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« Orestie », avant-garde dépassée

© Guido Mencari
© Guido Mencari

Dès les premiers instants, l’ambiance est scarificatrice : composée d’images lentement distillées derrière un sombre rideau de tulle, les personnages évoluent sur scène comme des lames qui pénétreraient lentement nos chairs. L’esthétique de Romeo Castellucci est unique. On est face à sa torture, le public n’a d’autre choix que de suivre le coryphée grimé en lapin blanc. Ici, le groupe antique devient l’unique narrateur à la voix étouffée et lancinante. A la coloration en noir et blanc subsiste quelques touches de rouge, pour le sang, et de doré pour la richesse. Le son est le point d’orgue dans la création de cet univers. Durant la première partie, il laisse entendre la guerre (de Troie?) qui fait encore rage. Quelques cris d’enfants rappellent à notre mémoire le sacrifice d’Iphigénie par son père Agamemnon. Dans la seconde partie de la pièce, le bruit se fait rare, son absence est assourdissante.

Castellucci utilise l’Orestie d’Eschyle comme prétexte à la composition d’un monde désespéré. Il fait apparaître la beauté dans l’horreur. Clytemnestre et Cassandre sont obèses. Agamemnon est trisomique. Les coups de fouets, sous la main d’Egisthe, se transforment en caresses. Il faut l’avouer, rien ne dépasse, tout est sous contrôle. Et c’est bien dommage, Castellucci dessine un théâtre sans accident. C’est ce manque d’imprévu qui conduit ces partis pris très forts à n’être finalement que des accroches, des coups visuels pour lesquels le sens fait défaut. On sombre bien vite dans un ennui inévitable.

Castellucci nous perd, volontairement. Le Lapin Coryphée peut se mettre à raconter les premières pages d’Alice au Pays des Merveilles. Pourquoi ? Plusieurs réponses pourraient bien s’offrir à nous, mais elles ne sont que la projection de notre propre esprit. Bien évidemment, Castellucci refuse d’apporter des réponses. Les connaît-il lui-même ?

© Guido Mencari
© Guido Mencari

En remontant ce spectacle créé en 1995, le metteur en scène italien ne prouve qu’une chose : depuis, il s’est amélioré. Cette « Orestie » donne à voir un spectacle caractéristique d’avant-garde ayant vieilli. Quoi de pire qu’une esthétique aux ambitions dérangeantes qui subsiste aux questions qu’elle voulait détruire ? Castellucci massacre le texte d’Eschyle pour n’en garder que quelques mots, niant le sens ; il laisse chaque spectateur trouver ses propres réponses. En agissant ainsi, ce n’est donc pas le monde qu’il remet en question, mais il se montre seulement lui-même dans cette esthétique splendide au premier abord, mais surtout malsaine, adulée par une frange de spectateurs bouche-bée de pouvoir y voir tous leurs mythes personnels. Castellucci est ici un narcissique qui s’adresse à d’autres narcissiques, et lorsque chacun se regarde le nombril, il n’y a plus aucune communion théâtrale, encore moins d’union dramatique. Tel Dieu, le metteur en scène veut faire le monde à son image.

Romeo Castellucci permet néanmoins une chose, capitale. Il contribue depuis des décennies maintenant à casser les frontières entre performance plastique et art dramatique. Qu’on donne désormais les mêmes moyens à d’autres plasticiens, nul doute qu’ils produiront des images intéressantes ou qui auront au moins le mérite d’être en phase avec le monde actuel.

« Orestie (une comédie organique ?) » d’après Eschyle, de Romeo Castellucci, jusqu’au 20 décembre au Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, 75006, Paris. Durée : 2h45 (entracte compris). Plus d’informations et réservations sur www.theatre-odeon.eu.




Alice, une merveille en ce pays !

Plus d’un mois a passé depuis la première … et le succès se confirme pour Alice ! Compote de Prod, ça vous rappelle quelque chose ? Ils étaient à l’origine de « Souviens toi Pan » (http://www.arkult.fr/2011/07/le-pays-de-nulle-part-sinvite-a-paris/) et reviennent plus déjantés que jamais dans cette version revue et corrigée de la non moins fameuse histoire de Lewis Caroll.

Humour, excentricité et bonne humeur : voici trois des ingrédients de cette nouvelle recette made by Compote de Prod (avec des vrais morceaux à l’intérieur …).

Alice-article

Imaginez-vous un instant l’héroïne d’une histoire qui évolue au fur et à mesure de vos agissements … Une rencontre avec un chat, qui apparaît et disparaît à son bon vouloir, ce bon vieux matou du Cheshire (Antonio Macipe); un lapin blanc, toujours pressé, toujours en retard et dont la poursuite réserve bien des surprises (Vincent Gilliéron); des conseils proférés par une mystérieuse chenille (Véronique Hatat); la terrible et redoutée Reine de Coeur (Julie Lemas) qui ne souffre aucune contradiction, aucune question ; et enfin le Chapelier Fou (Hervé Lewandowski, qui apparaît aussi en Lewis Caroll lors de la première scène), qui mérite bien son surnom, les rimes sont son domaine, la théine sa drogue, la nourriture son credo.

Alors seulement vous pourrez comprendre la dose qu’il faut de courage à la jeune Alice (interprétée par la remarquable et remarquée Marie Oppert) pour venir à bout de toutes ces aventures. Mais quelle récompense à la fin de ce merveilleux voyage, car c’est bien d’une quête initiatique dont il s’agit ! Passage nécessaire vers une étonnante maturité, celle de comprendre le bonheur d’être un enfant.

Et de maturité, l’équipe de Compote de Prod en fait preuve à l’occasion de ce deuxième spectacle de leur création. Les décors, les paroles, les arrangements, les costumes … que de chemin parcouru depuis « Souviens toi Pan ! », un cap a été franchi, heureusement l’humour et la simplicité demeurent.

 

Pratique :
Les mardi et mercredi, 19h30, au Théâtre Clavel – 3 rue Clavel – 75019 Paris
Plus d’informations sur www.compotedeprod.com

Auteur : Julien Goetz
Artistes : Marie Oppert, Antonio Macipe, Vincent Gilliéron, Véronique Hatat, Hervé Lewandowski, Julie Lemas, Anthony Fabien
Metteur en scène : Marina Pangos