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Les voies de l’âme sont impénétrables

© Antonia Bozzi
© Antonia Bozzi

À peine nous entrons dans la petite salle du théâtre de la Tempête, une odeur nous prend au nez. Celle de la nature, d’une forêt après la pluie, agrémentée d’un désagréable parfum de moisissure. Cette ambiance orageuse est une belle métaphore de la pièce à venir : une histoire où les gens beaux physiquement peuvent cacher un monstre dans leur âme. À l’inverse, une personne affreuse peut s’avérer à être magnifique à l’intérieur. Ce mythe moderne qui habite la littérature et le cinéma, du « Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde à « Freaks » de Tod Browning prend un autre visage sous la plume de Stéphanie Marchais.

Et quelle plume ! Le texte a pour mérite de vulgariser l’âme humaine à un public de curieux ! Dans des tons alliant noirceur et ironie, l’auteur raconte une sorte de dystopie qui se déroule dans un temps proche du nôtre. Un temps où on trouvait du public se pressant à des dissections anatomiques autour de savants fous. Ici, le savant est Hunter (Laurent Charpentier) et le futur disséqué est Owell (Philippe Girard). Toute l’histoire tient en la poursuite du second par le premier. Owell étant très grand et bossu, il obsède Hunter qui rêve de l’ouvrir pour voir si cet être démesuré a une âme.

De cette histoire, Thibaud Rossigneux a créé un matériau où il fait se rencontrer les mots avec les acteurs et la lumière, mais aussi avec la nouvelle technologie (un robot humanoïde tient un petit rôle) et la musique électronique. Jouée en live, cette dernière agit comme une camisole sonore autour de la scène, et renforce encore l’impression d’observation d’un monde parallèle au nôtre.

Au moyen de l’ombre et de la lumière [qui n’est pas sans nous rappeler les tableaux de Joël Pommerat (les moyens en moins)], le metteur en scène nous fait parcourir la multitude d’espaces qui constitue le décor du drame comme autant de zones de l’âme humaine. On passe de la maison d’Owell, au cabinet du docteur, à la tombe de la fille de 10 ans (Géraldine Martineau). On passe aussi de l’apparence extérieure aux questionnements intérieurs des personnages. Tous ces effets sont surprenants et bien maîtrisés : du début à la fin de la pièce ils ne manquent pas de nous étonner.

Les comédiens incarnent des rôles de personnages troubles où le mystère et la psychose se lisent dans les gestes et les intonations. Philippe Girard est tendre et parfois bouleversant en déclamant son amour d’une vie simple et tranquille, Géraldine Martineau est particulièrement touchante dans ses rôles multiples de petite fille.

Le public regrettera peu de choses dans cette pièce complexe et passionnante sur les mondes qui nous habitent. On notera juste que la conclusion traîne un peu en longueur et l’on s’attriste d’un Laurent Charpentier, malheureusement trop énervé, est doté de peu de nuances dans son jeu. Néanmoins, ces deux remarques ne sont pas suffisantes pour se priver ce beau spectacle magique et créatif.

Pratique :
Jusqu’au 16 février dans la petite salle du théâtre de la Tempête
La Cartoucherie de Vincennes
Du mardi au samedi à 20h30. Le dimanche à 16h30
Durée : 2h
Tarifs : de 12 à 18 euros
Réservations au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr