Le spectateur en « Mission »

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Copyright : Elisabeth Carecchio
Copyright : Elisabeth Carecchio

La scénographie nous plonge dans le sombre d’un monde kafkaïen. Une croix géante transperce le sol et tourne, tourne sans cesse, avance, écrase, inexorablement. Le décor comme les lumières ou les costumes des personnages, seront comme autant de rappels à ce monument : noirs, gris et lourds. Seules quelques touches de rouge, de sang et de vin viendront colorer ce lieu sinistre. L’ambiance contribue à la création d’une organisation spatiale originale, dans cet espace volontairement très limité autour de la machine infernale.

Antoine a l’apparence d’un clochard pitoyable. Il est le premier à être mené sur scène par la croix. Un courrier lui parvient, rédigé à son agonie par l’un de ses camarades. Ce dernier l’informe que la « mission » a échoué. Très vite, on comprend que le drame se déroule entre la fin de la Révolution Française et le coup d’état de Napoléon Bonaparte. Claude Duparfait et Jean-Baptiste Anoumon clament la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, dont les phrases clés sont soulignées par des accords de guitare électrique. Résonnance trop évidente avec une actualité, résonnant avec le mode de vie des édiles de notre pays qui violent lesdites phrases impunément. Voilà pour la plantation du décor.

Antoine, déprimé par cet échec est rendu pitoyable. Autant que par la trahison qu’il a accomplie et que sa conscience lui rappelle sans cesse. Retour en arrière, on est projeté dans son souvenir. Mais quelle est cette mission ? Qu’est-ce qui a réduit l’homme à cet état de délabrement si poussé ? Il a abandonné ses camarades, aujourd’hui exécutés. Ensemble, ils avaient été envoyés par la Convention en mission secrète en Jamaïque, pour provoquer un soulèvement des esclaves. Lors du renversement du Directoire par Napoléon, la mission est naturellement terminée. Antoine abandonne ses deux camarades qui, eux, ne veulent pas laisser les esclaves à leur sort. « Napoléon ou Directoire, les esclaves n’en sont pas moins esclaves ». On assiste au tiraillement entre le devoir et les idées. Antoine ne se le pardonnera pas : il est sans cesse visité par l’ange du désespoir et ses anciens camarades lui apparaissent en rêve, ensanglantés.

Cette idée, séduisante sur le principe, est malheureusement très mal réalisée. La mise en scène utilise une multitude de stéréotypes du vieux théâtre dit d’avant-garde mais largement subventionné. Une avant-garde des années soixante-dix, aujourd’hui réactionnaire.

Pendant le spectacle, on se retient souvent de rire : « Ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », CLING (bruit de guitare). On voit aussi des répétitions de phrases censées porter une forte connotation symbolique, mais qui sont tellement ouvertes, que finalement, elles ne veulent plus dire grand-chose : « La Révolution est le masque de la mort », dit sur un ton qui frise le cours au Collège de France, est un sermon à l’église d’en face. Le thème de l’abolition de l’esclavage donne lieu à une analogie simpliste avec le monde dans lequel on vit. Rien n’est subtil, tout manque de finesse, jusqu’au jeu des acteurs. Les personnages montrent la colère, exhibent leur désespoir, baignant dans un sur-jeu permanent, assez fatiguant pour le spectateur.

La farce est amplifiée par l’arrivée d’un homme habillé en employé de bureau moderne, qui déclame un discours d’une quinzaine de minutes en allemand. Le rapprochement n’a rien de naturel ; pourquoi ne pas avoir traduit ce passage ? Encore une fois, on pense à une volonté d’intellectualisme mal placé. Le final, où le public est aveuglé par un énorme projecteur, termine d’inscrire le spectateur dans ce monde qu’on veut lui faire croire fin, mais qui est en fait très grossier. On assiste à une pièce de musée rendue poussiéreuse par des principes dépassés et qui voudrait nous faire croire, à tort, qu’elle témoigne du temps présent.

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