« Conte d’hiver » ou triomphe de l’été

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Copyright : Johan Persson
Copyright : Johan Persson

L’hérétique est-il celui qui fait le feu ou celui qui brûle ? Dans cette pièce tardive de Shakespeare, Léonte, roi de Sicile, sombre dans un délire paranoïaque le jour où il accuse d’adultère sa chaste et vertueuse femme Hermione, qui serait enceinte de son fidèle ami Proxilène roi de Bohème. À défaut d’avoir pu barricader le « maudit bat ventre féminin », récurrence shakespearienne, Léonte ordonne l’assassinat de Proxilène qui parvient à fuir, il fait juger sa femme dont la vie dépend de ses chimères jusqu’à mourir de chagrin en prison, et fait enfin exiler sa fille Perdita, fruit d’un pécher imaginaire qu’un berger va recueillir. D’une cruauté sans limite, le roi tyrannique et capricieux, tel un hérétique, se joue de l’oracle et d’Apollon qui le prive alors d’héritier. Séparée en deux parties antagonistes marquées par une ellipse de seize années, « Conte d’hiver » est une pièce aussi tragique que comique qui donne à réfléchir sur la violence commise à l’égard des femmes.

Entre le royaume de Sicile et de Bohème, l’hiver laisse place à l’été et l’homme qui battait sa femme finit pied à terre devant la défunte, cette statue inanimée en attente de rédemption désormais implorée par le tyran déchu.

Face à cette pièce complexe par ses bonds dans le Temps grand acteur du drame, Declan Donnellan, habitué du Théâtre des Gémeaux, avec sa troupe Cheek by Jowl propose une mise en scène admirablement limpide. Tout concoure à la mise en valeur des contrastes entre les deux parties, que ce soit au niveau du décor qui d’abord froid, blanc, dépouillé et constitué de caisses anguleuses devient lumineux, ouvert et festif, ou par les lumières bleues voire d’une blancheur hivernale glaçante au départ, chatoyantes et colorées ensuite. Les acteurs, habillés comme aujourd’hui, révèlent à quel point Donnellan a contourné les difficultés temporelles de la pièce en misant sur une atemporalité constante qui habilement, ancre l’irréalité du conte dans la réalité.

D’une humanité déroutante dans leurs rôles, les comédiens sont incroyables, leur jeu est très précis et bien dirigé. Tour à tour, ils se manipulent comme des pantins et ont cette capacité de se mettre en pause le temps d’apartés, notamment lorsque Léonte imagine la tromperie d’Hermione et Proxilène en les déplaçant comme des poupées inanimées, donnant ainsi vie à son délire. Néanmoins, la seconde partie de la pièce qui relâche la tension dans un cadre pastoral, au regard des premiers actes très chorégraphiés laisse une impression moins enchanteresse. Jusqu’à la scène finale du miracle du temps, où l’art se moque de nous alors que tous forment un cortège funèbre autour d’Hermione, laissant au public une image très marquante.

Avec ce « Conte d’hiver », Declan Donnellan signe une mise en scène étincelante et maîtrisée parsemée de détails intelligents, où à l’éternel hiver persistent les fleurs.

« Conte d’hiver », de Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan, jusqu’au 31 janvier 2016 au Théâtre des Gémeaux/Scène nationale, 48, avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux. Durée : 2h45 (entracte compris). Plus d’informations et réservations sur www.lesgemeaux.com.

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