Des corps déglingués, « Bistouri » et « Dans l’atelier »

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De passage à Paris, les marionnettes de Tof Théâtre se sont installées pour deux spectacles sans parole au Tarmac : « Bistouri » et « Dans l’atelier ».

Le premier se déroule dans une sorte de tente pour réfugiés transformée en ce qui ressemble autant à un bloc opératoire qu’à un vieux garage abandonné, tant le bric-à-brac entassé réduit l’espace. Le spectateur va suivre les déboires d’un chirurgien à l’air sévère, occupé à découper le corps d’un loup – qu’on apprendra être celui du « Petit chaperon rouge » – sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. Muni d’une caméra, le médecin fou explore l’intérieur de son patient tout en l’anesthésiant régulièrement au maillet. Dans ce voyage au centre de l’artère, les surprises s’enchaînent, d’abord drôles, puis poétiques, quand le monde enfermé et vu à la caméra s’échappe de son réceptacle pour jouer à l’extérieur sous les yeux médusés du praticien.

Le chirurgien, manipulé par l’infirmier qui l’accompagne, nous fait penser à une sorte de Krank, de « La Dernière bande » de Beckett. Il opère à la perceuse en écoutant de vieilles cassettes dans ce foutoir impressionnant. L’utilisation ingénieuse de la vidéo est particulièrement remarquable, elle nous plonge à travers les yeux du héros. Le marionnettiste est rapidement oublié au profit du personnage central en papier mâché et de cette histoire inattendue.

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« Dans l’atelier », le second spectacle se déroule sur un établi. Quelques cartons et des morceaux de polystyrène composent le décors. Une marionnette sort de sa boîte, sans tête. Son défi consiste, avec l’aide de deux assistantes, à s’en fabriquer une. D’un morceau de mousse vont naître des visages, sur fond de la chanson toute désignée de Christophe (« Les Marionnettes »). Drôle et absurde, le petit héros va se retrouver tel Frankenstein, à perdre le contrôle de sa créature-tête… La gentille entité est renversée par la deuxième, plus grosse, plus imposante, qui d’un pinceau se fait une moustache hitlérienne et pisse ensuite sur le public. Heureusement, la méchante finira par perdre face aux assistantes paniquées, mais courageuses. Ici aussi, la virtuosité de la manipulation permet au public de se plonger dans un monde à part.

Destinés à un jeune public, les deux spectacles, à travers des corps fabriqués, questionnent la représentation et l’intériorité – physique ou mentale – de l’humain. Et peut-être, indirectement, le rapport que chacun entretient avec lui-même ? Avec ou sans question, le résultat est passionnant.

« Bistouri » et « Dans l’atelier » d’Alain Moreau, jusqu’au 18 avril au Tarmac, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris. En tournée : 13-16 mai à La Réunion (Leu Tempo Festival), 19-24 mai à Bruxelles (Théâtre National, Bruxelles), 31 mai à Saverne, 3 juin au musée Picasso (Paris), 10-12 juin à la Maison des Arts Thonon-Evian. Durée : 1h. Plus d’informations et réservations sur www.letarmac.fr

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