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Stephen Hawking ou l’optimisme

ddie Redmayne / Copyright : Universal Pictures
Eddie Redmayne / Copyright : Universal Pictures

« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », tels sont les mots retenus à la fin de la projection du dernier film de James Marsh. L’histoire d’un des génies du XXe siècle : Stephen Hawking, brillant mathématicien et physicien britannique, qui révolutionnera le champ de la cosmologie. Un film biographique donc ; de ses années universitaires à son grand amour en passant par le combat contre sa maladie.  

Dans les années 60 à l’université de Cambridge se balade un jeune homme qui marquera son siècle. Doué, il résout à lui seul des énigmes dont personne n’est capable. Pourtant ce jeune étudiant à qui tout promet, apprend qu’il souffre d’une malade dégénérative : appelé maladie de Charcot. Il ne lui reste plus que deux ans à vivre avant d’être totalement privé de son corps, perdant l’usage de chacun de ses membres ainsi que la parole.

Une merveilleuse histoire du temps, c’est le récit de ce prodige : condamné à vivre dans un corps qui ne lui appartient plus et de se battre pour faire entendre des idées qui peuvent changer la perception de l’univers. Le récit d’une bataille contre le temps, la perte de contrôle et la mort, leçon d’espérance et d’optimisme, qui n’est pas sans rappeler le très beau film de Julian Schnabel « Le scaphandre et le papillon ». Mais c’est aussi et surtout, le récit d’une femme, Jane Wilde. Qui fut sa compagne pendant des années et la mère de ses trois enfants. Et qui « sacrifia » sa vie pour qu’il puisse continuer à vivre la sienne.

Témoignage de vie et d’amour ; bouleversant de réalisme grâce au jeu irréprochable des deux acteurs principaux Eddie Redmayne et Felicity Jones, tout deux nommés comme meilleurs comédiens aux oscars cette année. Felicity Jones nous offrant une somptueuse palette d’émotion d’une incroyable justesse : tantôt fragile puis forte, souriante puis sombre. Mais c’est vraisemblablement la performance d’Eddie Redmayne qui donne à ce film toute sa profondeur : dégradation physique impressionnante, expression du visage… Il incarne ici la véritable relève du cinéma britannique.

À la réalisation, James Marsh, nous berce du début à la fin ; nous entrainant avec la douceur de la bande originale de Jóhann Jóhannsson et nous emportant avec la beauté des images et des couleurs. Cela sans jamais tomber dans le côté larmoyant, que peut susciter un sujet aussi fort que la maladie. Il ne tire que les beaux côtés de vie avec simplicité et nous rappelle à quel point la vie vaut d’être vécue.

« Une merveilleuse histoire du temps », de James Marsh, sortie au cinéma le 21 janvier 2015. Durée, 2h33.




Au Nord-Mali, la terrifiante poésie du monde

Copyright : Le Pacte
Copyright : Le Pacte

« Timbuktu » a été présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Ce long-métrage, quasi documentaire, retrace l’occupation du nord du Mali par des djihadistes en 2012. Une fiction poétique et politique réalisée par le Mauritanien, Abderrahamane Sissako, injustement repartit de la Croisette dans une grande discrétion.

Né d’un fait-divers — la lapidation d’un couple dans le nord du Mali — Timbuktu est un de ces films investis d’une mission : montrer ce qui passe inaperçu aux yeux du monde. Une population prise en otage, des hommes, des femmes, des enfants opprimés, humiliés, captifs, dans un village dirigé par les extrémistes où les interdictions se multiplient. Interdiction de jouer au football, de fumer, de chanter ou d’écouter de la musique, interdiction de trainer dans les rues…

Tour à tour, le film est émouvant, brutal, étonnant sans jamais tomber dans le spectaculaire ou les clichés. L’histoire se contente de nous porter lentement à travers des paysages (le soleil couchant sur le fleuve Niger, les dunes de sable), des personnages (un berger et sa famille installés à l’écart du village pour échapper à l’emprise djihadiste, une sorcière qui erre dans les rues un coq perché sur son épaule). Sissako nous ravit d’une belle mise en scène, très pudique, variant plans larges et concentrés qui donnent à ses propos toute leur intensité.

Mais derrière cette beauté, il y a la terreur. La terreur d’une population perpétuellement menacée, telle cette femme forcée à porter des gants pour vendre son poisson sur le marché ou cet homme à qui l’on oblige de retrousser son pantalon. Les mariages forcés, les coups de fouet et les lapidations, autant de scènes filmées représentant le terrible quotidien de ces habitants. Il y a cette jeune fille qui pleure, promise à un homme dont elle ne veut pas, il y a cette femme qui hurle sous les coups pour avoir chanté la nuit dernière et puis ce berger, Kidane, dont on suit le chemin jusqu’à sa mort, l’apothéose du film.

Le sujet violent n’est pas abordé sans humour. On se surprend parfois à rire de l’absurdité de certaines situations (les cours de conduites improvisés entre deux djihadistes par exemple). C’est globalement la représentation de ces djihadistes comme des hommes aveuglés par le fanatisme qui nous prête à sourire, eux-mêmes n’étant pas convaincus de leur propre engagement. L’autre élément humoristique du film, c’est la multitude des langues, qui vont créer des scènes de communications impossibles et ajouter un caractère ridicule aux échanges humains. Malgré ces touches perçantes, « Timbuktu » demeure surtout un film révélateur, beau et nécessaire.

Timbuktu, de Abderrahamane Sissako, sortie au cinéma le 10 décembre 2014. Durée, 1h37.




« Praia do futuro » : conte gay dépassé

© Epicentre Films
© Epicentre Films

Il y a de ces films dont vous sortez changés, avec une vision différente des choses, un regard neuf. Des films qui vous font voir le monde autrement, vous passionnent pour des vies et libèrent des idées reçues. Et puis il y a les autres, comme « Praia do Futuro », littéralement « La Plage du Futur ».

Ils sont deux motards, roulant à vive allure dans un désert au son du très grinçant groupe Suicide. Puis, une plage apparaît. C’est le drame : le vent et des vagues mortelles emportent les deux hommes. Donato, un sauveteur Brésilien, n’a pas le choix : il ne peut en sauver qu’un. Le destin lui choisit Konrad, un touriste allemand dont il tombe instantanément amoureux. Pour vivre cette histoire d’amour, il quitte et brise les liens avec famille et amis puis part le rejoindre à Berlin. Quelques années plus tard, son petit frère Ayrton, débarque dans la capitale allemande, annonçant tel un Camus du XXIe siècle, « maman est morte ».

 

Ce long métrage est-il censé apporter un nouveau regard sur l’homosexualité (il a été présenté en ouverture du festival du film LGBT « Chéris Chéris » en 2014) ? Rien n’est moins sur, au contraire tant tout semble dépassé : « Praia do Futuro » est digne des films gays tels qu’ont les faisait il y a 20 ans. On y retrouve des acteurs homosexuels en perpétuelle recherche de soi, sans attache et à la sexualité forcément sauvage (on pense notamment à une scène de baise dans une voiture). Des éléments clichés qui nous empêchent de nous attacher sincèrement aux acteurs, Wagner Moura (Donato) et Clemens Schick (Konrad) qui brillent pourtant dans leurs rôles respectifs. Le manque de dialogue n’y arrange rien, le réalisateur Karim Aïnouz mettant à l’honneur les sensations, il laisse la place à de nombreuses scènes muettes.

Au-delà du mélodrame amoureux, c’est le portrait d’un jeune Brésilien en pleine évolution que nous chante le réalisateur, traitant à la fois des racines, du lien fraternel ou encore de l’absence, tout cela construit autour de longues ellipses temporelles et géographiques. Le film passe des couleurs chaudes à la grisaille, d’une année à sept ans après, sans suivre de liens logiques. C’est alors la torpeur qui s’empare de nous petit à petit, tant le film manque de profondeur et de cohérence. Suivre la vie d’un homme ennuyeux ne peut que l’être pour le public. On attend cette scène, celle qui nous colle au siège, qui nous décroche de cette lenteur interminable… en vain

Le film se termine comme il a commencé : sur une plage, sur fond de retrouvailles fraternelles et amoureuses. Laissant s’échapper trois hommes dans le brouillard. Celui-ci même dans lequel nous restons une fois l’écran devenu noir.

Praia do Futuro, de Karim Aïnouz, sortie au cinéma le 3 décembre 2014. Durée, 1h46.




« Eden », visé mais pas touché

© Ad Vitam
© Ad Vitam

Sur le papier l’idée semble bonne : faire revivre le début de la musique électronique dans les années 90 à travers un duo d’ami DJs (les « Cheers »). Malheureusement sur grand écran, ce n’est pas complètement réussi. Mia Hansen Love nous présente un Eden qui ne rappelle en rien ce lieu de délice et de jouissance tel qu’il est décrit dans la Bible, tant le plaisir manque pendant la projection.

L’histoire s’inspire de la vraie vie du frère de Mia, Swen Hansen Love, véritable acteur et spectateur de l’âge d’or des soirées parisiennes électroniques des années 90. Pendant plus de 2h20, elle retrace son parcours à travers le personnage de Paul (Felix de Givry). Ce musicien passionné, voir obsédé, enchaîne les histoires d’amours ratées et oscille en permanence entre euphorie et mélancolie. On suit également son ami Stan (Hugo Conzelmann), autre moitié du duo « Cheers ». Se déroule devant nous la véritable ascension du groupe, plongés dans les folies et autres dangers du monde de la nuit.

Eden

Malgré une bande son réussie et plutôt bien sélectionnée (on regrette cependant l’omniprésence des Daft Punk, un peu trop convenue), le film peine à nous faire entrer dans l’univers de la french touch tant promis. Les scènes se succèdent et se ressemblent, sans intérêt singulier. Les dialogues sont douceâtres et participent à nous faire sombrer petit à petit dans un état soporifique. L’amour, la vie, l’amitié, la mort tout y passe et le spectateur trépasse tant chaque sujet est abordé superficiellement.

Drogue, alcool et sexe ne sont que partiellement évoqués, dans un univers que l’on sait bien loin de celui des Bisounours. La disparition soudaine de l’addiction de Paul aux drogues en est sans doute le parfait exemple. Tout cela est à l’image de son personnage : totalement bancal. Des incohérences, nombreuses, qui composent l’ennui. Ce grand gamin, incapable de prendre sa vie en main est témoin de son propre déclin. Semblable à celui de la musique garage au fil de ces fameuses années. Il passe d’ailleurs la deuxième partie du film à courir après son paradis perdu, contraint de toujours s’endetter et à vivre dans la précarité, tel ces adultes adolescents que l’on aurait bien envie de réveiller à coup de mandales.

Mia Hansen Love signe avec ce cinquième film, un flashback décevant dans lequel rien ne donne envie de nous dire « One more time ».

Eden, de Mia Hansen Love, sortie au cinéma le 19 novembre 2014. Durée, 2h20.



À la recherche du Soi perdu

Sélectionné aux festivals de Sundance et de Venise de 2013, May in the summer est le deuxième film de Cherien Dabis et s’inscrit dans la continuité d’Amerrika (2009). Si celui-ci traitait de la place des Arabes dans la société américaine, celui-là s’attelle à son pendant : comment se vivre femme américanisée dans la société arabe.

hanane articleMay Brennan (interprétée avec brio par la réalisatrice elle-même) revient dans sa famille en Jordanie après quelques années de fuite et d’exil avec son livre publié en poche. La raison de ce retour réside dans l’organisation de son mariage. On découvre alors que ce jour censé être le plus beau de sa vie n’est au final que source de problèmes et d’angoisses. May est la fille d’un diplomate américain et d’une palestinienne chrétienne alors que son fiancé Ziad, brillant universitaire, est musulman. La mère de May (grandiose Hiam Abbas, hilarante en mère folle de Dieu) ne voit pas cette union d’un très bon œil et ne s’en cache pas. Mais ce n’est pas son seul souci, pilier de la famille elle-même perdue, May doit affronter ses craintes et ses faiblesses dans une milieu en perte de repères. Malgré tout, May vit une relation presque fusionnelle avec ses deux sœurs cadettes, Dalia et Yasmine, aux mœurs très modernes. Ce film montre ainsi des histoires de famille comme nous en vivons tou-te-s, et dresse le portraits de femmes libérées ou souhaitant l’être envers et contre tout.

La réalisatrice parvient à capter au travers de sa caméra la beauté de la Jordanie, aussi bien Amman que le désert de Wadi Rom et filme avec le même talent, la société jordanienne. On découvre les contradictions d’une jeunesse désillusionnée, en quête de liberté la nuit en discothèque ou la journée au bord de la mer Noire, et on jubile face aux regards tantôt méprisants, tantôt libidineux, souvent choqués des Jordaniens, face à May faisant son jogging tel qu’elle le ferait à New-York. Si l’on peut reprocher à Cherien Dabis un film parfois trop travaillé, à l’écriture trop poussée et manquant un peu de naturel, concédons-lui le mérite de ne pas tomber dans le travers d’un « Roméo et Juliette » à la sauce des mille et une nuits, le mariage mixte devenant au final un thème très secondaire.

Ce film est un cheminement intellectuel sur la recherche et la connaissance de soi, une réflexion philosophique sur la foi, le doute (religieux ou non) et les certitudes. Mais c’est aussi une chronique sociologique qui s’attache à la famille et à notre interaction avec les autres, identitaire bien sûr et politique aussi avec, en filigrane, le conflit outre-frontière et la question du statut du réfugié palestinien.

 

Film (Jordanie, USA, Qatar) de Cherien Dabis avec Cherien Dabis, Alia Shawkat, Nadine Malouf, Hiam Abbas, Bill Pullman et Alexander Siddig
Durée, 1 h 39.




Deconnexion – Le Film

Je suis en pleine dépression, ma box reste bloquée en étape 3, le « chenillard » me nargue, tourne en rond depuis 48 heures, l’assistance téléphonique m’assure que mon appel va être pris en compte dans moins de 1 250 minutes, je dois réserver mes billets d’avion, payer mes impôts, mes amendes, consulter mes comptes…. Arrgrrhhh  je craque et …. Je me réveille. Non tout va bien, l’heure est bien affichée, 06h32, mon débit internet est rapide, mon pouls revient à la normale, je revis. Il devait s’agir d’une réminiscence de la projection du court métrage Déconnexionfisheye

Dans une chambre au décor post apocalyptique résultat de la rencontre entre Valérie Damidot et Marc-Emmanuel, Théo trentenaire pré-pubère n’a qu’une obsession : rester connecté à son monde virtuel, être le roi en son royaume, pouvoir le maîtriser, mais il en est qu’esclave. Echanges de mails, de SMS, de tchats, ponctués de LOL qui prendront tout leur sens à la fin. Théo joue, ment à Léa sa petite amie, dévore pizzas Gang Bang et sites pornos 4 fromages, puis son beauf Tristan l’appel…

Jérémie Prigent et François Rémond auraient pu réaliser un documentaire de trois heures avec témoins floutés et voix off au ton grave sur la dépendance au web et ses effets secondaires, mais ils ont pris le parti d’un court métrage totalement décalé de 13 minutes. Financé via le site participatif KissKissBankBank [dont 90% consacré à ma rétribution pour l’écriture de cet article (c’est que j’ai des frais merde !)]. Ce court métrage à la réalisation soignée et pointue ne laisse place à aucune imperfection, le moindre détail a son importance et plusieurs projections seront nécessaires pour en percevoir les différents niveaux. Vous l’aurez compris le second degré est le fil conducteur de cette production millimétrée. Une mention spéciale pour les participations de Jean-Claude Dreyfus que l’on retrouve avec bonheur dans ce rôle cynique et Allyson Glado dont la tirade (entre autre) restera à jamais gravée dans ma mémoire.

sexe

Après tout ça, je retourne à mes travers, mon compte Facebook, check mes tweets, mate les photos sur Instagram, rafraichi mes 18 boites mails, tombe sur un message d’Aurélia de Côte d’Ivoire, raide dingue de moi, m’assure qu’elle m’aime d’amour contre 15 000 € , ou de Guillaume qui me propose des pilules pour gagner 2 cm minimum, c’est que je n’étais pas complexé jusque-là, mais heu !  Quoi ? Comment ? D’ailleurs je ne connais pas de Guillaume et puis y paraît que ce n’est pas la taille qui compte, c’est un « court-métrage ».

Bande Annonce – Deconnexion

Titre : Déconnexion
Court métrage (2014), durée : 13 minutes
Sélectionné au festival Eiddolon (Lens) et au festival international de Binic (Côtes d’Armor)

Prochaine projection : lundi 14 avril 2014 au bar Le Paname (Paris 11ème)

Réalisation : Jérémie Prigent et François Rémond
Scénario et dialogues : Jérémie Prigent

Production : Southwind Productions / Ataraxie Productions

Distribution : Nicolas Ullmann (Théo), Dounia Coesens (Léa), Baptiste Lorber (Tristan), Anna Polina (Anna), Jean-Claude Dreyfus (Vendeur de chiens), Allyson Glado (Petra), Karleine (Irina).

Site : www.deconnexion-lefilm.com
Facebook : https://www.facebook.com/deconnexion.lefilm?fref=ts

 

 




IDA. Celle qui croyait au ciel, celle qui n’y croyait pas.

Dans la Pologne des années soixante, Anna, une jeune orpheline élevée dans un couvent s’apprête à prononcer ses vœux. A la demande de sa mère supérieure, elle quitte quelques jours son austère couvent pour rencontrer sa tante, dernier « vestige » d’une famille juive décimée pendant la Seconde Guerre mondiale. En réalité, Anna s’appelle Ida Lebenstein et ce patronyme n’est que la première d’une longue liste de surprises. Sa tante, ancienne procureure stalinienne consomme les hommes et les bouteilles de vodka plus vite que sa nièce n’égraine son chapelet. Ensemble, elles vont se rendre dans le village où vivaient les parents d’Ida pour tenter de comprendre ce qui leur est arrivé. Mais ce que découvre Ida sur les routes de campagne polonaises, c’est moins l’histoire de sa famille que la vie hors du couvent …

Ida soeursBeau et minimaliste, le dernier film de Pawel Pawlikowski (mais le premier réalisé depuis son retour en Pologne) tourne autour de trois personnages. Celle qui croyait au ciel, Ida ( Agata Trzebuchowska), est une nonne juive belle et silencieuse qui n’a connu que les murs gris de son couvent. Les prières, les tâches répétitives et les repas silencieux en réfectoire ne semblent pas la déranger. Extraite contre son gré de ce cocon, elle découvre la violence de son histoire familiale et les charmes d’un jeune musicien. Mutique et lumineuse, elle dégage une étrange présence. Celle qui n’y croyait pas (au ciel), sa tante Wanda (Agata Kulesza) est une « juge rouge », de ceux et celles qui envoyaient à la potence « les ennemis du peuple » pendant les années staliniennes de la Pologne. Dure et meurtrie, elle incarne l’ordre et le désordre de ce pays d’après-guerre tout en grisaille. En enchaînant les clopes, les hommes bedonnants et les verres de vodka, elle cherche maladroitement à se soustraire à une vie de souffrance. Comme sa nièce pourtant, elle ne semble pas faite pour vivre une vie « ordinaire ». Quant à Lis ( Dawid Ogrodnik), le jeune musicien de jazz, il incarne à lui seul tout l’avenir de son pays. Seul autre personnage récurent du film, il offre aux deux femmes une alternative et donne à voir une autre Pologne, plus légère, nécessaire, sans passé et sans attache.ida 2

Tourné en noir et blanc, ce road movie surprend par sa beauté et son minimalisme. Chaque plan, chaque image est d’une rare perfection. Lukasz Zal, le directeur de la photographie du film s’essayait pourtant au cinéma pour la première fois. Une réussite. Gage de grâce, le noir et blanc semble s’imposer comme la promesse d’une histoire intemporelle. Finalement, l’image est comme l’intrigue, sans superflu et donc sans ennui. Le film de Pawel Pawlikowski est réussi.

 

Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Aragon, La rose et le réséda

 

 

Pratique : Ida, film polonais en salle le 12 février 2014 (1h19min)
Réalisé par Pawel Pawlikowski avec Agata Trzebuchowska, Agata Kulesza et Dawid Ogrodnik dans les rôles principaux.

 




Greenaway, Goltzius et le porno-biblique

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Après avoir mis en scène Rembrandt dans « La Ronde de Nuit » en 2007, Peter Greenaway a décidé de filmer un épisode de la vie du graveur Hendrik Goltzius dans un film éponyme : « Goltzius et la Compagnie du Pélican ».

Goltzius et sa Compagnie sont à la recherche d’un financement pour créer un atelier de gravure à La Haye. Le Magrave d’Alsace, chez qui ils sont de passage, accepte d’ouvrir sa bourse à une condition : qu’ils lui jouent sur scène durant six nuits les gravures érotiques promises en échange de son investissement. Ces dessins ont pour ambition de mettre en scène six tabous sexuels auxquels correspondent six scènes de la bible : le voyeurisme (Adam et Ève), l’inceste (Loth et ses filles), l’adultère (David et Bethsabée), la pédophilie (Joseph et la femme de Putiphar), la prostitution (Samson et Dalila), et enfin la nécrophilie (Salomé et Jean-Baptiste).

Cet épisode de la vie du graveur est complètement fantasmé, sa biographie nous apprend qu’il a eu les moyens d’ouvrir son atelier grâce à son mariage avec une veuve fortunée. Spectateur à la recherche d’un film biographique, fuis !

Peter Greenaway offre ici sa lecture d’un XVIe siècle complètement débauché et où les mœurs des puissants conduisent aux pires horreurs, en ce sens (et en ce sens seulement), il nous fait penser à une version édulcorée de Salò ou les 120 jours de Sodome de Pasolini. Ce jeu qui débute comme une simple farce pornographique se termine dans le sang, et la morale donnée par le personnage de Goltzius est effrayante de modernité. Cette modernité si essentielle au cinéma de Greenaway qui rapproche incessamment l’Histoire à la vie contemporaine. Les clins d’œil à ce sujet sont permanents, volontairement anachroniques, et ils sont flagrants principalement dans l’esthétique du cinéaste.

Chaque scène est un magnifique tableau. Tout le film a été tourné dans un hangar moderne désaffecté. Le réalisateur y installe, selon les scènes, l’ameublement nécessaire à la narration. Le mélange des genres est très réussi et les couleurs chaudes et sombres du XVIe siècle hollandais se marient à ravir avec les poutres métalliques et les perspectives profondes. La prison est également une réussite en matière de décor, elle est une véritable création piranésienne mise en mouvement. Le mélange des temps se ressent aussi dans la musique de Marco Robino, une sorte de baroque aux accents mélancoliques aussi très anachronique. Le film met néanmoins notre culture visuelle à contribution : les scènes sont parfois entrecoupées par la projection d’œuvres de Goltzius, ainsi que de reproductions picturales d’oeuvres de grands maîtres ayant représenté les péchés joués sur scène par la Compagnie du Pélican.

La mascarade est portée par un groupe d’acteurs justes, dont Goltizus (Ramsey Nasr) se démarque particulièrement dans son rôle de narrateur cynique dont chacune des phrases est parsemée d’ironie et d’humour noir. L’illustre compagnie du Pélican devient dans sa bouche « une petite entreprise d’import-export », la représentation des vices par les peintres : une manière puritaine d’exposer leurs fantasmes à tous (et si Greenaway nous exposer ses fantasmes à travers ce film?)… Cru, piquant, subversif, mais finalement assez sage, ce Goltzius de Greenaway est beau, mais pas transcendant.

Pratique : « Goltzius et la Compagnie du Pélican » sortira sur les écrans français le 5 février 2014.




Delanoë, la libération… Enfin ?

Delanoë

Yves Jeuland nous a habitués à mettre son service au talent de la politique française [1. Il a réalisé, entre autres, « Camarades, il était une fois les communistes français » (2004), « Un village en campagne » (2008), « Le Président » (2010). Ce dernier porte sur la campagne de Georges Frêche pour conquérir la région Languedoc-Roussillon.], la livrant telle qu’elle est aux yeux du spectateur, souvent cruelle et manipulatrice. Avec « Delanoë libéré », c’est un autre exercice auquel se consacre le réalisateur, puis qu’ici, il se donne une place (corps et voix) au casting. Il est installé avec Bertrand Delanoë dans un studio de tournage (bien que toujours de dos), et c’est lui qui mène l’entretien avec celui qui, en mars 2014, portera le titre (honorifique!) d’ancien maire de Paris.

Le contexte est intéressant : le maire socialiste (le premier à Paris depuis 1 siècle !) ne se présentera pas à sa succession [2. La candidate du Parti Socialiste est une « lieutenant » de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo.], il est « libéré » d’engagements futurs et peu donc dresser une sorte de bilan. Une « sorte », car ce n’est pas un bilan politique qu’il faut s’attendre à voir ici, encore moins un bilan de mandat. Quel intérêt à dresser ce dernier pour soi-même si ce n’est pas pour être réélu ? C’est donc un bilan humain qui s’écrit pendant ce film, comme le récit d’une vie, d’un homme, de ses souvenirs, avant son retrait de la vie publique.

Jeuland n’en est pas à son premier documentaire où Delanoë a un rôle important. Il y a douze ans, il tournait un film baptisé « Paris à tout prix ». Diffusé en deux épisode sur Canal+, il montrait tout de la bataille que les candidats se livraient entre eux pour l’Hôtel de Ville. Ce documentaire s’arrête sur la proclamation des résultats. La caméra était restée à l’entrée, elle a attendu patiemment la sortie. C’est d’ailleurs avec plusieurs images de ce premier documentaire que s’ouvre « Delanoë libéré ».

Filmé de trois-quarts on voit monsieur le maire regarder les images, on profite ainsi de ses réactions. Il donne l’apparence d’un homme simple, au regard fatigué, sans être agacé, qui est assis face à nous. Fait rare pour un homme politique : il s’exprime en bon français, dans cette voix grave de fumeur de cigarillos couronnée d’une légère intonation de dandy, que même l’auditeur occasionnel lui connaît. On le voit en ami de Lionel Jospin, admirateur de Gaston Defferre, inséparable de Dalida… Cette dernière qui l’accompagnait dans les rues du 18e arrondissement au soir de sa première élection en tant que député pour fêter la victoire en 1981.

C’est un vieux combattant qui porte maintenant un regard façonné par la maturité et l’expérience sur sa propre vie. Une naissance à Bizerte en Tunisie, son mai 68 à Rodez, sa montée à Paris quand il avait 24 ans et les engagements menés alors. Il parle des leçons données par ses parents, qui n’ont pas connu son ascension brillante. L’occasion pour lui de revenir sur l’un de ses grands combats face à lui-même : contre l’orgueil, un vieux démon dont il donne l’image de s’être complètement libéré aujourd’hui. Il commente aussi son coming-out, réalisé à fin des années quatre-vingt dix et se félicite du fait qu’aujourd’hui « le maire de Paris soit homosexuel, et que tout le monde s’en foute ! ». Il assume son célibat, ou plutôt, sa liberté encore une fois, confessant que jamais « [il] ne veut se priver d’une affection naissante ». La liberté, véritable luxe de cet homme sans téléphone portable, peut-être…

Il y a aussi une certaines douleur et peut-être un peu de regret quand il revient sur ses échecs internes du parti Socialiste. Fataliste, il commente : « c’est que cela ne devait pas arriver ». Douleur également, mais philosophie aussi, quand il repense à la tentative d’assassinat dont il a été victime à l’Hôtel de Ville ce samedi soir de 2002, lors de la première édition des Nuits Blanches, il dira qu’il « se peut que cela [lui] ai apporté un peu de sagesse ».

Enfin, la question de savoir, pourquoi il s’arrête là ? Alors qu’il aurait tout a fait pu être réélu si cela l’avait intéressé ? [3. Bertrand Delanoë avait annoncé dès son élection qu’il n’exercerai que deux mandats à la tête de Paris.] Delanoë répond qu’il a « admiré deux grands maires : Defferre et Chaban-Delmas, et que ces deux ont fait quelques mandats de trop ». Il préfère donc penser à l’après mars 2014, imaginant sa vie entre « voyages, plage et copains », sans pour autant écarter toute possibilité de responsabilité politique, disant en substance que si on lui confiait une « mission », il ne la refuserait peut-être pas…

Comme à son habitude, Yves Jeuland et son équipe ont le génie pour faire voir l’humanité dans le héros et comment celui-ci arrive, d’une certaine manière, à nous le faire aimer. Ils construisent une histoire autour de ce sujet qui ne semble pas forcément évident au départ. Et pourtant, on comprend tout. On s’intéresse à chaque minute du film même si on ne connaît pas grand chose de l’homme au départ [4. C’est le cas de l’auteur de cet article.]. Le mélange entre images d’archives, interview et clins d’œil musicaux (chers à Jeuland) donne un bel équilibre à l’ensemble, on ne relève pas de longueurs ou de détail qui viendrait en gâcher l’harmonie.

Ce documentaire mérite l’attention du spectateur amateur ou non de jeux de pouvoirs. Il offre l’image intéressante d’un homme politique peut-être un peu plus vrai que les autres ? Assurément vrai, car (volontairement) libéré !

« Delanoë libéré » sera diffusé le 18 octobre sur France 3 à 23h10




Prêts pour une descente dans la poudreuse

Pas question de ski.
Du free ride éventuellement.
Beaucoup de freestyle ça c’est sûr.
Et de la poudreuse à foison.
De la poudreuse et des diamants.
Mais ces diamants là ne sont pas éternels.
N’est pas éternel non plus le délire qu’ils procurent.
Ce serait trop simple.
Une montée et c’est fait.
Rester perchés pour l’éternité.
Loin de la réalité.
Loin du doute.
Loin des emmerdes.
Il paraît qu’il est libre Max, il paraît que y’en à même qui l’ont vu voler.
(Désolé pour la référence …)
Ça c’est certain.
Il a plané même.
Aux yeux de tout le monde.
Même des flics.
Mais tel Icare des temps modernes, il a vite fait de se brûler les ailes.
Avec en guise de soleil, les emmerdes du quotidien.
Et un souvenir qui ne part pas.
Un souvenir qui le terrasse.
Un souvenir qui le hante.
Celui d’un père parti trop vite.
Parti trop tôt.
Parti d’un coup d’un seul.
Parti d’un coup d’un gun.
Pas de coup d’essai dans la vie.
Pas de générale.
Une seule représentation.
Toute sortie est définitive.
L’homme doit se connaître.
Pour son bien.
Pour celui des siens.
Sinon il se bouffe.
Il se torture.
L’esprit.
Le corps.
Le coeur.
Il devient cannibale.
Cannibale.
Bienvenue.
En pays cannibale.

Ouf … On reprend son souffle. On respire. L’air frais à la sortie de l’Archipel ce dimanche soir est le bienvenu. Pour son premier long métrage, Alexandre Villeret a mis la barre haut. Et le rythme qui va avec. Road-movie en noir et blanc, aux airs de La Haine, avec les héros de Trainspotting. Ou ses faux héros. Mise en abîme d’un documentaire express. 48h de la vie d’un dealer, à travers ses potes, ses filles, ses clients, ses shoots, ses montées, ses descentes. Autant de chapitres que de personnages et de personnalités. De Madame Fanta au Gros Louis en passant par Marie, les séquences s’enchaînent, ne laissent pas de répit. Le spectateur monte avec les personnages. Jusqu’à la chute. La chute finale. Tout un monde qui s’écroule devant le poids des souvenirs et la pâleur des illusions.

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Réalisateur
: Alexandre Villeret
Auteurs : Alexandre Villeret et Aymeric de Heurtaumont
Image : Jean-Baptiste Rière
Son : Clément Martin
Costumes : Jérémy Baré
Montage : Charlotte Teillard d’Eyry et Alexandre Villeret
Producteur délégué : Aymeric de Heurtaumont
Produit par : Takamaté Films, Tracto Films, Shaman-Labs et Commune Image
Distribué par : Commune Image Media et Takamaté Films en association avec La Vingt-Cinquième Heure

Avec :
Max : Axel Philippon
Lenny : David Saracin
Yoann : Ivan Cori
Angelo : Jo Prestia
Marie : Sophie Chamoux
Joséphine : Magdaléna Malina
Nathalie : Dany Verissimo
José : Shamzy Sharlézia
Lady Fanta : Claire Amouroux
Mon adjudant : Yves Pignot
Dexter : Dexter Dex Tao
Gros Louis : Thierry Nunez

 

 




Voyez vite les magnifiques Invisibles !

 

Tomber amoureuse d’un homme à 77 ans, c’est beau !
Et d’une femme ?

Les Invisibles sont toutes celles et ceux qui n’ont ou n’existent toujours pas aux yeux de la société, de leurs voisins, ou même de leur famille.
Pour quatre minuscules lettres : H-O-M-O.

Ils sont ignorés, de crainte qu’ils ne choquent, ne fassent de scandale en revendiquant haut et fort leurs orientations. Le mouvement soixante-huitard est déjà loin, et pourtant les frontières de la société ont à peine bougé.

Qu’il est surprenant de mettre en regard la rapidité dans l’évolution des technologies qui nous entourent avec l’inertie de notre société et l’inertie des consciences.

L’endroit n’est pas approprié pour des « pour » ou « contre » sur la question du mariage homosexuel.

Il est par contre tout à fait désigné pour présenter ce bijou de cinéma qu’est le documentaire de Sébastien Lifshitz.
Loin de toute impudeur, plein d’humour, de légèreté et de poésie, les portraits et scènes de vie qui défilent devant nos yeux nous font rire, pleurer, espérer tout à la fois.

D’autant plus que le récit est servi par des anonymes, dont beaucoup d’acteurs professionnels pourraient s’inspirer. Ils sont naturels devant la caméra, ne s’encombrent pas de fausse pudeur, et nous embarquent en quelques secondes dans le récit de leurs vies. Des vies qui durent pour la plupart depuis maintenant plus de 70 ans, qui ont connu des hommes, des femmes, des hommes et des femmes, et dont tous sont fiers et heureux.

Une formidable leçon de vie, d’espoir et d’amour !

 

Réalisation : Sébastien Lifshitz
Photographie : Antoine Parouty
Durée : 115 minutes
Distribution : Yann et Pierre, Bernard et Jacques, Pierrot, Thérèse, Christian, Catherine et Elisabeth, Monique, Jacques

 

 




[Homeland] Il est « pas terroriste », il est « pas anti-terroriste »?!

Ambiance? Agents secrets, marines, Washington D.C, dossiers confidentiels et guerre en Irak.
Contexte? Amérique colosse au pied d’argile.
Terrorisme? Talon d’Achille.
Roux? Héros.
Bipolaire? Héroïne.

Homeland est une adaptation d’une série israélienne nommée Hatufim, créée par Gideon Raff. Dans ses épisodes d’une heure environ, elle réunit un casting intéressant pour des personnages complexes et un suspens digne des meilleurs thrillers. L’intrigue s’enracine dans une Amérique déstabilisée sur son sol par le 11 septembre et dans son estime par la piteuse guerre en Irak. La série produite par Showtime en 2011 est réalisée par des experts du genre Howard Gordon (24heure chrono) et Alex Gansa (Entourage).

Ce billet parle de la Saison Une et ne recèle aucune « spoiler » qui puisse gâcher votre plaisir.

« Syndrome de Stockholm » ou paranoïa?

Une des dynamiques fortes de la série est le duo Carrie Mathison (interprétée par Claire Danes) – Nicholas Brody (incarné par Damian Lewis).
L’acteur britannique, Damian Lewis, interprète avec beaucoup de suavité et de mystère, le marine, ex-otage, de retour dans sa mère patrie. Un rôle psychologique et explosif très fort. De plus, « il est pas joli mais il n’ est pas moche non plus » (1), ce qui ne gâche rien!
L’actrice américaine qui s’était illustrée dans Romeo+Juliette avec Di Caprio, Claire Danes, est l’agent de la CIA.
Entre les personnages « testostéronés » Jason Bourne (3) et Jack Bauer(4), elle a, à n’en point douter, une place de choix. Plus féminine, mais aussi plus névrosée, elle n’en demeure pas moins séduisante.
Brody éveille les soupçons de Carrie Mathison, agent de la CIA : elle se lance alors dans une enquête tumultueuse à la limite de la légalité et de l’obsession. « Elle est pas d’accord, elle est passionnée » (1).

Il est terroriste ou il est anti-terroriste?

Le héros (roux donc), n’est certainement pas de la région PACA. Nicholas Brody n’est pas en cloque et là s’arrêtera mon parallèle avec Léa, le personnage de la chanson de Louise Attaque (1).
Libéré miraculeusement après 8ans aux mains d’Al Quaida, il est secret. Il est brisé. Il est perturbé. Il retrouve une famille et un monde qui a bien changé.
Ce rôle lui a valu en 2012 un Emmy Award du meilleur acteur dans une série télévisée dramatique et il avait d’ailleurs déjà été remarqué dans le rôle d’un soldat dans « Frères d’armes »(2) et la série « Life  » (3) où il jouait le rôle d’un policier traqué.

Elle est givrée ou clairvoyante?

L’héroïne (bipolaire donc) a elle aussi connue l’Irak et n’en est pas revenue indemne. Monomaniaque et shootée à l’adrénaline, c’est une femme de terrain plutôt qu’une experte en bureautique. Son interprétation athlétique de Carrie Mathison lui a rapportée un Primetime Emmy Award de la meilleure actrice dans une série télévisée dramatique en 2012.

(Finallement) Quoi d’inédit dans cette série?

Le retour du pragmatique Mandy Patinkin, pilier de longues années de la série centrée sur les « sérials killers » Esprit Criminel (5) dans le rôle du mentor de Carrie Mathison, Saul Berenson.
Un suspens dont on avait perdu l’habitude et un soudain regain d’intérêt pour les histoires de terroristes…
Mais, parce que Carrie et Nicholas sont finalement des petites mains, la fin de la saison introductrice ouvre un sur une théorie du complot et fini du coup, un peu en « eau de boudin » en cassant totalement le rythme (excellent) instauré au fil des 12 épisodes.
On attend de voir ce que réserve aux spectateurs la seconde saison (déjà disponible).

Réalisateurs : Howard Gordon et Alex Gansa
Diffusion US : Showtime
Diffusion française : Canal +
Casting:
Carrie Mathison (Claire Danes), Nicholas Brody (Damian Lewis), Jessica Brody (Morena Baccarin), David Estes (David Harewood), Mike McClone (Diego Klattenhoff), Chris Brody (Jackson Pace), Dana Brody (Morgan Saylor),  Saul Berenson (Mandy Patinkin).

 

(1) Chanson « Léa » du groupe Louise Attaque.

(2) Frères d’Armes (Band of Brothers en version originale) est une mini-série américano-britannique, en dix épisodes d’environ une heure chacun, créée par Tom Hanks et Steven Spielberg diffusée sur HBO.

(3) Life, série de Rand Ravich diffusée sur NBC ou Damian Lewis jouait le rôle d’un policier incarcéré pour meurtre puis blanchi.
(4) Jason Bourne est le héros de la trilogie de romans de Robert Ludlum (poursuivie par Eric Van Lustbader) interprété sur grand écran par Matt Damon.
(5) Jack Bauer est le personnage central de la série télévisée « 24 heures chrono » créé par Joel Surnow et Robert Cochran incarné par Kiefer Sutherland sur le petit écran.
(6) Esprit Criminel (Criminal Minds) est une série télévisée américaine, créée par Jeff Davis et diffusée sur le réseau CBS.




La rébellion de Kim Nguyen

 

Ce film aux allures de documentaire est un chef d’oeuvre. N’ayons pas peur des mots. Réalisé par un cinéaste canadien quasiment inconnu de ce côté de l’Atlantique (Kim Nguyen), il devrait sortir ce mercredi dans quelques (trop) rares salles de cinéma françaises. Prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Berlin, la jeune Rachel Mwanza incarne une enfant-soldat inoubliable.

 

Le scénario est tristement classique: des rebelles déferlent sur un petit village africain et kidnappent de jeunes enfants pour en faire des soldats. Pour s’assurer qu’ils ne chercheront pas à revenir sur leurs pas, ils les contraignent aux pires atrocités. La fidélité par le sang. Si on s’attend à voir autant de drames dans la vie d’un enfant-soldat, la vitalité dont elle fait preuve pour survivre, s’allier et aimer le bébé qu’elle porte est une heureuse surprise. 

 

Mais plus que l’histoire, c’est le sentiment d’authenticité qui donne au film toute sa valeur. On le doit, bien sûr, aux acteurs amateurs que Kim Nguyen a « trouvé » dans les rues de Kinshasa et qui campent des personnages plus vrais que nature. Mais surtout à une méthode de tournage originale qui laisse aux acteurs la possibilité de rester naturels et spontanés. Les scènes leur ont été présentées jour après jour sans que l’ensemble du scénario ne soit divulgué. Libéré de l’histoire, les acteurs ont laissé libre cours à leur imagination pour construire leurs personnages. L’ensemble donne au spectateur l’impression magique d’observer une tranche de vie plus vraie que nature.

De l’art brut au cinéma.

Date de sortie en France: 28 novembre 2012
Interdit aux moins de 12 ans – Durée du film: 1h30
Réalisé par Kim Nguyen, avec Rachel Mwanza, Alain Lino Mic Eli Bastien, Serge Kanyinda…

 

Rebelle




Savages – Le mythe des bons sauvages ?

Deux jeunes entrepreneurs babacools et beaux gosses, à la tête d’un business florissant de marijuana, sont confrontés à un cartel mexicain.

Si belle que soit la gueule (cassée) de l’ancien marine Taylor Kitsch (Chon) et si intello botaniste que soit Aaron Johnson (Ben)… les rebondissements ne se feront pas trop attendre.

En effet, qui dit narcotrafic dit… gros fusils qui font pam-pam, mallette pleine de biftons, rendez-vous au milieu du désert (avec des gros 4X4) et du sang qui gicle… en finalité.

Alors, qui sont donc les sauvages ? Nos gentils entrepreneurs beach boy ou les vilains narco mexicains?!

Savages, le dernier film d’Oliver Stone, est doté en substance des ingrédients habituels des films de ce réalisateur multi-oscarisé : une intrigue bien ficelée, de la testostérone et des bigs stars américaines. Mais contrairement à JFK ou World Trade Center ou encore son reportage sur la Palestine Persona non grata on ne retrouve pas dans ce film les sujets polémiques qui lui sont chers. Nous avons affaire à un film d’action un vrai, un sympa… mais pas plus que ça.

Ce qui est chouette :

Une esthétique californienne lumineuse avec une B.O punchy.

Le héros de Kick Ass Aaron Johnson qui a bien grandi et pris du poil de la bête!

Un trio amoureux pimenté, sulfureux et intriguant. 2 hommes pour une femme, la rayonnante Blake Lively.

Benicio Del Toro en mécréant moustachu, sans scrupules est parfaitement répugnant dans le rôle de Lado. Il est aussi repoussant dans ce rôle qu’il pouvait être fascinant dans celui du Che, c’est dire.

Ce qui est très bof :

Elena la « daronne de la drogue » très haute couture et qui a une haute opinion d’elle-même, est interprétée par Salma Hayek qui nous laisse de marbre.

Le flic véreux et bedonnant porte les traits de John Travolta. Rien de « greasant » John a pris un coup de vieux radical mais reste assez fun.

Une fois le décor posé et l’intrigue lancée, ce film est comme un train (pas un TGV en plus) on sait pertinemment quelles gares il va desservir et ça n’est pas parce que le réalisateur propose deux fins que l’issue en est plus inattendue.

Si Oliver Stone, du haut de ses 66ans, a déjà prouvé qu’il savait se lâcher et bien là il ne nous convainc pas… dommage ça aurait pu être vraiment (plus) drôle.

Enfin, l’apologie totale de la drogue douce (et moins douce) à base de scènes très poétiques et de culture massive laisse de même planer quelques petites questions…

Le film est une adaptation cinématographique du best-seller homonyme de Don Winslow, un bon divertissement en somme mais trop « mou du genou » pour passer dans la catégorie bijou. Savages n’est qu’un petit brillant sur le côté de la couronne de Monsieur Oliver Stone. Il y a tout de même de quoi éclairer un dimanche après-midi...

 

Réalisé par : Oliver Stone

Scénarisé par : Shane Salerno

Avec : Blake Lively, Aaron Johnson,Taylor Kitsch, Salma Hayek, Benicio Del Toro, John Travolta.

 




« Vous n’avez encore rien vu » – Cet étrange objet du cinéma

Un O.C.N.I., Objet Cinématographique Non Identifié.
C’était mon premier Alain Resnais. Ne vous attendez donc pas à des parallèles à répétition, des analogies avec ses précédents films, une analyse systématique de l’évolution de son style et de sa pensée dans le temps …

Non, vraiment, rien de tout ça. Simplement cet étrange sentiment qui gagne le spectateur tout au long de la séance. L’ennui guette, il sent qu’il aurait une place attitrée dans un tel film, personne n’oserait la lui contester. Et pourtant il guette, mais ne trouve pas l’occasion de s’immiscer dans la tête du spectateur. Car ce que nous propose Alain Resnais dans son film est une véritable performance artistique, un coup magistral tant dans l’histoire du cinéma que du théâtre.

Imaginez plutôt voir se représenter devant vous deux (voire trois) écoles du théâtre, autour d’une seule et même pièce, Eurydice de Jean Anouilh. Forcément, l’envie primaire est à la comparaison, « le théâtre classique est quand même plus fidèle », « les mises en scène modernes sont vraiment spéciales » … Vous savez ce même « spécial » utilisé par Xavier Dolan dans Laurence Anyways … Ce « spécial » passe-partout et pourtant tellement signifiant, synonyme de rejet, de dégoût.

Puis une fois la comparaison rapidement épuisée de son sens et de son intérêt, surgissent l’intérêt et la complémentarité. Il n’y a clairement pas une unique vision d’une même pièce, ni d’une même mise en scène. On touche alors à l’épineuse question de la liberté laissée à l’acteur par son metteur en scène. Et de ce que le metteur en scène recevra de la part de ses acteurs pour enrichir sa mise en scène, et la rendre unique.

Car c’est bien là l’essence de la pièce. Prétexte pris du décès d’un metteur en scène les ayant réunis par le passé pour jouer Eurydice, 14 acteurs se retrouvent en huis clos dans une cérémonie orchestrée par le majordome du défunt pour donner leur point de vue sur une mise en scène moderne de cette même pièce.

Formidable mise en abyme du jeu théâtral. Bouleversants hommages à ses acteurs, jouant leur propre rôle.
Mais jusqu’où est-ce le rôle pensé par le metteur en scène, et où commence la personnalité de l’acteur ?
Mention toute particulière et très personnelle pour quatre d’entre eux : Pierre Arditi, impressionnant, Michel Robin,  touchant,  Mathieu Amalric, inquiétant et Sabine Azéma, saisissante.

 

Réalisation : Alain Resnais et Bruno Podalydès (pour la captation Eurydice par la Troupe de la Colombe)
Scénario : Laurent Herbiet, Alex Reval1, d’après Eurydice (1942) et Cher Antoine ou l’Amour raté (1969) de Jean Anouilh
Musique : Mark Snow

Distribution:
Sabine Azéma : Eurydice 1
Anne Consigny : Eurydice 2
Pierre Arditi : Orphée 1
Lambert Wilson : Orphée 2
Mathieu Amalric : monsieur Henri
Michel Piccoli : le père
Anny Duperey : la mère
Denis Podalydès : Antoine d’Anthac
Jean-Noël Brouté : Mathias
Hippolyte Girardot : Dulac
Michel Vuillermoz : Vincent
Andrzej Seweryn : Marcellin
Michel Robin : le garçon de café
Gérard Lartigau : le petit régisseur
Jean-Chrétien Sibertin-Blanc : le secrétaire du commissaire

La troupe de la Colombe
Vimala Pons : Eurydice
Sylvain Dieuaide : Orphée
Fulvia Collongues : la mère
Vincent Chatraix : le père
Jean-Christophe Folly : monsieur Henri
Vladimir Consigny : Mathias
Laurent Ménoret : Vincent
Lyn Thibault : la jeune fille et le garçon de café
Gabriel Dufay : le garçon d’hôtel