Jacques Air Volt: « C’est la musique qui décide »

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Une après-midi d’été, aux Tuileries. La rumeur ambiante, la terre qui entre dans les ballerines, un coca avec glaçons. Je rencontre Jacques Air Volt, de son vrai nom Denis. En plus de parler, on a joué aux chaises musicales. En une heure de discussion, on a changé quatre fois de tables, chassés par la pluie, les parasols qui ploient sous l’eau, le bruit, le manque de place. L’été est pourri, moi j’vous dis. Heureusement qu’il y a la musique, et son EP à se mettre dans les oreilles, Attendre. Rencontre.


Tu t’appelles Denis mais joues sous le nom de Jacques Air Volt. Tu nous racontes son histoire ?


Jacques Air Volt est arrivé il y a 5 ans. En fait on commençait à monter avec des copains Le monstre de papier, un court métrage avec des personnages en papier. J’avais fait la musique de ce clip, et je devais trouver un nom. JAV vient de là. En fait, et c’est une exclu attention, Air Volt c’est Voltaire à l’envers, je trouvais que ça sonnait bien.


Ensuite, j’ai voulu continuer l’histoire avec une chanteuse qui s’appelle Harmony Baudou. On a fait un duo à partir d’un morceau que j’ai écrit. On a fait pas mal de cafés concerts avec toujours un décor en papier, on s’amusait sur le côté théâtral des choses.


Puis des musiciens sont venus, ce qui a mené à Première Bande, qui est composé de chansons enregistrées ces dernières années.


Mais alors pourquoi avoir fait le choix de sortir un EP après un premier album ?


Parce que je pense qu’aujourd’hui il vaut mieux sortir quatre/cinq titres que treize. Je trouve que cela correspond plus aux attentes des gens. Sur un album, j’ai souvent du mal à tout écouter. Je préfère m’arrêter uniquement sur les morceaux que je préfère. Les Beatles, à cette époque là, sortaient des singles de quelques titres. Et je trouve que ça correspond bien à ce qu’on attend aujourd’hui.


Tu as mis un an à produire cet EP. Un perfectionnisme lié à un grand respect de la musique ?


Je pense que si on veut faire une bonne musique, il faut y passer beaucoup de temps. Je cherche vraiment à faire quelque chose qui soit un peu différent. C’est peut être un peu audacieux. C’est surtout dur, il faut du temps, trouver les arrangements, chercher les bons mots… Du coup pour faire un album il m’aurait fallu peut être trois ans. Sur 4 titres avec 2 intros j’ai mis 1 an depuis la première prise de guitare !


Tu as toujours fonctionné comme cela ?


En fait, quand j’ai voulu faire cet EP, j’ai eu la chance et le confort de travailler dans un très bon studio, avec du temps, donc je me suis dit que j’allais le prendre. Je ne voulais pas que les chansons arrivent posées, mais faire ce que je veux, tout m’autoriser, quitte à détruire les chansons, à les transformer, les déstructurer. C’est ce qu’on a réussi à faire. C’était un de mes rêves d’enregistrer dans ces conditions là, et on y est arrivés.


Tu parles de déstructurer. Et c’est vrai que quand on t’écoute, on ne peut que remarquer des ruptures dans l’harmonie des morceaux.


Je pense que tu fais allusion à la dernière chanson, Dernière Division, qui passe du jazz à la pop. Le but était de figurer la mort et la vie. C’est l’histoire de quelqu’un qui marche dans le cimetière du pere Lachaise, qui figure la vie et qui regarde des petites filles limite en train de danser sur des tombes. Ca c’est la pop. Et la mort est figurée par le jazz, avec cette espèce de saxophone qui crie, qui est un peu dissonant. Je me suis amusé avec ça en créant des ruptures, de grandes oppositions que j’ai ressenties en me baladant dans le cimetière.


C’est vrai qu’on a l’impression que tu accordes autant d’importance à la musique qu’aux paroles. Comme si chacun était porteur d’un sens vraiment distinct, et qu’il n’y en a pas un pour accompagner l’autre.


Oui, ils sont à la fois parallèles et liés par le sens. En fait j’essaie de faire que la musique illustre les mots au maximum, qu’elle leur donne un sens. En fait dans le processus de création les deux s’entremêlent. La musique peut aussi nourrir les paroles, même si c’est souvent le contraire. Mais je veux qu’à un moment les deux se rencontrent, que ce soit cohérent, que ça crée un univers réel, un monde.


En écoutant les textes, on n’a pas l’impression que tu racontes des histoires mais que tu délivres des touches, des images…


En fait c’est plus des descriptions, des questionnements. Ce n’est en effet pas des histoires complètes, il n’y a pas forcément de chute. Parce que j’aime bien qu’on puisse interpréter, qu’on puisse trouver un autre sens. Ou s’imaginer autre chose. J’aime bien les textes à double lecture. Dans ce disque là il y en a peut-être moins, mais j’aime que cela reste onirique. J’essaie que le sens soit donné par la musique. Qu’elle donne le ton du texte. Parce qu’un texte on peut l’interpréter de dix manières différentes, donc peut être que c’est la musique qui décide. Comme si le texte se reflétait dans la musique.


Tu as un côté un peu mutin et désinvolte, et en même temps mélancolique. Est-ce que c’est une dualité sur laquelle tu veux jouer ou est-ce que c’est plutôt naturel ?


Je n’ai pas trop l’impression de jouer avec, ça vient spontanément. C’est assez sincère. Dans la création, ça vient des influences. J’aime autant Nick Drake que Rage Against the Machine. Les propos sont différents, on ne l’aborde pas avec la même énergie ! Je n’aime pas trop les disques où tout est sur le même temps, ça m’ennuie. Si on prend Grace de Buckley, on passe de chansons presque monastiques à des trucs violents. C’est super, du coup on a envie de réecouter le disque. De toute façon je pense que les disques qu’on réecoute sont ceux qui sont contrastés. Aussi bien dans les propos que dans la musicalité.


Et d’ailleurs qui t’inspire ?


La chanson française pour les textes et la mélodie : Gainsbourg, Bashung, Léo Ferré, Brel, en passant par Higelin, Jacques Dutronc, Arthur H. Et pour le côté anglo-saxon, Radiohead, les Pink Floyd, Nick Drake, Jeff Buckley à fond…


Jeff Buckley et Nick Drake, ça s’entend !


Ca me fait plaisir, ça ! Nick Drake, je l’ai connu à 15 ans, grâce à une cassette que mon frère avait rapportée de l’armée. Il était inconnu, on a commencé à le chanter plus tard grâce à une pub Volkswagen qui reprenait l’un de ses titres ! Ce qui est triste, c’est qu’il s’est suicidé après une longue dépression, sans avoir jamais connu le succès. Il y a dix ans, sa soeur a écrit sur Internet que si cette pub avait été faite avant sa mort, et qu’il s’était senti reconnu, peut-être qu’il ne se serait pas tué. Alors moi je trouve ça quand même terrible !


Je crois qu’il avait une grande frustration, c’est de pas pouvoir jouer en concert, ça le paralysait. Du coup il en a fait très peu. Comme il tournait pas, il pouvait pas se faire vraiment connaître. Il voyait tous les mecs qui jouaient, comme Neil Young, et pas lui. Il jouait dans sa chambre !


Or chanter comme il fait, avec des paroles et des notes qui ont l’air simples mais qui en fait sont super sophistiquées, c’est très dur ! Moi j’ai jamais vu un mec jouer du vrai Nick Drake. Les gens reprennent mais ils simplifient.


Je te demandais tes influences parce qu’on t’en attribue un sacré paquet. Tu trouves qu’elles sont justes ?


Je trouve surtout ça super, ça veut dire que j’ai quand même un peu réussi mon pari de faire une musique étonnante, un peu audacieuse. Je suis assez fier en toute humilité !


Ca rejoint l’image du perfectionniste. A partir du moment où tu considères qu’un morceau est terminé c’est que tu en es fier, que tu considères qu’il correspond à ce que tu souhaites ?


Pour cet EP là, oui complètement. Le but était d’aller vraiment jusqu’au bout d’une destruction. On a réenregistré je sais pas combien de fois les parties, on coupait, on collait. C’était génial. C’est la première fois que j’ai pu aller jusqu’au bout. Jusqu’au bout de quelque chose sans savoir où on allait ! Je savais juste que j’allais faire quatre titres.


Tu as grandi auprès de musiciens et d’artistes. Est-ce que tu as dû du coup te poser la question : est-ce que je peux faire autre chose que de la musique ?


Je ne me suis jamais posé la question, c’est vrai ! Ah si je voulais être agriculteur à un moment. J’aurais bien aimé être sur mon tracteur. Mais ça n’a pas duré longtemps car un de mes frères m’a dit que quand je serai grand tout serait robotisé, que ce serait des robots qui s’occuperaient de tout. Ca m’a détruit mon rêve et j’ai vraiment pleuré quand, en 6ème, une prof a demandé ce que je voulais faire comme métier plus tard. Je ne savais pas quoi écrire, alors je me suis mis à chialer. Elle m’a demandé pourquoi, je lui ai répondu que c’était parce que je ne pouvais plus devenir agriculteur, à cause des machines. Donc j’ai fait de la musique !


Attendre. Jacques Air Volt. Believe/Zimbalam. Disponible en digital.


Crédits photo: Valérie Archeno


Mathilde Cristiani

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