« La petite fille aux allumettes » : la flamme ne prend pas

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Copyright : Cosimo Mirco Magliocca
Copyright : Cosimo Mirco Magliocca

Jusqu’en janvier 2015, le Studio-Théâtre de la Comédie-Française accueille une adaptation de La petite fille aux allumettes d’après Hans Christian Andersen. À la fille (Anna Cervinka), l’adaptation d’Amrita David et Olivier Meyrou ajoute la présence d’un père (Nâzim Boudjenah) et d’une mère (Céline Samie). La nuit du Nouvel An tragique d’un XIXe siècle danois a été transposée à une Saint-Sylvestre de la fin du XXe siècle français, dans un environnement pauvre et misérable.

La scène d’exposition montre la petite famille dans le photomaton d’une gare. Les parents viennent faire des photos pour leur fille, peut-être dans un but administratif. Assez vite, un drame éclate après cette après-midi semblant heureuse : la mère se fait renverser par une voiture, la tristesse et la douleur conduisent le père à envoyer sa fille, affamée, subvenir toute seule à ses besoins en vendant des allumettes dans la rue.

L’ambiance est voulue extrêmement sombre. Le père hurle sur sa fille : il est effrayant pour elle et pour le spectateur. L’enfant se retrouve seule sur scène, abandonnée. Un dispositif scénographique nous permet de voir ses rêves : sur un écran ou derrière celui-ci apparaissent des visions rassurantes – la mer et son bruit – ou cauchemardesques – l’image du père extrêmement violent, frappant sur un caddie, car elle rentre les mains vides.

Le physique et le jeu d’Anna Cervinka se prêtent bien au rôle. Elle est fine, timide et seule sous la neige, tendant sa marchandise. Elle est fragile comme une flamme légère qui vacille. Parfois, elle brûle une allumette pour se réchauffer les doigts, ce qui lui fait avoir des visions réconfortantes, accompagnées de la jolie musique de François-Eudes Chanfrault.

Malheureusement, c’est tout. L’expérience pour le spectateur se résume à assister à l’agonie de l’enfant pendant une heure. Ses visions – luxuriantes dans le conte originel – sont minimales et ne nous conduisent à aucun moment dans un quelconque onirisme, pourtant promis dans les intentions du metteur en scène. Le conte originel, bien qu’aussi tragique, laisse place à une sorte d’espoir : la jeune fille voit sa grand-mère dans une ultime hallucination et elle décide de la suivre. Rien de cela n’est gardé dans ce spectacle qui reste d’une noirceur assumée et où l’aïeule a une voix de monstre. Anna Cervinka est seule, jouant avec des ordures, elle mange des morceaux de journaux en guise de friandise et l’unique personne avec qui elle dialogue est un pou.

Dans cette situation, les acteurs font ce qu’ils peuvent, c’est la transposition qui semble mauvaise. Elle est l’œuvre d’une monteuse (Amrita David) et d’un documentariste (Olivier Meyrou). Cela ne veut pas dire qu’ils sont donc incapables de produire un bon travail d’adaptation, mais dans ce cas précis c’est un échec. En inventant un avant, on retrouve les erreurs récurrentes inhérentes aux travaux de jeunes artistes qui se sentent obligés de tout expliquer. Il y a aussi ici la volonté manifeste de faire le lien avec la situation actuelle des sans-abris, l’appel de 1954 prononcé par l’abbé Pierre est diffusé plusieurs fois à la suite lorsque le père, inquiet, part à la recherche de sa fille. La culpabilité de celui-ci est complètement inventée et la mise en scène y accorde une grande importance. Nous sommes face à une métaphore simpliste à volonté culpabilisante où nous (le père) abandonnons les sans-abris (la fille) à leur sort. Il n’y a aucune place pour l’imagination du spectateur. À vouloir déborder de bons sentiments, le résultat devient donc l’inverse d’une démarche optimiste : le conte nous effraye plus qu’il ne suscite pitié et crainte. Cela revient à dire à un fumeur, « si tu n’arrêtes pas, tu vas mourir », avec l’efficacité que l’on sait d’une telle posture.

Olivier Meyrou est doué pour faire parler le monde réel dans ses documentaires. Mais la nécessité de relier un conte presque initiatique à une existence sordide connue de tous lui enlève tout intérêt (au conte !). Ici, le réalisateur assume mal le rôle de metteur en scène, laissant la comédienne livrée à elle-même créant ainsi de longs moments de solitudes.

Pour terminer ce tableau, on déplore un décor composé d’ordure. La scène ressemble plus aux prémices d’une habitation occupée par une victime du syndrome de Diogène que l’espace d’un sans-abri. La scène est transformée en champs de déchets, même les rêves de la petite fille sont laids, sa mort, libératrice, est moche. La recherche d’une esthétique semble absente. À cela, ajoutons la question de l’exemple : ce spectacle étant destiné à un jeune public, il semble légitime de s’interroger sur l’intérêt de montrer une héroïne se couvrant la tête de divers sacs en plastique et où l’acte de bruler des allumettes est réduit à un geste normal…

C’est bien à cela que l’on pourrait résumer le problème de ce spectacle : à la volonté d’imposer une sorte de normalité dans le sordide sans aucune recherche de transcendance qui permettrait au spectateur de trouver la volonté de changer le monde. Ou au moins le regarder tel qu’il est.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« La Petite fille aux allumettes » d’après Hans Christian Andersen, mise en scène d’Olivier Meyrou, jusqu’au 4  janvier au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, du mercredi au dimanche à 18h30. Durée : 1h10. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr

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