Avignon IN 2016 « Truckstop » : polar en bord de route

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Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Dans un relais routier, un truckstop, une mère et sa fille essayent fébrilement de faire fonctionner l’entreprise familiale jusqu’à ce qu’un jeune camionneur ne vienne ébranler l’affaire. Derrière la vie intimiste de ce trio porté par des acteurs remarquables, un discours bien tissé est brossé de notre société actuelle et des inquiétudes qu’elle fait naître.

Blessés, comme oubliés de la vie, c’est ainsi qu’apparaissent les personnages dès leur entrée sur scène dans un décor qui a l’air d’une boîte qui les enferme. Tout y est gris à l’exception des rideaux en dentelle crochetée, vestiges d’une époque où le relais routier était, pour les camionneurs, synonyme d’oasis de paix dans une journée passée sur les routes. Recluses dans cet espace vide cruellement étouffant, mère et fille font équipe, bien que rapidement la mère apparaisse comme ayant une emprise inébranlable sur sa fille manifestement malade. Tout semble montrer qu’elles aiment et tiennent à cet endroit qui prend des couleurs le jour où Remco un jeune homme porté avec justesse par Maurin Ollès – révélation de ce spectacle – offre à Katalijne une petite lampe en verre coloré qui va donner lieu à de vives réactions.

Alors que tous semblent solitaires, l’entrée de Remco dans la vie de la jeune fille doublée de son accession à la majorité et de fait, à son compte épargne, morcelle l’équilibre familial. Animé par l’espoir d’échapper à l’entreprise de ses parents qui font dans la viande d’autruche, le jeune homme rêve de s’acheter un camion pour aller sillonner les routes d’Europe et du monde, mais il lui manque l’argent que Katalijne, qui se met à espérer un départ à ses côtés, découvre posséder. Pour la mère, c’est un affront, comment survivre sans l’argent de sa fille qui pourrait sauver le bar routier qui nécessite de multiples rénovations pour prétendre attirer de nouveau les clients. En effet, dans une société mondialisée qui consomme de plus en plus et exige tout de suite incarnée par des enseignes telle que Mc Do, le truckstop et ses fameuses boulettes de viande ne peut plus se targuer d’offrir l’hospitalité quand les gens voudraient la rapidité déshumanisée. Si l’intrigue monte en puissance jusqu’au crime final, dès le début l’ambiance laisse place au mystère et chacun des personnages semble porter en lui de l’étrangeté. Alors que Claire Aveline et Maurin Ollès sont tout à la fois décapants et délicats, Manon Raffaelli manque davantage de nuance dans son jeu bien qu’il faille lui reconnaître des attitudes sombrement humoristiques dans son rôle de jeune femme imprévisible et intenable.

De bout en bout la pièce est bien orchestrée, lorsqu’on comprend que les personnages nous parlent du côté des morts, le portrait social qu’ils dressent monte encore d’un cran. Coincés dans ce truckstop et pris entre l’idée de parcourir le monde ou le faire venir à eux, ils semblent destinés à revivre inlassablement leurs espoirs déchus, la fougue liée à leur jeune âge aura eue raison d’eux, leur quête d’idéal en devient bouleversante et tragique.

Truckstop, de Lot Vekemans, mise en scène Arnaud Meunier, avec Claire Aveline, Maurin Ollès et Manon Raffaelli

Festival d’Avignon, Chapelle des Pénitents Blancs, Place de la Principale, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 16 juillet, à 11h et 15h, durée 1h20.

Tournée : du 7 au 11 février 2017 à La Comédie de Saint-Etienne Centre dramatique national, du 8 au 10 mars au Théâtre Nouvelle Génération, Centre dramatique national de Lyon, du 14 au 17 mars à la Comédie de Béthune Centre dramatique national Nord – Pas de Calais – Picardie, du 4 au 6 mai au Préau Centre dramatique Normandie de Vire.

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