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Denis Lavant : « Céline, ce n’est pas de l’alexandrin mais c’est presque du vers »

 

S’attaquer à Céline, l’affaire périlleuse que voilà, avais-je pensé !

C’est dans le refuge boisé du théâtre de l’Epée de Bois que Denis Lavant joue jusqu’au 15 avril prochain, une mise en scène de la correspondance de Céline, « Faire danser les alligators sur la flûte de Pan ». La mise en scène est sobre, relevant à merveille la puissance du texte – et du jeu de son comédien. L’histoire, linéaire suivant le parcours de Céline. Un parti pris qui pourrait rebuter mais qui par le tressage avisé d’Emile Brami emporte le spectateur dans un Voyage jusqu’aux portes des années 60. Jusqu’à la mort de l’exilé de Meudon.

Nécessaire!

C’est un peu en alligator chahutée que je suis allée à la rencontre de Denis Lavant pour creuser son mystère Céline. Et c’est avec une tasse de thé et de gros éclats de rire (beaucoup) qu’il a accueilli mes questions de grande bécasse toute en admiration.

Extraits.

Votre premier contact avec Céline?

Mon premier contact, ça date de quand j’étais lycéen. C’est ma soeur, je crois, qui me l’avait fait découvrir. Le Voyage au bout de la nuit. J’en ai gardé un souvenir assez marquant. Des images très fortes de ce roman. Mon père était assez amateur de ses livres, il a lu un peu tout. Je m’en suis détaché un peu, à cause de l’aura que trimbalait Céline. Son attitude antisémite, avant la guerre et pendant. Ca m’a un peu dégoûté, je m’en suis méfié un temps.

Et je n’ai pas forcément pour attitude de lire tout d’un écrivain. Parfois, des oeuvres me marquent et ça me nourrit longtemps.

En fait, j’ai vraiment replongé dans l’écriture de Céline au moment où on m’a proposé ce spectacle.

Et par rapport à cette défiance dont vous parliez, au moment où Ivan Morane vous a proposé le rôle, est-ce qu’il n’y a pas eu des réticences au début ?

Ah si, d’entrée, j’étais vraiment réticent. Je me suis beaucoup interrogé. Est-ce que ça valait la peine d’endosser cette personnalité un peu monstrueuse dans tous les sens, dans le génie et dans l’abjection ?

Ce qui m’a poussé à accepter, c’est aussi la manière de parler d’une époque. Oui, le reflet d’une époque. Ses pamphlets antisémites, il est le reflet d’une attitude assez nauséabonde de l’époque d’avant-guerre, en France, d’une partie de la population, de la presse.
Mais ce qui m’a passionné d’un coup, c’est la trajectoire. Ce n’était pas juste d’exposer sa pensée sur la littérature, sur les évènements de Céline. C’est aussi tracer l’itinéraire d’un homme à travers le 20e siècle. Et de voir comment il est absolument constant dans son art, dans son idée de l’écriture, et comment il est absolument contradictoire dans sa manière de manifester ses sentiments, même par rapport à lui. Même sa manière de considérer le fait d’écrire. Il se justifie. Il désacralise tout le temps l’écriture.

Je suis parti de sa partition. Il y avait des choses en moi qui avaient retenti à la lecture de Voyage et Mort à Crédit. Et de l’écoute de ses entretiens. C’était Léos Carax qui m’avait passé ça. Avec des chansons aussi qu’il chante lui même.

Du mimétisme

Et ce dont je me suis efforcé, c’est d’éviter de rentrer dans un mimétisme. Y’a tels entretiens. (Il se lève pour chercher un coffret Céline)
J’évitais de le regarder pendant le travail. Mais malgré tout, à force d’avoir à faire avec son rythme, son écriture, y’a une espèce de scansion, de respiration qui est proche de la manière dont il fait.

Et comment on s’y prépare?

Il y a un ouvrage qui m’a énormément éclairé, par rapport à sa trajectoire. C’est sa thèse de médecine qui s’appelle Semmelweis. Il y parle d’un Hongrois du début du XVIIIe siècle qui a eu le premier l’idée de la profilaxie, c’est à dire l’idée qu’on avait besoin de se laver les mains, de se désinfecter, et ce, bien avant Pasteur.
Il raconte le cas d’une maternité à Vienne où des étudiants en médecine opèrent des cadavres et qui, après, vont toucher des femmes. Forcément, ça trimballe des maladies, des fièvres. Semmelweis commence à cerner le problème mais il se fait jeter de partout. Et Céline choisit de raconter ça. C’est déjà dans un style flamboyant. En même temps, on ne peut s’empêcher de penser que c’est proche de sa propre trajectoire. Semmelweis se retrouve complètement isolé de tout le monde, avec son idée, sa prémonition d’améliorer le sort des humains. En se lavant les mains. (Il rit) Ca m’a beaucoup aidé sur la trajectoire du bonhomme.

Et par rapport à la mise en scène qui est très sobre, l’idée derrière, c’est les mots, le jeu qui se suffisent à eux même?

Vous savez, pour moi, il y a différentes manières d’aborder la mise en scène. Vous dites qu’elle est sobre, oui, elle est élémentaire. Elle est pensée, elle est éclairée, elle est absolument conséquente mais il n’y a pas de choses extraordinaires, y’a pas de décoration en plus. D’écrans. De surabondance d’éléments extérieurs. Mais ce serait étouffer le propos sous de la surcharge.

Là, tous les éléments qui sont sur le plateau servent. Tout est mis en jeu. Pour moi, le jeu théâtral repose principalement sur l’évocation. Et après, c’est le comédien qui avec son corps et la parole, qui va faire exister, raconter une histoire. Pas besoin de rajouter des paillettes, du strass, des effets de jupes et de rideaux (Il rit comme un enfant)

Dans le spectacle, la notion de stylisme revient plusieurs fois autour de Céline – vous, l’êtes-vous, styliste en tant que comédien?

Je pense que le style s’applique surtout à l’écriture, au travail de création. En tant que comédien, je suis interprète. Mon propos, c’est d’aller vers le plus de possibilités d’interprétations.
Ma propension, c’est de me mettre en danse avec n’importe quel texte. Parce que c’est mon plaisir. C’est mon premier langage.
Là où je trouve Céline très juste, là où ça me touche, c’est qu’il parle avant tout d’émotion. Son style est au service de l’émotion.
On peut être très virtuose dans une technique mais c’est soutenu par le désir de faire passer une émotion. Il dit « je ne veux pas narrer, je veux faire ressentir ».
Le seul moyen que j’ai trouvé pour comprendre, accéder à la parole théâtrale, c’est l’émotion. Si on est dans une émotion en phase avec ce qui est dit, forcément, il n’est plus question de justesse ou de fausseté. Le corps. Tout se met en branle pour livrer passage à l’émotion.

Et après, il ajoute le rythme Céline. Ca m’a beaucoup parlé. Chez tous les écrivains, la personnalité humaine de l’écrivain est déposée dans l’écriture. Par le rythme. La pulsion. La respiration. Céline a mis le doigt dessus dès le début. Le rythme, « la certitude, le bal des ténèbres ». Si le rythme est juste, ça avance. (Il frappe des mains) Chez lui, c’est pas de l’alexandrin, mais c’est presque du vers.

Vous parliez du rapport au corps précédemment. La voix, c’est quoi, un prolongement du langage corporel ? Ou quelque chose que vous distinguez?

Non, je les traite en même temps. J’essaie de joindre le geste à la parole. Pour moi, c’est l’idéal. Mais pas facile à gérer. Effectivement, il y a des comédiens qui ont un rapport, une aisance dans l’expression orale, et qui peuvent être très empêtris, patauds, lourds ou malhabiles dans leur déplacement. Dans mon cas, j’ai d’abord versé dans le mouvement, parce que c’était plus facile.  Le langage, a quelque chose de fugace. Le geste, on peut l’imprimer. La parole, c’est autre chose, ce sont des ondes sonores. Ca s’échappe.

Mais justement, comment faites-vous ?

Sculpter. Les deux sont en rapport avec l’imaginaire. Avec le corps, on peut créer, suggérer de l’image. Les mots, eux, se mettent à retentir quand ils sont investis d’une image. C’est pas juste du son signifiant, c’est du signifié. Mince, je me mets à parler linguistique. (Il éclate de rire)

Et plus le signifié est dense, et plus l’image qui est intrinsèque au mot que vous référez est concrète, intense, colorée, a de l’étoffe, plus ça parvient, plus le mot retentit. La prononciation est juste quand elle est en phase avec l’imaginaire. Ce sont deux canaux qui se complètent.

Et cette maîtrise du langage corporel que vous avez, nécessite-t-elle une discipline, une préparation particulière?

Absolument pas. Je n’ai pas de training. Je me mets en branle : sur scène. Je ne m’échauffe pas avant de jouer, j’essaie de rester calme. Et surtout d’être prêt. D’être disponible. En allant au théâtre, je suis déjà dans une démarche physique, dynamique au monde. Je marche, je n’ai pas de voiture. Je me mets, par plaisir, par goût, dans ce rapport à la vie, de m’amuser, d’être dans un rapport ludique mais poétique par rapport au quotidien. Je marche dans la rue, je ne suis pas enfermé dans un confort. Dès que je sors de chez moi pour aller au théâtre, je vais vers la représentation.

Mon idéal, c’est d’être prêt à jouer. Ca me fait marrer, mais c’est comme dans les films de kung-fu. J’ai toujours trouvé ça admirable que les gars, dans n’importe quelle situation, soient affutés tout le temps. Ils sont tout de suite prêts. Je trouve ça formidable. Prêt à jouer. N’importe quand. D’être disponible, en fait !

Faire danser les alligators sur la flûte de Pan.
Une mise en scène d’Ivan Morane, sur une mise en textes d’Emile Brami, à partir des correspondances de Céline.
Avec Denis Lavant.
Au théâtre de l’Epée de Bois, à La Cartoucherie, jusqu’au 15 avril!




Shame – ou la solitude urbaine

(c) MK2 Diffusion

Brandon, errant de la City, est un de ces CSP+ à qui tout réussit. Un poste au sommet dont on ne saura rien. Un grand appart à large baie vitrée, donnant sur l’Hudson. La séduction carnassière pour manteau. Un prédateur lâché dans la ville.
Dans le prologue, on le verra darder d’un regard acier une jeune femme dans le métro. S’ensuit une lente chorégraphie du chasseur et de la proie. A ce jeu, qui est la proie, qui est le prédateur?

Pour ce trentenaire, tout est jeu. Tout est matière à chair. Un cul qui passe en sortant de son immeuble. La cadre qu’on baise frénétiquement dans la solitude des quais de l’Hudson. La putain qu’on commande comme son plat de chinois.

Shame est un film sur la solitude contemporaine. Sur ce qu’après, au fond, chacun de nous se languit. Se combler. Se remplir. Brandon se remplit de chair, de passagère ivresse, jusqu’à la nausée. Comme Bridget Jones de bouffe. Comme celui-là de son match de foot. Comme le patron de Brandon de vaines touches dans les clubs. Comme sa sœur de mélodrames.
La ville est là, tantôt grise, tantôt rouge et bleue, toujours froide. Cette grande ville, qui à l’instar de toutes les autres, engloutit dans sa masse le moindre de ses habitants.
La nuit est là, lumineuse, dans son abondance, son entrechoc de verres, ses rues pareilles à perte de vue. Mais qui laisse l’homme l’aube venue, dans la froideur de ses draps bleus.

La parole de Shame est dans l’excès: soit absente à en rendre mal à l’aise, soit forte dans l’agression. Chez McQueen, les personnages sont des taiseux ou des incontinents verbaux.

Du personnage principal de Shame, on dit qu’il serait un héritier de Patrick Bateman. Mais plus qu’à Bateman, le personnage de Brandon m’évoque celui de Franck T.J Mackey, dans Magnolia. Ce Batman du sexe, campé par Tom Cruise, dans Magnolia. Brandon, c’est ce que serait Mackey dans la froideur urbaine. Les larmes de Brandon dans la jouissance glauque, ce sont les mêmes larmes que Mackey, percé à jour.

Les larmes. Les halètements, le tic tac des horloges aussi se répondent pendant tout le film. Pendant tout le film, c’est la même musique. L’éternel recommencement. C’est rond. En cercle. Brandon, c’est Sisyphe qui pousse son rocher en haut du mont. Il jouit, le rocher tombe.
Tout n’est qu’éternel recommencement, comme la faim qui le tenaille. Qui nous tenaille?

Shame, de Steve McQueen. Avec Michael Fassbender, Carey Mulligan, James Badge Dale, Nicole Beharie. 1h39. Film 4.

Encore dans quelques salles parisiennes (précipitez vous!).




The Berg sans Nipple: « Y’a de l’érosion partout mais ça crée de nouvelles choses »

Crédits: Etienne Foyer

Les Berg Sans Nipple sont de drôles d’oiseaux. Nés sur deux continents différents, à les voir pourtant, on dirait des frères. A les entendre aussi. Ils finissent les phrases de l’autre. Installent des silences dont ils sont seuls à posséder la clé. Musicalement, c’est encore plus un mystère. Là où des artistes solo échouent à concilier leur moi intérieur, eux réussissent à inventer et à se réinventer à l’envi, sans que l’être deux soit un obstacle. Au contraire.
On s’était raté. Plusieurs fois. RDV manqué à l’hôtel Amour. Ils avaient rendez-vous avec leurs idées; impatiente, j’étais allée voir un autre « fou », Katerine, en concert.
Et ce n’était pas plus mal.
Pour mieux se retrouver une fin d’après-midi d’été, derrière une roulotte. Ambiance bucolique. Les murmures de leur tribu autour.
Extraits.

Comment commence Berg Sans Nipple?

Lori Sean Berg : On est très vite arrivés à la musique, parce que c’était un bon moyen de communication. Shane ne parlait pas français. Je ne parlais pas trop anglais encore. On a tout de suite joué sans se poser de questions. C’est ça qui nous a tout de suite connecté. On jouait sans forcément se dire que ça mènerait à un projet. Juste jouer.

C’est drôle que vous décriviez ça ainsi parce qu’en écoutant votre album, je me disais que la musique est chez vous un langage qui se suffit à lui-même. Ca veut dire quoi? Les sons sont comme des mots? Comme des matières organiques malléables à souhait?

Shane Aspegren: Oui. Le projet, ça a toujours été la transformation. On a souvent créé des sons mais aussi pris les sons pour les retravailler. La fin n’a jamais à voir avec le début. Au début, on se sent mutuellement. On est connectés. On a toujours les deux côtés. On sait ce que ressent l’autre.

Chaque album est source de renouvellement. Y’a un fil, une ligne musicale derrière tout ça?

Lori : se renouveler, oui, aussi mais une ligne musicale, pas vraiment. On a envie de se surprendre, d’aller vers des horizons dans lesquels on n’a pas l’habitude d’aller. Cet album, on avait envie qu’il soit comme ça. On s’est pas posé de question. J’avais envie que ce soit un album très minimaliste, très …

Shane : un peu brut, aussi. Plus brut que les autres. Parce que sur scène, il y avait toujours quelque chose de plus brut. Ce qui ne ressortait pas vraiment dans les albums. Sur les albums, oui, parfois, il y avait quelque chose de brut mais ils avaient plus de sonorités…

Lori : planantes.

Vous venez d’en parler. La scène, c’est un endroit à part?

Lori : c’est vrai que quand on enregistre en studio, on réfléchit à la scène. Comment on va faire pour le retranscrire sur scène. C’est aussi pour ça qu’on a décidé d’avoir moins de choses. On était un peu prisonnier de tout ça et on avait envie d’aller peut-être vers un peu plus de simplicité.

Shane : Mais je pense que ce regard… on a changé depuis le début. Là, on a commencé (en choeur avec Lori) live. L’enregistrement, on avait la vision de faire autre chose mais de garder le côté qu’on a créé au début. Avec le dernier album, c’était très différent.

Lori : Mais déjà avec Along the quai, c’était un disque où il y avait beaucoup de choses qui étaient difficiles à reproduire sur scène. Et ça, c’était un peu frustrant. On avait envie d’avoir moins de choses à gérer, essayer de jouer, quoi. Arrêter de se dire «  tiens, faut faire ci et ça ». On réfléchit toujours en live parce qu’on a commencé comme ça.
En même temps, sur ce dernier album, on avait envie d’un enregistrement studio aussi. Travailler beaucoup les sons. Des percussions etc. La batterie.

Build with erosion, c’est le titre de votre album. De ce que vous me dites, ça veut dire quoi? Qu’à l’usure, vous aboutissez à ce résultat?

Lori : qu’à force de faire, on tourne en rond

Oui mais c’est quoi l’idée?

Shane: Y’a pas juste un sens.

Lori: (rires) c’est un peu comme Berg sans Nipple, quoi.

Shane: Oui, la montagne sans sommet.

Moui, Berg sans nipple, littéralement, ça veut pas juste dire ça.

Shane: oui mais c’est le sommet.

Ah mais oui!

Shane: Y’a pas de montagne sans nipple, sans sommet. On monte, on monte, on monte et on a jamais… jamais les tétons. (Rires)

Donc tu le construis, ton sommet mais t’as l’érosion, qui te mange tout.

Shane: Oui parce que c’est pas là, it’s eroded, you know.

Et alors, ce serait quoi, le sommet, l’idéal musical?

Shane: que ça change tout le temps. C’est un peu ça l’érosion aussi. Quand j’ai écrit les textes de l’album, j’étudiais beaucoup la philosophie orientale. Y’a des pans différents. C’est un peu ça aussi.
Une façon de voir. La vie est quelque chose d’un peu destructeur. Et c’est pas plus mal non plus. Y’a de l’érosion partout et ça crée de nouvelles choses.

Lori: et on en fait une autre montagne

Shane: c’est aussi notre façon de créer la musique depuis le début. On utilise toujours des trucs cassés, pourris. Oui, y’a un côté triste de voir les choses se dégrader. Mais ça peut être beau aussi.

 
Build with Erosion. The Berg Sans Nipple. Clapping Music/Blackmaps. Disponible dans tous les bons disquaires

 




Mardi – Aqualast de Rover

Ay, caramba, il fait toujours aussi froid. On a sorti les grands manteaux. L’hiver a au moins de ça de chouette, on peut sortir les grands pardessus de laine, où s’emmitoufler. Boutonner avec plaisir son col, et se donner un air d’Albator au nez rouge. Ou se réfugier sous la couette, la musique à plein vent. L’hiver, à défaut de squatter les salles de concert, ce sont mes murs que je réchauffe, de notes, d’envolées musicales.
Et mes murs, depuis quelques mois, ils ont leur ration hebdo – au moins, de Rover.

Sur la pochette, un regard azur. Un profil à la Chateaubriand. Instantanément, j’ai pensé que j’allais prendre cher. Et j’avais pas tort puisque l’EP de ce grand gaillard est une merveille.

Rover, c’est le couteau suisse du spleen hivernal: en quatre titres, il réussit à te faire passer pour une hystérique, progressivement.
Son Aqualast m’évoque les plaines. Ces plaines synonymes de l’entre-deux. De ce chouette sentiment qu’est l’entre-deux quand tu voyages. Les plaines défilent. Les paysages s’envolent. Toi aussi. Morceau planant, littéralement.
Sur le suivant, Tonight, avec ses accents de New Order, et sa voix de Nomi (ouais j’ose), tu te retrouveras à bouger tes miches, les cheveux au vent. Peut-être les yeux un peu mouillés, parce que le père Rover, c’est pas un youpiyeah non plus.
Birds, et bim, on est dans un bar à siroter sa bière avec les rednecks; rock on, Rover! et vive les Black Keys!
Le coup de grâce tient dans son dernier morceau, Joy. Après l’envol, la danse frénétique, l’ivresse folklorique, je demande l’incontinence lacrymale. Et ça, en 1m20 chrono, sur une ballade toute en gradation.

Et si vous ne me croyez pas, tendez y une oreille vous même. Même deux. Je vous jure qu’elles vous remercieront. Et vos murs. Et votre spleen hivernal aussi.

Rover. Aqualast. EP disponible en digital et en physique.

En tournée actuellement. Pour les Parisiens, il sera le 27 mars à la Maroquinerie.




Mardi – Quel est Mon noM? de Melvil Poupaud

Contre le ciel de traîne. Le spleen. Et la routine. I say « Melvil ». Coup de coeur de la semaine, du mois même :): « Quel est mon nom » de Melvil Poupaud, édité chez Stock.

Peut-être vous demanderez vous, – comme moi, quel est ce comédien qui offre en pâture à un tel âge ses Mémoires : est-ce un présomptueux un peu fou et /ou cynique, capitalisant sur sa belle gueule et ses connexions ou bien un artiste (un peu fou aussi), qui a eu la chance, mais surtout le talent d’avoir une vie d’une richesse crasse? La bonne réponse est évidemment la deuxième 🙂

Quel est Mon noM est un étrange objet littéraire, quelque part entre le scrapbook, le journal intime, le livre d’art et le scénario de cinéma. L’opus est taillé comme son auteur : multiple, dense, poète, créatif,… et franchement passionnant.

Melvil lives in a wonderful world. On s’attarde. On flâne. On s’émerveille. Sauf que le chapelier fou, le lièvre de Mars, la reine de coeur et le lapin blanc ont pour nom Serge Daney, Raul Ruiz, Marcello Mastroianni et Sa Majesté le 7e art et la Sainte Créativité.

Entre cartes postales, brouillons de scénar, storyboards, clichés et bouts de journal intime, Poupaud décline avec grâce son interprétation du genre autobiographique. Comment mettre en scène sa vie, ou plutôt comment faire de souvenirs une oeuvre à son image. Tout est jeu.

Si lire ce livre pousse certes à se faire illico une nuit Ruiz/Deneuve/Mastroianni/Duras (et on ira se pendre après), il donne surtout une furieuse envie… de créer.
Et rien que pour ça…

Quel est Mon noM ?, Melvil Poupaud. Stock. 2011




Séverin: en noir et blanc,… bleu, blanc et rouge!




Séverin, il nous a fait couler doux l’été avec son album L’Amour Triangulaire, sorti en digital, en juin dernier. D’abord, tu te dandines au rythme des synthés; puis fatiguée, tu te poses au bord de la piscine, toujours à dodeliner de la tête béatement. Et tu réalises alors que la même chanson qui te faisait sauter, elle est quand même pas très youpiyeah.
Séverin, c’est ça, de la pop mais pas trop acidulée. Le verbe est intelligent. Avec malice, il se joue des mots.


Et puis vous en connaissez beaucoup des chanteurs qui fassent rire sur le spleen amoureux? Séverin, il est de ceux là. Et c’est fichtrement rafraîchissant.
Du coup, je suis allée le rencontrer dans les jolis locaux de Cinq7, rire un peu et le bombarder de questions.


T’as commencé à deux, avec le groupe One-Two. Puis sur ton album Cheesecake, vous étiez à quinze, toi et quatorze femmes. Il a commencé comment le projet Séverin de L’Amour Triangulaire?


Tout seul.


Oui, mais le déclencheur?


Je crois que c’est d’avoir grandi un peu. J’avais envie d’assumer, plutôt que d’être toujours caché derrière un groupe ou avec plein de filles. J’avais envie d’être stressé mais tout seul. Tout ça, c’est lié au désir de chanter en français. De tendre vers quelque chose de plus sincère, et dans ma langue maternelle.


Tu passes donc de l’anglais au français. Souvent, c’est le contraire, il me semble. Est-ce que ça a changé ta manière de composer?


Ca change énormément. C’est beaucoup plus difficile de faire des chansons en français. L’anglais, même les natifs, ils sont moins attentifs aux textes. En français, chaque syllabe est perçue, compte. Tu ne peux pas laisser une phrase à l’abandon comme ça. Je m’attarde beaucoup plus sur les textes. Auparavant, je mettais toute mon énergie dans la musique.


Chanter dans sa langue maternelle, est-ce que ce n’est pas s’exposer davantage? T’as pas eu un souci de pudeur?


Oui mais c’est ça qui est marrant, c’est un challenge.
Il faut trouver le ton qui te ressemble. Je ne peux pas m’inventer un personnage en français. Quand t’es là en tant que chanteur, avec ton vrai nom, tu ne peux pas jouer un méchant si t’es pas méchant. Ce serait ridicule. Rien qu’avec ta gueule et la façon dont tu bouges, on va en rire.


Pour autant, on a quand même la sensation que tu déploies tout un univers autour de toi. Par le style vestimentaire; dans Cheesecake, l’homme à la période rouge. Là, tu verses dans le costume bleu. Je pense aussi à l’atmosphère de tes clips.


Ca, ça me ressemble. C’est des fantasmes aussi, le truc d’être dans la fumée. Quand je me réveille le matin, c’est sûr que c’est pas comme ça.


On a dû te le dire dix fois mais elle vient d’où cette nostalgie des années 80?


Oui, on le dit souvent. Mes références musicales françaises, elles viennent plus de cette époque là. Les années 90, je ne m’y retrouve pas trop. Sur le son, ok, y’a des synthés, ce qui sonne assez 80. Mais si tu y regardes vraiment, ça n’est pas si années 80 que ça. Oui, peut-être dans ma manière de chanter et le son. Mais c’est pas pour autant que je parle d’être dans les embruns, ce genre de trucs.


Oui, mais comme chez certaines chanteurs de l’époque, tu chantes des choses graves, sur un ton super léger. Je pense à ta chanson Caresses automatiques, bien vacharde et pourtant, à chaque fois que je l’écoute, j’ai envie de danser dessus.


Mais ça, c’est de la politesse. Je ne fais pas souvent des morceaux sombres. Je commencerai à faire de la chanson joyeuse quand je ferai de la musique dark. J’aime bien l’équilibre. Des textes joyeux sur de la musique joyeuse, ça donne un effet assez cul-cul.


L’inspiration chez toi, comment ça se passe? T’as une idée de chanson…


ô Jésus, Marie, Joseph…


(Rires) Sans déc’, tu attends d’être touché par la grâce?


Il faut que je me mette en recherche. Je suis flemmard; si je ne me mets pas en recherche, à penser, à chercher la musique, il ne se passe rien.


Pour revenir à cette histoire de nombre, t’es passé de deux, à quinze et maintenant que Séverin. Tout seul, comment tu te sens?


Je me sens très très bien. (Rires) Bon, je ne suis pas vraiment tout seul. J’ai quand même un groupe qui m’accompagne. En studio, aussi. Faire un disque vraiment tout seul, je pense que ça doit rendre un peu fou.


C’est quand même toi qui décides…


Je me suis construit le projet avec un groupe d’amis, de musiciens, avec qui je joue toujours. C’est juste moi qui donne le final cut avec Julien Delffaud avec qui je co-réalise. Bon oui, il m’appelle le Facho.


Je le savais.


C’est que j’ai des lubies, de temps en temps, sur des instruments, des trucs que je déteste.


Et la scène, tu t’y prépares comment?


Je suis en train de réaliser maintenant que l’important, c’est que ça marche sur scène. On s’en fout si ça reflète pas totalement le disque. Il faut que sur le moment, j’ai du plaisir à jouer et que les gens en aient à écouter.


Je te vois fixer l’album de Katerine depuis tout à l’heure. Tu nous prépares un show à la Katerine?


Pour cet album, j’essaie de rester hyper simple, direct, dans une énergie rock. Je serai peut-être de mieux en mieux habillé.


Tu vas quoi? mettre un costume vert?


Wow! Non, c’est le troisième album ça! (Rires) Attends, non, j’ai fait le rouge. J’ai fait le bleu. Je suis condamné à faire blanc, en fait. Le trip du drapeau français.


Encore que bleu blanc rouge, tu l’as déjà fait.


Oui, ça m’amusait qu’on utilise les trois couleurs de la République. Je trouvais ça marrant. Dans cette idée hyper frontale de faire de la musique directe, spontanée en français, je voulais utiliser les codes du bleu blanc rouge. Vu qu’en France, ça craint. C’est quelque chose qui évoque le FN ou des horreurs dans le genre. Je trouvais ça drôle.


L’album prochain, tu t’amènes en blanc alors?


En costard blanc, tu dois avoir l’air con quand même. Ou bien, je fais de la musique cubaine. (Il commence à chanter) Mais faut que j’apprenne la langue!



L’Amour Triangulaire. Séverin. Cinq7/Wagram Publishing. Sortie CD prochaine. Déjà disponible en digital.


Merci à Pauline L.!




Ailleurs c’est ici




Y’a des films qui te retournent le cerveau. Des films qui te transportent temporairement sur un autre plan. « Je me souviens, je me rappelle », dans la nuit lourde, la maison est endormie. Je regarde un court métrage Ailleurs c’est ici. Oui, comme la chanson de Louis-Ronan Choisy.
Inlassablement. Encore et encore, je l’ai regardé, cet objet cinématographique. Peut-être sept fois. Sept fois comme le compte égrainé par le héros du film, atteint de troubles obsessionnels compulsifs.
Fascinée par cet étrange équilibre mis en place par le réalisateur : certaines séquences sont une invitation à ressentir, d’autres à méditer. Le peu de dialogues est très écrit, l’atmosphère de l’ensemble, rêvée.


…/…


Strasbourg Saint Denis, un soir d’été – une gouaille de titi, le verbe volontiers fleuri, l’œil vif, la malice aux commissures des lèvres – le voilà mon coupable. Qui penserait à le voir là, à débouler ainsi du métro que ce jeune homme est responsable de ce voyage tout en correspondance, dans l’Ailleurs et ici?
Thomas est réalisateur. Quand, à 8 ans, on regarde Alice au pays des Merveilles, en trouvant ce dessin animé fichtrement dérangeant, au même âge, il regardait Cria Cuervos de Carlos Saura. Ca ne s’invente pas. Un héritage paternel, raconte-t-il. Car le cinéma est familial. A travers une « famille » cinématographique, ou plus simplement, d’amis.


Vient le temps de raconter des histoires. Plus tard.
Et c’est là que ça devient intéressant. Décidément, chez l’artiste, il y a toujours quelque chose de Dr Jekyll et Mr Hyde. Sirotant tranquillement sa bière, il se marre. Thomas, le cinéphile ne s’entendrait pas bien avec Thomas Creveuil, le cinéaste. Ce qui le meut et l’émeut, Thomas, cinématographiquement ne correspond pas à ce qui sort de sa plume et de sa caméra. Sa came sur l’écran, c’est Desplechin, Garrel. Derrière la caméra, c’est du fantastique. « J’adore le cinéma social, urbain, un peu dur. Les frères Dardenne, par exemple. Mais dès que j’essaie d’écrire un Conte de Noël, c’est du fantastique qui sort. Je crois que c’est mon truc, en fait. » Les voies de la création sont impénétrables. Il ne se l’explique pas.


« Jugez-moi. A tout à l’heure »


Cinéma Max Linder Panorama, un matin de janvier. 300 personnes dans la salle. On projette Ailleurs c’est ici. Là, tendu, devant tous ces gens, Thomas. – « Merci de vous être levé à 8h du matin / Voilà ce que je fais / Jugez-moi. A tout à l’heure« .
Présenter son travail est une démarche bizarre, nous raconte-t-il.
Pudeur, impudeur. A présenter son univers, on s’expose fatalement. Le fil est ténu entre réserve et impudeur.
Mais « le cinéma est une affaire de partage ». Son idéal? « Toucher les gens. Qu’ils sortent de la salle en ayant des questions, sur eux-même ». De soi vers l’universel. Moi vers les autres.


Les autres, c’est aussi ce qui sous-tend sa manière de travailler. Si on peut être habité par ses personnages, on peut l’être également par ses acteurs, – et c’est sans conteste le cas de Thomas. Et il en parle avec les yeux brillants. Ses comédiens, il bâtit son histoire avec et pour eux. « Je construis avec eux. Tout le temps. En fonction des gens que j’ai en tête. Je les entends parler ».
Il avoue que sur le tournage d’Ailleurs, c’est ici, il a supprimé quelques séquences pour que l’équipe aille à la plage. Et à ceux qui clament que c’est un point de vue amateur, rien à foutre. Le bonheur d’être ensemble. « Etre heureux d’être là ».


« Les émotions passent par la musique »


Dans le métro parisien, un jeune homme, les écouteurs vissés aux oreilles. Les notes d’une chanson « Ailleurs, c’est ici ». Et une vision.
« Dans le métro, un soir, en écoutant cette chanson de Louis, j’ai eu la vision de la scène des femmes-taureaux (NDLR: scène clé du film). Mais vraiment tout ». Aveu d’autant plus frappant que la musique a un rôle essentiel dans son court-métrage. La voix du chanteur est un personnage en lui-même. Il scande, rythme l’intrigue. « Pour moi, au cinéma, les émotions passent par la musique ». Créer de l’image par le son. Les faire correspondre, comme par vases communicants. je me dis qu’il a raison. Et que c’est quand même très baudelairien comme idée. Vous savez, l’idée baudelairienne des correspondances. Que « les parfums, les couleurs, les sons se répondent ». Mon mystère de l’autre soir, à regarder son court, ça venait de là, en fait. Les correspondances, vous dis-je, les correspondances.


Des Correspondances aux traversées des portes de la perception, il n’y a qu’un pas. Traversées, c’est d’ailleurs le titre de son prochain projet, avec Louis-Ronan Choisy, Clémentine Poidatz et Julia Piaton au casting. L’histoire? Une société contre-utopique, après une apocalypse industrielle. « Tout est fracassé. Flingué ». Un homme, Louis, tente d’y croire. Je sais pas, vous, mais la dernière fois qu’on m’a raconté l’apocalypse au cinéma, Lars, of course, ça m’a retournée comme une crêpe. De bonne augure? Certainement!


AILLEURS C’EST ICI – Trailer from Thomas Creveuil on Vimeo.



Ailleurs, c’est ici de Thomas Creveuil. Avec Pascal Barbier, Clémentine Poidatz. 18′. Horizon Pictures – A Travers le miroir.




Alex Beaupain : « Je suis très à gauche dans la vie mais très réac quand on parle projet artistique »




Ce n’est un secret pour personne: j’adore Alex Beaupain. Le 11 avril, date de sortie de l’album, connectée à Itunes Store, à minuit pétante, la touche F5 de mon clavier a manqué périr. L’entretien qui suit est donc celle d’une « geek », comme dirait l’artiste. Militants et militantes de la « bande à Beaupain » – ou juste mélomanes curieux, cette interview est pour vous.
Extraits.


Comme dans ton dernier album Pourquoi battait mon cœur, commençons in medias res. C’est voulu, cette narration qui se lance « au milieu des choses », alors que l’album retrace une histoire d’amour assez linéaire, avec ses différentes stations ?


Oui, la première chanson commence par « Et puis les plantes mortes ». L’idée dans cette chanson, c’est qu’après tout, on s’en fout de tout ça. Elle commence l’album comme on commencerait une histoire d’amour, dans un certain optimisme, un petit peu candide. En fait, elle annonce dès le départ que tout va très mal se dérouler après. L’idée était de partir sur quelque chose de très frontal, de très primaire. Avec une musique en majeur, plutôt joyeuse.


Il y a plusieurs co-signatures sur l’album: Jean-Philippe Verdin, Daniel Roux, Valentine Dutheil. Les textes sont-ils pour toi plus importants que la musique? Est-ce que tu y as plus de facilité?


En tout cas, j’aurais plus de mal à déléguer sur les textes. A lâcher là-dessus. Peut-être parce que, et tu as raison, je suis peut-être plus auteur que musicien. J’ai en tout cas plus de facilité à écrire des textes qu’à composer de la musique. Il y a quatre musiques qui ne sont pas de moi dans cet album. Ces gens, qui sont aussi mes amis, composent. J’écoute et quand je trouve ça bien, je pique. (Rires)


Et est-ce que tu pourrais t’imaginer poser ta voix sur un texte qui n’est pas de toi?


Difficilement. Parce que je ne me vis pas comme interprète. J’ai un intérêt comme chanteur quand je chante ce que j’écris.


C’est déjà arrivé qu’on te présente des textes?


Oui, oui. Ca va paraître prétentieux mais j’ai systématiquement trouvé ça moins intéressant que ce que je pourrais produire pour moi. Christophe Honoré a essayé au début. A mes débuts, il écrivait les textes, et moi, les musiques. Mais je trouvais ça moins bien.


Pourtant dans ton précédent album, 33 Tours, il y a une chanson, « Je veux »…


Oui, il l’a co-écrite. C’est un texte que j’ai corrigé. Christophe Honoré a plein de qualités. Je le dis tout le temps. Ca ne va pas le vexer. Il met en scène au théâtre, au cinéma, il écrit des scénarios, des livres. Mais les chansons… c’est quelque chose qu’il ne sait pas faire. C’est d’ailleurs une blague entre nous. Il est persuadé que les chansons qu’il m’a écrites sont des chefs d’œuvres encore jamais dévoilés. Et je suis persuadé que c’est mieux quand j’écris mes textes.


Et justement, sur « Je veux », c’était une volonté, cette touche à la Jacno ?


Oui, c’est un peu un pastiche, musicalement. Sur le texte, aussi. Ce texte a l’air comme ça très léger, mais raconte des choses très graves. C’est l’idée de vouloir plein de choses superficielles pour éviter d’avoir des choses profondes comme l’amour. Ce qu’on peut d’ailleurs retrouver dans une chanson comme « Amoureux solitaires ».


C’est curieux mais j’ai le sentiment que « Je veux » est un peu la grande soeur de certaines chansons du nouvel album. Notamment, dans cette dualité légèreté/gravité, lyrisme musical/cruauté des mots.


En commençant ce troisième album, j’avais deux volontés: aller vers quelque chose de plus pop et de plus rythmé. J’écoutais beaucoup Daho, Jacno donc forcément, c’est un univers qui me plaît. Dans 33 Tours, « Je veux » est presque une chanson à part. Une préfiguration de cette idée-là. Mais oui, très bien observé.
L’autre idée, c’était de s’ouvrir thématiquement un peu plus, et d’avoir des textes, je déteste le terme, sociétaux, voire politiques.


« La nuit promet » a été cosignée par Daniel Roux. Le Daniel Roux ? Quelle en est la génèse?


Oui, c’est Daniel Roux qui a écrit la musique. Il est décédé, il y a un peu plus d’un an. Il était bassiste. Il a longtemps travaillé avec Jean-Louis Aubert, avec Cali. C’était un ami, l’une des premières personnes avec qui je suis monté sur scène. Il y a très longtemps, Daniel m’avait donné plusieurs mélodies. J’aimais beaucoup ce qu’il écrivait. Et c’est sur l’un de ces playbacks que j’ai écrit « La nuit promet ». C’est une vieille chanson, en fait, que j’avais déjà essayé de mettre dans 33 Tours mais ça ne marchait pas. Ca part de mon amitié pour ce que faisait Daniel.


Et deuxième chose que personne n’a jamais remarqué dans cette chanson et qui me désespère absolument : « La nuit promet » est aussi un exercice formel. Un jeu sur les mots en –ar et en –ou. Mais si personne ne le voit, tant mieux. C’est aussi bien si on ne voit pas les ficelles.


On creuse encore. Dans le tout premier film de Christophe Honoré, 17 fois Cécile Cassard, il y a cette chanson, signée de toi et Lily Margot. Est ce que c’était un début de groupe? Tu pourrais t’imaginer jouer dans un groupe?


Pas du tout. Très simplement, on a composé, cosigné à trois la musique du premier film de Christophe. Il se trouve que pour des raisons contractuelles, c’est moi qui apparais au générique. J’avais tenu que dans le disque apparaisse aussi Lily Margot. Mais dans mon projet de chanteur, je détesterais être dans un groupe.
La démocratie, dans un projet artistique, ça ne marche pas. J’ai besoin d’avoir les rênes. Ca ne veut pas dire que je ne laisse pas de liberté au réalisateur ou aux musiciens mais à un moment donné, il faut que quelqu’un valide et en l’occurrence, sur mon album, c’est moi.


Mais est ce que ce n’est pas un poil contradictoire? Quand tu composes pour le cinéma, tu te mets au service du réalisateur, tu as des concessions à faire.


Quand je compose pour un film, c’est pareil. Je ne suis pas dans un groupe. J’obéis à quelqu’un qui est le chef, le réalisateur. Quand je fais un film avec Christophe, je me mets à son service. Je suis totalement dévoué. Peut-être un peu trop, parfois.
C’est atroce mais je crois beaucoup en la hiérarchie. Je suis très à gauche dans la vie mais très réac’ quand on parle projet artistique.


Peut-on parler d’une famille musicale Beaupain? Dans les crédits, il y a plusieurs noms qui reviennent. Des gens avec qui tu bosses depuis plusieurs albums : Rémy Galichet, Valentine Dutheil, Fabrice Petithuguenin, Fanny Lochu,…


Oui. Fanny Lochu, je la crédite parce qu’elle connaissait très bien Daniel Roux mais elle n’a pas travaillé sur l’album. Par contre, elle avait joué dans mon premier album. Valentine Duteil est ma violoncelliste de scène, qui m’accompagne depuis très longtemps. Rémy Galichet, je crois que c’est la première fois que je travaille avec lui. Par contre, je l’avais contacté à une époque pour l’inviter à travailler avec moi sur la musique de Dans Paris. Il y avait déjà une affinité dans le fait que je le connaissais déjà. Et tu as cité quelqu’un de très important, Fabrice Petithuguenin qui a fait absolument toutes les pochettes depuis le début. Et aussi la maquette de Serge, dirigé par Didier Varrod, que je connais depuis longtemps…


Qui fait aussi partie de…


Oui, qui fait partie d’une espèce de bande. Il a aussi beaucoup participé. C’est agréable, en fait. J’ai constitué avec mes amis, pas une Factory, mais il y a un peu de ça. Il y aussi Kéthévane Davrichewy, auteur. Diastème avec qui j’écris une opérette. Il y a mes musiciens. Ca finit par créer une bande.


Ce qui est drôle, c’est que tu travailles aussi avec les « bandes » des autres. La bande à Biolay : Nicolas Fiszman, Denis Benarrosh, Elsa Benabdallah,…


Oui, bien joué! Biolay, c’est un peu la figure de proue. Florent Marchet, Arman Méliès, Joseph d’Anvers, tous ces gens là. Je me sens plus proche de ce courant que de ce qu’on a appelé, il y dix ans, la nouvelle scène. Donc ce n’est pas étonnant si on travaille avec les mêmes personnes. C’est comme si on était plus dans une famille que dans une autre.


Alex Beaupain donnera ce soir un concert à la Cigale. Pour les retardataires, une autre date a été ouverte : le 4 novembre au Bataclan. Les dates de sa tournée arrivent !
Pour les cinéphiles, dans les salles, le 24 août, Les Bien-Aimés de Christophe Honoré.
Et merci à Thomas D., l’homme aux lunettes noires 😉


Pourquoi battait mon cœur. Alex Beaupain. Naïve. Sortie le 11 avril.


Crédits photos: Antoine Le Grand




Efraim Medina Reyes : « Ecrire, c'est aussi laisser les choses derrière soi, comme on sortirait les poubelles d'une maison »


« Il était une fois l’amour mais j’ai dû le tuer » est le Bildungsroman hallucinant et halluciné, sous acide, d’Efraim Medina Reyes, auteur originaire de Ville Immobile a.k.a Carthagène, Colombie. De ces romans, qui te brûlent les doigts rien qu’à les toucher, tant les mots sont incandescents. Frappée, tu le dévores en une nuit. Le matin venu, la plume d’Efraim Medina Reyes t’a laissé fiévreuse, un poil tourmentée mais repue.
C’est donc avec un peu d’appréhension que je m’apprête à rencontrer la « Bête », auteur de ce trip éveillé. Une heure durant, il répondra avec calme et beaucoup d’humour.
Extraits.


Commençons par le début. Tu pourrais me raconter ta rencontre avec la littérature ?


La littérature, c’est elle qui m’a trouvée. J’ai grandi dans un contexte où ces choses-là n’avaient pas d’intérêt. Je me suis d’ailleurs d’abord intéressé aux sciences. J’ai même étudié la médecine. Ma relation avec l’art s’est longtemps résumée à la musique. C’est un élément important de ma culture.
A l’âge de 21 ans, je suis tombé en dépression et ai été hospitalisé parce que ma situation psychologique était incontrôlable. J’ai pris beaucoup de médicaments. Mon psychiatre m’a alors offert quelques livres. Il pensait que ce serait une bonne idée que je lise. J’avais des problèmes d’insomnie, à l’époque. Il me les a donnés comme des somnifères. Un peu comme on donnerait de la dope à un sportif.
Parmi ces livres, il y avait « Le métier de vivre » d’un auteur italien, Cesare Pavese. Le psychiatre n’avait pas dû le lire. Pour un dépressif, ça peut être un livre dangereux. A la fin du livre, l’auteur dit que ce n’est plus la peine. Trois jours après, il se suicide. Curieusement, le livre de Pavese a eu un effet extrêmement fort et bénéfique sur moi. Je me suis relaxé. Et après l’avoir lu, j’ai pu dormir une dizaine d’heures d’affilée. Comme ça a marché, tout le monde a commencé à m’offrir des livres. De tout et n’importe quoi. Et je lisais tout. Je consommais. Peu importe. Ma mère allait m’acheter des livres. Elle ne connaissait pas grand-chose à la littérature : elle me prenait juste les plus gros.
Ce qui est très ironique, c’est que je me suis mis à lire tellement que j’ai fini par abandonner mes études de médecine. Au grand désespoir de ma mère qui, du coup, a voulu me soigner de la littérature. Et un peu comme l’homme qui au bout de plusieurs années de vie commune avec une femme, finit par l’épouser, je suis devenu écrivain.


Et ça correspondait à quelle période?


Si je me souviens bien, la première fois que j’ai écrit, c’était pour dire à une fille que je l’aimais. Une actrice de théâtre. C’était mon premier écrit: une lettre de quarante pages! Et elle n’a dû lire que les quinze premières parce que je n’ai jamais eu de réponse.
J’ai donc commencé par un échec. En tant qu’écrivain mais aussi en tant que séducteur.


Justement, la notion de l’échec dans ton oeuvre me fascine beaucoup. Dans ton dernier roman, la boîte de production s’appelle « Fracaso Limitida ». Le label que tu as créé « Fracaso Records ». Le titre, le cœur même du livre raconte un échec amoureux – « fracaso » en espagnol. C ‘est une obsession?



J’ai grandi dans un quartier très difficile, très pauvre et aussi, très violent. Les gens ne mourraient pas de faim. Mais ils n’avaient absolument rien. Il n’y avait pas de place pour l’ambition.
Avec mes amis, notre passe-temps préféré se résumait à chasser des gringas à la plage, et attaquer des gringos sur les remparts.
Avec ces amis, j’ai eu envie de monter un groupe de musique. Ca ne les intéressait pas vraiment. Mais je suis très têtu. J’ai réussi à les convaincre. Aucun d’entre nous n’avait vraiment de connaissances musicales. Mais en Colombie, si tu demandes à quelqu’un dans la rue, tu peux m’emmener sur la lune, il ne te dira jamais non. Il te répondra qu’il va essayer. On s’est donc lancés, avec un talent plus que bancal. Le nom de notre groupe en a découlé: 7 Torpes. Les sept maladroits. Alors qu’on n’était que trois.


Un peu comme les sept plaies d’Egypte ?


Mais oui, certainement! (Rires). On a joué dans des bars. Le patron nous faisait jouer à la fin parce que ça correspondait au moment où il avait envie que les gens s’en aillent. Notre premier enregistrement sur cassette – il y en avait 30 copies, on l’a intitulé « Chansons médiocres ». On a dû en vendre 9. Comme ça devenait une petite entreprise, on a décidé de lui donner un nom: Fracaso Limitada. Notre slogan: « Là où il y a un échec, nous sommes là ». Même quand ça a commencé à marcher, j’ai voulu garder ce nom parce que pour moi, c’est comme une manière de me protéger. Dans cette devise, j’y ai trouvé un peu ma manière d’ « être » au monde.


Et tu te considères d’abord en tant que musicien ou en tant qu’écrivain? Ou aucun des deux?



Quand on me propose un travail, j’ai pour habitude de répondre que je ne sais rien faire. Mais j’ai une façon bien à moi de ne pas savoir faire.
A mon sens, il n’existe pas de disciplines, d’arts ou de gens différents. Mais juste des langages. Ce qui m’importe, c’est d’ « exprimer » mon langage. Quelque soit le medium. Je pourrais tout aussi bien le faire en étant serveur dans un restaurant.


C’est quelque chose qu’on retrouve dans ton œuvre. Dans le roman, il y a plusieurs couches de narration, comme plusieurs angles cinématographiques. Plusieurs chapitres, plusieurs arts représentés. Tu sous-titres ton roman « musique des Sex Pistols et de Nirvana ». C’est un concept?



Parler de littérature, c’est obsolète. C’est comme les Italiens qui adorent le tango, en ce moment. C’est absurde! Je ne suis pas un écrivain au sens de la littérature. Je suis un écrivain au sens d’écrire. Ce qui m’importe, ce n’est pas la littérature mais écrire. Si je pouvais, j’utiliserais les mots comme des artefacts, des legos pour créer des structures.
Écrire « pour » la littérature, ça reviendrait à apprendre le tango. Il faudrait apprendre les mouvements, mais aussi les émotions. Comme si c’était quelque chose qu’on pouvait transmettre. A Rome, j’ai déjeuné un jour avec deux fans de tango. La fille n’a pas voulu s’asseoir sur sa chaise parce que ça ne correspondait pas à une posture de tango. Au fond, c’est comme si elle était dans un cercueil. Si j’écrivais « pour » la littérature, je serais aussi dans un cercueil.


Dans ton dernier roman, le héros Big Rep te ressemble furieusement. Est-ce ton double ou personnage purement fictionnel ?



La réalité est absurde. On ne peut pas faire de la réalité un langage. C’est pour cela qu’il faut fictionnaliser la réalité pour la rendre langage. J’ai eu une existence absurde. La seule chose qui puisse me faire du bien, c’est de faire du réel un objet littéraire. Un auteur ne peut pas être un seul personnage puisqu’il les a tous créés. Il y a quelque chose de moi dans chaque personnage. Si j’ai été Rep un jour, je ne le suis plus. Ca appartient au passé et n’existe plus aujourd’hui. Écrire pour moi, c’est aussi laisser les choses derrière moi, comme on sortirait les poubelles d’une maison.


Il était une fois l’amour mais j’ai dû le tuer
d’Efraim Medina Reyes, à 13e Note Editions. Disponible dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre.


Merci à Jeanne Chevalier, co-traductrice du roman et à Isabelle Louis, les anges gardiens de cet entretien! Et bien sûr, Efraim!




Cheval Blanc : « Ma ville est une journée à la terrasse du rêve »


Rencontrer un vrai poète. Ouais, un vrai! Ca vous est déjà arrivé? Moi, si. C'était aux premiers jours du printemps, dans une rue bruyante de Bastille. Le poète a un nom d'animal merveilleux. C'est Cheval Blanc, les amis.
Auteur- interprète de deux EP, Révélations et Révolutions, sortis en automne dernier. Deux bijoux taillés dans une même pierre. Deux oeuvres transverses se baladant entre musique et grande littérature. Le verbe est érudit. L'âme élevée. Celle de ceux qui entrent en poésie comme en religion. Instinctivement, on sait bien qu'il nous manquera toujours les clés pour « comprendre ». Mais baste, ressentons!

Entretien.


Bonjour Cheval Blanc. Pour commencer, pourquoi Cheval Blanc? Ca vient d'où?


Pour être exact, ça vient de mon premier blog, Antipunk Cheval Blanc. Et c'est devenu un pseudo, de blogueur, par la force des choses. Gonzaï a parlé de moi assez vite. Ca s'est imprimé.
Mais il y a quand même un sens.
C'est d'abord l'idée du mythe, des mythes.
Le cheval blanc est un animal qu'on retrouve dans énormément de mythes. Il est vraiment universel.
Souvent pour de bonnes raisons, souvent à la fin du monde. Dans les mythes hindous, dans l'apocalypse de Saint Jean. Ce qui m'intéressait, c'était ce symbole universel.


Un symbole, oui, mais de quoi?


C'était aussi un peu flou.
Je commençais à écrire à l'époque. J'avais une poésie aux accents prophétiques. Et c'était lié à Antipunk aussi. Je suis quelqu'un qui vient du punk. Je pensais qu'une rupture était nécessaire dans le punk et ce revival qu'on nous fait avaler à grands coups de marketing. Et qui est antinomique à l'esprit du punk. Le nom entier, ce serait Antipunk Cheval Blanc, en fait.
La collusion de quelque chose de complètement contemporain. Une sorte de mythe moderne, universel et millénaire.


Tra(ns)verses



On l'a vu, tu tiens un blog, sur lequel tu écris beaucoup. Pour autant, te définis-tu d'abord en tant qu'écrivain ou musicien?


Non, je suis musicien.
Maintenant, j'ai tendance à devenir les deux. Je n'écris pas depuis longtemps, en fait. J'ai commencé à écrire avec le blog. C'est le blog qui m'a donné la discipline. Je tente différentes expériences. Je me considère encore comme un poète débutant. Même si ça prend une part importante dans ma vie. Je passe plus de temps à lire de la poésie ou des écrits philosophiques qu'à écouter du rock. Mais je suis musicien depuis l'âge de 17 ans. Je suis d'abord musicien.


Et pourquoi avoir fait ce choix d'un blog? Mettre tes écrits en ligne? C'est une démarche à la fois très personnelle mais aussi terriblement impudique.


Complètement. C'est très paradoxal. Je suis dans la poésie. Je dirais que c'est un journal « extime ». C'est hyper narcissique et très étrange.
Je vais vous dire. Avant de commencer ce blog, j'avais des velléités d'écriture mais je n'y arrivais pas. De temps en temps, j'écrivais quelque chose. Mais j'étais bloqué. Complètement bloqué.
C'est un psychiatre qui m'a conseillé de ritualiser mon écriture.
Le blog est arrivé à ce moment-là. Etant musicien, je me suis dit, j'ouvre un blog autant pour moi que pour parler de ma musique. Et je me suis rendu compte que ce format m'offrait cet aspect de rituel, de travail mais aussi de thérapie. Tout en investissant la poésie.


Identité(s)



Et est-ce que tu vois le pseudo comme un masque?


L'identité est quelque chose qui pour des raisons personnelles, m'a troublé tout au long de ma vie.
Mon nom, je n'ai jamais pu le considérer comme un nom avec lequel j'aurais pu me présenter sur scène. J'ai un nom très complexe. Avec une histoire tout aussi complexe autour de ça. Donc, oui, le pseudo, c'est un masque.
En revanche, la question se pose encore. Si demain, je publie un recueil de poèmes, je ne sais pas comment je le signerai. Là, j'ai publié un poème dans une revue littéraire underground et j'ai signé Jérôme Suzat. Ou Jérôme-David Suzat. Je ne sais même plus. (Rires) Parce qu'à chaque fois, la question se pose.


C'est aussi l'idée, je crois que c'est Oscar Wilde qui disait ça, donnez un masque à cet homme et il se révélera.


Il y a peut-être de ça, oui. A l'époque, j'avais un projet, qui s'appelait Collage. J'avais un nom de groupe alors que j'étais tout seul. Il y a comme un masque, oui, qui part d'une envie de s'exprimer. De se montrer, de montrer son travail, avec ce paradoxe d'en être aussi traumatisé. C'est très ambivalent.


Là haut



En te lisant, en t'écoutant, la spiritualité transpire par toutes les pores de ton œuvre. Est-ce que tu dirais, toi, qu'elle tient une place importante dans ton œuvre artistique?


Oui, indubitablement. Déjà, Cheval Blanc, le mythe. Je m'intéresse à la spiritualité. Je lis pas mal de choses. La poésie mystique. Je me suis à un moment pas mal intéressé aux Evangiles apocryphes. Là, c'est le soufisme. Mais c'est aussi indissociable de la poésie, d'une certaine manière.
Mes saints, ce seraient les poètes, si vous voulez.
Hölderlin serait un saint. Mais je crois qu'il y a un aphorisme d'Hölderlin sur mon blog récemment qui dit exactement ça, qui relie la religion et la poésie. « « Ainsi toute religion serait, en son essence, poétique. » » Mais c'est aussi très intime. Ca transparaît dans mes écrits, certes. Ce sont aussi beaucoup de questions. Je n'ai pas d'affirmation.


Tes EP s'appellent Révélations. Révolutions. L'élévation?


C'est la traduction d'apocalypse, en fait. Une des traductions. L'apocalypse, c'est la révélation ou le dévoilement. Révolutions, c'est la révolution. Je les ai mis au pluriel parce que je ne crois pas à une apocalypse mais à plein de petites apocalypses. Comme je crois à tout plein de petites révolutions.
Mais c'est aussi un hommage à un grand poète français peu connu, Roger Gilbert-Lecomte, un des fondateurs du Grand Jeu. Il a écrit un texte assez important qui s'appelle « Révélation – Révolution ». C'était une sorte de clin d'oeil.


Logiquement, je ne devrais pas le dire. Il y a plein de clés que je ne devrais révéler. Qu'est ce que vous ne me faites pas dire! (Rires).


Cheval Blanc prépare un premier album, qui devrait sortir en fin d'année. Ainsi qu'un recueil. En attendant, jetez-vous sur ses EP de toute beauté, « Révélations » et « Révélations » chez Bruit Blanc.

http://www.myspace.com/22chevalblanc



à la mort du monde par jeromedavid




Auryn: « Between you and me, I feel the sound of music… »


Il était une fois – ben, oui, on est en Belgique – dans un pays pas si lointain une jeune femme à l’oeil vif et rieur. Elle s’en allait à la conquête du pays voisin, bardé de son premier album tout de pastel coloré, Winter Hopes. Auryn, car c’était son nom, avait choisi le jour des amoureux pour présenter son précieux enfant, dans nos contrées.
Cet opus, fruit d’un labeur de plusieurs années, avait pour parrains de bien illustres noms. A son berceau s’étaient penchés le grand Erwin Autrique de l’ICP, Greg Remy de Ghinzu, Sascha Toorop, batteur de Dominique A, Christian Schreurs du défunt – et prodige Venus. Toutes les bonnes fées du plat pays avaient oeuvré. En son pays, Auryn rencontra un joli succès.
Mais la valeureuse Auryn n’en avait cure. Elle voulait « voir toujours plus haut ». C’est ainsi qu’en un beau jour de janvier, dans un café du premier arrondissement, je la croisai. Elle, l’oeil pétillant et franc. Et la langue bien pendue.

Mais quittons ce ton de conte pour retrouver les couleurs d’un Paris contemporain.


Commençons par le commencement. Quel est le début de ta « neverending story » avec la musique?



Je crois que ça a commencé… quand j’étais un foetus de deux mois. (Rires) Mes parents m’ont joué énormément de chansons quand j’étais dans le ventre de ma mère. Mon père m’avait même composé une petite berceuse. Je crois que je suis juste née dedans.
Quand on est né dedans, on ne sait pas si on est vraiment fait pour ou si c’est juste qu’on n’a connu que ça. Les années ont passé. La musique ne m’a jamais quittée.
Pourtant, quand j’ai commencé à me poser la question de ce que j’allais faire, je ne me suis pas dit que j’allais faire de la musique. J’ai fait des études de comédienne.
Mais la musique me rattrapait toujours.


En écoutant ton album, on ne peut s’empêcher de penser au meilleur d’Emilie Simon, dans sa période Kate Bush. Dans la voix, tu as des accents de Kate Nash. Tu es un peu dans la mouvance de ces chanteuses à voix évanescentes.



Oui, c’est drôle. J’ai découvert toutes ces chanteuses, après coup. Emilie Simon, je ne connaissais pas. Ca m’a d’ailleurs relativement énervé la première fois qu’on m’a dit que j’essayais de l’imiter. Alors que je n’avais jamais entendu un seul morceau d’elle.
Et on ne me croyait pas!
Une brune, au piano, qui chante en anglais. Et tout de suite, une étiquette.


J’ai toujours écouté des hommes. Jeff Buckley, les Beatles, Queen, Mike Patton. Les déjantés, tu vois. Ce n’est que très tard que j’ai découvert les chanteuses. Peut-être parce qu’en tant que femme, je suis encore plus sensible aux belles voix d’hommes.


Et pourquoi chanter en anglais?



Ma mère est prof de français. Elle a beaucoup écouté Brel, Aznavour. Pour autant, on ne passait pas nos soirées à écouter de la chanson française. J’étais plutôt dans ma chambre à écouter avec ma soeur des groupes indés. Radiohead, Blur, Oasis. On était que dans l’anglophone. Tout le temps. J’adore l’anglais depuis que j’ai quatre ans. J’ai une maîtrise ès yoghurt depuis toujours. J’attendais mon premier cours d’anglais comme on attend le père Noël. Du coup, j’avais qu’une seule envie: c’était de chanter dans cette langue.
C’est ma langue de coeur, en fait.
J’arrive à dire des choses que je n’arriverai pas à écrire en français. Parce que ce n’est pas ma langue. Je peux faire des fautes. Je peux ne pas dire les choses tout à fait correctement. C’est poétique. De pouvoir se tromper. Chercher dans les sonorités, plutôt que dans le sens du mot. Je n’ai pas envie qu’on sente une phrase mais qu’on l’entende. C’est juste physique et naturel.


Revenons à la conception de l’album. Tu t’es entourée de grands noms: Erwin Autrique (ICP), Greg Remy,… Raconte nous.



Ah oui, Erwin, c’est un rêve. Greg Remy (NDLR: de Ghinzu), c’est mon fiancé donc c’est un rêve, aussi. (Rires) Dès le départ, on avait envie de travailler avec le mixeur de Keren Ann. On ne savait pas qui c’était. Jusqu’au jour où on s’est rendus compte qu’il était à Bruxelles et à l’ICP. Les deux mixeurs avaient travaillé sur un album que j’aime tout particulièrement de Keren Ann. Erwin avait accroché avec le projet. Le producteur avait envie de trouver les personnes justes. Il nous disait: « Vous aimeriez avoir quel batteur? ». « Le batteur de Dominique A ». OK. Donc on allait le chercher.
C’était un rêve où on prenait les meilleurs ingrédients pour faire le meilleur plat.
On a aussi travaillé avec l’ancien violoniste de Venus. Il a collaboré. Il est devenu conseiller musical. Puis, arrangeur sur certains morceaux.


On retrouve totalement la patte Venus.


Dans les cordes, oui.
En fait, j’étais coincée à un moment. Ca faisait des années que j’étais sur ces morceaux. Je ne voyais plus rien. Plus comment améliorer tel morceau. Et je lui disais, vas-y, casse certains trucs. Mets-y de l’âme. Il y avait des morceaux que je trouvais un peu ronds, trop gentils.
Et lui est très sec, très rock, très brut. C’était la personne qu’il fallait.


Parlons scène. Tu es plus à l’aise, en studio, sur scène?



Les deux sont inséparables, je crois. La scène, c’est vibrant. C’est du one-shot. Tu joues. Et si t’as raté, hé ben, t’as raté ton truc. En studio, tu peux retenter, peaufiner. Mais le risque, c’est de se ramollir.
Parfaire le moindre détail. Jusqu’à en oublier peut-être l’essence.
J’ai vraiment hâte de retrouver la scène. C’est là que j’ai des émotions dingues. Parce que jouer devant des gens. Il n’y’a rien de mieux. La vibration que tu ressens,… C’est indescriptible.


Auryn sera en concert, le 17 mars, à la Fléche d’Or. Une tournée est également en préparation avec la Patère Rose.



« Winter Hopes », Auryn. AT-Music. Sortie le 14 février 2011. Dans les bacs.

Auryn « Winter Hopes » teaser from Auryn on Vimeo.




Louis-Ronan Choisy : « le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières »


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Imaginez-vous, une soirée fraîche d’automne. Le jaune et le rouge par petites tâches sur des feuilles encore vertes. Les corps qui s’affaissent sur les chaises après une journée de labeur.  La mélodie légère du babillage, de table en table. Le cliquetis des cuillères sur les tasses de chocolat bien chaud. Paris animé. Paris gai.


Un café. Louis-Ronan Choisy en chair et en (m)ots – et en rires.


De la création artistique.  Ses correspondances. La scène. Mais aussi la vie. Extraits.


De la création en général – Qu’est-ce qui déclenche en toi « le feu créateur » ? Une situation, un sentiment, des conditions particulières ?


Il y a plusieurs cas de figure.


Quand je ne sais pas quoi raconter, je regarde dans mes souvenirs. Repère ce qui peut être intéressant. A ce moment-là, tu fais vraiment un voyage spatio-temporel. Tu essaies alors de ressentir les choses que tu as ressenties au moment où tu les as vécues. Ca, c’est une première solution.


Ou  par moments, tu es dépassé. Tu portes des choses trop lourdes. Tu as alors besoin d’écrire pour exorciser. Seulement, là, ça arrive souvent comme un gros dégueulis. Complètement informe. Mais c’est ce qu’il faut essayer de préserver. Ce côté un peu  brut, instantané. Toute la difficulté, c’est de transférer ce sang-là dans une structure de chanson. Surtout que mes chansons, ce n’est pas de la musique expérimentale. C’est vraiment de la pop. Couplet-refrain, ça reste très classique.


Dans ton troisième album, les Enfants du Siècle, tu as pourtant recours à une méthode « expérimentale », le cut-up (NDLR : technique de Burroughs).


Oui, c’était voulu, oui.


J’avais envie d’expérimenter ça. Ca s’y prêtait bien. Les Enfants du Siècle, je l’ai écrit à une période où j’avais une grande peur de l’avenir, du monde qui se barre en couilles.


Je cherchais à créer quelque chose de plutôt déséquilibré. Toujours sur le fil. Techniquement, ça voulait dire associer des mots, d’un champ lexical, d’une sphère complètement différents.

Et c’est ce qui a été la trame de tout l’album.


Un cas bien particulier alors.


De toute façon, chaque album est particulier.


A chaque album,  tu as une technique d’écriture différente. Sur le premier, c’était à partir de  souvenirs.  Le deuxième, je l’ai écrit en discothèque. Et là pour le coup, c’était vraiment de l’écriture automatique. Et sur le troisième, c’était semi-automatique. La démarche était pensée.


Et sur le dernier, Rivière de Plumes, comment as-tu travaillé ? Dans quelles conditions ?


Comme dans les Enfants…, c’était en home studio. Mais différemment. Sur les Enfants du siècle, j’ai travaillé avec un mec qui fait beaucoup d’électro (NDLR : Yann Cortella). On a d’abord travaillé en binôme. Ensuite, les musiciens sont arrivés pour apporter un peu d’organique à l’ensemble. Sur Rivière, j’ai travaillé avec mon guitariste, qui est aussi arrangeur sur l’album (NDLR : Frédéric Fuchs). On est parti d’une base guitare sèches-voix. Puis, j’ai ajouté des guitares électriques pour que ce soit un peu moins chiant.  Après le tournage du Refuge, on a décidé de rajouter de la batterie, de la basse, de la contrebasse, un peu de violon. Des petites choses discrètes pour mettre des couleurs. Que ce soit moins plat. Qu’il y ait plus d’identité à chaque morceau.


Et dans la création, est-ce que tu te fixes des limites ?  Y’a-t-il  des thèmes qui te sont tabous ?


Non.  Il me semble que le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières. S’il y a tabou, c’est que quelque chose cloche.


Il faut casser les murs. Voir si on y va ou on n’y va pas.


Après la création, il y a aussi une partie de « représentation ». La scène. Ton rapport à la scène ? Est-ce un passage obligé pour toi ?


Non, ce n’est pas un passage obligé. C’est un autre métier que de faire des disques. Je me sens plus intime du studio.


La scène, quand ça se passe bien, c’est dément. Quand ça se passe mal, c’est horrible. C’est un exercice excessivement difficile. Dans la mesure où ce que je recherche sur scène, c’est l’abandon. De rentrer dans une espèce de transe. C’est à ce moment-là que je vais pouvoir emmener les gens.  Je pense que tu n’emmènes pas un public frontalement. Mais d’abord, en s’emportant soi, puis les musiciens. Et la boucle s’agrandit. Mais c’est très difficile. Ca a dû m’arriver, dix fois en une vie. Et des concerts, j’en ai fait. (Rires)

Toi qui as touché à la fois, à la composition d’albums et de bande originale,  que peut faire passer la musique que les images ne peuvent pas forcément ?


Je n’ai pas une grande expérience de la musique de films. Pour le Refuge,  le film était assez subtil. Les émotions planquées. La grande difficulté, c’était avant tout de faire en sorte que la musique ne vienne pas piétiner les images. Qu’elle ne vienne pas foutre en l’air la sensibilité et la fragilité du film. Ca, c’était la première difficulté.


La deuxième, c’était plus technique. On avait fait le choix de ne pas avoir recours à un grand orchestre. A des envolées lyriques, ce qui aurait été un peu pompeux.  On a donc utilisé des instruments solo.  Et  là, ça relève beaucoup plus de la performance. Que le musicien soit bon quand il le fait. Et ça,  tu ne peux pas vraiment calculer.


Autre danger. Il ne faut pas non plus être trop proche des images. Sinon tu as tendance à tout alourdir. Et justement, François Ozon me demandait d’aller vers quelque chose d’assez éthéré, d’assez léger. En filigrane. Il voulait que j’apporte quelque chose d’autre.  Même si ce plus n’a rien à voir. Si par exemple, tu as une envie de courir dans les bois, tu auras ça musicalement. Les images qui raconteront quelque chose et derrière, une autre envie. Et du coup, c’est plus riche.


Une question sûrement totalement tirée par les cheveux, en rapport, cette fois, avec la spiritualité. Dans la plupart de tes albums, celle-ci semble apparaître par à coups. Quelle place tient la spiritualité dans ton œuvre ?


Dans mon œuvre, je ne sais pas. Ma musique, c’est le reflet de ma vie de toute façon. Après, est-ce que je recherche le salut par ce que j’écris ? Mon écriture lâche comme des indices sur moi-même. Mais oui, la spiritualité, je me pose des questions.


Il y a des moments où l’intellect est dépassé. Des notions comme l’exil de l’âme, la chute de l’homme, ça me parle. Je crois en l’accomplissement de l’homme. Que le destin de l’homme, c’est de grandir. De devenir un « dieu » et ensuite, d’être lumière absolue. Je ne crois pas que la vie se résume à la naissance, manger, dormir, boire, faire des enfants, avoir du plaisir et mourir bêtement. Moralement, je trouve ça absurde et c’est tellement fou que je n’y crois pas. La foi, ce n’est pas le mot. Mais c’est quelque chose que je sens au plus profond de moi. Ce n’est pas forcément explicable.


Et puis juste savoir regarder, travailler sur soi. Casser les barrières. Je crois que c’est ça, le vrai travail d’une vie.


Ce qui fatalement, se reflète dans ta musique. De ne pas parler de quotidien, de « médiocre ».


Oui, dans la musique, oui.

Chaque geste est  un sous-texte. Le quotidien, c’est une carapace, une ombre. Une enveloppe. Ce qui est intéressant, c’est de regarder ce qu’il y a dessous. Je crois que tout ce qui nous entoure, c’est de la vraie poésie. Il faut juste savoir interpréter ce qui nous arrive.


Pour finir, qu’est ce qu’on peut te souhaiter ? What’s next ?


Plein de projets. D’être heureux. De faire de beaux films et de beaux albums. (Rires). Mais le prochain, je suis curieux de voir ce que ça va donner.


Merci Louis !


Le 21 janvier, vous pourrez le retrouver au Théâtre de Poche de Béthune. Et aussi, dès aujourd’hui, dans les salles dans le film de Mikhaël Hers, Memory Lane.


Louis-Ronan Choisy, Rivière de Plumes, Bonsaï Music/Karamazov Production. Sorti en juin 2010
www.myspace.com/louisronanchoisy


Photos: M. Vandamme, AC Blanchard, myself




Louis-Ronan Choisy : des places à gagner pour le concert du 15 novembre au Zèbre

En juin dernier, on vous en a parlé il y a quelque temps, sortait un bien joli album. Rivière de Plumes.

Son auteur, Louis-Ronan Choisy retrouve la scène pour un concert enfiévré, lundi 15 novembre à 20h30, au Zèbre de Belleville.

A cette occasion, 5 x 2 places sont à gagner sur Arkult.

Il suffit de répondre à la question suivante:

Dans l’album Rivière de Plumes, quel célèbre peintre allemand fait l’objet et titre d’une chanson?

Vous avez jusqu’à samedi minuit pour y répondre à l’adresse suivante: contact[at]arkult.fr

Indice dans l’article suivant: Le voyageur contemplant une « Rivière de Plumes »

Premiers arrivés, premiers servis.

Et à lundi ! Youpi 🙂


Plus d’informations: www.louisronanchoisy.com




« Au fond des bois » : Dis moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu aimes

Le cheveu blond et long des princesses, l'oeil bleu et trouble des rêveurs solitaires, Joséphine est une jeune dévote, parée de son éducation d'enfant sage. Un jour, sur le chemin de l'église, elle croise le regard d'un étrange vagabond. Elle s'arrête puis reprend son chemin. Charmé, celui-ci la suit et finit par se faire passer pour un sourd-muet auprès du père de la donzelle, demandant gîte et couvert pour la nuit.
Le lendemain, il revient. Elle le suit alors dans ses vagabondages. De gré ou de force?
C'est toute la question du film.


Une métaphore de la passion amoureuse

Pauvre, sale et fruste, tout concourt à ce que Timothée soit dédaigné par la jeune première, Joséphine. Elle traîne à sa suite pourtant, comme mue par une fascination surnaturelle. Comme la maintenant de fils invisibles, Timothée, l'auto-proclamé magicien manipule son innocente marionnette. La fait ramper frénétiquement sur le sol. L'aime à loisir dans le silence de la forêt.
A sa manière, « Au fond des bois » illustre dans toute sa complexité le pascalien « mais le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point ».
Ce qu'on appelle la passion amoureuse.
Cette étrange bête qui habite les coeurs et les corps, sortie de nulle part. Une fois logée, elle hante sa victime, nuit et jour, la laissant déraisonnable, insatisfaite, excessive et tourmentée.
Kamikaze de l'amour, Joséphine suit et obéit à ce vagabond, sans jamais pouvoir réellement se l'expliquer. Oui, comme une amoureuse.


Un conte à l'envers

A en lire le pitch, le film a des allures de conte de fées. Une belle princesse rencontre un pauvre vagabond. Il se déguise. Elle tombe en fascination. Accompagne le moindre de ses pas. Seulement, chez Benoît Jacquot, au baiser de la « princesse », le vagabond ne se transforme pas en fier et fringant prince.
Pareillement, la « princesse » ne vit pas pour toujours avec son amoureux en guenilles, subsistant d'amour, d'eau fraîche et de gras enfants.

Chez Jacquot, la Belle est enlevée par la Bête, pour se révéler elle-même Bête. C'est le vagabond qui, posant un papillon sur le front de sa belle endormie, déclenche une métamorphose inversée. Joséphine ne devient ni plus vertueuse, ni plus aimable.
A l'instar de la chenille sortant de son cocon, en suivant Timothée, elle laisse derrière elle, un temps, le carcan des conventions, sa carapace de mélancolique et d'ingénue désespérée, pour prendre la forme d'abord d'une amoureuse résistante, d'une fleur initiée aux plaisirs charnels pour enfin, se métamorphoser en maîtresse-femme, qui veut.
Encore plus pervers, Benoît Jacquot inverse les rôles. La victime devient bourreau; l'envoûteur, envoûté.


Qui de nous deux?

Posant cette question, que tout amoureux fou s'est un jour posé: dans ce jeu des sentiments, qui a envoûté qui? qui est le dupe de l'autre?
Ou n'est-ce pas là le langage même de la passion. Est-ce qu'être amoureux, au fond, ce n'est pas nécessairement hanter l'Autre et accepter d'être soi-même hanté?

Servi par une photographie, un casting irréprochables – merveilleux Isild Le Besco et Nahuel Perez Biscayart – et une bande originale effrenée de Bruno Coulais, Benoît Jacquot signe une carte du Tendre hypnotique de la déraison et l'illogique, propres à l'amour.
« Au fond des bois » narre avec trouble l'éveil à la sensualité, à l'humanité et à la passion fugace, de deux êtres que rien ne liait.

Je me demande. Pris de vertige et perdus dans les regards enfiévrés de Joséphine et Timothée, ne sommes-nous pas, nous, spectateurs, les « princesses égarées », par le charme insidieux de ce « Au fond des bois »?


Au fond des bois, de Benoît Jacquot. Avec Isild Le Besco, Nahuel Perez Biscayart, Jérôme Kircher, Mathieu Simonet, Bernard Rouquette,… 1h42. Les Films du Losange. Sortie en salles, le 13 octobre 2010.




Le voyageur contemplant une « Rivière de Plumes »



Une odeur de soufre, des beats entêtants, Burroughs et Blake en têtes de proue inspiratrices, la détresse au bord des lèvres et des mots : Dans son troisième opus « Les Enfants du siècle », Louis, le chamane murmurait avec légèreté les amours perdues et folles, la Fin de Partie, la condition humaine, cette « machine molle ». Sombre Orphée, il perdait l’auditeur-voyageur dans le monde tortueux et décadent de 2008 – Calcutta. Facétieux, chantait mille et une façons de se donner la mort – Mourir à Venise. Contait dans une lancinante Valse la démence passionnelle, de celle qui étouffe et pousse au meurtre.


Tour à tour, victime et bourreau, le héros des Enfants du Siècle cheminait, à tâtons, la peur de l’avenir vissée au ventre, le long d’un parcours aux allures de Bildungsroman, inspiration XXIème siècle. Et nous, de plonger, enivrés, à sa suite dans cet Enfer addictif et en-chanté.
« Les Enfants du siècle », c’était lui, Louis, nous, en descendants directs des romantiques dégénérés, des Lorenzaccio et autres Perdican.

Deux ans plus tard, Louis nous revient avec un album « Rivière de plumes ».
Mais cette fois, point d’odyssée en eaux profondes. Les néons de la nuit si chers au Louis des précédents albums ont laissé place à la lumière riche des paysages anglais. Si, si, vous savez, ces paysages, tracés par Turner. La lumière pénètre partout ; elle brouille les formes et accentue les sensations.

« Rivière de Plumes », c’est un peu ça. Une invitation au voyage, où les sentiments, mis à jour par la lumière des mélodies et des mots, prendraient la matière et le caractère des éléments : tour à tour, aériens, terriens, liquides et flamboyants.


Quatre éléments


Aérien mais mélancolique, comme ce Funambule qui tient entre ses mains « une corde qui va du sol au ciel ». Une corde, parente du « grand escalier » de Mourir à Venise du précédent opus.

Terrien, comme L’homme de cire, coincé dans ce décorum industriel, les tic-tacs de la nuit qui n’en finissent plus de sonner. Un homme de cire, aux accents hoffmaniens. L’homme de cire, il se meut comme Coppélia. Coppélia en perd ses membres ; l’homme de cire, lui, pourrait fondre, « évaporé dans une flaque ». Frère, lui aussi, des Coppé-Louis du clip « La Nuit m’attend »

Liquide, comme la scène de La Rencontre, délicate adaptation du Death of a Ladies’ man de Leonard Cohen.

Flamboyant. Comme les teintes de l’amour, dépeintes tout au long de l’album.

Trois couleurs


De l’amour qui rend un peu étourdi – cet amoureux qui se rend à Copenhague, à la main « un bouquet de roses, une dague ».

De la romance, et c’est la première fois sous la plume de Louis, printanière, légère et bucolique, Les Amoureux du Printemps. La naissance de l’Amour, avec toute une découverte des sens et de l’Autre, timide mais sensuelle.

De l’inéluctable déliquescence des romances – Le Mépris, une chanson qui commence comme une ode à l’aimée pour laisser s’insinuer une cruauté glaçante. La réussite de la chanson tient surtout à l’interprétation de Louis, magistrale, qui scande, goutte à goutte, ces mots assassins du désamour. Qui « s’écœure rien qu’à l’idée d’avoir pu un jour [l’]aimer ». Sur ce thème, cette chanson n’a d’ailleurs rien à envier au fameux Brandt Rhapsodie du duo Cherhal-Biolay. L’un des sommets de « Rivière de Plumes ».

Romantisme(s)

En fait, à l’instar de Philippe Garrel, au cinéma, Louis, c’est un peu le dernier des Romantiques en musique. De ce romantisme lyrique qui nous vient d’outre-rhin, des Goethe, Novalis et Kleist. De celui qui se nourrit des élans des sentiments, de la contemplation de la nature. Tantôt tumultueux, tantôt paisible.

Louis rend d’ailleurs directement hommage au romantisme allemand, pictural, cette fois, en évoquant, sur la pochette de son album et par une chanson, le peintre Caspar David Friedrich. Une composition où l’amoureux parcourt le corps de l’amante, comme l’artiste pourrait caresser de son pinceau le paysage d’un tableau. Les corps deviennent éléments de tableaux, et vice versa. Le matériel s’éthère – le « corps est un fleuve ». Les sons deviennent « cieux ». La romance se découpe en plans. La romance brouille les pistes. Elle désoriente au point de faire perdre le nord au héros.


« Centre de gravité perdu ».





Et à nous aussi. On s’emballe. On s’enflamme. On s’émeut. Perdu dans cette belle voix grave d’héros orphique, dans ces sons tour à tour pop et folk. Fasciné par la contemplation d’un album aux sons ciselés, mais étrangement et avant tout, visuel.


« Je dois me donner à ce qui m’entoure, m’unir aux nuages et aux rochers, pour être ce que je suis. J’ai besoin de la solitude pour parler avec la nature. J’aime la nature qui s’affiche. Moi : Caspar David Friedrich. »


Nous aussi, on se sent un peu des personnages de Friedrich en puissance, à se laisser flotter dans le calme vivifiant de cette « Rivière de Plumes ».

Louis-Ronan Choisy, Rivière de Plumes, Bonsaï Music/Karamazov Production. Sorti en juin 2010

www.myspace.com/louisronanchoisy
Louis sera aussi en concert, au Zèbre, à Paris, le 15 novembre. On vous racontera.