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S. Tesson – Dans les forêts de Sibérie – La ponctuation d’un voyage

La Sibérie : une page blanche.
L’homme : un stylo qui s’avance vers cette page blanche.

Il y trouve refuge le temps d’écrire un journal.
De remplir une page blanche. Puis une deuxième. Puis un feuillet.
Et enfin un livre.

Dans ce livre, il est souvent affaire de lecture. De lecture et d’écriture.
Parfois de paroles également.
Comme des mots venant couvrir la page blanche qui se dévoile avec le lever du soleil.

Il est question de silence. Souvent. Longtemps.
Silence de mort. Silence de vie.
Silence de peur. Silence de confiance.

Comme une série de points, suspendus sur une même ligne.
Pas de bruit, pas d’interligne.
Pas de mouvement, pas de mots.

Il est question de vodka.
La vodka qui réchauffe le coeur des hommes. Leur donne la force de combattre le froid sibérien.
La vodka qui réunit les hommes. Donne du ton et de la vigueur à leurs discussions.
La vodka qui ennivre les esprits. Laisse la place aux rêves, à l’imaginaire.
La vodka, sorte de point d’exclamation, venant ponctuer comme une saute d’humeur des journées parfois trop calmes. Parfois trop longues.

Il est question d’espace. D’immensité. D’aventures.
Toutes les aventures de l’auteur sont autant de phrases qu’il entame, qu’il ponctue de ses rencontres, de ses passions et de ses extases.

Il est question d’animaux.
Des animaux auxquels l’auteur est profondément lié. Parfois davantage qu’aux hommes qu’il croise sur son chemin.
Ce n’est qu’avec les animaux qu’on sent les guillemets de son âme et de son coeur s’ouvrir et laisser place à un flot de sentiments qu’il se refuse auprès de ses congénères.

Et quand ces guillements se referment, quand se termine l’aventure au bord du lac Baïkal, c’est le livre que l’on referme. Il est alors temps de tourner la page de la Sibérie.

Et pour illustrer ce voyage, Stef nous propose une sélection de citations tirées du livre (NDLR : la pagination est valable pour l’édition Gallimard) :

– « En descendant du camion, nous avons regardé cette splendeur en silence puis il m’a dit en touchant sa tempe « Ici, c’est un magnifique endroit pour se suicider«  » p. 27

– « Le romain bâtissait pour mille ans. Pour les russes il s’agit de passer l’hiver » p. 31

– « J’ai atteint le débarcadère de ma vie. Je vais enfin savoir si j’ai une vie intérieure » p.36

– « Le mauvais goût est le dénominateur commun de l’humanité » p. 30

– Et enfin, cette phrase qui résume parfaitement bien le livre selon Stef (et je plussoie complètement en son sens) :
« Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu’un à qui l’expliquer » p. 146

 

Sylvain Tesson
Dans les Forêts de Sibérie
Editions Gallimard, collection Blanche
Prix Médicis Essai 2011
http://www.gallimard.fr/rentreelitteraire/SylvainTesson.htm

 




Cave manga ! Thermae Romae

Mari Yamazaki, l’audacieuse mangakana est l’incarnation du veni, vedi,  vici à la mode japonaise.

Mari est venue en Europe, a étudié à Rome et a épousé un historien italien.

Mari a vu, observé et étudié le rapport des Romains de la grande époque à l’eau.

Mari a vaincu, le monde entier, avec un manga atypique : un romain de l’époque d’Hadrien qui s’inspire du Japon actuel pour innover en son siècle.

Lucius Modestus, architecte, modeste certes mais peu imaginatif, vit dans l’Antiquité dans la capitale de l’Empire Romain. Par le biais d’une faille temporelle , il rencontre des nippons d’aujourd’hui et se découvre une passion commune avec ceux qu’il appelle « les visages plats ». Cette passion ou plutôt cet art de vivre très codifié est celui des thermes. Cures, bains et autre ablutions tout y passe et on découvre autant les Romains que les Japonais dans un mélange curieux de science-fiction et d’hyperréalisme.

Un pont curieux entre deux civilisations croquées avec précision, délice et humour. 5 millions d’exemplaires vendus, c’est à en perdre son latin, non ?

La série Thermae Romae se décompose en 6 petits opus parus chez Casterman dans la collection Sakka, ils sont à grignoter de droite à gauche mais en français!




Mercredi – A. David-Néel : Indiana Jones au féminin

Alexandra David-Néel est une aventurière, une orientaliste et une tibétologue renommée. Mais si seulement elle n’était que ça, car à l’instar de grands hommes dont le savoir a traversé les siècles, elle cumule des talents d’une diversité rare. Elle est reconnue pour avoir été franc-maçonne, cantatrice, féministe militante, écrivain et centenaire… de quoi modérer l’audacieuse Jeanne Calment.

Une de ses œuvres les plus connues, Voyage d’une Parisienne à Lhassa a été publiée en 1927.

Ce récit de voyage dans l’Himalaya est très intéressant pour deux raisons : l’évasion et la liberté qui sont intactes 80 ans plus tard mais aussi l’éclairage donné sur la prise du pouvoir chinois sur le toit du monde.

On suit les pérégrinations de notre exploratrice et ses subterfuges pour progresser dans les terres interdites en compagnie de son fils adoptif, le Lama Yongden.

A l’époque où le trekking n’était pas franchement tendance chez les ménagères européennes de moins de 50 ans, avec pugnacité et un œil érudit sur la culture tibétaine, le bouddhisme et l’hindouisme, elle progresse grimée en cachant du mieux possibles ses plans.

« L’Orient – surtout au Thibet – est la terre du mystère et des événements étranges. Pour peu que l’on sache regarder, écouter, observer attentivement et longuement l’on y découvre un monde au-delà de celui que nous sommes habitués à considérer comme seul réel, peut-être parce que nous n’analysons pas assez minutieusement les phénomènes dont il est issu et ne remontons pas suffisamment loin l’enchaînement de causes qui les déterminent. « 

Elle apprend les idiomes tibétains mais voyez-vous à l’époque pas de « Wall street english » pour apprendre le «groma». Traduit des manuscrits. Rencontre des sages et des lettrés, et s’essaiera même à la méditation. Alexandra David-Néel est donc une sommité qui a grimpé vers les sommets au sens propre comme au figuré. Celle qui fut surnommée « la femme aux semelles de vent » a du cran, de l’audace, un caractère bien trempé et ce je ne sais quoi d’inspirant.
Une ode au voyage, en Orient et en soi-même.

 

Quelques-unes de ses œuvres :

  • Dieux et démons des solitudes tibétaines, Plon.
  • Journal de Voyage (Tome 1 et 2) – correspondances avec son mari, Pocket.
  • Le Bouddhisme du Bouddha, Pocket.

 




Jeudi – Assommons les pauvres – S. Sinha


 

D’origine étrangère elle aussi, une jeune femme gagne sa vie comme interprète auprès des demandeurs d’asile. Le temps d’une nuit, passée au commissariat pour avoir fracassé une bouteille de vin sur la tête d’un immigré, elle cherche à comprendre les raisons qui l’ont conduite à une telle fureur. Assommons les pauvres !, qui emprunte son titre à un poème de Baudelaire, est l’histoire d’une femme que la violence du monde contamine peu à peu.

Shumona Sinha, jeune poétesse d’origine indienne, jongle avec les mots pour exprimer à merveille incompréhension, exaspération et questionnements autour des demandeurs d’asiles.  Un roman culotté,  qui met mal à l’aise parce qu’il évoque les douleurs de l’exil et la violence de l’accueil sans tabous. Prix populiste 2011.

Assommons les pauvres! Shumona Sinha, éditions de l’Olivier.




Mercredi – Drôle d’animal ce pingouin – A. Kourkov

Kiev 1995, Victor Zolotarev est un vieux garçon solitaire, écrivain raté mais auteur à succès d’une étonnamment longue liste de nécrologies. Dans une Ukraine en faillite, il prend sous sa responsabilité un bien étrange pensionnaire : Un pingouin nommé Micha. L’animal venu du froid ne tardera guère a déprimer sec dans l’appartement sombre et contigu de son naïf propriétaire. Le tableau semble morne et bien triste mais il n’en est rien. De l’absurde, de la dérision, du décalé, voilà ce que nous offre Andreï Kourkov, sur fond de nostalgie de l’URSS et d’intrigue mafieuse.

On pressent dès les premières pages qu’il y a anguille sous roche. Les énigmatiques nouveaux amis de Victor sont bien louches. Ces nécros appelées « petites croix » le sont terriblement elles aussi.

Cependant on poursuit l’aventure dans la nébuleuse de Victor avec délectation. Seuls témoins passifs d’une catastrophe climatique annoncée.

Emprunte d’une lenteur et enroulée dans une épaisse grisaille assez propre aux auteurs de l’Est, l’œuvre de Kourkov n’en est pas moins amère et désopilante.

Auteur Andreï Kourkov
Traduction Nathalie Amargier
Editeur Seuil




Week-end – Et que le vaste monde poursuive sa course folle…

Le 7 août 1974, un funambule tire un câble entre les Twin Towers et offre à New York ébahie le spectacle de sa traversée. Au même moment un moine qui consacre sa vie à améliorer celles des prostituées du Bronx trouve la mort dans un accident de voiture. A ses côtés Jazzlyn, l’une d’entre elles laisse derrière elle deux petites filles. Elle tapinait depuis sa plus tendre enfance entre sa mère et les cuillères d’héro… Ces petites vies encastrées les unes dans les autres offrent au lecteur un somptueux panel d’odeurs et de couleurs new-yorkaises.
Odeur de l’argent, odeur de la crasse, vue vertigineuse.

Cet assemblage de petits destins est à l’image de la ville qui les abrite. Grandiose. Le titre de ce roman emprunté au poème d’Alfred Lord Tennyson, Locksley Hall : « Et que le vaste monde poursuive sa course folle vers d’infinis changements… » donne le ton. S’en suit un grand roman.

Tout était fabuleux, y compris les décentes et la déprime […]

Je n’ai pas peur de le dire : les taxis se battaient pour moi. Mais la vie nocturne me vidait, la  me jaunissait les dents, j’avais le regard voilé. Parfois mes yeux avaient pratiquement la couleur de mes cheveux. Une drôle de sensation ça, quand la vie vous quitte par le cuir chevelu. Un drôle de fourmillement.

Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle

Editions Belfond, 2009, 20€90




Lundi – La guerre amoureuse

« Une rencontre finlandaise ».

Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française, publié début 2011, commence par cette citation de Nietzsche : « L’amour dont la guerre est le moyen et dont la haine mortelle des sexes est la base ».

Dans ces quelques mots, tout est dit de la suite.
Cette guerre est sans doute la seule que toutes et tous recherchent, à laquelle tous se livrent à corps et à coeurs perdus.

Et à la lecture des pages de l’académicien, on en vient à penser que la seule issue est la défaite.
Pour chacun des camps. Drôle de guerre s’il en est.

Celle à laquelle il nous est donné d’assister dans ce roman, s’est déclarée en Finlande.
Une rencontre, qui s’est très vite muée en certitude. En passion. En déchirements.

France. Finlande.
Mariage. Séparation.
Adultère. Fidélité.

L’être désiré, l’être aimé, se transforme en tyran.
Le narrateur en subit les conséquences.
Sado-masochisme, mensonges, jalousie, délaissement.
Toute l’éventail de la torture sentimentale lui devient familier, bien malgré lui.

Et naturellement, personne n’en ressort indemne.
Qui du bourreau ? Qui de la victime ? Bien malin saurait y apporter une réponse.

La guerre amoureuse.
Histoire d’une vie.

Auteur : Jean-Marie Rouart
Editeur : Gallimard
Date de parution : janvier 2011
ISBN : 2070131041

 




Week-end – De cendres et de papier

Dans un pays en guerre, deux fossoyeurs sont chargés de brûler les morts. Avec les cadavres, ce sont les paumes de leurs mains qui s’échauffent, leurs cheveux qui grésillent, les illusions du nettoyage qui s’envolent un fumée. Une femme, laissée pour morte, se relève et se joint à eux. Elle se met à travailler à leurs côtés mais à sa manière. Les morts, elle les recoiffe, leur caresse les joues, déplie leurs membres et leur parle. D’ailleurs, elle ne parle qu’à eux.

Cette pièce de théâtre de Laurent Gaudé, publiée dans la collection « Papier » d’Actes Sud, est une grotesque tragédie qui donne à lire l’indicible. Le savon, la chaux, la fumée pour dire la douleur, l’horreur et le néant. Inspiré par le témoignage d’une réfugiée kosovare, Laurent Gaudé prouve ici que les tragédies du 21e siècle n’ont rien à envier aux drames antiques.

J’ai longé des routes,

Traversé des terres que je ne connaissais pas.

J’ai fait saigner mes pieds.

J’ai erré longtemps jusqu’à atteindre, un jour, le haut de la colline.

Je me suis arrêtée.

A mes pieds,

Sur des kilomètres, à perte de vue, se tenait un campement.

Un amas immense de tentes et d’abris.

Une ville entière d’enfants pieds nus et de réfugiés.

Je suis restée là, à les contempler.

J’ai embrassé du regard cette foule qui se tenait serrée.

Et je suis descendue, lentement, au milieu des miens.

 

Cendres sur les mains
Laurent Gaudé
Actes Sud-Papiers
42 pages, 7,50 e

 




Vendredi – Quel est le rapport entre un toutou bien dressé et un journaliste militant ?

Les toutous et les journalistes peuvent au sens de Paul Nizan être des « chiens de garde » (1).

Si le premier a le mérite de défendre votre humble demeure, le second peut défendre la république et la liberté de penser, d’écrire et de faire savoir.

Or, en ces temps de campagne électorale n’est-il pas nécessaire de se replonger dans ces notions d’indépendance, objectivité et pluralisme!?

 Serge Halimi a écrit Les nouveaux chiens de garde en 1997 aux Editions Liber – Raisons d’Agir après la crise de 95. Le livre fait écho au pamphlet de Nizan Les chiens de garde.  Le propos était évidemment actualisé puisqu’en lieu et place des philosophes gardiens de l’ordre établi on retrouvait ici les journalistes, éditorialistes… Une réflexion bien étayée sur la force des médias en tant que « contre-pouvoir ».

Le postulat partisan étant le suivant « Au sein d’un périmètre idéologique minuscule se multiplient les informations prémâchées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices et les renvois d’ascenseur. » L’ambiance est donc posée, le texte est vindicatif et certains passages sont écrits au vitriol. On y apprend par exemple que Christine Ockrent (cible privilégiée de ce « jeux de massacre ») fait des « ménages » c’est à dire des interventions payantes, rémunérées par des entreprises du CAC40 pour y évoquer des sujets de société. Ce qui implique une parfaite partialité lors du vote des lois et ce n’est que le début de la longue liste des connivences et népotismes entre politiques et journalistes.

A défaut d’être modéré et de taper aussi sur les politiques « du moment », ça fait réfléchir!

L’ouvrage date de 1997 : pourquoi diable en parler aujourd’hui ?
Et bien parce qu’Halimi s’est adjoint les services de Pierre Rimbert, Renaud Lambert, Gilles Balbastre, Yannick Kergoat pour scénariser un film basé sur son livre. Le film « Les nouveaux chiens de garde » est sorti le 11 Janvier 2012 et est diffusé dans des salles d’art et d’essai (2). Il est rythmé par une alternance d’analyses et d’archives, à la manière d' »Inside Job »(3).
Serge Halimi décrit son film ainsi : « on a fait le choix d’un film de combat, qui ne prétend pas chercher la nuance en toute chose. »

(1) Paul Nizan essai/pamphlet : Les chiens de garde 1932.

(2) Projections

(3) Inside Job, film de Charles H. Ferguson (2010), oscar du meilleur documentaire en 2011.

 




Mercredi – Les enfants de Tensing

Le Tibet est autant idéalisé et rêvé en Occident qu’il est stigmatisé et diabolisé côté Chinois. Difficile finalement de se faire une idée objective puisque ce bout de terre si près des étoiles est hautement fantasmé. « La mendiante de Shigatze » regroupe cinq nouvelles toutes très crues sur les mœurs du Tibet vues par un chinois rustre et partial.

Ma Jian, auteur et voyageur de l’empire du Soleil se pose en seul juge de la culture tibétaine et des villageois qu’il rencontre lors de son périple effectué en 1984. Le moins que l’on puisse dire est que notre voyageur est « Lost in translation » (1), choqué mais aussi fasciné. Au premier rang de sa fascination naissante, les femmes, leur liberté et leur sexualité.


Credit to Benjamin Rajjou

Dans ces nouvelles contant le voyage initiatique dans l’«Empire de l’Herbe», la montagne nous apparaît comme une sorte de personnage omniprésent, auquel font écho des Tibétains anguleux à la vie rythmée par la nature et les rites ancestraux.

Notre Champollion au Tibet nous livre un tableau à mille lieux des chemins battus et emprunte les chemins escarpés qui le mènent entre rude réalité et surnaturel, tour à tour macabre ou érotique.

Notre Candide sur le toit du monde oscille, dans son récit, entre fictions fantasmagoriques et descriptions fidèles des traditions.

Cinq nouvelles : « La Femme en Bleu », « Le Sourire du Lac du Col de Dolm », « Le Chörten d’Or », « La Mendiante de Shigatze « et « L’Ultime Aspersion ».

Paru chez Acte Sud en 1988, dans la collection Terre d’Aventures, ce recueil méconnu permet de prendre un peu de hauteur.

Il s’arpente très rapidement et semble hors du temps, mais ce récit et ces personnage obsèdent.

(0) Tensing Norgay (15 mai 1914 – 9 mai 1986 à Darjeeling) était un sherpa népalais. Il est le premier homme avec Edmund Hillary à gravir l’Everest, le 29 mai 1953.

(1) « Lost in translation », Sofia Coppola, 2003.

Photos de Benjamin Rajjou (merci beaucoup).




Mardi – Trois vies chinoises, Dai Sijie

Trois vies chinoises.
Trois destins chinois.
Une île les réunit. L’île de la Noblesse.

Curieux nom pour une décharge moderne de déchets électriques et électroniques.
La noblesse de coeur sans doute, pour recycler sans rechigner, les déchets produits sans la moindre retenue par l’hyper-consommation ambiante.

Dai Sijie nous avait séduits avec « Balzac et la petite tailleuse chinoise ».
Dans ce recueil de trois nouvelles, il ne nous épargne pas.
Nous confronte de plein fouet à l’injustice, à la misère, à la rudesse de l’âme et des sentiments …

Difficile de ne pas être remué par ces 140 pages …
Mais difficile également de ne pas connaître la vie des autres habitants de l’île.
L’île de la Noblesse vous habitera longtemps après la lecture de ces pages, tant vous aurez eu l’impression d’y vivre !

 

 

Auteur : Dai Sijie
Editeur : Flammarion
Date de parution : janvier 2011
Collection : Littérature Francaise
ISBN : 2081240505




Mercredi – J’irai draguer sur vos tombes

Le mec de la tombe d’à côté, c’est d’abord un roman. Un roman parlant d’une histoire d’amour, qui l’eût cru avec un titre si funeste ?!

L’épitaphe de ce best-seller du grand Nord aurait pu être « Ou comment débuter une histoire d’amour au cimetière ».

Son auteur, Katrina Mazetti, est suédoise et ne fait certainement pas le deuil de l’humour noir. Elle plante le décor d’une Suède rurale et rustre en la personne de Benny -éleveur de bovins de son état- qui rencontre la Suède citadine et cultivée mais austère et froide incarnée par Désirée -bibliothécaire-. Et ça fait des étincelles!

Ces deux protagonistes n’ont rien en commun, ils ne sont pas parfaits et sont eux aussi des « émotifs anonymes »! Des dialogues ciselés pour une histoire inattendue et jamais clichée. Voila qui ressuscitera peut-être votre côté fleur bleue?

Ce roman a ensuite donné naissance à la pièce, mise en scène par Panchika Velez et interprétée au théâtre par Sophie Broustal et Marc Fayet.

Sur les planches c’est mortel, on tombe sous le charme et on rit sans concessions. Les représentations reprennent à Paris après une belle tournée en France. Cette fois c’est au Théâtre du Montparnasse et c’est à ne pas manquer. La mise en scène est épurée et à la fois flamboyante. Pur, frais, juste.


Voila de quoi sonner le glas de la morosité : extrait


Le Mec de la Tombe d’A Côté BA par bonneideeprod

Si le cœur vous en dit, Mazetti a écrit une suite Le caveau de famille mais aussi Les larmes de Tarzan ou Entre le chaperon rouge et le loup, c’est fini.




Mardi – Quel est Mon noM? de Melvil Poupaud

Contre le ciel de traîne. Le spleen. Et la routine. I say « Melvil ». Coup de coeur de la semaine, du mois même :): « Quel est mon nom » de Melvil Poupaud, édité chez Stock.

Peut-être vous demanderez vous, – comme moi, quel est ce comédien qui offre en pâture à un tel âge ses Mémoires : est-ce un présomptueux un peu fou et /ou cynique, capitalisant sur sa belle gueule et ses connexions ou bien un artiste (un peu fou aussi), qui a eu la chance, mais surtout le talent d’avoir une vie d’une richesse crasse? La bonne réponse est évidemment la deuxième 🙂

Quel est Mon noM est un étrange objet littéraire, quelque part entre le scrapbook, le journal intime, le livre d’art et le scénario de cinéma. L’opus est taillé comme son auteur : multiple, dense, poète, créatif,… et franchement passionnant.

Melvil lives in a wonderful world. On s’attarde. On flâne. On s’émerveille. Sauf que le chapelier fou, le lièvre de Mars, la reine de coeur et le lapin blanc ont pour nom Serge Daney, Raul Ruiz, Marcello Mastroianni et Sa Majesté le 7e art et la Sainte Créativité.

Entre cartes postales, brouillons de scénar, storyboards, clichés et bouts de journal intime, Poupaud décline avec grâce son interprétation du genre autobiographique. Comment mettre en scène sa vie, ou plutôt comment faire de souvenirs une oeuvre à son image. Tout est jeu.

Si lire ce livre pousse certes à se faire illico une nuit Ruiz/Deneuve/Mastroianni/Duras (et on ira se pendre après), il donne surtout une furieuse envie… de créer.
Et rien que pour ça…

Quel est Mon noM ?, Melvil Poupaud. Stock. 2011




Les aventures bien françaises de Tom Sauilleur

Ces 211 pages sont une délicieuse rosée matinale. Un petit frisson partit des mollets mais laissant présager une belle journée ensoleillée. Des rapports humains qui fleurent bon la campagne mais pas la campagne idéale des Parigots. La campagne dans ‘ »Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom » est souvent rude mais parfois cocasse et conviviale. Tom, du haut de ses 11 ans nargue la vie avec naïveté et bonne humeur malgré une situation familiale peu enviable. Il vit dans un mobil-home avec sa mère, Joss, une gamine, le tout sans un rond et en pleine cambrousse. [ndlr: Bref, autant dire qu’il est fauché … comme les champs environnants.]


Cette campagne omniprésente, donne envie de fuir la ville pour mettre les pieds dans un petit ruisseau de sous-bois qui sent la mousse. C’est un personnage clé tout aussi attachant que la galerie de personnage qui gravitent autour de lui. Tom virevolte à pas de loup au sein de cette communité, il se nourrit en maraudant dans les jardins voisins avec une petite préférence pour les tomates, les belles, rondes et juteuses.


Archibald et Odette, les voisins victimes des intrusions furtives de Tom n’ont rien à voir avec « Les deux gredins » de Roald Dahl. Ce couple n’est ni laid, ni méchant, ni dégoûtant.

Mais un jour peut-être auront-ils oublié la ville à grand renfort de recette sauvages de Marie-Rose, auteur de l’ouvrage de cuisine best-seller de la région… ?! Ce couple courtois et très urbain détonne dans le paysage de bocage français. Il déclenche chez le lecteur de sacrés fous rires. Ils portent en effet un regard extérieur sur la situation de Tom et sur la ruralité, qui permet une vraie mise en abîme, nécessaire lorsqu’on traite de sujets aussi âpres.


Quant à Madeleine, qui n’est pas sans rappeler une autre Madeleine – celle de « La tête en friche » (voir article lié) – elle n’est guère facile à vivre, d’ailleurs elle ne semble pas avoir eu une vie facile. Elle a 93 ans et n’a plus une forme de jeune fille …  C’est d’ailleurs pour cette raison que le chemin de Tom va croiser le sien. Bravo à Barbara Constantine, car après le choc générationnel lié à la rencontre Madeleine-Tom, il se dégage de ce tandem une tendresse infinie et une complicité limpide.


Jocelyne, surnommée Joss, a été fille-mère à treize ans et demi. Elle est plus irresponsable que méchante. Sa jeune vie est déjà un champ de bataille, une scène de chaos où les bons sentiments sont relégués en seconde zone. Sa meilleure carte pour s’en sortir est sans aucun doute son fils.


Mobil-home + Monoparentalité + Précarité. C’est bien la première partie de l’équation de cet ouvrage écrit par Barbara Constantine en 2010. A ce stade, seuls les plus valeureux, ou aficionados de Barbara Constantine sont intéressés. Pour sûr, « Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom » est ancré dans une réalité pas très rose. Néanmoins ce livre est à la portée de tous et pourrait être un porte voix intéressant auprès des plus jeunes. Un livre aussi pour ados en fait.
Non parce qu’il parle de sorciers ou de vampires. Mais car il y est question de valeurs – sans donner de leçon-, d’amour – sans pluie de roses- bref : de héros du quotidien.


 La voilà donc la seconde partie de l’équation et le secret de ce petit bouquin Amour + Ingéniosité + Tomates.
Parce que le « Quai d’Ouistreham » de Florence Aubenas manquait peut-être d’optimisme et  « Indignez-vous » de Stéphane Hessel d’illustrations pratiques, ce livre, sans être moins dur est plus abordable.


L’auteure

Plus connue du grand public pour avoir écrit « Amélie Sans Mélo », Barbara Constantine nous propose pour son troisième ouvrage, un petit opus d’une grande fraîcheur. Si vous n’en avez jamais entendu parler, vous êtes peut-être passé tout près car elle a notamment collaboré avec Cedric Klapisch à l’écriture des « Poupées Russes », film sortit en 2005 qui faisait suite à l’Auberge Espagnole dans laquelle éclatait au grand jour un petit français : Romain Duris. Son premier roman « Allumer le Chat » vaut lui aussi le détour. On y découvre la passion de l’auteur pour les félins domestiques. Sa prose y est déjà frugale, directe et audacieuse. « Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom », n’a rien de particulièrement rocambolesque mais c’est bien ficelé et on rit de bon cœur.


Une délicate poésie qui n’est ni trop onirique ni trop sombre, un conte moderne, une petite parenthèse à lire absolument pour une bouffée d’humanité.


Extraits :

« Salade de vers de terre
(Très léger, pour les appétits d’oiseau
1. Avec une bêche, creusez des trous dans le jardin. Ne prenez que les vers les plus gros. ils réduisent beaucoup à la cuisson. Puis faites-les dégorger jusqu’à ce qu’ils aient chié toute leur terre. Une journée et une nuit à moins qu’ils ne soient constipés.
2. Pour la verdure, mettez des feuilles de pissenlits. Un conseil aux vieillards et à tous ceux qui ont des problèmes de chicos (j’en connais un rayon): émincez fin. C’est meilleur et c’est moins crevant à la mastication.
3. Préparez une vinaigrette avec de l’échalote et de l’ail sauvage haché.
4.Dans l’eau bouillante et salée, balancez les vers vivants, pour les pocher. Dès qu’ils remontent à la surface, égouttez.
5. Si vous aimez la gomme à mâcher, vous pouvez arrêter là et les manger tels quels, avec la vinaigrette. Plus le conseil n°8, évidemment.
Sinon, faites comme moi, continuez.
6.Dans la poêle, mettez une noisette de beurre. pour parfumer, vous pouvez ajouter une fleur de capucine ou une fleur de pissenlit (voir la liste des comestibles à la fin du bouquin). Ça fait joli et c’est bon. Mais attention n’utilisez pas les fleurs de fleuristes. Elles sont intoxiquées à la pollution.
7. Jetez les vers pochés dans la poêle chaude. Pour éviter qu’ils attachent, faites un mouvement de va-et-vient avec la queue de la poêle. Dès que les vers commencent à dorer, mettez les sur la salade, comme des lardons. Et dégustez.
8. Buvez un grand verre de vin blanc, bien frais. » [1]


« La vieille était chiante, d’accord, mais c’était une bonne occasion pour elle de s’entraîner à son futur métier d’infirmière. Apprendre à être patiente avec les patients… c’était quelque chose qui lui manquait. Et puis, se spécialiser en gériatrie, ce n’était pas une mauvaise idée. Peu de risque de chômage dans cette branche. » [2]


[1] Barbara Constantine, » Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom », édition Le Livre de Poche (2010) p153

[2] Barbara Constantine, « Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom », édition Le Livre de Poche (2010) p202

 




Désolations en Alaska … La terreur selon David Vann


Quand la rigueur des éléments n’est rien face à la froideur des sentiments humains, David Vann nous propose une descente dans l’enfer de la psychologie humaine.


Gary, la soixantaine approchant, décide de réaliser son rêve de jeunesse … Bâtir une cabane sur une île d’Alaska. Se contenter du strict nécessaire, et chaque jour défier la nature et la rudesse qu’elle impose à la vie.


Il entraîne Irene, sa femme, dans sa folle entreprise …
Et folle, elle aussi va le devenir progressivement. Méditant sur ce qui l’a poussée à suivre cet homme toute sa vie durant … A dire amen à tous ses projets …
Au-delà du projet de cabane, c’est toute sa vie de famille qu’elle reconsidère. A l’aune de ce qu’elle aurait souhaité. Le constat est sans appel et douloureux.


Autour de ce couple, nous assistons au déchirement d’une famille. En apparence, une famille.
En observant davantage, des individus ne partageant rien de plus qu’un lien de sang. La soeur (Rhoda) est une inconnue dans le coeur et dans les yeux de son frère (Mark).


Rien de plus en somme que la dramatique histoire de la vie, entre rêve de jeunesse, médiocrité du quotidien et désillusion à venir …


L’amour se transforme lentement en une routine ravageuse et destructrice, où le moindre obstacle prend la dimension d’un gouffre insurmontable.
Cette descente aux enfers inexorable tout au long de ces 300 pages plonge le lecteur dans une profonde angoisse.


A la sortie d’un tel roman, l’espoir paraît hors de propos, le bonheur honteux et le sentiment d’accomplissement illusoire.


David Vann réitère l’exploit de « Sukkwan Island » dans son deuxième roman traduit en Français sous le titre « Désolations » (« Caribou Island » dans son titre original). Il nous plonge dans les bas-fonds de l’âme humaine, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. Paradoxal ? Je vous laisse juge …


Désolations est publié aux éditions Gallmeister (http://www.gallmeister.fr/) – 304 p. – 23 €