1

Court métrage à Bordeaux : deux soirs, deux ambiances

Trois potes qui philosophent sur le retour du khebab, dans « J’mange froid » de Romain Laguna
©Les films du clan

En vingt-quatre œuvres, et presque autant de talents présentés, la 22e édition du festival européen du court-métrage de Bordeaux est une vraie mine d’or. La programmation impeccable joue, d’une soirée à l’autre, sur l’axe de symétrie entre noirceur et humour. Retour sur nos coups de cœur.

De la soirée d’ouverture on retient, pour la fiction, J’mange froid. Plongée mélodieuse dans le quotidien de trois mecs, qui mangent de la merde, fument des tonj, mais surtout font du rap. Romain Laguna, le réalisateur, sublime la journée type de ces semi-ratés, en leur flanquant un bébé dont ils doivent s’occuper. Au son de Melan En cabine, pt.1, se développe une esthétique du simple et du nocturne banlieusard, échappant brillamment à la caricature.

Mais difficile de trancher avec une deuxième pépite, à se poiler cette fois-ci : The Glorious Peanut. Fred de Loof nous embarque dans sa campagne belge, à grand coup de zoom et de bruitages, excessifs mais pas lourds. Patrick n’a pas de cheveux, donc Patrick n’a pas de femme. Mais un jour qu’il est vissé à la table du bistrot, sa vie est bouleversée. Un pitch digne de Dikkenek (d’Olivier Van Hoofstadt, 2006) ou d’un film de Quentin Dupieux : absurde, loufoque mais chiadé.

Patrick et sa cacahuète, dans « The Glorious Peanut » de Fred de Loof
© Tim Vin, Gaëlle Haesaert, Fred De Loof, Fred Labey

Puis, direction Tchétchénie, où Jordan Goldnadel nous arrache à nos rires et nous glace avec Chechnya. Une immersion totale dans les prisons pour gays, en pleine forêts enneigées. Sans trop de fard ni de pathos, le réalisateur, montre une violence aride, faite de torture et de meurtre. Pour cette première soirée, un dernière œuvre militante, marquante et essentielle.

Du LOL au flippe

Si on s’est bien marré la soirée de vendredi, elle s’achève sur une note sombre qui préfigure la suite. Loïc, chargé de la programmation s’explique. « On a voulu faire sentir que ce que vous avez vu hier soir avec  « Chechnya », ce n’est pas terminé ! ». Et pour cause, le samedi soir démarre avec Acide. Le réalisateur, Just Philippot met en scène une pluie d’acide qui décime tout le monde ; seul un petit garçon survit à cette apocalypse climatique.

Avec « Chechnya », Jordan Goldnadel enchaîne les scènes poignantes
© Orok Films

Puis, place à l’adolescence, inconsciente et bourrée avec À l’aube. Des jeunes picolent sur la plage. Le lendemain, trois d’entre eux se retrouvent en pleine mer, sans eau, dans un zodiac à sec. Un prétexte narratif pour Julien Trauman, qui donne la parole à la part d’animal en chacun de nous : instinct de survie, hallucinations, et j’en passe. Un drame plutôt bien porté, par de jeunes comédiens.

Mais cette dernière soirée ne montrait pas que des thriller d’anticipation ou des films de genre. Les courts-métrages plus légers, d’animation ou pas, permettent de s’accrocher quand on est pas trop fan de tout ce qui fout la trouille. La fluidité de l’événement, pensé par l’association Extérieur Nuit (issue de la Kedge Business School), est flagrante. On ingurgite, sans ennui, une masse de productions tout à fait digeste !

Scène d’ouverture de « Acide »
© Capricci et La Petite Prod 

Le palmarès complet

Prix du jury professionnel : Bonobo de Zoel Aeschbacher et Hello Emptiness de Louison Chambon

Prix du jury France 3 : La mort père et fils de Denis Walgenwitz et Winschluss 

Prix du jury étudiant : Nefta Football Club d’Yves Piat et Simbiosis Carnal de Rocio Alvares

Prix du jury sens critique : Nefta Football Club d’Yves Piat et Hello Emptiness de Louison Chambon 

Coup de coeur du public : Bonobo de Zoel Aeschbacher et Smile de Stéphane Marelli




Wildlife : Une saison ardente – Histoire d’une (admirable) descente aux enfers

On connaissait le rêve américain, nous voilà plongés dans le cauchemar américain. Un pays en pleine mutation, au début des années 1960, un contexte politique mouvant, une société qui se transforme, les relations hommes / femmes qui prennent une nouvelle teinte. Nous sommes pourtant bien loin dans ce film de la frénésie des grandes villes de la côté Est.

Ici, c’est le Montana, la rudesse du climat et des éléments qui vient s’entrechoquer avec celle des sentiments et des rapports humains. Ainsi, l’harmonie qui règne, ou a minima semble régner, entre Jeanette, Jerry et Joe Brinson, va lentement se disloquer en prenant comme miroir les yeux du jeune adolescent, enfant unique, involontairement centre du drame qui se prépare. Et paradoxalement, le jeune homme représente à lui seul, l’image de la maturité, de la sagesse et de la stabilité au milieu d’un chaos en voie d’explosion.

On assiste ainsi à la lente descente aux enfers, physique, psychologique, d’une famille sans histoire, dépeinte avec un talent hors norme dans ce premier long métrage de Paul Dano. L’image splendide magnifie cette sensation de longue dépression, d’abord latente puis qui vient tout balayer, sans refuge possible. Au cœur du brasier, l’impeccable et incroyable Ed Oxenbould (Joe Brinson) impressionne par son jeu. Pas de superflu, une justesse des expressions, un rôle poignant pour cet adolescent écartelé au croisement des voies choisies par ses parents, seul détenteur de douloureux secrets, et toujours garant du maintien de l’équilibre familial.

Primé au festival du film de Turin et sélectionné à celui de Sundance, Wildlife vous marque, vous touche, vous retourne même, par la justesse et la sincérité des personnages qui composent ce drame, rien que trop banal, et aux relents amèrement contemporains.

 

 

Fiche technique
Titre original : Wildlife
Titre français : Wildlife – Une saison ardente
Réalisation : Paul Dano
Scénario : Paul Dano et Zoe Kazan, d’après le roman Une saison ardente (Wildlife) de Richard Ford

Distribution
Carey Mulligan : Jeanette Brinson
Jake Gyllenhaal : Jerry Brinson
Ed Oxenbould : Joe Brinson
Bill Camp : Warren Miller
Mollie Milligan : Esther
Zoe Margaret Colletti : Ruth-Ann




[Cinéma] Entretien fleuve au cœur de Nostos Algos

Nostos Algos © Ysé Sorel

Jeune réalisatrice, Ysé Sorel montre déjà sa patte au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Dans la compétition « Contrebandes », qui présente uniquement des premiers métrages auto-produits, Nostos Algos retient notre attention. Ce film est un voyage dans la vie de Yorgos, un Crétois qui retourne sur sa terre natale en crise économique. Ysé Sorel raconte comment la nostalgie a guidé un travail qui semble fasciné autant par un territoire que par ceux qui l’habitent.

Arkult.fr : Après la philosophie et le théâtre, comment en êtes-vous arrivée au cinéma ?

Ysé Sorel : Par surprise, car je n’y était pas attendue. Je ne l’ai pas étudié, ce qui d’ailleurs me permet une grande liberté. Je me méfie de l’uniformisation des écoles, cela me ferait perdre toute la liberté que j’éprouve dans le médium cinéma. Et puis j’ai assez fait d’études comme cela!

Arkult.fr : Justement, comment vous êtes vous servie de vos études dans ce premier long métrage?

Ysé Sorel : J’ai pensé ce film comme un essai philosophique sur la nostalgie. J’ai simplement trouvé d’autres moyens de m’exprimer : les images, le son… Je n’aime pas uniquement les films qui convoquent la philosophie, mais c’est un cadre que j’avais envie d’explorer. D’ailleurs je m’y sens bien.

« Où je vais ? Qu’est-ce que je veux faire ? Des questionnements intimes autant qu’universels »

Arkult.fr : En quoi Nostos Algos est-il un film personnel ?

Ysé Sorel : Je raconte la crise de Yorgos, le personnage principal, qui soulève des questions aussi intimes qu’universelles je pense. Je les suggère à l’écran avec des couvertures de livres qui m’ont accompagnés, parfois même tourmentés. Où je vais ? Qu’est-ce que je veux faire ? Toutes ces incertitudes me parlent d’autant plus que c’est un film d’apprentissage. Dans ce sens qu’il raconte un personnage qui se cherche, dans un pays qu’il a quitté et qui demeure en crise. Mais également puisque j’ai appris à faire du cinéma en réalisant ce projet. 

Nostos Algos © Ysé Sorel

Arkult.fr : Tous les personnages jouent leur propre rôle. Comment gère-t-on cette distance propre à l’auto-fiction ?

Ysé Sorel : Faire son miel avec le pollen de vraies existences sans tomber dans le vampirisme est extrêmement complexe. Je me suis beaucoup posée la question car ce film est à la frontière entre le documentaire et la fiction. Je crois ne pas avoir céder à cette tentation vampiriste. Parfois Yorgos a dû me donner beaucoup, et cela lui a coûté. Mais il a accepté de devenir cette surface : le personnage principal.

Arkult.fr : Qu’est-ce qui se joue dans la scène du premier repas en famille ?

Ysé Sorel : Il n’y a que du pain dur sur la table, et l’on comprend que c’est la crise. Mon but n’était vraiment pas de faire un film les difficultés économiques de la Crète. On les saisit par endroits mais j’ai juste voulu parler d’une famille, prise dans cette tourmente là. Cette histoire de pain dur rends la chose plus juste. Ce moment d’émotion fait partie des cadeaux  qu’offre le documentaire. Bien sûr cela est mis en scène, mais ce sont de vrais gens qui jouent leur propre rôle, alors c’est très touchant.

Nostos Algos © Ysé Sorel

Arkult.fr : Le calme qui règne dans votre film s’est-il imposé par ce que vous avez vu sur place ou c’est une pure construction ?

Ysé Sorel : J’ai vraiment ressenti cela là-bas. La nostalgie réside aussi dans cette tranquilité. La Crète est un territoire assez particulier par rapport à la Grèce, il s’y dégage une atmosphère rassurante. Certains ne croient pas à la crise, de par l’absence de tumulte. Un des personnages dit même qu’elle n’existe pas. Avec son fromage et ses tomates il ne manque de rien. C’est une vraie leçon de vie. 

« J’aime être nostalgique car c’est une douceur, un peu comme ce voyage. »

Arkult.fr : Nostos Algos en grec signifie « nostalgie ». Quelle serait votre définition de la nostalgie ?

Ysé Sorel : Pour moi ce serait ce film. La nostalgie est un sentiment que l’on ressent plus ou moins. Comme un souvenir de l’enfance ou de toutes petites choses : une odeur, une photo, une sensation qui souvent nous échappe… À mes yeux c’est la conjonction entre un moment et un lieu qui ont marqué notre vie. La recherche de nostalgie est de l’ordre de l’insaisissable. J’y vois une forme de beauté qui me touche beaucoup. J’aime être nostalgique car c’est une vraie douceur, un peu comme ce voyage.

Nostos Algos © Ysé Sorel

Arkult.fr : Vous filmez beaucoup d’images fixes. Quelle place tient la photographie dans votre travail ?

Ysé Sorel : Je la pratique de plus en plus, plutôt sur pellicule. J’ai donc un rapport très graphique à la manière de filmer. Les natures mortes en peinture m’inspirent d’ailleurs beaucoup. Je crois que je mets à l’épreuve mon oeil dans ces détails. J’essaie de donner au spectateur une forme de liberté pour qu’il puisse investir ses propres souvenirs dans les images que je montre.

Arkult.fr : « Quelle dose de pays natal vous faut-il ? » est une question que vous posez, alors on vous la retourne…

Ysé Sorel : Barbara Cassin le dit de manière très juste dans son ouvrage La Nostalgie : « On est chez soi quand on est accueilli ». J’ai tellement ressenti ça en Grèce que j’aimerais trouver le moyen d’aller habiter là-bas. Ce n’est pas mon pays natal car je me sens très française mais j’ai besoin de cet endroit, de sa simplicité.

Nostos Algos © Ysé Sorel

Propos recueillis par Philippine Renon.




[Cinéma] Pour ne jamais oublier que L’Amour est une fête

L’Amour est une fête © Mars Films

Pour son quatrième long métrage, Cédric Anger braque son projecteur sur l’âge d’or du porno chic. En 1982, cette industrie florissante est encore soumise à une forte censure. Sur les tournages l’insouciance est de mise, la drogue et le sexe aussi. « L’Amour est une fête » raconte une belle aventure, celle d’une bande, d’une famille. 

Lumière rouges, femmes sublimes, voir même sublimées par de lourdes boucles d’oreilles et autres chignons banane. Cédric Anger installe un décor érotique et dirty pour faire un film espiègle aux accents libertins. Cela fait bien longtemps qu’il voulait s’atteler à cette histoire du porno filmé en pellicule au « charme artisanal » comme il nous l’expliquait après la projection en avant-première à Bordeaux. Mais le réalisateur de La prochaine fois je viserai le cœur (2014), habitué au genre policier ne peut pas s’empêcher d’y camper quelques flics. Guillaume Canet est Franck, blond platine défoncé qui porte des blousons camel tandis que Gilles Lellouche tient le rôle de Serge avec ses chemises et ses pattes bien rétro comme il faut. Les deux tiennent un peep show au bord de la faillite en plein coeur de Pigalle, mais c’est une couverture afin de mener l’enquête sur un réseau mafieux parmi strings, jolis seins, strip-tease et grosses moustaches.

Alors pourquoi maintenant si c’est un vieux projet ? « Une récréation », explique Cédric Anger à Arkult. « J’ai eu envie d’un film solaire. Alors je ne sais pas si on fait un film contre le précédent, mais en tout cas dans celui-là a quelque chose de cette logique ». Au-delà du divertissement, le directeur de la photographie Thomas Hardmeier se doit d’être salué car ses images s’insèrent régulièrement dans le fond de nos yeux pour finir en mémoire. Les filles notamment, jamais réifiées, aiment toutes ce qu’elles font. Lorsque la jeune Caprice, irradiante grâce au jeu délicat et sensible de Camille Razat, tente le Conservatoire elle trouve dans cet univers une grande confiance en elle. C’est donc la face dorée du très clivant porno qui nous sera montrée, mais cela est assumé. Et ce n’est pas plus mal, car le libertinage porté haut à l’écran nous met face à nous même, du moins à notre époque.

Si L’amour est une fête, où en sommes-nous dans la teuf ?  

Une « simplicité des rapports me semble manquer aujourd’hui » déclare Cédric Anger. Ces derniers temps renflouent une vieille pudibonderie, bien pensante et bien moche qui rend le porno triste. Une nostalgie douce berce ces quasi deux heures au cours desquelles on rencontre le réalisateur du porno qui va sauver l’affaire. Xavier Beauvois se glisse avec une justesse folle dans ce philosophe éthylique carburant au Ricard. Ex-æquo avec Vogel pour la palme du rôle le plus touchant : Michel Fau magistral est le producteur du décisif tournage, pseudo-méchant fragile, à la fois frère et père de ses « filles » comme il dit.

Mais le spleen se dissipe, Anger n’est pas passéiste. Derrière le vernis provoc’ (et pourtant historique) des clopes, coke, et acides saupoudré d’un peu d’herbe, on entend parler de l’art de tourner un film, porno ou pas d’ailleurs. Puisque L’amour est une fête, et que leur vie c’est l’amour, ils jouissent et puis point barre. Se trimballant à poil en plein milieu de la verdure dans la rosée du matin, ils transpirent finalement la liberté de corps mais surtout de l’esprit.




[Cinéma] Call Me by Your Name

© Sony Pictures Classics

Dans une maison d’été en Italie du nord, Elio Perlman profite de son jeune âge ainsi que des beaux jours, pour lire, se languir, et découvrir son corps. La dernière création de Luca Guadagnino nous emmène, paisible, à l’aube d’un amour aussi doux que poignant. Le film n’a obtenu que l’Oscar de la meilleure adaptation, il méritait un peu mieux.

Avec grand raffinement, on entend résonner quelques notes de Bach, des portes qui se ferment et des pieds humides marchent sur la tomette fraîche. Repas et discussions s’enchaînent et s’entremêlent pour qu’une tension grisante se ressente dès les premiers instants. Deux garçons vont s’aimer, mais avant ils se cherchent. Le plus jeune se surprend attiré par les hommes, tandis que son aîné se frotte à l’inédit. Peut-être est-ce la langueur de la douce Lombardie qui fera que ces corps s’enflammeront mutuellement ? Ou bien est-ce la chaleur de l’été du bel âge qui permet à ces coeurs de s’aimer l’un et l’autre…Peut-être un peu des deux.

Elio Perlman apprivoise sans vraiment le vouloir la rudesse apparente d’un collègue de son père. Grand blond et élégant, Oliver est charmant mais s’interdit sans doute à séduire de front le bel adolescent. On assiste envoûté à l’exploration des corps, l’éveil d’une chair grisée par le soleil dans une quête de l’extase. Pourtant ce n’est pas de sexe dont nous parle ce film, mais de sensualité. Les deux hommes se frôlent. La connivence est telle que le spectateur peut, s’il se laisse embarquer, brûler dans son fauteuil.

D’aucuns pourraient s’attendre à une fade reprise d’un Blé en Herbe (Claude Autant-Lara, 1954) mais ils verront seulement une adaptation géniale du roman éponyme de André Aciman (2007). Une étreinte dans la grange, une sieste ombragée, des fruits mûrs dans les arbres, tout peut sembler « cliché » pourtant il n’en est rien. Dans chaque plan, chaque image la jouissance est de mise et installe le génie du réalisateur. La bande originale entretient les émois d’amants qui brûlent l’un pour l’autre dans de grands moments qui frôlent le sacré…

Ce qui est délicieux c’est aussi le mystère, car on ne sait déceler à quel moment commence la parade amoureuse de ces beautés antiques. Les personnages se meuvent, dans une bâtisse bourgeoise aux fenêtres grandes ouvertes à l’image des passions. Tout est beau, rien n’est faible, pas même l’ultime échange entre Elio et son père, sur l’amour d’homme à homme, ou la simple amitié. C’est en images suaves et par des mots délicats, empruntés au français, à l’italien, l’anglais,  que l’on peut pénétrer dans ce récit adroit d’une liaison torride. Une caresse en somme.

« Call Me by Your Name » de Luca Guadagnino, sortie au cinéma le 28 février.

Scénario : James Ivory

Elio Perlman : Timothée Chalamet (Nommé pour l’Oscar du meilleur acteur)
Oliver : Armie Hammer (Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle)
M. Perlman : Michael Stuhlbarg
Annella Perlman : Amira Casar
Marizia : Esther Garrel
Chiara : Victoire du Bois

 




[Cinéma] Moi, Tonya

© Mars Distribution

Courte mais intense, la carrière de la patineuse Tonya Harding inspire tumulte et violence au réalisateur Craig Gillespie (Une Fiancée pas comme les autres ou The Finest Hour). Si Moi, Tonya ne semble ni savoir où aller ni quoi nous dire, c’est peut-être pour coller à l’image d’une héroïne paumée.

Tonya Harding c’est d’abord une petite fille qui ne se remettra jamais du départ de son père, elle se crèvera d’entraînement pour la seule chose qu’elle sait faire : patiner. Adolescente en lutte éternelle contre elle-même, elle va quitter très tôt une maison toxique. Malmenée par une mère qui la frappe, la rabaisse, elle se barre à quinze ans, barbelé sur les dents avec un mec violent qui la cogne, lui aussi. Si elle sait se défendre avec son effronterie, elle maquille ses bleus dont elle a tant besoin. On la bat et cela la booste, elle rappellera même Jeff, devenu son ex-mari, la veille d’un championnat, tant elle a besoin de coups pour se remotiver.

Mais pour qu’un scénario patine si lourdement, c’est qu’entre portrait, enquête, psychologie de comptoir ou simple tranche de vie, on ne sait pas où cela va. Qu’est-ce qu’un biopic qui balaie en trois dates et pas plus de scènes sur la glace, une carrière si houleuse ? Même si Margot Robbie excelle autant sur des patins que dans les baskets de la championne, l’histoire est trop brouillonne et part dans tous les sens. Sur une pseudo-rythmique d’allers-retours maladroits entre interviews de l’athlète et immersion dans son couple, le spectateur peut se perdre dans un film incomplet. L’envie irrépressible de trouver un documentaire sur la vie de la vedette peut être dérangeante car malgré le titre qui emphase sur le « moi » de Tonya, c’est plutôt sur le reste que la camera se braque. On sort peu renseigné de cette biographie satisfaite de la facette badass du personnage Harding.

L’explosion de sa carrière occupe à peine l’espace dans deux heures assez longues. Cinq minutes à l’écran pour ce coup de matraque qui secoua le monde du sport ainsi que toute la presse. Cela semble un poil court pour « l’affaire Harding-Kerrigan » que l’on ne présente plus, mais surtout mal jaugé pour l’instant fatidique qui fit basculer toute entière la vie d’une championne. Depuis qu’elle a trois ans elle s’exerce sur la glace mais c’est sur à Lillehammer qu’elle patinera hélas pour la dernière fois. Retour en 1994 quand les JO d’hiver se déroulaient en Norvège et que Tonya Harding amorçait son épreuve : le fameux programme court. Celle qui fut la première, femme et américaine à réaliser un triple axel est sous une pression monstre. Un lacet qui la gêne, elle demande au jury une seconde chance sur la piste : ils acceptent mais elle chute, et à plusieurs reprises. Dommage que Gillespie n’ait fait que survoler ce passage crucial… Trop déstabilisée par les soupçons qui pèsent sur elle et son entourage à propos de l’attaque de Nancy Kerrigan, adversaire éternelle, elle finira 10e. Alors que sa rivale blessée six semaines plus tôt décroche sur le podium la médaille d’argent, Harding est détrônée mais aussi démasquée comme complice dans cette histoire de coup-bas aux vestiaires.

Sans grande surprise alors un spectateur peut facilement se laisser aller à moult rebondissements. D’autant que le réalisateur ne manque pas de faire de l’humour, mais cela ne suffit pas pour que le film se tienne. Néanmoins on comprend, par un formidable finish, que la danseuse brutale va se reconvertir. Peu svelte sur la glace elle sautille sur un ring puisqu’elle choisit la boxe. Petite fille battue mais pas des moins robustes, on saisit (bien trop tard!) une femme inébranlable, et la boucle est bouclée.

« Moi, Tonya » de Craig Gillespie, sortie au cinéma le 21 février 2018

Tonya Harding : Margot Robbie (sélectionnée pour l’Oscar de la meilleure actrice)
LeVona Fay Golden : Allison Janney (Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle)
Jeff Gilooly : Sebastian Stan

 




[Cinéma] 3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance

Pour son quatrième film (Bons baisers de Bruges, 2008), c’est dans un Missouri profond que Martin McDonagh situe le combat d’une fauteuse de trouble qui réveille good et bad cops. Malgré un esprit revanchard à peine planqué sous ses airs de cinquantenaire malmenée par la vie, le personnage principal fait naître une forme de tendresse. De quoi nourrir ce drame mêlé de malice et d’effronterie qui questionne les contours d’un politiquement correct à l’américaine.

Frances McDormand dans 3 Billboards : Les panneaux de la vengeance
© Fox Searchlight

En quête de justice, Mildred Hayes interprétée par Frances McDormand (Golden Globe de la meilleure actrice) est une mère qui n’a plus rien à perdre. Le meurtre de sa fille n’a toujours pas été élucidé alors elle va laver l’outrage en s’alliant au publicitaire du coin, un peu piteux mais brave.

Bien décidée à placarder la fainéantise de la police aux yeux de tous, elle nargue les autorités par des slogans en caractères noirs sur le fond rouge des Panneaux de la vengeance. Tant pis si les pancartes sont placées sur une route abandonnée, elle fera venir la télé ; tant pis si son gamin se fait victimiser à l’école, elle ira flanquer des coups de genoux.

Mildred s’accroche à sa détermination. Rongée par la culpabilité elle s’active, se met en mouvement pour semer le trouble à Ebbing où morale religieuse et objectif « pas de vagues » ont valeur de loi. Rien de tel qu’une petite ville reculée du Missouri pour mettre à jour faiblesses et beautés de la nature humaine. Tous à moitié ratés à moitié débonnaires, les personnages sont décortiqués par Martin McDonagh qui fabrique d’irrésistibles anti-héros attachants. L’officier Dixon par exemple, assidu au bar comme dans le giron de sa mère, illustre les violentes contradictions d’un grand dadet ravagé. Cette performance est brillamment livrée par Sam Rockwell, récompensé (lui aussi!) aux Golden Globes.

Cyniques et beaux, les traits d’humour ne sont pas seulement noirs, ils subliment la violence des êtres dans ce qu’elle a de plus humain. Chaque pétage de plomb apparaît légitime puisque le subtil cadrage sait les appuyer sans les parodier. Au rythme un peu épars des protagonistes, ce western prend le temps de surprendre et de renouveler le genre avec intensité.

« 3 Billboards : Les panneaux de la vengeance », de Martin McDonagh, sortie au cinéma le 17 janvier 2018

Frances McDormand : Mildred Hayes
Woody Harrelson : Chef William Willoughby
Sam Rockwell : Officier Jason Dixon
Peter Dinklage : James

 




Les deux amis – Louis Garrel

Deux amis. Une femme. Un secret.

Outre Atlantique, cela aurait pu faire l’objet d’un thriller haletant, avec son happy ending familial, portant haut les valeurs états-uniennes. Mais ce n’est pas trop la came de Louis Garrel. Happy ending, et puis quoi encore ?

Le début de ce conte moderne est pourtant tout en légèreté musicale, peu de paroles, mais une mélodie omniprésente, aérienne, entraînante. Comme si les malheurs terrestres des personnages ne pesaient pas bien lourd dans l’aventure qui s’apprête à les réunir. Aventure amoureuse, ou plutôt « non-aventure » amoureuse. Des cris, des larmes, des cris, des cris, des cris.

Et puis, comme bien souvent, de l’amour naît la haine. De l’amitié naît la jalousie. Mère de tous les drames. Mère de toutes les peines.

Dans un Paris du quotidien, fait de trains de banlieue, de terrasses de cafés et de jardins publics, Louis Garrel nous livre une vision bien personnelle du triolisme moderne. Bien entouré de Christophe Honoré dans cet exercice, on ressent bien l’influence de son compère sur ce thème récurrent déjà rencontré dans « La Belle Personne » ou encore « Les Chansons d’Amour » pour ne citer qu’eux. Et encore une fois, ce drame contemporain tire sa source d’une intrigue classique. Après « La Princesse de Clèves », les deux amis ont choisi de revisiter « Les caprices de Marianne » à leur propre sauce.

Cette fois, c’est Golshifteh Farahani et Vincent Macaigne qui subissent l’impétuosité de Louis Garrel, virant parfois à la mauvaise foi ravageuse. Le trio est superbe, irréel et en même temps bien ancré dans un quotidien banal. Les rapports sont cruels d’humanité et de sincérité. La caméra de Louis Garrel filme le vrai, sans ambages ni maquillage. Le spectateur est touché, au plus profond de son jeu de valeurs et de certitudes. Et il en redemande … Mission réussie donc ?

Les deux amis
Réalisation : Louis Garrel
Scénario : Louis Garrel et Christophe Honoré
Golshifteh Farahani : Mona
Louis Garrel : Abel
Vincent Macaigne : Clément
Laurent Laffargue : le metteur en scène

Rachid Hami : l’acteur
Pierre Maillet : le réceptionniste de l’hôtel

 




L’humour plus fort que la mort

Que faire quand l’un de nos proches nous supplie de mettre fin à sa vie pour ne plus souffrir ? C’est la question que se posent Tal Granit et Sharon Maymon dans leur dernier long-métrage Fin de partie. Sujet sensible à l’heure des nombreux débats sur la fin de vie, le film traite avec humour et drame des questions et dilemmes que peuvent nous réserver nos dernières heures.

Et si parler d’un sujet sérieux comme la mort avec humour permettait de mieux faire passer un message ? C’est en tout cas ce qu’ont eu l’air de penser les réalisateurs, Tal et Shaon quand ils ont écrit le scénario de Fin de partie. À la frontière de la comédie et du drame, le film raconte comment une bande de pensionnaires d’une maison de retraite va mettre au point une machine à mourir dans le but de soulager des malades en fin de vie. A la manière d’anges exterminateurs, ils se baladent de maisons en maisons pour apporter libération à ceux qui la réclament. Une veuve, un vétérinaire, un policier et un inventeur, tel est le visage de cette nouvelle génération du crime organisé.

© Eurozoom
© Eurozoom

Un sujet sinistre et pesant duquel se dégage pourtant, légèreté et jovialité, confirmant l’adage, selon lequel on peut rire de tout. Rire, pleurer, se révolter, autant d’émotions qui nous traversent, se répètent et se mélangent au travers de scènes drôles et tristes à la fois. On y parle de la mort avec humour, de l’amour après la mort, toujours avec subtilité et ce qu’il faut de justesse pour dispenser le spectateur du pathos qui entoure la question dans l’actualité. Entre l’absurde et l’originalité, le scénario nous surprend et nous amène à sourire quand, par exemple, une coupure de courant vient contrecarrer les plans d’une vieille dame qui s’apprêtait à se donner la mort.

Ce sont surtout les personnages qui nous étonnent et nous tirent le sourire à chaque minute. Des acteurs pour l’occasion âgés, que l’on a peu l’habitude de voir au cinéma et qui, placés dans des situations cocasses composent la formule gagnante. À la fois touchants et surprenants, ils campent chacun un rôle qui permet de comprendre l’évolution du débat sur la fin de vie dans la société : la femme dévouée qui ne supporte plus de voir son mari souffrir, le meilleur ami indécis, l’opposante catégorique, le médecin impartial etc. On déambule au travers des histoires de chacun afin de comprendre motivations et fondements de leurs actions.

Pourtant, passé l’effet de surprise, le décalage et les scènes amusantes, le film traine en longueur. On regrette une réalisation à l’image de l’ambiance des maisons de retraites : endormie. La caméra tourne et prend trop le temps de fixer visages et expressions. Beaucoup de silences et de moments vides viennent graduellement encombrer et couper l’envolée des débuts prometteurs.

Un film argument qui tente de conduire à l’ouverture et l’acceptation du débat sur l’euthanasie qui, malgré quelques imperfections, mérite d’être vu lorsqu’on s’intéresse à ces questions.

 « Fin de partie », de Tal Granit et Sharon Maymon, sortie au cinéma le 3 juin 2015.




Les amants de l’ombre

Quelques mois après la sortie du film A trois on y va, le triangle amoureux est à nouveau à l’honneur sur les écrans. Cette fois-ci, Philipe Garrel est derrière la caméra pour A l’ombre des femmes. Familier des réalisations de drame amoureux (La jalousie, Un été brulant), le cinéaste nous livre, comme à son habitude, une œuvre intimiste toute en sobriété et élégance.

Derrière ce nouveau titre poétique et mystérieux, l’histoire presque banale d’un couple qui s’aime, mais ne se comprend plus. D’un côté il y a Pierre (Stanilas Merhar), réalisateur de documentaire et sosie de Thomas Dutronc. Il est le stéréotype de l’homme torturé, éternel incompris. De l’autre, il y a Manon (Clotilde Courau), l’amoureuse des temps modernes. Deux aimants, amants usés par la monotonie d’une relation qui les conduira à voir ailleurs.

© SBS Distribution
© SBS Distribution

Pierre aime Manon, pourtant, il l’a trompe. Il ne peut s’empêcher de revenir dans les bras d’Elizabeth, collant à la représentation classique de l’homme infidèle qui succombe aux charmes d’une jeune étudiante. Avec Elizabeth tout est plus simple, il se sent vivant, mais Pierre aime Manon, alors il rentre à la maison comme chaque soir un bouquet de fleur à la main. De ce synopsis basique, Garrel créer une œuvre authentique et troublante sur la complexité des relations entre un homme et une femme. Il parvient à saisir avec éclat, les visages, les expressions, mais surtout, à rendre compte avec justesse des différences de réactions et de comportements d’un couple face à l’infidélité, notamment au travers du personnage de Pierre qui ne peut admettre l’adultère de sa femme, alors que lui-même en est coupable.

Pour Pierre, tromper est une chose d’homme, c’est physiologique et presque naturel. Dans son esprit, les femmes, elles, sont trop pures et délicates pour succomber à la luxure. Alors, quand celui-ci apprend que son épouse le trompe à son tour, c’est toute leur relation qu’il remet en question. De leur amour naît la haine et de leur trahison commune, la rupture. Récit aux allures féministes, Garrel prend ici la défense des femmes, mettant en lumière son actrice principale, Clothilde Coureau, sublime dans le rôle. Un personnage tout en douceur, fort et faible à la fois qui représente la femme, les femmes, courageuses et passionnées.

Tourné en noir et blanc dans un Paris que l’on imagine des années 60-70, le film n’est pas sans rappeler l’esprit de la Nouvelle Vague. D’une esthétique irréprochable, il réconciliera tous ceux qui pourraient avoir des frictions avec le noir et blanc. Un choix judicieux qui apporte beauté et délicatesse à l’histoire, à l’image de son thème : l’amour.

Une autre force du film réside dans sa durée : 1h13. Sobre, simple et réaliste, Garrel va à l’essentiel. Il filme le vrai sans artifice. Il installe ses personnages autour d’une table, d’un lit ou d’un café. Cela suffit. Il nous fait découvrir des lieux, des places, des rues avec un regard nouveau. L’œuvre de Garrel parvient à sublimer les relations amoureuses dans ce qu’elles ont de plus simple et ordinaire. Un cinéma qui renoue avec l’exigence et la qualité des Godard, offrant aux spectateurs, un bref mais délicieux moment.

 « L’ombre des femmes », de Philippe Garrel, sortie au cinéma le 27 mai 2015.




De l’insouciante légèreté de la jeunesse

L’âge de la jeunesse : passage sublime et inconscient duquel on ne sort jamais indemne et dont on garde, souvent, des souvenirs impérissables. Une période qu’Arnaud Desplechin raconte avec douceur et légèreté dans son dernier film, Trois souvenirs de ma jeunesse

Le temps qui passe, l’existence, l’amour, autant de thème qu’aborde ce nouveau long-métrage, qui, une fois de plus, ne nous déçoit pas en étant cet hymne à la vie et au vivant. D’un récit en trois parties, le réalisateur nous conte différentes étapes, de l’enfance à l’adolescence, sous les traits et le jeu de Paul Dédalus, son personnage principal. Pourtant, à la fin du film, c’est bel et bien d’Esther dont on a retenu le nom et le visage ; cheveux blonds et regard enchanteur, elle est le souvenir d’un amour de jeunesse perdu. Le cœur de l’histoire repose ainsi sur l’amour, naïf, brut, que les relations adolescentes peuvent entretenir. Les liaisons passionnées et destructives de nos vieux amants d’antan qui conditionnent notre avenir.

© Jean-Claude Lother / Why Not Productions
© Jean-Claude Lother / Why Not Productions

Les premières minutes du film portent l’ambiance nostalgique et mélancolique qu’accompagne les belles histoires d’amours qui se terminent. Paul, s’apprête à quitter le Tadjikistan et les bras d’une jolie femme qui semble plus émue que lui à l’idée de le voir partir. Il retourne en France, très vite rattrapé par des souvenirs : son enfance et la relation conflictuelle avec sa mère, les liens familiaux avec ses frères et sœurs, sa première sortie scolaire avec son meilleur ami. Avec succès, Desplechin, ne manque pas de jouer sur le décalage narratif de certaines séquences, intervertissant des scènes dramatiques avec de l’action. Le chapitre sur la Russie est d’ailleurs un battement très agréable de l’histoire, bref mais efficace, qui donne une nouvelle dynamique. Une partie primordiale pendant laquelle Paul est amené à offrir ses papiers à un jeune garçon, lui donnant ainsi son identité. N’étant alors plus le seul Paul Dédalus sur la terre, il se questionne quant à l’existence et sur qu’est-ce « être quelqu’un ».

Son existence, il ne semble l’avoir trouvé qu’à travers les yeux d’Esther, qui constitue la troisième partie, bien plus longue, du film. Loin des teen movies à l’eau de rose, c’est une histoire d’amour poétique, philosophique presque, qui revient sur les prémisses des premiers amours, des tendres moments de séductions aux désaccords qui entrainent la rupture. Un tableau sublime qui se compose doucement pendant plus de deux heures par le biais de séquences intemporelles, d’images comme ralenties, de regard fixe qui emportent le spectateur. D’une beauté visuelle, le film repose également sur la qualité de ces dialogues et du génie du bon mot de Desplechin. On lui reconnaît l’art de la citation, de la belle parole qu’il nous chuchote aux oreilles. Chaque mot sonne juste et vrai résonant ainsi plus fort en chacun de nous.

De cette envolée filmique on retient également les acteurs, Quentin Dolmaire (Paul) et Lou Roy Lecollinet (Esther). Tous deux signent ici leur premier grand rôle avec triomphe. De leur maladresse, se transmet un charme fou. Attachant dans leurs imperfections, ils sont tous deux le reflet d’une jeunesse exaltée et passionnée qui promet de grande chose. Trois souvenirs de ma jeunesse agit comme un véritable miroir et nous renvoie à nos expériences (mal)heureuses de jeunesse. Un film qui en bouleversera certains, doux, tendre dans lequel flâne un agréable parfum de nostalgie donnant envie d’avoir à nouveau 20 ans.

 « Trois souvenirs de ma jeunesse », d’Arnaud Desplechin, sortie au cinéma le 20 mai 2015.




Les clandestins : naufrage au cœur de l’horreur humaine

 

© The Jokers / Le Pacte
© The Jokers / Le Pacte

Le cinéma sud-coréen jouit ces dernières années d’un coup de projecteur, lui valant aujourd’hui d’être connu et reconnu à travers le monde. Tenant le pari d’être à la fois exigeant et ambitieux tout en restant populaire, à l’instar du dernier film de Shim Sung-Bo : Les Clandestins.

Les Clandestins, candidat à l’oscar du meilleur film en Corée du Sud, est le premier long-métrage de Shim-Sung Bo en tant que réalisateur. Son travail de scénariste avec Bong Joon Ho pour le film Memories of Murder était déjà un succès. Nous retrouvons ici le duo gagnant, qui confirme avec ce film une œuvre saisissante. Celui-ci raconte l’histoire d’un capitaine, Mr Kang, infortuné mais épris de passion pour son bateau : le Junjin, qu’il refuse d’abandonner. Pour le sauver lui et ses hommes, il acceptera alors de basculer dans l’illégalité en transportant des clandestins lors d’un voyage qui vire au chaos. Le récit, inspiré de faits réels, est avant tout un drame social à la croisée des genres : entre thriller et film d’horreur, basculant parfois dans la comédie grâce à la palette de personnages tous plus déments les uns que les autres.

Pourtant, c’est bien une tragédie qui se joue dès les premières minutes de film, au travers d’un paysage déjà assombri et d’un capitaine au visage fermé, qui ne nous laissera jamais l’occasion de le voir sourire. Se refermant tout au long de l’histoire dans l’agressivité et la fureur. Se transformant petit à petit en une créature monstrueuse capable des pires atrocités pour sauver son bien le plus précieux. Interprété par le brillant Kim Yun-Sesk, adepte des rôles de méchant, celui-ci réussi avec brio à susciter chez le spectateur autant de haine que d’empathie dans ce rôle de capitaine abandonné.

© The Jokers / Le Pacte
© The Jokers / Le Pacte

Ce banal transport de clandestin bascule dans le cauchemar lorsqu’on découvre la vingtaine d’hommes et de femmes enfermés dans la cale, sans vie. Se montre alors à nous un nouveau visage de l’horreur humaine quand vient le moment pour l’équipage de se débarrasser des corps à coups de haches. Tournant essentiel du film, qui revelèra alors les vrais personnalités et la véritable nature de chaque membre de l’équipage pour qui, jusque là, un sentiment de sollicitude régnait. Shim-Sung Bo, réussit très bien ce retournement de situation apportant au film un nouvel élan essentiel. L’enfermement dans une sorte de huit à clos à ciel ouvert sur un pont nous permet de vivre tous les évènements comme si nous y étions : le débarquement des clandestins pendant la nuit de tempête, le contrôle de la police sur la bateau, l’histoire d’amour entre un marin et une clandestine. Histoire d’amour qui aura d’ailleurs une place importante tout au long de l’histoire, déclenchant jalousies et animosités qui feront perdre la tête et bien plus à certains membres de l’équipage. La romance s’entrelaçant avec l’horreur apporte un contraste qui vient intensifier les émotions. Là est bien la force de Shim Sung Bo : jongler entre les genres avec adresse et apporter une dynamique qui ne s’essouffle jamais.

Peu de surprise quand à la chute de l’histoire : alors que sombre au loin le capitaine et son bateau, les deux amoureux s’enfuient à la nage. Une fin vendue très vite au cours du film, où l’on comprend un peu naïvement que l’amour triomphera de toute la méchanceté du monde. Mais c’est sans compter sur le brillant réalisateur sud coréen qui ne laissera pas le film s’achever sur un commun happy end et qui réservera un dernier rebondissement. Les Clandestins est un savant mélange de genre, qui ne nous laisse pas une minute de répit, nous plongeant progressivement dans une horreur de plus en plus effrayante. Faisant basculer chaque personnage dans leurs travers les plus sombres, amenant même les plus innocents à devenir des bêtes. Nous dévoilant les plus noirs facettes de l’être humain et son instinct d’animal, nous laissant dubitatif quand à ce que notre voisin de fauteuil serait capable de faire dans une situation pareille.

 « SEA FOG : Les Clandestins », de Sung Bo Shim, sortie au cinéma le 1er avril 2015.




Dear White People : des noirs dans un monde de blanc

© Happiness Distribution
© Happiness Distribution

Grinçant, railleur, cynique, la nouvelle et toute première réalisation de Justin Simien, interpelle tant sur la forme que dans le fond. Une comédie américaine satirique qui ne manque pas de surprendre, décriant les relations entre noirs et blancs sur un campus d’université.

Des films autour du racisme aux Etats-Unis, il y en a eu et il y en aura encore. Dear White People s’attache à suivre la marche tout en restant de l’autre côté de la rampe, demeurant ainsi un véritable ovni dans le paysage cinématographique. Justin Simien nous emmène dans les coulisses des plus prestigieuses universités américaines, au cœur des rapports blancs-noirs où se mêlent questions d’appartenances et de dominations.

Le début du film nous projette directement sur le campus de l’université de Winchester où se côtoient différents clans, aux personnalités ou couleurs bien distinctes : le groupe des afro-américains, la bande des intellos à lunettes, celle des fils à papa ou encore des bimbos en plastique. On suit le quotidien de quatre jeunes noirs, lâchés dans le milieu hostile d’une université majoritairement blanche dans laquelle il faut choisir entre lutter ou rejoindre le troupeau. Quatre personnages et autant de perceptions et de manières de s’intégrer ou non, à une communauté au teint plus pâle. De la charmante mais agaçante Sam, désinvolte et rebelle qui n’a de cesse de moquer ouvertement les blancs à travers son émission de radio ; de l’affriolante et extravertie Coco, qui n’a de noire que sa couleur de peau et qui se rêve en star du net ; en passant par Tony l’athlète et élève modèle, aux ambitions de futur président de l’université.

Dès la présentation des personnages, l’overdose de clichés nous submerge, venant rajouter à ces personnages d’autres encore plus caricaturaux que les premiers : le vice-président noir aigri de la place qu’il occupe au sein de l’université devancé par un blanc moins méritant ou encore le brut et insolant élève américain, fils du directeur de l’école. Mais très vite, on sent derrière cette accumulation l’envie d’aller plus loin qu’une simple comédie stéréotypée bas de gamme. C’est une vraie réflexion qui s’installe à travers cette surenchère toujours plus excessive de ces personnages en quête d’identité et de reconnaissance. Qui sommes-nous et quelle est notre place ?

© Happiness Distribution
© Happiness Distribution

Les noirs veulent devenir blancs et les blancs se déguisent en noirs : paradoxe et questionnement sur la race à l’ère post-Obama. Et puis le rythme du film finit par nous emporter avec des scènes drôles et des dialogues incisifs qui ne manquent pas de faire rire la salle aux éclats. Même si on regrette le côté parfois excluant pour la communauté « blanche » qui passera surement à côté de quelques bonnes vannes ou jeux de mots bien trouvés propre à la culture afro-américaine.

Il y a quelque chose d’audacieux et d’arrogant à la fois dans la réalisation de Simien, en jouant la satire sur un sujet polémique et encore très controversé aux USA, il prend tout le monde à contre-pied et déstabilise totalement son spectateur. On ne sait plus quoi penser des personnages ; les moquer, les aimer ou bien les haïr. Prendre parti pour les blancs ou bien les noirs. Tout s’entremêle si brillamment que nous perdons la tête à chercher un sens, peut être inexistant. On se moque, on s’attache, on cogite mais surtout on se marre face à des situations cocasses et des répliques tordantes : « le nombre d’amis noirs désormais requis pour ne pas apparaître raciste vient de passer à deux. Et désolé, cela n’inclut pas Tyrone, votre dealer de shit… » Rajouter à cela une véritable esthétique des couleurs et des décors à la hauteur de l’affiche du film : brillante et haute en contrastes ; des acteurs talentueux et le prix du jury spécial au festival de Sundance 2014 et le tour est joué. Un message transmis et des spectateurs conquis, un bon début pour un premier long métrage.

 « Dear White People », de Justin Simien, sortie au cinéma le 24 mars 2015.




L’amour rend aveugle

Sofie Rimestad, Vincent Macaigne / D.R.
Sofie Rimestad, Vincent Macaigne / D.R.

Le mythe du rêve Américain ne s’applique pas à l’amour. Ce n’est sans doute pas ce que pensait Vincent, en traversant le Pacifique pour rejoindre sa belle : Barbara.

Dans un New York grisonnant, bien loin des posters de salon à la mode, le temps semble figé. Vincent (Vincent Macaigne) est venu rejoindre la femme qu’il aime pour tenter de la reconquérir. Une démarche perdue d’avance pour Barbara (Kate Moran), qui dès le début du film, lui avoue que leur histoire est bel et bien terminée. Sourd à ces paroles, Vincent n’entend pas la laisser filer et ruse de toutes les situations pour la retrouver et la séduire à nouveau. Tombant dans un cercle obsessionnel de plus en plus inquiétant. Il l’a retrouve dans des vernissages, la suit lors de ses balades au parc, ne cesse de parler d’elle aux inconnus dans la rue… Hypnotisé et incapable de voir la beauté du monde en dehors de l’être aimé, il s’enferme dans une routine noir et cafardeuse, trainant chaque soir sa solitude dans les bars de la ville. Il relate son chagrin à qui veut bien l’écouter. Et même quand une jeune femme souriante s’attache à lui et tente de lui redonner le sourire en joignant sa solitude à la sienne, Vincent demeure toujours aveuglé.

Dans son deuxième long métrage, Armel Hostiou nous dépeint une comédie d’amour bien loin des standards habituels dans laquelle le personnage principal est, pour une fois, un être ordinaire, quoiqu’un peu dérangé, bancal. Les dialogues sont absurdes, parfois même déconcertants. Interprété par un Vincent Macaigne bien moins bon que dans « Eden », mais qui, une fois passé le mauvais jeu d’acteur parvient à nous emporter par sa tendresse. Le film nous entraine alors dans un univers mélancolique ou l’amour est à la fois salvateur et destructeur. Vincent y perd petit à petit pied.

On regrette toutefois de nombreuses longueurs. Armel Hostiou peine à garder le spectateur éveillé tant le scénario manque en force et d’attraction. Les personnages peu captivants, les scènes répétitives… Un film dont on ressort vide, sans grande émotion. Un film qui passera certainement inaperçu dans les salles, et c’est peut être mieux ainsi.

 « Une histoire américaine », d’Armel Hostiou, sortie au cinéma le 11 février 2015.




L’amour impossible de Felix et Meira

© Urban Distribution
© Urban Distribution

L’histoire d’amour impossible : un thème récurrent au cinéma. De « Autant on emporte le vent » à « Love Story » ; de l’américaine « Titanic » à la française « Pas son genre » ; de la plus classique « Roméo+Juliette » à la plus moderne « Une éducation ». De celle qui se termine bien « N’oublie jamais » à la plus tragique « La princesse de Montpensier » … le genre ne cesse d’être exploité. Mais alors que l’on pourrait croire le sujet épuisé, certains films réussissent encore la prouesse d’apporter un regard original et singulier autour de la rencontre de deux êtres que rien ne prédestinaient à se rencontrer et s’aimer.« Felix et Meira » est l’un d’entre eux.

Félix et Meira c’est l’histoire d’une rencontre improbable, d’une attirance interdite, de deux êtres que le malin hasard décide de rassembler ; au détour d’une ruelle, d’un restaurant, d’un hall d’escalier. Elle, femme juive orthodoxe, mère au foyer prisonnière d’une communauté dont elle ne partage pas les valeurs. Lui, homme indépendant, sentimentalement instable, qui n’a d’autre activité que de dilapider l’argent familial. Meira, jouée par la talentueuse Hadas Yaron (Meilleure interprète féminine à la Mostra de Venise 2012 pour son rôle dans « Le cœur à ses raisons »), n’est pas heureuse dans sa vie de femme au foyer. Elle s’échappe en dessinant des objets, des meubles, dans son petit carnet secret. Mais le dessin, c’est interdit au sein de sa communauté. Comme bien d’autre plaisir de la vie telle que la musique, qu’elle écoute aussi en cachette. Les femmes ne sont à leur place qu’à la maison, à s’occuper des enfants, coiffées d’une immonde perruque brune en carré et toutes vêtues d’une même robe noire. Il leur est interdit de parler aux gens extérieurs à la communauté ou encore de croiser le regard d’autres hommes. Une prison invisible de laquelle Meira cherche doucement à s’extirper et accélérée par sa rencontre avec Félix (Martin Dubreuil).

C’est à travers son deuxième long-métrage, que le réalisateur Maxime Giroux, a choisi de nous conter cette histoire d’amour contemporaine et originale, en dehors des codes des comédies romantiques classiques. Avec douceur et sans trop en faire, il parvient à filmer la passion, l’amour, sans jamais recourir à la facilité. Ainsi, on ne voit jamais les deux amants s’embrasser, c’est tout au plus si ils s’enlacent. L’amour est subtil, suggéré plus que donné en spectacle. Pas de long discours, aux oubliettes les « Ô Roméo! Roméo! pourquoi es-tu Roméo? », place au silence et au jeu de regard.

Maxime Giroux réalise un travail quasi-documentaire, doublé d’une critique acerbe de la communauté juive orthodoxe. Leurs coutumes, leurs habitudes, la condition et la place de la femme … tout y est abordé avec justesse. L’un des acteurs principaux du film, Luzer Twersky, jouant le rôle de Shulem (le mari de Meira) étant lui même un ancien membre de la communauté. Il retrace avec authenticité un quotidien, une philosophie de vie, des valeurs : le sens de la famille, le respect… Et les difficultés auxquelles se heurtent ceux qui veulent s’en détacher. Le départ de la communauté étant irrémédiable et entrainant une rupture totale avec ses amis et le reste de sa famille. Meira emportée par son amour pour Félix, se délivrera peu à peu de sa condition, pour se révéler en tant que Femme. Elle fera l’amusante découverte du pantalon jean qui empêche de respirer, de la danse dans les bars de nuit, de la liberté d’être ce qu’elle est. Chaque minute du film nous réjouit de découvrir un bonheur retrouvé, des joies quotidiennes que l’on fera nous même plus attention à apprécier.

Mais alors que la fin du film nous paraissait déjà tracée, sous fond de « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant », Maxime Giroux y dérègle une nouvelle fois. Achevant son récit, sur un plan des des deux personnages dans une gondole à Venise, sans que l’on puisse réellement savoir ce qu’il adviendra d’eux et de leur amour. Agaçante, frustrante, trop facile diront certain ; je dirai plutôt déroutante ou authentique, à l’image du film. A croire que les histoires d’amours impossibles restent un sujet inépuisable aux mains de talentueux réalisateurs.

« Felix et Meira », de Maxime Giroux, sortie au cinéma le 4 février 2015. Durée, 1h45.