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[Exposition] « Tout allumé » : les ensorcelantes parodies du vivant de Gilbert Peyre

Gilbert Peyre, L’ange, © Franck Grassaud

Après le succès de son exposition « L’électromécanomaniaque » à la Halle Saint-Pierre, Gilbert Peyre dévoile sa Cour des Miracles aussi fantaisiste qu’effroyable, à La Grande Vapeur d’Oyonnax. Ancienne manufacture dédiée à la fabrique de peignes, l’édifice classé monument historique offre à l’artiste, une scène à la fois épurée et théâtrale : dans cette ambiance industrielle, ses œuvres à l’esthétique savamment loufoque et disloquée, y trouvent une place de choix. Entre tintamarre mécanique et poésie burlesque, une exposition saisissante, où l’imaginaire enchante l’ordinaire.

De la FIAC à la Fondation Cartier, en passant par l’exposition « Persona » du quai Branly, les machines-opéras de Gilbert Peyre ont marqué les esprits par leur charme énigmatique et leur fragile beauté : un univers de paradoxes poétiques, où le matériel côtoie l’allégorique. Jean-Pierre Jeunet ne s’y trompe pas lorsqu’en 2009, il met en scène six œuvres de l’artiste dans son film Micmacs à tire-larigot ; un scénario à leur image, satirique et teinté d’absurde, un peu cruel sous ses dehors enfantins.

Gilbert Peyre, Tableau de Chasse, 2004, © Nicolas Gérard

À La Grande Vapeur, l’atmosphère de ce lieu chargé d’histoire restitue à merveille cette ambivalence : brute, saturée de béton armé, mais habitée par des créatures hybrides et attachantes. Là, une BêteMachine chante du Edith Piaf à tue-tête, tandis qu’une souris-marionnette exécute une danse endiablée, juchée sur des pinces à linge. Plus singulière, une femme sans tête se dandine voluptueusement dans sa culotte : sans nul doute, un clin d’œil sensuel et dérangeant à la célèbre Poupée du surréaliste Hans Bellmer, un hommage à cet objet fétiche devenu quasi-iconique.

Poèmes inventifs et sensibles, les dispositifs de l’artiste dévoilent aussi en filigrane, de subtiles références à l’Histoire de l’art ; tel est le cas de ce Tableau de Chasse créé en 2014. Visuellement, l’œuvre est très aboutie : des boîtes de sardines en métal miment, telle une nature morte mécanisée, un banc de poissons frétillant dans l’océan ; caressante, la lumière qui se reflète sur les conserves imite les reflets de l’eau. Telle une Vanité mise en abîme, cette installation où les objets eux-mêmes sont réifiés, devient un admirable pléonasme artistique. Certes, de l’onirisme émane de cette scène de chasse, mais la cruauté est sous-jacente : comment continuer de rêver dans une société de consommation qui a besoin de tels trophées ?

Gilbert Peyre, Fin de bal, 2016, © Nicolas Gérard

Matérialisant des univers désincarnés, faits de bric et de broc, le travail de Gilbert Peyre révèle les paradoxes du quotidien : tout va de travers et pourtant, tout fonctionne. Dès lors, ces installations interpellent et portent à réfléchir ; elles soulignent que la clef de certaines œuvres, réside parfois dans la curiosité et la patience, plutôt que dans la satisfaction immédiate : certains mécanismes sont lents, énigmatiques, les bourdonnements métalliques rythment une attente angoissée où rien n’a de logique apparente.

L’artiste, au fond, esquisse des allégories sarcastiques de la vie : on est au cœur du familier, entouré d’assiettes, de jouets, de linge et de vaisselle ; pourtant, c’est la maison des horreurs. Face à ce spectacle hallucinant, on a envie de s’échapper, mais on reste fasciné par ces ensorcelantes parodies du vivant.

Sans conteste, Peyre insuffle une âme à ses machines dont l’obsolescence devient la plus belle qualité. Sa maîtrise technologique est indéniable et ses œuvres, ersatz d’humanité, évoquent un incroyable imaginaire poétique. « La mécanique est la plus belle partie de l’objet », explique-t-il ; l’enchantement en effet, réside peut-être là : dans ce qui est insoupçonnable.

Thaïs Bihour

« Tout allumé ! » – L’exposition se tient jusqu’au 19 août 2017 à la Grande Vapeur d’Oyonnax. Plus d’informations sur http://www.oyonnax.fr/culture/musee-de-la-plasturgie/102-expositions-temporaires.html