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[Théâtre – Avignon] Où vont « Les choses qui passent » ?

Abke Haring (Elly) et Aus Greidanus Jr. (Lot) dans « Les choses qui passent » m.e.s. par Ivo Van Hove © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Le récit transgénérationnel de Louis Couperus, fabuleusement mis en scène par Ivo Van Hove, propose une immersion dans une famille rongée par un lourd secret. Parmi « Les choses qui passent » il y a surtout la jeunesse. L’angoisse universelle de vieillir magnifiée par une certaine lenteur, peut s’avérer trop opaque pour les jeunes générations.

Qu’est-ce que la vieillesse ? Le metteur en scène belge et directeur artistique du Toneelgroep d’Amsterdam ne l’explique pas, il le montre. Les comédiens plient le dos, traînent une patte folle ou claudiquent sur une canne. Un couple de petit vieux se poste à la fenêtre chaque jour qu’il leur reste, parfumant l’atmosphère d’un « je-ne-sais-pas-trop-quoi » hérité de Beckett. De la décrépitude ? Et si tout ces vieillards assombris tiennent le choc, c’est car depuis soixante ans, ils ruminent une histoire sordide, plus ou moins bien cachée.

La veille de leur mariage, deux époux s’aiment juste « bien ». Miné par un amour excessif pour sa mère, Lot n’est pas un sensuel et Elly fera avec. La tendresse est entre eux de l’ordre de l’amitié mais l’on assiste tout de même à une parade nuptiale complètement déjantée.

Une mère dépendante de l’affection des hommes cache la frustration de n’avoir pas eu de père. Les liens de cette famille sont nocifs et dérangent, néanmoins ils sont forts. Les plus âgés s’agglutinent en bande, tous unis par le noir des vêtements qu’ils portent. Les moins vieux sont eux aussi, vêtus d’habits de deuil, mais se déplacent à deux, et bien plus souvent seul. Cela fait partie des images, des allégories, qu’un néophyte aimerait pouvoir saisir d’emblée.

Dépeignant ce qu’il y a de pire au sein d’une famille, et ce avec une grande force notamment corporelle, l’adaptation d’Ivo Van Hove fait l’unanimité en cette 72e édition du Festival d’Avignon. Pourtant elle laisse de marbre quelques esprits plus jeunes qui, tout à fait concernés par le temps qui passe, auraient pris du plaisir à s’identifier. À trop esthétiser la froideur des personnages, un spectateur novice ne peut s’intéresser au plus profond du propos. Ces « choses qui passent » pourtant, sont bien universelles.

« Les choses qui passent » m.e.s par Ivo Van Hove d’après un texte de Louis Couperus
Jusqu’au 21 Juillet dans la cour du Lycée Saint-Joseph, Avignon
Plus d’informations sur https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/




[Théâtre – Avignon] Quand « Tartuffe » devient « Tartiufas »

Vesta Grabstaité et Giedrius Savickas dans les rôles de Elmire et Tartuffe © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Le metteur en scène Lituanien Oskaras Kosrunovas actualise le mythe de l’imposteur et réussit à transposer la partition de 1669 aux politiques nationalistes actuelles. Teinté de baroque et de burlesque, la pièce ne perd pas une once de la légèreté de Molière. Pour sa cinquième fois au Festival d’Avignon, le fondateur du Oskaro Korsunovo Teatras à Vilnius, conquiert l’Opéra Confluences.

La plupart s’arrêterons à l’esthétique du kitch. Dommage de penser une pièce par ce seul biais visuel. Certes il y a du très chic, avec la mère d’Orgon qui porte une rangée de perles, et du un peu moins chic chez Valère en survêtement Adidas. Mais ces costumes improbables renferment bien des caractères. Marianne, promise à Valère, est en pleine crise d’ado : elle a les cheveux roses, se maquille beaucoup trop et passe sa vie sur Snapchat. Mais Tartuffe, l’imposteur déguisé en prêtre, s’infiltre dans la famille pour tenter de l’épouser et récolter tout l’argent de son gros bourgeois de père, Orgon.

Si Molière propose une satire de la société au siècle de Louis XIV, Oskaras Korsunovas fait de même mais avec son époque. Bourrée de trouvailles hilarantes, la mise a jour y puise toute son énergie. À commencer par la vidéo, montrant les acteurs en train de jouer. Les nombreuses apartés dont recèle le texte prennent la forme de confessions, face-caméra en coulisses. C’est à a fois bien trouvé, bien dosé et efficace. Les frontières de la salle sont alors élargies et le 4e mur s’effondre avec humour : la caméra à l’épaule est loin d’être un caprice. Le récit s’actualise, non pas car l’outil est bel est bien moderne, mais plutôt parce que ce qui se tourne ressemble à une télé-réalité.

Mais Tartuffe c’est d’abord une fable comique. Et pas une once du texte, fondamentalement subversif, n’échappe aux comédiens. Casting équilibré : on ne sait dire lequel est meilleur que les autres. Entre éclats de rire allègres et raillerie politique, l’ironie est toujours fine et proportionnée. Korsunovas colle au texte mais l’augmente d’un pamphlet contre les dirigeants populistes d’aujourd’hui, et c’est bien à propos !

 

« Tartiufas » m.e.s par Oskaras Korsunovas d’après le « Tartuffe ou l’Imposteur » de Molière
Plus d’informations sur : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2018/tartiufas




[Théâtre – Avignon] Chloé Dabert prend Racine avec Iphigénie

Victoire Du Bois dans le rôle d’Iphigénie © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Tout y est mais, la dernière mise en scène de Chloé Dabert ne parvient pas à faire taire les mauvaises critiques. Les vers de Racine sont loins d’être incarnés et les acteurs n’arrivent pas à s’approprier le texte. Cette adaptation d’Iphigénie, prometteuse pourtant, est froide. Une lourde déception dans le splendide cloître des Carmes qui accueille la pièce.

La guerre de Troie se prépare et le roi de Mycènes consulte les oracles car le vent ne souffle plus. Sa fille, Iphigénie, doit être sacrifiée pour regonfler les voiles des bateaux arrêtés depuis trois mois déjà. Promise à Achille, la princesse se résout au sacrifice de sa vie et sauver de son geste la gloire de son père. L’audace de Chloé Dabert de s’attaquer à ce classique est ici à souligner, tant elle a l’habitude des textes contemporains. Pourtant cela ne suffit pas pour être convainquante, malgré un certain nombre de très bonnes idées. 

Les costumes impeccables, noirs et blanc ou gris-bleus, donnent toute leur splendeur aux personnages illustres de la pièce de Racine. Adroite mise à jour des nobles caractères inspirés de la mythologie grecque. Mais quels caractères ? Totalement bloqués par la forme du vers, les protagonistes manquent cruellement d’incarnation, de liberté de jeu. Complètement enfermés dans des mouvements rigides et souvent assez lourds, ils récitent lentement, sans même parfois échanger ne serait-ce qu’un regard. Iphigénie est un texte qui appelle au tragique, à un haut sentiment propre aux aristocrates, les figures de ce drame. Chloé Dabert le sait, mais l’effleure seulement.

La très belle bande sonore pallie un peu à ce manque, mais ne comble pas assez les vides d’expression qui accidentent la scène. La scénographie profite peu de l’espace magnifique, en plein air de surcroît. La pierre du cloître des Carmes subit quatre étages de ferraille : image du royal campement ou la proue d’un bateau ? On ne sait plus très bien. L’impression générale est de l’ordre de l’ennui mais peut-être surtout de la déception.

 

« Iphigénie » d’après Racine, mis en scène par Chloé Dabert
Dates de la tournée 2019 sur : https://www.theatre-contemporain.net/

 




[Théâtre – Avignon] « Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète »

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Raconter la guerre mais pas comme aux infos : quatorze comédiens nous la susurrent à l’oreille. Bercés par une douce pénombre leur récits sont terribles. Le metteur en scène Gurshad Shaheman choisit les témoignages d’artistes ou de personnes issus de la communauté LGBTQI+ et sa proposition est forte.

Plongée dans un noir profond, la salle écoute d’abord un garçon détailler son coming-out à sa mère. Une voix féminine s’adosse à la sienne pour laisser la parole à une transexuelle. Vivre de l’intérieur les bombardements en Irak, les fusillades de Bachar Al-Assad, là est le tour de force de Gurshad Shaheman. Né en Iran pendant la Révolution, l’acteur, performeur et metteur en scène a passé son enfance sur le front au combat dans les années 1980. Il se fait également le porte-parole d’exilés, lui qui a quitté son pays pour rejoindre la France, ainsi le recours aux micros permet de baigner à la fois dans la grande et la petite histoire.

Les mots dévoilent une fuite, celle du Moyen-Orient et des pays du Maghreb, qui ne s’explique pas seulement à cause des guerres locales. Persécutés du fait de leurs identités, particulièrement de genre, ces anonymes dont ne parlent quasiment pas les JT, ont trouvé sur la scène une voie pour s’exprimer. Mais pas question pour l’auteur de brosser le portrait de victimes de l’Histoire. On sent, tout au contraire, le désir de conquérir enfin sa liberté.  Les représentations, avignonnaises seulement, s’enrichissent de présences, celle de quatre exilés au milieu des acteurs. L’un chante dans sa langue, l’autre lit un texte en arabe ; on les démasque à peine et c’est revendiqué.

Au rythme aléatoire de leur prise de micro, les personnages allument ou éteignent une petite lampe, au sol, devant eux. Une « mise en présence plus qu’une mise en scène », comme le révèle Gurshad Shaheman en conférence de presse. Cette jolie trouvaille ouvre l’imagination d’un spectateur qui peut y comprendre un campement, pourquoi pas dans la jungle, mais de Calais bien sur. La pleine lumière revient et l’on découvre enfin que le temps du spectacle les comédiens avaient gardé les yeux fermés. Appel à l’Occident ? Peut-être qu’il est temps d’ouvrir grand les nôtres. Regarder en face ce qui se déroule aux portes de notre Europe, questionnée, divisée et prise à témoin désormais.

 

« Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète » texte et conception de Gurshad Shaheman
Dates de tournée à retrouver sur : https://www.theatre-contemporain.net/




[Théâtre – Avignon] Douce « Trans »

© Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

Théâtre de témoignage ou de documentaire ? Didider Ruiz répondrait « théâtre de l’humain ». Metteur en scène de Trans (més enllà), il donne à voir les parcours de sept personnes forgées par une décision, un trajet : changer de genre. Pour sa création, la pièce se joue lors de la 72e édition du Festival d’Avignon.

La première jupe revêtue pour un petit garçon, le premier soutien-gorge enfilé pour un homme marié. Les familles acceptent rarement le changement de sexe, l’explication aux autres est souvent accidentée. La mise en scène, très sobre, offre un accès direct au récit de celles et ceux qui, déjà jeunes se sentaient prisonniers de leur enveloppe. Alors ils vont la changer, la modeler, la retoucher : ils racontent comment, pourquoi et depuis quand. On comprend finalement qu’au bout du long chemin de la transformation, le but poursuivi est l’apaisement de soi.

Fiers d’un accomplissement, les comédiens portent le même sourire, délicieusement mutin. Ils affichent le visage d’une revanche sur la vie, celle d’avant, plutôt triste. Les spectateurs pleurent, et rient aussi volontiers car les questions qu’un transexuel (ou transgenre) se pose sont parfois triviales. Conserver son pénis ou se le faire enlever quand on cesse d’être un homme ; garder ses seins ou non quand on ne se sent plus femme ? Voilà les interrogations auxquelles on est convié, par petites touches d’un humour tendre et raffiné.

La chorégraphie de Tomeo Vergés, collaborateur de longue date du metteur en scène, donne au corps toute sa place. À ceux qui se diraient que les témoignages sur scène « ça n’est pas ça le théâtre » (comme on a pu l’entendre à la sortie du spectacle), rappelons simplement que le théâtre est un reflet de la vie, en plus dense et plus fort. Pourquoi ne pas piocher dans l’existence, l’intime, pour fabriquer du jeu ? Sur les planches chacun devient un caractère, si ce n’est « més enllà » (« au-delà » en catalan) : un héros du monde contemporain. L’aplomb des personnages à raconter leurs histoires, à assumer le désir d’être libre en son corps, fait de ces vies un combat à la fois calme et grand.

La musique électro d’Adrien Cordier se marie parfaitement aux images projetées, magmatiques et suaves, réalisées par un groupe d’élèves des Gobelins. Ces interludes bercent la salle toute entière vers un profond sentiment d’empathie sans pathos. Dans une société qui cherche des étiquettes à coller sur les « cas » jugés particuliers, la transition de genre est d’une certaine violence. Didier Ruiz fait l’ellipse des slogans militants. Car son propos n’est pas celui d’un départ en croisade, il bien plus subtile.

« Trans » mis en scène par Didier Ruiz.
En tournée du 20 janvier au 16 mai 2019 : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Trans-mes-enlla/lesdates/




[Théâtre – Avignon] Thyeste à l’ombre de Sénèque

THYESTE © Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

Dans la cour d’honneur du Palais des Papes, le vent soufflait hier. Si le mistral a permis de magnifier les costumes, il s’engouffrait également dans les quelques tunnels du Thyeste mis en scène par Thomas Jolly. La tragédie de Sénèque n’aurait que peu souffert de deux ou trois coupes. Certaines scènes sont longues et pointent la limite d’une adaptation chargée. 

C’est une histoire complexe et rarement montée à laquelle s’attaque « l’enfant terrible » d’Avignon. Atrée et Thyeste sont jumeaux et rivalisent d’abjection pour succéder à leur père, l’infanticide Tantale. Condamné par les dieux à la soif et à la faim éternelle, l’ancêtre des Atrides qui avait osé douter des savoirs olympiens plongea sa lignée dans une abominable folie. Le spectre de la revanche pousse alors ses deux fils à redoubler d’horreur pour se châtier l’un l’autre. Tenant du rôle d’Atrée, le metteur en scène révèle bien tout l’effroi de la pièce, mais il prend son temps. L’exemple du messager (personnage féminin) qui rapporte la recette du festin cannibale prévu pour Thyeste, parvient difficilement à finir sa scène sans une certaine lenteur. Souvent c’est un sursaut, de lumière et de son, qui vient pour raviver une tension qui baisse au fil du spectacle. 

C’est d’autant plus dommage que la virtuosité ne manque pas à Thomas Jolly. Couché sur le côté la bouche grande ouverte, un visage occupe la droite du plateau pour signifier la soif. Sur la gauche une grande main se tend comme pour cueillir un fruit qu’elle ne peut pas atteindre. Le décor impeccable agit comme un fantôme du supplice de Tantale, inspirateurs des maux que s’infligent ses fils. Le choeur antique est actualisé dans la figure d’une jeune fille lookée punk-bariolée, qui slame parfaitement sur de la techno bien dosée. La musique fait sens et porte effectivement le sentiment tragique. Thomas Jolly sublime chacune des âmes malades qui flottent chez Sénèque, sans parvenir néanmoins à s’emparer de l’ensemble. Question de rythme, peut-être.

 

« Thyeste » de Thomas Jolly, d’après un texte de Sénèque traduit du latin par Florence Dupont
Du 6 au 15 Juillet, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Avignon
Plus d’information sur la tournée en France sur http://www.lapiccolafamilia.fr/tourneethyeste/

 




[Théâtre] Tempête de Mendjisky avec « Le Maître et Marguerite »

© Pascal Gely

Le diable aurait-il pénétré Moscou dans chacun de ses recoins ? Sur toutes les lèvres et dans quelques esprits, il avance masqué, on ne sait le trouver… Igor Mendjisky met en scène le roman déluré de Mickaïl Boulgakov, et c’est une réussite.

Non sans espièglerie, Mendjisky s’empare d’un texte en « poupées russes » qui mêle trois récits. Il tient aussi le rôle de Ivan, interné en clinique, dans un Moscou moderne, on est au XXe siècle. Ce soupçon de folie ouvre sur la vie d’un auteur qui écrit une pièce sur le Christ et Pilate. Puis du fond de la salle débarque un farfelu, le professeur Woland, qui s’incruste dans une conversation sur l’existence de Dieu. Fort accent germanique et maître en magie noire, cet espèce d’arriviste bouscule en pleine bronzette Rimsky et son ami. La scène comme une arène est cernée d’un trait blanc et vont s’y enchaîner de magistrales scénettes. Certaines donneront à voir des visions de l’esprit du personnage qui parle. En français ou en russe, en hébreu ou en grec, c’est une idée brillante pour plonger parfaitement dans cette mise en abyme. Rien n’illustre, tout s’incarne comme par enchantement. Quoique de courtes longueurs affectent par moments une mise en scène tonique, c’est très vite oublié. La troupe se régale et tout cela se sent. 

L’humour n’est pas en reste, le public se marre entraîné par Woland en hypnose collective. Déjà plutôt génial, le verbe de Boulgakov est augmenté par cette performance, celle de Romain Cottard, irradiant dans ce rôle de magicien qui frôle le stand-up. De temps à autre on s’offusque. Cynisme et mauvais goût chamboulent un spectateur qui peut alors hésiter à rire ou être outré. Cette pièce est l’expérience du divertissement même. Les doutes existentiels sont si bien esquissés que l’on s’amuse autant que l’on médite sur l’Homme. Le Bien ou le Mal, ces doutes métaphysiques sont montrés et l’on regarde, avec avidité. Si le plateau explose la barrière des lieux, chaque espace se tient et captive l’assistance qui change aussi de forme. Téléspectatrice pendant un live TV filmé, le tout devant ses yeux, l’assemblée se régale des envers de décor. Igor Mendjisky partage la beauté de son art à l’occasion d’une scène où dansent comme des pantins les comédiens, excellents. Amorcé en burlesque, ce passage s’achève en un moment sublime, à l’image de l’ensemble.

« Le Maître et Marguerite » de Michaïl Boulgakov, mis en scène par Igor Mendjisky
Durée 1h50
Plus d’informations sur https://www.la-tempete.fr/saison/2017-2018/spectacles/le-maitre-et-marguerite-76

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[Théâtre] Lorsque « La Magie lente » opère

Benoit Giros dans « La Magie lente » (DR)

Créé à Belleville au mois de mai dernier, repris à Avignon dans le OFF cet été, le texte de Denis Lachaud est un succès poignant. La Magie lente opère, cela grâce à Pierre Notte, qui met en scène le récit d’un coming-out angoissé. Dans un décor sobre, Benoît Giros porte seul la voix d’un narrateur et de deux personnages : un psy et son patient. 

Ce n’est pas une placeuse qui vous installera ce soir, mais bien le comédien. Sans détour il invite à occuper le premier rang, comme pour nous dire « Non, non, ça ne va pas crier ». Une voix simple, presque douce embarque le spectateur dans un colloque : «Mesdames, Messieurs, bonsoir. Madame la ministre, Monsieur le Doyen». L’acteur situe l’intrigue comme s’il fallait plonger dans une tragédie grecque. Au fur et à mesure que la scène se déroule, l’accès au personnage s’accomplit sans encombre. Avec autant de puissance que de délicatesse Louvier livre son être, Benoît Giros son art. Il ouvre des fenêtres, franchit des paliers, avance, recule aussi, claquant à l’occasion la porte de son thérapeute. Un rythme impeccable permet allées et venues au cœur d’une relation entre malade et médecin. On entre dans l’intime de la psychanalyse, processus sur le fil, lorsque résonne froidement « On va s’arrêter là. À vendredi prochain. ».

Le sujet de cette pièce est d’aborder aussi (mais peut-être surtout) l’homosexualité. Sans aucune pudeur, le patient Louvier rend gorge de son mal-être, et c’est alors que l’homme se révèle à lui-même. L’ensemble paraît si vrai, que l’on ne cesse de s’interroger sur la fiction du récit et c’est en cela que la magie opère. La crudité des mots, de la situation est en accès direct et ce grâce à une lumière éloquente et adroite, signée Éric Shoenzetter. L’assombrissement scandé de manière progressive entretient un voyage dans les différentes strates et degrés de conscience. Parfois même il délire, Louvier entend des voix quand il prend le métro. Ces mêmes voix faisait dire à son premier psychiatre qu’il était schizophrène.

Car ce conciliabule auquel on est convié porte aussi le sujet du mauvais diagnostic. Une erreur médicale pas vraiment comme les autres, qui peut dans certains cas faire autant de dégâts qu’un cancer du cerveau passé inaperçu. La belle contradiction de cette œuvre c’est aussi d’être titrée « magie » sans artifice superflu : ni vidéo, ni micro. Une courte bande son s’installe quelque instants pour glacer un silence et devenir un crève-cœur. La gravité du parcours n’épargne pas le public d’une puissante empathie voire d’un souffle coupé. C’est une longue maïeutique à laquelle on assiste, sous pression, sous tension, ravivée par endroits de jolis brins de malice.

« La Magie lente » texte de Denis Lachaud, mise en scène de Pierre Notte
Lumières : Éric Schoenzetter

Durée 1h10
Du 5 au 28 juillet, 19h20 à l’Artéphile, Avignon




[Théâtre] Quand l’amour part en Sandre

© Pierre Planchenault

Ultime volet du cycle « À la vie, à la mort », Sandre de Solenn Denis est une sévère claque qui ne manque pas de sublime. En ce froid de fin-mars, La Maison des Métallos accueille un théâtre de l’horreur absolument glaçant. L’enfant, le couple, la famille sont abordés dans cette pièce sous un jour terrible. Et c’est Erwan Daouphars qui, à la place d’une femme, nous livre le monologue d’une mère déchue.

Assise dans son fauteuil, elle semble tourmentée. C’est ainsi que débute la confession distraite d’une épouse désenchantée. Des expressions changeantes, des faces terrifiantes, voilà ce qui donne vie à un texte conçu comme une balade dans un flot de souvenirs. Cette femme parle de sa vie, de son couple et découvre par ses propres mots qu’elle n’est plus heureuse. Elle semble se l’avouer à l’instant même où elle narre les préceptes de sa mère qui jusqu’ici l’ont guidés : bien nourrir son homme, s’occuper des enfants, être toujours patiente et surtout prendre sur soi…

À de nombreuses reprises la lumière modifie la tessiture de sa voix ainsi que le registre de ses expressions : on entre dans le regret, dans l’angoisse, la démence lorsque le désenchantement fait descendre la pression. Sans jamais s’épancher, parfois presque ironique elle tente de se comprendre, et de nous faire entendre un parcours embusqué. Mariée, deux enfants (et certainement pas trois) elle apprend comme bien d’autres, que son mari la quitte pour sa secrétaire, pour une fois plus âgée. Anesthésiée dans son corps depuis qu’elle a commis le pire crime de notre temps, le spectateur peut se pencher sur un cas de conscience qui fait tout basculer.

« Chaque chose en son temps », c’est le rythme de l’intrigue. On se demande avec elle, embarqué d’empathie, comment une ménagère de moins de cinquante ans commet l’irréparable pour cesser d’exister. Rien n’est dit à l’avance, on ne soupçonne pas trop tôt de quel crime il s’agit et lorsque l’on comprend le noeud de son histoire, le dénouement arrive sans se faire trop attendre.

Bien installée dans sa chaise elle s’emporte violemment et semble en fin de compte se saisir d’elle-même. Fin des lapalissades sur l’amour d’une épouse, elle crache à son auditoire des anecdotes ciblées qui valent comme explication du meurtre de son enfant. À mesure qu’elle se livre elle se vide d’un fiel dégoulinant de sa bouche. Elle bave désormais, tout en noir à l’image des mots qu’elle choisit de projeter à la face d’un certain archétype du bonheur conjugal. Heureusement pour la salle, la tempête se calme, elle s’essuie, se reprend et tente de se rassurer. Elle termine son récit dans un calme éreintant, tant pour le comédien que pour les spectateurs qui de concert hésitent entre rire et pleurer.

 

« Sandre » mise en scène de Solenn Denis, avec Erwan Daouphars
Durée 1h
Plus d’informations sur : http://www.maisondesmetallos.paris/2018/01/05/sandre

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[Cinéma] Call Me by Your Name

© Sony Pictures Classics

Dans une maison d’été en Italie du nord, Elio Perlman profite de son jeune âge ainsi que des beaux jours, pour lire, se languir, et découvrir son corps. La dernière création de Luca Guadagnino nous emmène, paisible, à l’aube d’un amour aussi doux que poignant. Le film n’a obtenu que l’Oscar de la meilleure adaptation, il méritait un peu mieux.

Avec grand raffinement, on entend résonner quelques notes de Bach, des portes qui se ferment et des pieds humides marchent sur la tomette fraîche. Repas et discussions s’enchaînent et s’entremêlent pour qu’une tension grisante se ressente dès les premiers instants. Deux garçons vont s’aimer, mais avant ils se cherchent. Le plus jeune se surprend attiré par les hommes, tandis que son aîné se frotte à l’inédit. Peut-être est-ce la langueur de la douce Lombardie qui fera que ces corps s’enflammeront mutuellement ? Ou bien est-ce la chaleur de l’été du bel âge qui permet à ces coeurs de s’aimer l’un et l’autre…Peut-être un peu des deux.

Elio Perlman apprivoise sans vraiment le vouloir la rudesse apparente d’un collègue de son père. Grand blond et élégant, Oliver est charmant mais s’interdit sans doute à séduire de front le bel adolescent. On assiste envoûté à l’exploration des corps, l’éveil d’une chair grisée par le soleil dans une quête de l’extase. Pourtant ce n’est pas de sexe dont nous parle ce film, mais de sensualité. Les deux hommes se frôlent. La connivence est telle que le spectateur peut, s’il se laisse embarquer, brûler dans son fauteuil.

D’aucuns pourraient s’attendre à une fade reprise d’un Blé en Herbe (Claude Autant-Lara, 1954) mais ils verront seulement une adaptation géniale du roman éponyme de André Aciman (2007). Une étreinte dans la grange, une sieste ombragée, des fruits mûrs dans les arbres, tout peut sembler « cliché » pourtant il n’en est rien. Dans chaque plan, chaque image la jouissance est de mise et installe le génie du réalisateur. La bande originale entretient les émois d’amants qui brûlent l’un pour l’autre dans de grands moments qui frôlent le sacré…

Ce qui est délicieux c’est aussi le mystère, car on ne sait déceler à quel moment commence la parade amoureuse de ces beautés antiques. Les personnages se meuvent, dans une bâtisse bourgeoise aux fenêtres grandes ouvertes à l’image des passions. Tout est beau, rien n’est faible, pas même l’ultime échange entre Elio et son père, sur l’amour d’homme à homme, ou la simple amitié. C’est en images suaves et par des mots délicats, empruntés au français, à l’italien, l’anglais,  que l’on peut pénétrer dans ce récit adroit d’une liaison torride. Une caresse en somme.

« Call Me by Your Name » de Luca Guadagnino, sortie au cinéma le 28 février.

Scénario : James Ivory

Elio Perlman : Timothée Chalamet (Nommé pour l’Oscar du meilleur acteur)
Oliver : Armie Hammer (Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle)
M. Perlman : Michael Stuhlbarg
Annella Perlman : Amira Casar
Marizia : Esther Garrel
Chiara : Victoire du Bois

 




[Cinéma] Moi, Tonya

© Mars Distribution

Courte mais intense, la carrière de la patineuse Tonya Harding inspire tumulte et violence au réalisateur Craig Gillespie (Une Fiancée pas comme les autres ou The Finest Hour). Si Moi, Tonya ne semble ni savoir où aller ni quoi nous dire, c’est peut-être pour coller à l’image d’une héroïne paumée.

Tonya Harding c’est d’abord une petite fille qui ne se remettra jamais du départ de son père, elle se crèvera d’entraînement pour la seule chose qu’elle sait faire : patiner. Adolescente en lutte éternelle contre elle-même, elle va quitter très tôt une maison toxique. Malmenée par une mère qui la frappe, la rabaisse, elle se barre à quinze ans, barbelé sur les dents avec un mec violent qui la cogne, lui aussi. Si elle sait se défendre avec son effronterie, elle maquille ses bleus dont elle a tant besoin. On la bat et cela la booste, elle rappellera même Jeff, devenu son ex-mari, la veille d’un championnat, tant elle a besoin de coups pour se remotiver.

Mais pour qu’un scénario patine si lourdement, c’est qu’entre portrait, enquête, psychologie de comptoir ou simple tranche de vie, on ne sait pas où cela va. Qu’est-ce qu’un biopic qui balaie en trois dates et pas plus de scènes sur la glace, une carrière si houleuse ? Même si Margot Robbie excelle autant sur des patins que dans les baskets de la championne, l’histoire est trop brouillonne et part dans tous les sens. Sur une pseudo-rythmique d’allers-retours maladroits entre interviews de l’athlète et immersion dans son couple, le spectateur peut se perdre dans un film incomplet. L’envie irrépressible de trouver un documentaire sur la vie de la vedette peut être dérangeante car malgré le titre qui emphase sur le « moi » de Tonya, c’est plutôt sur le reste que la camera se braque. On sort peu renseigné de cette biographie satisfaite de la facette badass du personnage Harding.

L’explosion de sa carrière occupe à peine l’espace dans deux heures assez longues. Cinq minutes à l’écran pour ce coup de matraque qui secoua le monde du sport ainsi que toute la presse. Cela semble un poil court pour « l’affaire Harding-Kerrigan » que l’on ne présente plus, mais surtout mal jaugé pour l’instant fatidique qui fit basculer toute entière la vie d’une championne. Depuis qu’elle a trois ans elle s’exerce sur la glace mais c’est sur à Lillehammer qu’elle patinera hélas pour la dernière fois. Retour en 1994 quand les JO d’hiver se déroulaient en Norvège et que Tonya Harding amorçait son épreuve : le fameux programme court. Celle qui fut la première, femme et américaine à réaliser un triple axel est sous une pression monstre. Un lacet qui la gêne, elle demande au jury une seconde chance sur la piste : ils acceptent mais elle chute, et à plusieurs reprises. Dommage que Gillespie n’ait fait que survoler ce passage crucial… Trop déstabilisée par les soupçons qui pèsent sur elle et son entourage à propos de l’attaque de Nancy Kerrigan, adversaire éternelle, elle finira 10e. Alors que sa rivale blessée six semaines plus tôt décroche sur le podium la médaille d’argent, Harding est détrônée mais aussi démasquée comme complice dans cette histoire de coup-bas aux vestiaires.

Sans grande surprise alors un spectateur peut facilement se laisser aller à moult rebondissements. D’autant que le réalisateur ne manque pas de faire de l’humour, mais cela ne suffit pas pour que le film se tienne. Néanmoins on comprend, par un formidable finish, que la danseuse brutale va se reconvertir. Peu svelte sur la glace elle sautille sur un ring puisqu’elle choisit la boxe. Petite fille battue mais pas des moins robustes, on saisit (bien trop tard!) une femme inébranlable, et la boucle est bouclée.

« Moi, Tonya » de Craig Gillespie, sortie au cinéma le 21 février 2018

Tonya Harding : Margot Robbie (sélectionnée pour l’Oscar de la meilleure actrice)
LeVona Fay Golden : Allison Janney (Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle)
Jeff Gilooly : Sebastian Stan

 




[Théâtre] Le Traitement

© Marthe Lemelle

Rémy Barché connaît déjà Crimp (La Campagne, La Ville, Play House) mais il choisit cette fois de combiner deux pièces de l’auteur britannique. Après la Comédie de Reims, c’est au théâtre des Abbesses que s’installe Le Traitement mais aussi Le Messager de l’amour, texte inédit qui le précède. Entre théâtre et cinéma on assiste à un spectacle assez tiède, parfois même trop léché.

Dans Le Traitement il est question d’humiliation : chacun des personnages se place dans une chaîne de rapports de force. Tandis que les uns utilisent les autres, Anne confie l’histoire de sa vie à un couple de scénaristes qui teste ses limites. L’issue de ce feuilleton, brossé à trop gros traits, conclu à un mari perdu qui se range docilement derrière une épouse cruelle. Il est dit sans finesse qu’ils ne s’interdisent rien, tant dans leur ménage qu’à l’égard de Anne.

On croise alors sur scène des types peu aboutis : un producteur cupide, une stagiaire effrontée, un vieil auteur raté, un jeune conjoint troublé et même un chauffeur aveugle. Ce potentiel métaphorique, complètement empêché, dénote surtout un certain manque de crédibilité. Les colères peu croyables de Baptise Amann, dans le rôle de Simon le mari de la jeune Anne, sont heureusement compensées par le jeu délicat de Suzanne Aubert, qui porte rien qu’à elle, pas moins de sept rôles.

De regrettables lourdeurs se nichent dans un décor bien trop alambiqué. Le dispositif de planches mobiles prend trop de place. Quand il faut signifier par exemple le quai d’un métro, les secondes s’étirent et à plusieurs reprises. Quant aux fonds dynamiques à l’arrière de la scène, ils desservent Central Park et le restaurant japonais qu’ils sont censé camper. L’écriture, pourtant sobre, du lieu sur ces panneaux apparaît superflue…

Dommage que le propos se voit parasité de ces détails car la mise en scène fatigue. Le cynisme puissant du texte ne porte ici pas plus loin que la mélancolie. Pourtant il y a de quoi se faire happer par le tragique latent des situations cocasses que Crimp a imaginé. D’autant que cette Anne candide et utilisée, est interprétée par Victoire Du Bois (bientôt au cinéma dans Call Me By Your Name) qui développe avec brillo une tout ce qu’elle a subit par amour.

C’est là que l’on reconnait la finesse du rapprochement avec Le Messager de l’amour, monologue éclatant, porté par Suzanne Aubert, qui se raconte elle aussi chosifiée. Réduite par la force de l’homme à subir sa ferveur, la comédienne nous emmène par sa voix, et sa posture fragile, dans le tréfonds de sa tristesse.

« Le Traitement » précédé de « Le Messager de l’amour ». Textes de Martin Crimp, mis en scène par Rémy Barché.
Durée environ 3h.
Plus d’informations sur : http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-letraitementmartincrimpremybarche-1188




[Théâtre] Quills

© Stéphane Bourgeois

Guérir de ses désirs est-ce bien chose possible ? Le texte de Doug Wright détourne la question, convoquant la sagesse du Marquis de Sade. Et c’est inhabituel pour ce fin philosophe machinalement rangé dans la case « libertin ». Le terme prend tout sens et se voit amplifié par une mise en scène signée Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Avec charme et ivresse, il est donné à voir qu’au travers les époques, toutes les anatomies recèlent des mêmes envies.

Quelle est la part mentale dans la vue, les croyances, les désirs qui gravitent autour de notre chair ? Si le XVIIIe siècle se pose mille questions, Sade l’a fait plus fort et Quills le lui rend bien. Imaginer un corps comme une enveloppe charnelle, voilà qui est accessible. Entre autres certitudes, un corps cela se sent. On peut le voir aussi, en construire une image puisque l’Homme est capable de se représenter. Sondant l’esprit humain, cette création pénètre sans égards inutiles dans ses recoins terribles. Mais le siècle éclairé traverse une contrainte, celle de la société, citoyenne, civile et également coquine… Toutes les rues de Paris n’étaient pas faite d’orgies, bien que de libres plumes l’imaginèrent ainsi. Sade fût de celles qui, explorant les tréfonds des bassesses corporelles, décrivit nos fantasmes. Panel des penchants, même des plus enfouis, références au vulgaire voire à l’ignominie, les écritures de Sade sont proposée en purge des humeurs et des foules.

Littérateur des vices, il couche sur papier, sur ses murs de prison, sur ses draps, ses vêtements, tout ce qui sous son crâne fait bouillir ses membres. Sur scène Sade est ferré, détenu à Charenton. Ses geôliers à tout prix vont tenter de faire taire cet être jugé fou, qui avait eu l’éclair des troubles de son âme. Malicieux et mesquin il charme tant qu’il peut les personnes qui l’entourent, tâchant de supporter l’enfermement contraint. Or la ruse tourne court, on empêche bientôt un confort bien spécial à ce détenu à part. Faute de résultats dans la cure de ses maux, l’asile de Charenton s’acharne pour faire guérir cet homme pourtant si sain. Mais le Marquis tenace, profondément obscène, ne pourra s’empêcher d’extraire de sa tête ce qu’il lui faut écrire. Et lorsqu’il ne le peut plus, privé de tout moyen de son expression, il utilise les gens à sa disposition. Alors l’abbé en charge de sa guérison, épuisera sa foi ainsi que sa droiture. À force de se prescrire d’un devoir divin d’éradiquer un mal impossible à sonder, le dévot sombrera de l’issue de ses péchés. S’engage sur les planches l’atrophie d’un corps nu, celui du prisonnier qui encaisse la torture, suggérée subtilement, par de vrais beaux moments.

Sade manipule le vice, l’insinue dans les chairs, défendant l’athéisme au sein d’une société encore clouée à Dieu. Pierre-Olivier Grondin, dans la peau du Marquis, révèle avec finesse et un charme irradiant l’habile philosophe cherchant certes à jouir, mais peut-être encore plus à trouver le bonheur pour lui et ses semblables. L’essence même de Sade se vit dans un décor extraordinairement juste, perspicace et tranchant, manipulé de sorte qu’il passe du libre au clos. Les portes s’ouvrent et se ferment, exploitant par moment la transparence des murs pour laisser libre cours à des vues de l’esprit, sensuelles et électriques. La scène offre à la salle l’étude d’un être entier, mal assorti en somme, aux temps qui l’ont fait naître.

« Quills » de Doug Wright, mise en scène et espace scénique signés Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage.
Durée 2h20.
Plus d’informations sur : http://www.colline.fr/fr/spectacle/quills 

 

 




[Théâtre] Andromaque, les héritiers

© Denis Gueguin

Éclatement des lieux, éclatement des esgourdes, cet Andromaque s’échoue entre humour et sérieux. Damien Chardonnet-Darmaillacq, met grossièrement en scène cette pièce de Racine qu’il créé cette année au Phénix de Valenciennes. Andromaque, les héritiers, spectacle compliqué, occulte malheureusement les nuances de l’oeuvre. Rien ne circule alors sur ces planches encombrées. Jusqu’au 10 Février, au Théâtre de la Cité internationale. 

La première parisienne a-t-elle connu des problèmes techniques qui auraient rendu floue notre écoute ? A l’image de Pyrrhus, fils de l’illustre Achille, tant souverain d’Épire que geôlier d’Andromaque, qui a le souffle coupé par un micro qui « bug ». Sa voix porte haut, certes jusqu’à la chambre haute de cette captive qu’il aime, mais sa mâchoire fatigue au terme d’une scène et demie… Il n’articule plus, on entend plus les vers. La faiblesse du recours à la technologie trahit dans l’incident, des voix qui finalement, se suffisent à elles-mêmes. L’option « modernisation » n’est pas au point. Et si cela ne suffit pas pour prouver qu’il s’agit d’un outil maladroit, convoquons là Oreste, le fils d’Agamemnon, qui grésille atrocement lorsqu’il hausse le ton. L’ambassadeur des grecs bousille les enceintes ainsi que les tympans de la salle toute entière.

Comment souscrire d’ailleurs aux fureurs et folies de cet amant transit d’Hermione ? La rage d’Oreste explose à peine dans de tristes mouvements, complètement coincé dans son blouson de cuir. Définitivement ce n’est pas mieux sans veste, il gigote nerveusement sur une scène rétrécie. Il y avait de l’idée à segmenter l’espace par région et par villes, mais c’est trop compliqué. Les comédiens bloqués par toutes sortes d’obstacles, malheureux symboles fixes des cahots intérieurs, figurent l’engoncement. Dans une absence de rythme, la hausse ponctuelle des décibels n’y fait rien. Le numéro de l’acte en cours, froidement projeté sur un rideau, rappelle d’un clin d’oeil lourd que l’on est au théâtre… Chronomètre de l’ennui un spectateur peut, sans rien rater, s’amuser à couper deux heures en cinq pour savoir où il en est.

Pyrrhus assassiné, la chute s’annonce enfin pour évoquer fureur et désespoir. Adulée par Oreste, Hermione l’indécise fustige ce dernier une fois qu’il accomplit la tâche qu’elle-même avait manipulée. Vient alors une tambouille autour de la folie d’Oreste, mélangeant tous ensemble clips crades et insensés ainsi qu’une musique toujours trop véhémente. Le bruit empêche le verbe, le drame est inaudible. Cet Andromaque ne donne rien, et c’est revendiqué.

Pas partageur ? Dommage… « L’amour n’est pas un feu qu’on enferme en une âme ». Il n’en demeure pas moins que cela tourne au grotesque, voire même à l’opaque. Andromaque la pauvre, jolie mais monocorde, manque de densité. Cléone, une suivante confidente d’Hermione, pourrait sauver la pièce ainsi que toutes ses femmes et leurs beaux paradoxes. Mais son genre l’en empêche, puisqu’on en fait un homme ! Et Hermione transsexuelle, cela semble un choix net, sauf qu’une fois validée pourquoi moquer l’idée ? C’est triste d’en vouloir rire, au XXIe siècle, et signifier par là qu’une femme inflexible devrait cacher un homme. Pas de demi-mesure, pas de subtilité, peut-être que ce casting n’aime résolument, ni Racine ni les femmes ?

« Andromaque, les héritiers » d’après Jean Racine, mise en scène par Damien Chardonnet-Darmaillacq. 

Durée 1h45. Plus d’informations sur : http://www.theatredelacite.com/programme/damien-chardonnet-darmaillacq 




[Théâtre] Les Soldats & Lenz

© Le Festin – Cie Anne-Laure Liégeois

Il y a quelques semaines la compagnie du Festin dévoilait à Nantes sa dernière création, et la voilà passée au Théâtre 71 situé à Malakoff. Avant une grande tournée, Anne-Laure Liégeois livre aux spectateurs franciliens Les Soldats & Lenz, deux pièces quasi en une, de Lenz et de Büchner. Si Les Soldats suit le parcours tourmenté d’une jeune femme victime de ses désirs, c’est aussi le récit d’une société réglée par d’étroites conventions. L’œuvre prend de l’ampleur et se voit prolongée par le Lenz de Büchner, traverse initiatique tout à fait saisissante dans l’esprit tourmenté de l’auteur des Soldats.

Marie est une jeune femme qui découvre les hommes, ainsi que son désir. Inversons donc les lettres de ce prénom biblique afin de la décrire et l’ériger en « A-I-M-E-R », puisqu’elle ne veut que cela. Tout à la fois candide, terrible et provocante, elle lèvera un voile que son éducation avait mis sur les hommes. Elle séduit, s’en délecte, puis découvre à quel prix… Tout au long du spectacle qu’elle offre aux soldats, prédateurs insatiables de la caserne voisine, elle est une proie facile. Le fameux, mais subtil, « théâtre dans le théâtre », l’abandonne en pâture aux regards de ces hommes, sous les yeux d’une salle encore éclairée. Puis le foyer s’éteint et le texte devient sombre, avec pour toile de fond l’élite inaccessible par ascension sociale. La scène vomit alors aristos prétentieux et baronnes délurées. Au milieu de cette faune d’humanités vicieuses, c’est Elsa Canovas (Marie), irradiante et subtile, qui souffle la douceur de cette fille inconsciente. Fidèle à ses marottes, Anne-Laure Liégeois questionne sans tabous ni excès, le sexe et la violence : c’est trash mais pas gratuit alors c’est réussit. Pertinentes et sincères, les plusieurs scènes de viol sont infailliblement au service du propos, éminemment féroce.

Alors que les lueurs se rallument un instant, le décor s’allège et laisse place à Lenz. Olivier Dutilloy et Agnès Sourdillon donnent à ressentir ce texte de Büchner, autopsie frénétique de J.M.R. Lenz, dramaturge tourmenté et auteur des Soldats. Et c’est en sweat-basket que les deux interprètes s’empareront des planches, traçant par leurs cent pas la ligne imaginaire de la largeur de scène. Allers-retours terribles comme « tempête sous un crâne », on plonge dans le récit d’une nuit de janvier, dans la neige et dans l’eau où Lenz s’est tué. Tour de force corporel, les mouvements exacts de ces deux comédiens, ponctuent un texte amer, diagnostic douloureux de la folie d’un homme. Tout résonne et fait sens. L’usage des micros permet à chaque soupir d’accrocher le public, en miroir duquel se tiennent sept comédiens, assis en face de nous, à l’arrière de la scène. Néons braqués sur eux, parfois on les regarde, souvent on les ignore. Fantômes indélébiles du drame précédent, ils semblent immobiles mais cependant ils bougent au rythme ralenti d’une conception sonore habile et étincelante, signée François Leymarie.

Manœuvrés tous ensembles pour s’adresser aux sens, les outils du théâtre sont maniés de telle sorte que l’on se laisse faire. D’un drame social sublime à l’histoire ténébreuse de son compositeur, le spectacle est un tout. Jamais pris à parti, le spectateur est libre de vagabonder de l’œil ainsi que de l’esprit. Divaguant dans son coin sur Dieu, sur l’art, sur l’homme, il se saisit des thèmes de ces textes portées hauts par l’harmonie géniale de cette adaptation.

« Les Soldats & Lenz » d’après JMR Lenz, traduction adaptation et mise en scène de Anne Laure Liégeois. Durée 3h10, plus d’informations sur : http://www.lefestin.org/fiche_spectacle.cfm/272420-6813_les-soldats–lenz.html