheveu blond et long des princesses, l'oeil bleu et trouble des rêveurs solitaires, Joséphine est une jeune dévote, parée de son éducation d'enfant sage. Un jour, sur le chemin de l'église, elle croise le regard d'un étrange vagabond. Elle s'arrête puis reprend son chemin. Charmé, celui-ci la suit et finit par se faire passer pour un sourd-muet auprès du père de la donzelle, demandant gîte et couvert pour la nuit.
Le lendemain, il revient. Elle le suit alors dans ses vagabondages. De gré ou de force?
C'est toute la question du film.


Une métaphore de la passion amoureuse

Pauvre, sale et fruste, tout concourt à ce que Timothée soit dédaigné par la jeune première, Joséphine. Elle traîne à sa suite pourtant, comme mue par une fascination surnaturelle. Comme la maintenant de fils invisibles, Timothée, l'auto-proclamé magicien manipule son innocente marionnette. La fait ramper frénétiquement sur le sol. L'aime à loisir dans le silence de la forêt.
A sa manière, « Au fond des bois » illustre dans toute sa complexité le pascalien « mais le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point ».
Ce qu'on appelle la passion amoureuse.
Cette étrange bête qui habite les coeurs et les corps, sortie de nulle part. Une fois logée, elle hante sa victime, nuit et jour, la laissant déraisonnable, insatisfaite, excessive et tourmentée.
Kamikaze de l'amour, Joséphine suit et obéit à ce vagabond, sans jamais pouvoir réellement se l'expliquer. Oui, comme une amoureuse.


Un conte à l'envers

A en lire le pitch, le film a des allures de conte de fées. Une belle princesse rencontre un pauvre vagabond. Il se déguise. Elle tombe en fascination. Accompagne le moindre de ses pas. Seulement, chez Benoît Jacquot, au baiser de la « princesse », le vagabond ne se transforme pas en fier et fringant prince.
Pareillement, la « princesse » ne vit pas pour toujours avec son amoureux en guenilles, subsistant d'amour, d'eau fraîche et de gras enfants.

Chez Jacquot, la Belle est enlevée par la Bête, pour se révéler elle-même Bête. C'est le vagabond qui, posant un papillon sur le front de sa belle endormie, déclenche une métamorphose inversée. Joséphine ne devient ni plus vertueuse, ni plus aimable.
A l'instar de la chenille sortant de son cocon, en suivant Timothée, elle laisse derrière elle, un temps, le carcan des conventions, sa carapace de mélancolique et d'ingénue désespérée, pour prendre la forme d'abord d'une amoureuse résistante, d'une fleur initiée aux plaisirs charnels pour enfin, se métamorphoser en maîtresse-femme, qui veut.
Encore plus pervers, Benoît Jacquot inverse les rôles. La victime devient bourreau; l'envoûteur, envoûté.


Qui de nous deux?

Posant cette question, que tout amoureux fou s'est un jour posé: dans ce jeu des sentiments, qui a envoûté qui? qui est le dupe de l'autre?
Ou n'est-ce pas là le langage même de la passion. Est-ce qu'être amoureux, au fond, ce n'est pas nécessairement hanter l'Autre et accepter d'être soi-même hanté?

Servi par une photographie, un casting irréprochables – merveilleux Isild Le Besco et Nahuel Perez Biscayart – et une bande originale effrenée de Bruno Coulais, Benoît Jacquot signe une carte du Tendre hypnotique de la déraison et l'illogique, propres à l'amour.
« Au fond des bois » narre avec trouble l'éveil à la sensualité, à l'humanité et à la passion fugace, de deux êtres que rien ne liait.

Je me demande. Pris de vertige et perdus dans les regards enfiévrés de Joséphine et Timothée, ne sommes-nous pas, nous, spectateurs, les « princesses égarées », par le charme insidieux de ce « Au fond des bois »?


Au fond des bois, de Benoît Jacquot. Avec Isild Le Besco, Nahuel Perez Biscayart, Jérôme Kircher, Mathieu Simonet, Bernard Rouquette,… 1h42. Les Films du Losange. Sortie en salles, le 13 octobre 2010.