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« Vous n’avez encore rien vu » – Cet étrange objet du cinéma

Un O.C.N.I., Objet Cinématographique Non Identifié.
C’était mon premier Alain Resnais. Ne vous attendez donc pas à des parallèles à répétition, des analogies avec ses précédents films, une analyse systématique de l’évolution de son style et de sa pensée dans le temps …

Non, vraiment, rien de tout ça. Simplement cet étrange sentiment qui gagne le spectateur tout au long de la séance. L’ennui guette, il sent qu’il aurait une place attitrée dans un tel film, personne n’oserait la lui contester. Et pourtant il guette, mais ne trouve pas l’occasion de s’immiscer dans la tête du spectateur. Car ce que nous propose Alain Resnais dans son film est une véritable performance artistique, un coup magistral tant dans l’histoire du cinéma que du théâtre.

Imaginez plutôt voir se représenter devant vous deux (voire trois) écoles du théâtre, autour d’une seule et même pièce, Eurydice de Jean Anouilh. Forcément, l’envie primaire est à la comparaison, « le théâtre classique est quand même plus fidèle », « les mises en scène modernes sont vraiment spéciales » … Vous savez ce même « spécial » utilisé par Xavier Dolan dans Laurence Anyways … Ce « spécial » passe-partout et pourtant tellement signifiant, synonyme de rejet, de dégoût.

Puis une fois la comparaison rapidement épuisée de son sens et de son intérêt, surgissent l’intérêt et la complémentarité. Il n’y a clairement pas une unique vision d’une même pièce, ni d’une même mise en scène. On touche alors à l’épineuse question de la liberté laissée à l’acteur par son metteur en scène. Et de ce que le metteur en scène recevra de la part de ses acteurs pour enrichir sa mise en scène, et la rendre unique.

Car c’est bien là l’essence de la pièce. Prétexte pris du décès d’un metteur en scène les ayant réunis par le passé pour jouer Eurydice, 14 acteurs se retrouvent en huis clos dans une cérémonie orchestrée par le majordome du défunt pour donner leur point de vue sur une mise en scène moderne de cette même pièce.

Formidable mise en abyme du jeu théâtral. Bouleversants hommages à ses acteurs, jouant leur propre rôle.
Mais jusqu’où est-ce le rôle pensé par le metteur en scène, et où commence la personnalité de l’acteur ?
Mention toute particulière et très personnelle pour quatre d’entre eux : Pierre Arditi, impressionnant, Michel Robin,  touchant,  Mathieu Amalric, inquiétant et Sabine Azéma, saisissante.

 

Réalisation : Alain Resnais et Bruno Podalydès (pour la captation Eurydice par la Troupe de la Colombe)
Scénario : Laurent Herbiet, Alex Reval1, d’après Eurydice (1942) et Cher Antoine ou l’Amour raté (1969) de Jean Anouilh
Musique : Mark Snow

Distribution:
Sabine Azéma : Eurydice 1
Anne Consigny : Eurydice 2
Pierre Arditi : Orphée 1
Lambert Wilson : Orphée 2
Mathieu Amalric : monsieur Henri
Michel Piccoli : le père
Anny Duperey : la mère
Denis Podalydès : Antoine d’Anthac
Jean-Noël Brouté : Mathias
Hippolyte Girardot : Dulac
Michel Vuillermoz : Vincent
Andrzej Seweryn : Marcellin
Michel Robin : le garçon de café
Gérard Lartigau : le petit régisseur
Jean-Chrétien Sibertin-Blanc : le secrétaire du commissaire

La troupe de la Colombe
Vimala Pons : Eurydice
Sylvain Dieuaide : Orphée
Fulvia Collongues : la mère
Vincent Chatraix : le père
Jean-Christophe Folly : monsieur Henri
Vladimir Consigny : Mathias
Laurent Ménoret : Vincent
Lyn Thibault : la jeune fille et le garçon de café
Gabriel Dufay : le garçon d’hôtel