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Elixir d’amour ? Sérum physiologique !

Copyright : Fabienne Rappeneau
Copyright : Fabienne Rappeneau

Louise et Adam viennent de se séparer : elle est partie à Montréal, lui est resté à Paris. Débute alors une correspondance jalonnée d’embuches. C’est l’échange d’un ancien couple bourgeois – un psychanalyste et une avocate –, trouvant un nouveau souffle dans la rupture. D’abord ordinaire, la conversation mute en un échange sur l’amour et le désir. Ils se questionnent : existe-t-il un élixir d’amour ? Une technique imparable pour qu’une personne s’éprenne d’une autre ? Pour Adam, la réponse est oui : il s’agit du transfert psychanalytique. D’ailleurs, il va éprouver cela sur une collègue de Louise récemment mutée à Paris. Débute alors un jeu de manipulation où quelques coups bas sont permis. Mais la fin est courue d’avance : c’est exactement celle que vous imaginez.

La richesse réside-t-elle dans le texte ? Non, pas plus que dans les enjeux de ces Liaisons dangereuses édulcorées dans une époque où plus rien ne choque. Les dialogues enchaînent les poncifs sur le cynisme en amour : « sexe et amour sont deux territoires », « n’as-tu jamais pensé à te marier ? – On n’entre pas en prison de son plein gré ! », ou encore « les femmes aiment l’amour, les hommes le font ». Ambiance grinçante mais formules désuètes (« as-tu pris, un amant ? », insistons sur la pause avant le mot « amant » dans la réplique lorsqu’elle est dite sur scène, qui n’en fait que mieux ressortir la platitude). On ne peut pas nier la présence de quelques formules élégantes, comme « il y a des choses qu’il faut éprouver pour en avoir le goût, le café, la cigarette ou la solitude ».

Eric-Emmanuel Schmitt incarne un satyre libidineux sympathique. Il s’appelle Adam, c’est dire si l’auteur a voulu que le personnage – aujourd’hui incarné par lui – se prenne pour le centre du monde. Il est pourtant un misogyne ordinaire accepté comme tel par son interlocutrice, et c’est là que c’est dérangeant. Elle lui pardonne à la fin car il quitte sa carrière pour la rejoindre ; mais renie-t-il pour autant ce qu’il est ?

Ce n’est pas dans le jeu d’acteur que nous trouverons les réponses. Lorsque Schmitt écrit sur sa tablette tactile, nul n’aimerait être la place de cette dernière, tant il n’écrit pas mais montre plutôt qu’il écrit, fracassant l’écran. Cela donne un aspect caricatural à la manière d’écrire, comme si tout résidait dans le geste et non pas dans l’action qu’il opère. Une métaphore intéressante lorsqu’on connaît le premier métier de celui qui évolue devant nous. Lorsque Louise communique avec lui, là aussi il n’écoute pas. Il se mime en train d’écouter. Malgré tout, il faut avouer qu’il est parfois captivant car charismatique, il connaît son texte et doit avoir une certaine idée de ce que doivent être ses personnages.

Marie-Claude Pietragalla n’est pas plus à l’aise dans son corps. Les gestes qu’elle effectue semblent dictés comme une chorégraphie. Prise ainsi dans une incarnation automatique, elle est froide et manque d’humanité : rien ne la touche mais cela ne la rend pas effrayante.

On regrette aussi que rien ne soit laissé à l’imagination du public : les silences sont ponctués par les sons Apple à chaque envoi ou réception d’un message. Les échanges sont trop brefs, l’attente n’est pas laissée au désespoir ou à l’inquiétude, mais à l’énervement et la jalousie : « oh, pourquoi ne me réponds-tu pas ? ». Encore une fois, cela manque de ressenti, c’est frontal : tout est montré, rien n’est vécu.

Ce n’est pas non plus le décor qui nous subjugue : deux tables, un banc et une photo de Montréal en fond de scène. Cela pourrait tout aussi bien le décor de Inconnu à cette adresse.

On n’ira pas voir « Elixir d’Amour » pour rêver, ni pour être surpris, encore moins pour voir une vision progressiste de la relation homme-femme. Alors finalement, pourquoi y va-t-on ? Pour voir Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude Pietragalla dans un jeu plat et linéaire. Si l’on passe, dans les jours qui viennent, devant le théâtre Rive-Gauche comme un spectateur esseulé et que quelqu’un vous donne une place, alors allez-y… Mais la représentation est trop pleine de ficèles grossières où l’émotion tente d’être provoquée par la force, alors que nos âmes n’aiment pas la contrainte. Cette promesse d’un « Elixir d’Amour » n’est finalement, qu’un banal sérum physiologique.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« L’Elixir d’Amour » de Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Steve Suissa, avec Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude Pietragalla, jusqu’au 15 mars au Théâtre Rive-Gauche, 6 rue de la Gaité, 75014, Paris. Durée : 1 h 15. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-rive-gauche.com




« Praia do futuro » : conte gay dépassé

© Epicentre Films
© Epicentre Films

Il y a de ces films dont vous sortez changés, avec une vision différente des choses, un regard neuf. Des films qui vous font voir le monde autrement, vous passionnent pour des vies et libèrent des idées reçues. Et puis il y a les autres, comme « Praia do Futuro », littéralement « La Plage du Futur ».

Ils sont deux motards, roulant à vive allure dans un désert au son du très grinçant groupe Suicide. Puis, une plage apparaît. C’est le drame : le vent et des vagues mortelles emportent les deux hommes. Donato, un sauveteur Brésilien, n’a pas le choix : il ne peut en sauver qu’un. Le destin lui choisit Konrad, un touriste allemand dont il tombe instantanément amoureux. Pour vivre cette histoire d’amour, il quitte et brise les liens avec famille et amis puis part le rejoindre à Berlin. Quelques années plus tard, son petit frère Ayrton, débarque dans la capitale allemande, annonçant tel un Camus du XXIe siècle, « maman est morte ».

 

Ce long métrage est-il censé apporter un nouveau regard sur l’homosexualité (il a été présenté en ouverture du festival du film LGBT « Chéris Chéris » en 2014) ? Rien n’est moins sur, au contraire tant tout semble dépassé : « Praia do Futuro » est digne des films gays tels qu’ont les faisait il y a 20 ans. On y retrouve des acteurs homosexuels en perpétuelle recherche de soi, sans attache et à la sexualité forcément sauvage (on pense notamment à une scène de baise dans une voiture). Des éléments clichés qui nous empêchent de nous attacher sincèrement aux acteurs, Wagner Moura (Donato) et Clemens Schick (Konrad) qui brillent pourtant dans leurs rôles respectifs. Le manque de dialogue n’y arrange rien, le réalisateur Karim Aïnouz mettant à l’honneur les sensations, il laisse la place à de nombreuses scènes muettes.

Au-delà du mélodrame amoureux, c’est le portrait d’un jeune Brésilien en pleine évolution que nous chante le réalisateur, traitant à la fois des racines, du lien fraternel ou encore de l’absence, tout cela construit autour de longues ellipses temporelles et géographiques. Le film passe des couleurs chaudes à la grisaille, d’une année à sept ans après, sans suivre de liens logiques. C’est alors la torpeur qui s’empare de nous petit à petit, tant le film manque de profondeur et de cohérence. Suivre la vie d’un homme ennuyeux ne peut que l’être pour le public. On attend cette scène, celle qui nous colle au siège, qui nous décroche de cette lenteur interminable… en vain

Le film se termine comme il a commencé : sur une plage, sur fond de retrouvailles fraternelles et amoureuses. Laissant s’échapper trois hommes dans le brouillard. Celui-ci même dans lequel nous restons une fois l’écran devenu noir.

Praia do Futuro, de Karim Aïnouz, sortie au cinéma le 3 décembre 2014. Durée, 1h46.




Manifeste pour un hasard libre et non faussé

sardou

Dans un décor réaliste et avec une mise en scène de Steve Suissa qui partage cette même volonté, le spectateur est invité dans une « maison au fond d’un parc », à assister au nouveau drame d’Eric-Emmanuel Schmitt, « Et si on recommençait ? »

Une pièce qui vient s’ajouter à celles que l’on voit depuis quelques années dans son Théâtre Rive-Gauche et dans lesquelles on est habitué à voir Francis Huster et un autre Sardou : Davy. Cette fois-ci, la plume se met au service du père, Michel.

Le chanteur est de retour sur les planches dans la peau d’Alexandre, un médecin reconnu de retour sur les terres de sa jeunesse. En visite dans l’ancienne demeure de sa grand-mère, il est assommé par une horloge. Il se retrouve projeté 40 ans en arrière dans la même pièce, un jour d’août dramatique où sa vie a basculé.

Le voilà face à lui-même, à 25 ans. Son jeune double (Félix Beaupérin), habillé d’un jean « pattes d’eph », est en train de batifoler avec Betty (Dounia Coesens). Très vite, son « lui jeune », va se rendre compte de la présence de son futur. Il est par ailleurs, normalement le seul à le voir – même si sa grand-mère parle avec lui lors d’une scène ; mais ce ne serait pas là, la première incohérence de ce texte.

Car ce dernier n’est pas un grand texte, on est assez vite agacés par sa naïveté et ses incohérences. La question principale, qui revient à chaque histoire où le temps est défié, est de savoir si la modification de son passé aura un effet sur son propre présent. Cet aspect est complètement balayé. On est loin ici d’un quelconque effet Papillon. Michel Sardou rêve-t-il ?

Néanmoins, la pièce fait ressortir une certaine tendresse dans la relation entre les personnages. Elle est une réflexion sur l’avenir. Que ferions-nous si nous pouvions « tout recommencer » ? Alexandre fait ici le point sur ce qui lui a permis de se construire. Entre l’ancien et le jeune, on assiste à un échange entre la vocation et l’expérience, plus efficace qu’une simple crise de la soixantaine.

L’histoire est servie par un Michel Sardou qui donne un aspect humain un peu désabusé à son personnage, mais qui ne veut pas non plus gâcher le plaisir de découvrir les surprises de la vie à son « lui-jeune ». Son jeu fin, simple, effacé quand il faut, fait de cette pièce un très bon moment pour le spectateur.

L’icône est entourée d’un groupe de jeunes acteurs aussi talentueux dans leurs personnages respectifs. On pense notamment, outre le jeune couple, à Katia Miran (découverte par nous l’an passé au Petit Montparnasse) qui est aussi très juste dans son rôle évolutif pendant la dernière partie de la pièce.

« Si on recommençait ? » d’Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Steve Suissa, actuellement à la Comédie des Champs-Elysées, du mardi au samedi à 20h30. Dimanche à 16h. Durée : 1h20. Plus d’informations sur www.comediedeschampselysees.com




Judith Magre, activiste anti-solitude

Copyright : Augustin Rebetez
Copyright : Augustin Rebetez

« Les Combats d’une reine » sont, en fait, une pièce biographique mettant en scène la figure de Gisélidis Réal – écrivaine, peintre et prostituée activiste – à trois âges de sa vie : 30, 50 et 70 ans. Trois périodes où le corps, mais aussi les idées et les discours subissent l’assaut du temps.

Pour raconter cette histoire, les actrices ont chacune leur espace sur le plateau – cellule de prison, secrétaire, trottoir – on passe d’une période à l’autre grâce à l’éclairage. La mise en scène de Françoise Courvoisier est assez simple, statique, laissant toute sa place aux voix. Parfois, les époques se croisent, le temps d’une danse ou d’une phrase. Ainsi réunies, les comédiennes créent un portrait vivant de l’icône, explorant et montrant son âme à divers stades de son existence. Une image du temps qui passe…

Idéaliste, rebelle à 30 ans, elle est enfermée dans une cellule et crie au monde son désir de liberté. A 70 ans, elle est profondément cynique et pourtant plus que jamais amoureuse de la vie. Ce dernier aspect est interprété par une Judith Magre captivante, au sommet de son art, portant les 70 ans de Gisélidis comme un charme (bien que, dans la vie, elle en ait 15 de plus !).

« Nous, les putes, on ira directement au paradis, parce que l’enfer, on a déjà donné ! »

Les textes de Réal sont une analyse de l’humain sans concession. Il existe dans sa plume un plaisir à choquer au moyen d’un franc-parler cru et grossier. Une expression aussi appelée par la nécessité, semble-t-il, de nommer les choses comme elles sont, sans éponger les angoisses de l’auditeur tranquille. Ce phrasé très imagé parvient également à rendre drôle les pires horreurs de cette vie de prostituée, qui finira par mourir du cancer. Un discours, parfois sordide, est aussi porté par des valeurs humanistes et libertaires capitales pour vivre.

Activiste, combattante, c’est elle qui mène à Paris la « Révolution des Prostituées » en 1975, se battant pour que ce métier soit désormais reconnu. Sur scène, on la voit se désoler de l’effroyable retour en arrière voulu par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur au début des années 2000, et du délit inventé de « racolage passif ». Elle fustige ainsi l’hypocrisie des politiques : difficile de ne pas faire de lien avec les discours du pouvoir en place aujourd’hui. Ce spectacle « manifeste » questionne aussi par le biais de son héroïne : « que faut-il mieux prostituer, son corps ou son âme ? », en référence aux gens qui pratiquent des métiers qui ne sont pas en accord avec leur être.

Terminant sur une touche d’espoir, cette déclaration universaliste nous rappelle enfin, qu’il n’est jamais trop tard pour vivre.

« Les Combats d’une reine », jusqu’au 18 octobre à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron (18e arrondissement), du jeudi au samedi à 21h. Dimanche à 17h. Durée : 1h10. Plus d’informations sur www.manufacturedesabbesses.com/.




Cyrano : il est tout, avec trois fois rien

Cyrano de Bergerac

Rarement, une création fait autant parler d’elle. Fin 2012, en pleine « affaire Depardieu », Philippe Torreton prend parti et assaille le premier dans une longue tribune dans Libération. Un texte truffé de références à Cyrano de Bergerac. Quelques semaines plus tard, Torreton incarne lui-même Cyrano, ce rôle qui colle tant à la peau du grand Gérard. La comparaison se fera forcément. Heureusement, les premiers commentaires seront unanimes : Torreton ne se ridiculise pas, il est Cyrano, un personnage puissant, solitaire et brutal incarné à merveille. Un Cyrano enfermé dans un hôpital psychiatrique construit sur la scène de l’Odéon jusqu’à la fin du mois de juin.


Une pièce commune glauque, éclairée au néon. Des tables et des chaises de-ci de-là parsèment l’espace. Torreton est déjà sur scène, dos au public. Un défilé de malades délirant s’opère pendant qu’un juke-box crache de la musique. Rien dans les premières minutes ne laisse présager que nous allons assister à une représentation de Cyrano. Les plus sceptiques se poseront la question de savoir si, comme au cinéma, ils ne se sont pas trompés de salle. Puis, peu à peu, on se surprend à imaginer les salles d’asiles auxquelles chacun a pu être confronté. On se questionne alors : peut-être que ceux qui nous semblent fous habitent un monde parallèle dans lequel ils jouent les plus grands drames de la langue française ? Doucement, l’imaginaire se créé.


Enfin, la pièce débute. Montfleury (Jean-François Lapalus) monte sur une scène faite de tables en formica. Tous autour s’amusent et parient pour savoir si Cyrano viendra interrompre la représentation, ce qu’il fait. Torreton une fois debout efface les autres tant il rayonne, tant son incarnation est pleine de force et de justesse. La transposition dans ce monde en blouse blanche où lui est habillé dans un vieux survêtement Sergio Tachini n’empêche pas le texte d’être limpide et particulièrement bien dit. Rostand est l’un des ancêtres de Pagnol et Audiard en matière de textes imagés.


Bien que l’épée soit remplacée par un fer à repasser et que la scène du balcon devienne une conversation Skype, la dramaturgie est très respectueuse des situations rostandiennes : toutes existent et aucune ne perd en force. Celles-ci sont soutenues dans une mise en scène volontairement déséquilibrée qui met particulièrement en valeur le héros et son nez, au détriment des personnages secondaires.  L’organe de Cyrano parle, il est le prolongement parfait de l’acteur. De profil, il accuse, de face, il touche, de dos, il nous manque. Seule Roxanne (Maud Wyler) trouve sa place au-devant de la scène. C’est elle qui rend le Gascon tout chose, plus faible, en un mot amoureux. Monde moderne et monde baroque se confondent lorsqu’on vit cette situation douloureuse d’un amour par procuration.


L’enfermement dans le monde psychiatrique renforce d’autant plus le climat de tristesse de la situation dans laquelle se trouve Cyrano. Cet homme seul, bon et courageux cloisonné dans sa laideur avec ce nez qui « d’un quart d’heure pourtant [le] précède », vit dans un monde imaginaire. Le drame gagne en noirceur et la vie de cet homme fou en devient profondément désespérante, après une scène finale grandiose, on sort du spectacle bouleversé.


Pratique : Cyrano de Bergerac, jusqu’au 28 juin au théâtre de l’Odéon (6e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 01 44 85 40 40.




Passion simple, voyage amoureux

Copyright : Benoite Fanton / Wikispectacle
Copyright : Benoite Fanton / Wikispectacle

Elle se réveille un matin toute habillée dans une chambre d’hôtel. Enseignante quadragénaire du début des années quatre-vingt-dix elle se remémore la passion qu’elle a connu en étant la maîtresse d’un homme, sa rupture, la reprise puis l’extinction… tout ça sur fond de Lambada et de Sylvie Vartan.

Le texte d’Annie Ernaux est débordant de détails précis et universel sur la posture d’attente face à l’être, si ce n’est aimé au moins désiré. Le téléphone qui sonne, l’espérance d’entendre la voix tant souhaitée et la colère ressentie contre l’interlocuteur qui n’est pas celui que l’on espérait être. Enfin, notre avenir qui ne dépasse pas l’horizon du prochain rendez-vous. Passion simple dépeint toutes ces situations dans lesquelles chacun se donne une posture pathétique volontaire, et enfin, lorsqu’elle le voit, elle est incapable d’apprécier le temps présent, obnubilé par son départ forcément trop proche.

Spectateur, on se questionne alors sur la soumission, ou comment les contraintes sont sources d’attente et de désir. Sur l’idéalisation de l’être aimé. On se surprend à accorder une importance certaine à cette histoire banale, mais oh combien plaisante à écouter.

Le sujet traité un nombre incalculable de fois adopte alors un tour prenant. Marie Matheron, seule en scène, est captivante, elle parle d’une voix grave et posée tout en prenant au fur et à mesure de plus en plus distance de son personnage, ce qui a pour effet de dédramatiser cette aliénation dans laquelle elle nous entraîne et de lui donner une pointe d’ironie délicieuse. Peu à peu, son bel amant devient un cadre parmi d’autres, un abruti qui parcourt les Grands Boulevards fiers de siéger dans sa grosse voiture. Enfin, elle en s’en détache, et, avec seulement du plaisir, le public parcours ce chemin sentimental passionné en toute quiétude.

Pratique : Jusqu’au 7 juin au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs (6e arrondissement). Du mardi au samedi à 18h30. Durée : 1h. Réservations sur http://www.lucernaire.fr/ et au 01 45 44 57 34.




Une soirée au Petit-Saint-Martin : « La beauté » et « Ring »

Bernard Richebé
Bernard Richebé

On peut apprécier passer une soirée sur les Grands Boulevards [1. Les boulevards qui relient la place de la République à l’entrée du boulevard Haussmann sont, depuis le XVIIe siècle, le point géographique où sont rassemblés à Paris les théâtres de divertissement pour le public populaire], sans pour autant aimer péter au lit avec son épouse. C’est pourtant ce que semble sous-entendre Eric Loret dans un article un brin condescendant, paru dans la série « Libé » explore le théâtre de boulevard, où il traite (un peu) du spectacle Divina, mettant en scène Amanda Lear dans une pièce de Jean Robert-Charrier.

Eric Loret incarne dans cet article, le critique (trop) snob, rappelant les nobles qui venaient « s’encanailler » sur les boulevards au XVIIIe. Pour ce public étaient prévus des loges munies d’un grillage, afin d’assurer leur discrétion dans ces lieux affreusement populaires. Un snobisme de la part de Loret, qui s’illustre par la nécessité de donner son avis sur tout, et surtout pas sur l’essentiel. On a droit à son avis de critique mondain sur le public (« Un monsieur d’une soixantaine d’année avec sa maîtresse »), monsieur Loret est-il aller demander s’ils étaient bel et bien amants ? On notera ici l’allusion sexiste volontairement boulevardière, où il n’existe aucune possibilité que ce soit « une femme d’une soixantaine d’année avec son amant ». On a ensuite droit à l’avis de critique gastronomique, quand il commente la commande du couple précédent (« ce sera deux suprêmes de volailles »), comment ? Tous les publics de théâtre ne commandent pas des « émulsions » et autres « gyosa » avant d’aller au théâtre ? Dieu que le boulevard Montmartre est rétrograde…

On a droit ici à ce que Libération fait (rarement heureusement) de pire. Où la critique montre sa face moribonde, affreusement tournée sur elle-même, s’illustrant à destination d’un public d’amis.

Nous revendiquons donc, sur Arkult, le droit de pouvoir s’amuser sur les boulevards, de temps en temps, pour lâcher prise, pour se vider la tête, car c’est un moyen comme un autre après tout ? C’est moins classe qu’un rail de coke, c’est sûr, mais selon le public, c’est tout aussi efficace. Il faut de tout pour faire un monde, non ? [2. Aaaah ! Encore un horrible adage populaire !]

De notre côté, jeudi soir, on est allé passer une soirée très enrichissante au théâtre du Petit Saint-Martin. Qui n’a bien sûr pas la même vocation drôlatique » que celui des Variétés, mais qui a le malheur de se trouver dans la même zone géographique. Et pourtant, les deux productions qu’il accueille sont excellente et « de très bon goût ».

Rémy Perthuisot
Rémy Perthuisot

La beauté, recherche et développement

Le spectacle de début de soirée accueille le public au son d’une voix off toussoteuse qui semble se vouloir rassurante. On se croirait entré dans un séminaire de développement personnel dont la brochure aurait été trouvée dans un Nature et Découverte, un soir de novembre. Quand la lumière s’éteint, c’est un « voyage » qui commence. Conduit par Brigitte et Nicole, ce parcours sur plateau nu met à l’épreuve l’imagination du public. Un public venu suivre une visite guidée sur la notion de beauté.

C’est sans machine et sans gadget que le duo nous guide dans l’aventure. Leur jeu est très complémentaire, elles sont là pour nous faire du bien, pour nous montrer le beau, sans pour autant masquer leur faiblesse (feinte), qui fait voir le beau en chaque chose. Elles sont un mélange entre des Madame Loyal et des vendeuses-animatrices de grande surface des années quatre-vingt dix, empaquetées dans une gestuelle clownesque.

L’humour ne réside pas forcément dans leurs répliques, mais dans l’auto-réaction qu’elles suscitent, leur simplicité les amuse et nous amuse dans la foulée. L’inspiration du texte ? La vie d’une quadra de classe moyenne, dans la vie de tous les jours. On joue sur les mots, sur le registre de l’autodérision, mettant en lumière la faiblesse des moyens techniques pour soutenir leurs discours. On notera la richesse d’investissement corporel des actrices qui ont le talent de nous faire sourire d’un geste de main (alors imaginez quand elles dansent !).

Quelques zones d’ombre dans la vie de Brigitte et Nicole jalonnent ce « voyage » et n’en font que ressortir la drôlerie pour le public. On relève la dédramatisation du monde actuel, celui qui est prêt aux pires horreurs pour retrouver la beauté, et qui finalement se mutile. Une certaine poésie réside dans les métaphores et offre finalement plusieurs niveaux de lecture au public. A la fois drôle et intelligent, ce spectacle est un manifeste humaniste.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h10

Mise en scène : Pierre Poirot

Avec : Florence Muller, Lila Redouane

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Bernard Richebé

Ring

A 21 h, place au spectacle de Catherine Schaub mettant en scène Audrey Dana et Sami Bouajila, Ring. Dans ce décor moderne, une toile blanche étendue sur le mur et sur le sol, deux accessoires : un banc et un lit et se déroulent devant nous toutes les facettes de l’amour.

Cette suite de tableaux débute par une dispute de couple banale, entre Adam et Eve. Elle s’ennuie, elle veut « s’épanouir intellectuellement » et son mari ne sait plus quoi faire pour qu’elle puisse se divertir. Le problème ? Ils sont seuls. Plus tard, un autre couple : elle domine et veut de la baise, et c’est elle qui fait peur à l’homme. A un autre moment ils se connaissent à peine, ou se rencontrent par hasard. Les rôles changent et s’inversent et on est souvent surpris. Il y a du sexe, de la violence, de la volupté, parfois un peu de passion, et beaucoup d’amour.

Quand on lit le paragraphe précédent, on pourrait croire qu’il y a du drame dans toute la pièce. Oui, il y en a, mais il passe au second plan derrière tant d’humour. Le texte de Léonore Confino est extrêmement drôle, il est d’un style très affirmé et audible. Dana et Bouajila se l’approprient profondément et s’investissent corps et âmes sur le plateau, dans une mise en scène, tout en déséquilibre, réussie. Le plaisir que ces comédiens ont à jouer ensemble est visible, palpable.

Le décor est sensitif, le blanc se prête à la réflexion du bleu, du rouge, à la projection d’un décor en 3D et contribue (avec la musique, électronique, parfaitement froide mais agréable) à nous plonger dans une sorte d’hors-temps et d’hors-espace, bien que les histoires racontées mettent en lumières les problèmes relationnels et existentiels d’un couple moderne, dans un échange dominant/dominé. Des histoires d’amours difficiles, mais qu’on a un plaisir fou à vivre quand on est dans le public.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h40

Mise en scène : Catherine Schaub

Avec : Audrey Dana, Sami Bouajila

 




Delanoë, la libération… Enfin ?

Delanoë

Yves Jeuland nous a habitués à mettre son service au talent de la politique française [1. Il a réalisé, entre autres, « Camarades, il était une fois les communistes français » (2004), « Un village en campagne » (2008), « Le Président » (2010). Ce dernier porte sur la campagne de Georges Frêche pour conquérir la région Languedoc-Roussillon.], la livrant telle qu’elle est aux yeux du spectateur, souvent cruelle et manipulatrice. Avec « Delanoë libéré », c’est un autre exercice auquel se consacre le réalisateur, puis qu’ici, il se donne une place (corps et voix) au casting. Il est installé avec Bertrand Delanoë dans un studio de tournage (bien que toujours de dos), et c’est lui qui mène l’entretien avec celui qui, en mars 2014, portera le titre (honorifique!) d’ancien maire de Paris.

Le contexte est intéressant : le maire socialiste (le premier à Paris depuis 1 siècle !) ne se présentera pas à sa succession [2. La candidate du Parti Socialiste est une « lieutenant » de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo.], il est « libéré » d’engagements futurs et peu donc dresser une sorte de bilan. Une « sorte », car ce n’est pas un bilan politique qu’il faut s’attendre à voir ici, encore moins un bilan de mandat. Quel intérêt à dresser ce dernier pour soi-même si ce n’est pas pour être réélu ? C’est donc un bilan humain qui s’écrit pendant ce film, comme le récit d’une vie, d’un homme, de ses souvenirs, avant son retrait de la vie publique.

Jeuland n’en est pas à son premier documentaire où Delanoë a un rôle important. Il y a douze ans, il tournait un film baptisé « Paris à tout prix ». Diffusé en deux épisode sur Canal+, il montrait tout de la bataille que les candidats se livraient entre eux pour l’Hôtel de Ville. Ce documentaire s’arrête sur la proclamation des résultats. La caméra était restée à l’entrée, elle a attendu patiemment la sortie. C’est d’ailleurs avec plusieurs images de ce premier documentaire que s’ouvre « Delanoë libéré ».

Filmé de trois-quarts on voit monsieur le maire regarder les images, on profite ainsi de ses réactions. Il donne l’apparence d’un homme simple, au regard fatigué, sans être agacé, qui est assis face à nous. Fait rare pour un homme politique : il s’exprime en bon français, dans cette voix grave de fumeur de cigarillos couronnée d’une légère intonation de dandy, que même l’auditeur occasionnel lui connaît. On le voit en ami de Lionel Jospin, admirateur de Gaston Defferre, inséparable de Dalida… Cette dernière qui l’accompagnait dans les rues du 18e arrondissement au soir de sa première élection en tant que député pour fêter la victoire en 1981.

C’est un vieux combattant qui porte maintenant un regard façonné par la maturité et l’expérience sur sa propre vie. Une naissance à Bizerte en Tunisie, son mai 68 à Rodez, sa montée à Paris quand il avait 24 ans et les engagements menés alors. Il parle des leçons données par ses parents, qui n’ont pas connu son ascension brillante. L’occasion pour lui de revenir sur l’un de ses grands combats face à lui-même : contre l’orgueil, un vieux démon dont il donne l’image de s’être complètement libéré aujourd’hui. Il commente aussi son coming-out, réalisé à fin des années quatre-vingt dix et se félicite du fait qu’aujourd’hui « le maire de Paris soit homosexuel, et que tout le monde s’en foute ! ». Il assume son célibat, ou plutôt, sa liberté encore une fois, confessant que jamais « [il] ne veut se priver d’une affection naissante ». La liberté, véritable luxe de cet homme sans téléphone portable, peut-être…

Il y a aussi une certaines douleur et peut-être un peu de regret quand il revient sur ses échecs internes du parti Socialiste. Fataliste, il commente : « c’est que cela ne devait pas arriver ». Douleur également, mais philosophie aussi, quand il repense à la tentative d’assassinat dont il a été victime à l’Hôtel de Ville ce samedi soir de 2002, lors de la première édition des Nuits Blanches, il dira qu’il « se peut que cela [lui] ai apporté un peu de sagesse ».

Enfin, la question de savoir, pourquoi il s’arrête là ? Alors qu’il aurait tout a fait pu être réélu si cela l’avait intéressé ? [3. Bertrand Delanoë avait annoncé dès son élection qu’il n’exercerai que deux mandats à la tête de Paris.] Delanoë répond qu’il a « admiré deux grands maires : Defferre et Chaban-Delmas, et que ces deux ont fait quelques mandats de trop ». Il préfère donc penser à l’après mars 2014, imaginant sa vie entre « voyages, plage et copains », sans pour autant écarter toute possibilité de responsabilité politique, disant en substance que si on lui confiait une « mission », il ne la refuserait peut-être pas…

Comme à son habitude, Yves Jeuland et son équipe ont le génie pour faire voir l’humanité dans le héros et comment celui-ci arrive, d’une certaine manière, à nous le faire aimer. Ils construisent une histoire autour de ce sujet qui ne semble pas forcément évident au départ. Et pourtant, on comprend tout. On s’intéresse à chaque minute du film même si on ne connaît pas grand chose de l’homme au départ [4. C’est le cas de l’auteur de cet article.]. Le mélange entre images d’archives, interview et clins d’œil musicaux (chers à Jeuland) donne un bel équilibre à l’ensemble, on ne relève pas de longueurs ou de détail qui viendrait en gâcher l’harmonie.

Ce documentaire mérite l’attention du spectateur amateur ou non de jeux de pouvoirs. Il offre l’image intéressante d’un homme politique peut-être un peu plus vrai que les autres ? Assurément vrai, car (volontairement) libéré !

« Delanoë libéré » sera diffusé le 18 octobre sur France 3 à 23h10




L’École des Femmes, leçon acide à La Tempête

Laura Mariani
Laura Mariani

En montant les grands auteurs classiques (essentiels ?) du théâtre français, le metteur en scène prend un risque. Le risque de montrer quelque chose de déjà (trop ?) vu ou encore celui de vouloir sortir des codes au détriment de l’essence de la pièce. Comme à son habitude [1. Philippe Adrien a mis en scène de nombreuses pièces classiques, pour la liste complète, se référer au site du théâtre de La Tempête], Philippe Adrien ne tombe pas dans un mauvais piège et son École des Femmes respecte le texte tout en lui donnant une résonance moderne.

Le spectacle se déroule dans un décor raffiné, champêtre où la teinte majeure est le gris. Les personnages ont quitté le XVIIe français où ils sont nés pour être transposés dans une toute fin de XIXe siècle morne et un peu angoissante.

Inutile de revenir en détail sur les enjeux du drame, mais l’École des Femmes trouve encore aujourd’hui une véritable raison d’être entendu. Philippe Adrien fait ressortir toute l’horreur de la situation où Arnolphe a voulu sculpter – par l’éducation – une femme (Agnès) selon ce qu’il attendait d’elle, pour pouvoir ensuite l’épouser. Ainsi, il se protégerait de tous les travers (supposés) de la féminité. Une brillante critique du patriarcat moderne en somme, amplifiée par la scénographie où cohabitent une salle de torture et les plaines brumeuses de l’arrière pays [2. La scénographie est de Jean Haas].

Les acteurs sont tous juste, parfois drôles, dans leurs rôles respectifs, notamment Patrick Paroux, campant Arnolphe, qui fait de ce personnage un homme entre Panisse et Louis de Funès, avec quelque touche bouleversante qui laissent voir un égoïsme sans limite au milieu d’une douleur sincère : celle du rejet de sa personne par Agnès, au profit du jeune Horace.

Bien sur, l’amour triomphe dans une scène de fin collégiale en forme de tableau à la Courbet, et l’on quitte la salle, conquis, heureux d’avoir aussi bien entendu le texte de Molière, soutenu par ces ambiances féeriques, oniriques et pourtant très simples dont Adrien a le secret.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre 2013 au théâtre de la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € et 18 €.

Durée : 2 h

Texte : Molière

Mise en scène : Philippe Adrien

Avec : Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Joanna Jianoux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Patrick Paroux.




Sébastien Ménestrier – Pendant les combats

Un premier roman est entouré d’un grand nombre d’inconnues.

Pour l’auteur bien sûr, soucieux de savoir comment va être accueilli son ouvrage, quel positionnement on voudra bien lui accorder, quelles inspirations vont lui être prêtées.
Pour l’éditeur ensuite, qui fait là un véritable pari, comme un numéro de voltige sans le filet que peuvent constituer les précédents opus de l’auteur.
Et pour le lecteur enfin. Que penser en effet devant un premier roman ? Il y a bien la quatrième de couverture qui nous renseigne sur les grandes lignes du récit. Parfois même quelques critiques piochées à droite à gauche. Et puis les extraits entrevus en librairie avant de se décider.
Mais peu d’indications sur l’univers dans lequel il s’apprête à pénétrer, sur le succès de la communion à venir.

« Pendant les combats » est le premier roman de Sébastien Ménestrier.
Et très vite, les craintes s’envolent, en même temps que les personnages s’ancrent dans l’imaginaire du lecteur.

Il y a là Ménile et Joseph, deux amis, autrefois adolescents complices, désormais engagés dans une cause commune, la Résistance.
La force du récit tient en cette petite centaine de pages.
Puissantes.
Concises.
Bouleversantes.

Sébastien Ménestrier, qui s’était déjà illustré avec un premier récit (Heddad, aux éditions La Chambre d’Echos), nous dépeint ici l’absurde simplicité de la tragédie humaine : la lâcheté des hommes apparaît plus forte que leur amour. L’espoir disparaît derrière la triste réalité de la condition humaine et de ses faiblesses.

Seul regret, un auteur n’a qu’un premier roman …
Le lecteur n’a donc qu’une seule fois le plaisir d’éprouver ce mystère avant de s’engouffrer dans un univers totalement inconnu, vierge de comparaisons, puis l’intense satisfaction (et un brin de soulagement) de s’y trouver à son aise, face aux forces de l’écriture et de l’Histoire.

Extrait 1 :
« Plus tard, leurs cigarettes consumées, il a entrepris de se mettre debout, lentement, sans faire tomber le cendrier, posé entre eux. Il y est parvenu, puis Joseph a fait de même, et ils se sont retrouvés tous les deux, debout, sur le lit, stupides, ravis. »

 

Extrait 2 :
« Il n’avait rien dit pour que Ménile ne soit pas mis à l’écart. Il avait été en face d’Adrien, il avait pensé dire un mot, au moins ça, et puis il n’avait rien dit. Il n’avait pas voulu être mêlé, devant ce garçon, devant le campement tout entier, à celui qui avait démérité. »

 

Couverture
Couverture

 

Pendant les combats, Sébastien Ménestrier
Ed. Gallimard, collection Blanche
96 pages, 9,50€
ISBN : 978-2-07-013959-0




« Tout est normal mon coeur scintille » et Gamblin irradie à nouveau

Crédit photo : Giovanni Cittadini Cesi
Crédit photo : Giovanni Cittadini Cesi

Quand la lumière s’allume l’acteur est déjà sur scène. La salle est pleine. La scène est vide.
l’exception donc de Jacques Gamblin et d’un spot de lumière dans lequel, d’ailleurs, il n’est pas. Débute alors un one-man show. Puis le one-man show se fait poétique et très vite la danse vient faire écho à la narration. Gamblin est alors rejoint par deux danseurs et l’écran noir qui obturait le fond de la salle devient tableau.

Jacques Gamblin semble conduire à voix haute la réflexion qui l’habite, revivant des scènes de son enfance ou incarnant des animaux. La danse toujours prolonge le discours et entre parfaitement en résonance avec le sentiment qui l’anime. La danse et le théâtre paraissent faits l’un pour l’autre, contrairement aux deux personnages dont Gamblin tracent le contour à demi-mots.

Une rupture : voilà le début de la réflexion de « Tout est normal mon cœur scintille ». Mais finalement le thème en est l’Amour. Et comment mieux d’écrire l’amour que quand on vient de le perdre ?

C’est un texte vérité qu’a écrit Gamblin et qu’il rejoue au Théâtre du Rond Point avec beaucoup d’humour. Un texte avec des bons mots qu’on aimerait noter dès qu’on a fini d’en rire. Il semble énoncer clairement ce que chacun pense confusément, comme une projection de votre esprit mais en plus fluide, en plus limpide. Un univers onirique évoquant Tree of Life (1) avec des petits bonshommes en costume sur fond de ciel nuageux à la Magritte (2).

La prestation de Gamblin est éloquente de souplesse.
Palpitant, en pantin électrique.
Touchant, en homme blessé malgré ce ton décalé enjôleur.

Les danseurs Claire Tran et Bastien Lefèvre occupent superbement toute la surface qui leur est offerte et insufflent l’air nécessaire à la réflexion en entraînant avec eux Gamblin qui exécute quelques pas de danses.

Quand le spectacle est terminé, c’est au public d’applaudir. Usant ainsi de ses deux mains pour émettre une onde en propulsant énergiquement la paume gauche contre la paume droite (l’inverse fonctionnant aussi). Par l’applaudissement, il semble entendu tacitement que le public signifiera aux acteurs sa satisfaction d’avoir acquis un siège pour quelques heures dans ce théâtre et pour cette pièce.

Ainsi, par une équation savante effectuée entre la vigueur des applaudissements et leur longueur on obtient un degré d’échauffement/irritation de la paume de la main.

Les miennes après la représentation de « Tout est normal mon cœur scintille » étaient diablement échauffées.

Notes:

(1) Tree of Life, film dramatique américain écrit et réalisé par Terrence Malick, interprété par Brad Pitt, Sean Penn et Jessica Chastain palme d’or à Cannes en 2011.

(2) René Magritte, peintre surréaliste belge.

 

Pratique : Jusqu’au 3 Mars 2013 au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (VIIIe arrondissement, Paris)
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr
Tarifs : entre 15 € (moins de 30 ans) et 36 € (plein tarif).

Durée : 1 h 30

De et avec : Jacques Gamblin

Collaboration artistique : Anne Bourgeois

Danseurs : Claire Tran et Bastien Lefèvre

 




Joël Pommerat, le maître de la lumière à l’Odéon

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Comme pour « Ma chambre froide », Joël Pommerat n’utilise pas l’espace conventionnel d’un théâtre. Point de sièges, point de scène. Ces attributs sont remplacés par deux rangées de gradins face à face pour les spectateurs et un espace scénique de plusieurs dizaines de mètres entre les deux comme terrain de jeu(x).

Au sens propre comme au figuré, Pommerat déstructure les codes du théâtre pour les faire entrer dans son univers très particulier. Un monde sombre où les personnages sont parfois de simples volumes de chair sur lesquels se reflète la lumière, la véritable actrice des mises en scène du créateur.

Comme à son habitude, Pommerat créé tout en même temps. La mise en espace, le décor, les jeux lumineux et le texte. Dans « La réunification des deux Corées », pas d’histoire, mais plusieurs tableaux dont le fil conducteur est l’amour et les crises qui l’accompagnent. Pêle-mêle, on y voit un couple lesbien en thérapie conjugale, un mari qui rend visite à sa femme complètement amnésique, deux parents dont l’avis diverge sur le fait que leur fils veuille partir à la guerre…. L’humour peut suivre la gravité, l’ironie succède à la souffrance ou le calme à la colère et l’absurdité la plus totale quand un curé vient expliquer à une prostituée dont il est le client fidèle qu’il se passera désormais de ses services car il a « rencontré quelqu’un ».

Le noir se fait entre chacun des scénarios et lorsque la lumière (toujours magnifique) se rallume, la nouvelle scène apparaît sous nos yeux comme par magie. L’éclairage dessine parfois un soupirail, une boîte de nuit, un parvis d’église où la mariée se prépare à monter les marches ou une rue sombre où un fantôme vient chercher sa promise. On est toujours surpris, émerveillés d’un tableau à l’autre. Pommerat arrive jusqu’à recréer le reflet des feux d’artifice sur le sol d’une ville, et il n’a pas peur de faire venir des auto-tamponneuses sur le plateau pour les besoins d’une scène.

Néanmoins, cette création pèche un peu par la qualité qui varie d’un « sketch » à l’autre. Certains s’étirent trop en longueur, d’autres semblent connaître une fin bâclée … De plus, la justesse des comédiens change d’un personnage à l’autre. Parfois d’une neutralité dérangeante, ils peuvent également se révéler en grand contraste avec ce décor si puissant.

Malgré ce bémol, Pommerat s’inscrit en maître de la création d’ambiance poétique et onirique. Ce spectacle est, et doit être vu, comme une nouvelle grande réussite à mettre sur le compte du metteur en scène, car on quitte la salle comme des enfants quittent un cirque : des étoiles pleins les yeux et la hâte d’y revenir.

Pratique : La réunification des deux Corées
Jusqu’au 3 mars au théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier,  au théâtre de l’Odéon, 1 Rue André Suares  (75017, Paris). Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu. Tarifs : entre 6 € et 30 €.

Durée : 1h50

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.




« L’Italienne », on ne badine pas avec le théâtre

ITALIENNE. Si ces 4 syllabes vous emmènent dans la péninsule chère à Jules César vous êtes dans le vrai. Cependant si l’image mentale qui se projette dans votre ciboulot est celle d’une jeune femme au corps glabre, au teint halé, aux vêtements bien taillés et aux lunettes vissées sur un petit nez mutin, vous êtes loin, très loin de la vérité. Le pire dans tout ça, c’est que vous ne comprendrez le titre de cette pièce qu’une fois à la moitié de la représentation. C’est là un bien faible risque à prendre car lorsqu’on se rend au théâtre du Funambule on est certain de passer une plaisante soirée.

Dans dans « L’Italienne » de Eric Assous, on parle d’amour. Exit le mélo dégoulinant pour les coeurs d’artichauts ou le règlement de compte à « O.K. Corral ».  Au centre de « L’Italienne » un couple, deux acteurs et une pièce dans la pièce.

Après le Théâtre du funambule c’est La Comédie St Michel qui accueille le duo à partir du 21 Septembre et pour 4 mois du vendredi au samedi à 20h.

Astrid Pinker​ a le regard qui tue et Muriel, son personnage tire la première. Ses talons claquent et son talent se démarque malgré son âge tendre.

Eric Rolland a le charme rassurant de la quarantaine et la verve claire. Malgré un coeur grenadine, Franck, son personnage, a la dent dure contre son ex, Muriel. Lui qui hier encore était banquier a bien fait de quitter les financiers avides pour les saltimbanques indolents.

David Garcia, tapi dans l’ombre de la salle observe les ébats et débats des personnages. Il a la piquante appréhension du metteur en scène qui guette les réactions du public.

A l’issue de la représentation, nous avons échangé dans l’atmosphère feutrée d’un bar accueillant de la Butte.


[Stef-Arkult] Pour jouer une rupture, est-ce qu’on pioche dans son vécu ou on hésite parce que ça fait trop mal ?

ER : Je ne suis pas un fana de la méthode acteur studio où on se fait du mal pour faire remonter des trucs et exprimer des sentiments sur scène. J’ai vécu des choses comme ça et quand je l’ai lu ça m’a rappelé des souvenirs mais quand je joue ce texte, ça ne fait plus appel à moi. Peut-être qu’un jour, un metteur en scène me le demandera mais ça n’est pas la façon dont nous a fait travailler David Garcia.

[Nous commandons : des liquides houblonnés pour les comédiens, un café-long-tardif pour le metteur en scène]

AS : On arrive à ressentir des émotions au fur et à mesure du jeu parce qu’on se met dans une situation bien particulière donc je suis un peu de l’avis d’Eric. Y a plein d’acteurs qui te diront « à tel moment j’ai pleuré parce que j’ai pensé à ma grand-mère » ou je ne sais quoi… Y en a.
Moi je suis plutôt dans une énergie de jeu et dans un sentiment.


[Stef-Arkult] Comment est-ce que vous définiriez la pièce, est-ce une tragédie ou une comédie ?

AS : On a eu beaucoup de mal à la classer cette pièce. Y en a qui disent comédie sentimentale sans pour autant restreindre à un truc de nénette. En tous cas je ne pense pas qu’on puisse parler d’un drame parce qu’il y a de l’espoir !

ER : Bref, c’est pas « Nuit Blanche à Seattle », je n’irais pas voir ça au ciné alors je ne le jouerais pas non plus.
Ca n’est pas un truc à l’eau de rose, ni les dialogues ni les rapports entre les deux personnages aussi bien quand ils s’aiment que quand ils se déchirent. Les gens sortent plutôt avec la banane et ils ne pleurent pas. [Regards amusés entre Astrid et Eric]… Quoi que si, une fois on a vu pleurer un spectateur mais c’est rare, c’est très rare.
Et ça c’est aussi la touche de David car l’ouverture finale de la pièce n’est pas dans le texte d’Eric Assous. Et, avec une telle ouverture, chacun comprend ce qu’il veut.

DG : Du point de vue du metteur en scène, la pièce est conçue comme une suite d’accidents de la vie, subies par un homme. Et à la fin l’homme s’apprête peut-être à faire subir ce qu’il a vécu, c’est la roue qui tourne. Le futur de la pièce pourrait donc être l’histoire de Lorraine [nouvelle compagne de Franck] qui dirait que son mec est parti avec quelqu’un.

AS et ER : L’italienne 2… le retour! [rires]


[Stef-Arkult] J’avais une petite appréhension en venant vous voir parce le sujet des disputes et des séparations n’est pas hyper marrant …

ER : Je vois ce que tu veux dire, mon personnage le dit aussi, c’est pas original.

[Stef-Arkult] Oui voilà, alors qu’apportez-vous de neuf à cette grande thématique ?

AS : Je pense que l’originalité vient du parti pris, choisi par David,  qui est de monter cette pièce d’une manière cinématographiée.  Du coup on n’est pas dans le « too much » des sentiments. Les scènes de disputes ont été raccourcies et nous avons essayé un maximum de mettre de l’humour même là où c’était triste.
Évidemment je ne peux pas trouver la pièce chiante, puisque je joue dedans mais je la trouve surtout très actuelle et tout le monde peut s’y retrouver.

[Nous trinquons et c’est bien la première fois que je trinque avec une personne qui boit un café…]

ER : Il y a une grande originalité dans la forme.
Il y a des flashback. On ne sait pas où on se situe : dans la pièce que nos personnages vont interpréter ou dans leur vie.
Moi je n’ai jamais vu ça au théâtre, c’est un jeu original et très cinéma.

[Je conviens que la pièce est conçue comme des poupées russes et que ça me rappelle « Mulholand drive » car ici aussi c’est dans le détail des accessoires de Muriel qu’on arrive à distinguer le théâtre dans le théâtre…]

ER : Malgré le thème vu et revu, la pièce est originale les gens s’attachent au personnage même à ceux qui sont très durs.

DG : Choisir un thème assez couru c’est aussi l’occasion de voir comment des comédiens arrivent à trouver de la finesse de jeu.
Je suis très dans le fait de déclencher un sentiment tout de suite. On voit rarement ça au théâtre. Mais dans cette petite salle c’est possible quand le spectateur est tout proche.
Etant donné que ça parle de théâtre j’aurai pu faire une énième pièce sur le thème de Tchekhov en reprenant les fameux personnages de « La Mouette » : Nina et Trigorine. C’est ce qui m’est venu à l’esprit en premier, car se sont des figures qu’on travaille beaucoup dans le théâtre contemporain.
Mais j’ai essayé d’être dans un théâtre cinématographique plus à la new-yorkaise, à l’américaine. Je préfère donc des David Mamet à des Olivier Py. Pour ce genre de théâtre en tout cas.


[Stef-Arkult] Une question à propos d’Eric Assous. Il a en ce moment 3 pièces à l’affiche à Paris, qu’est-ce que ça fait de travailler pour un « serial auteur » ?

ER : Il nous a donné la chance de jouer cette pièce et je le bénis tous les jours. Il ne nous connaissait pas. Je l’ai contacté en juin pour lui dire que j’avais monté une pièce de lui au Cours Florent. Eric Assous m’a alors dit qu’il avait donné les droits de la pièce qu’on travaillait au cours Florent à une autre compagnie. Mais durant ce coup de fil nous avons sympathisé et à la fin il m’a dit qu’il avait une seconde pièce, « L’Italienne ». Nous sortions un peu de nulle part, enfin du cours Florent pour ma part et Astrid l’année précédente, et surtout, on n’était pas connu.
[Le Cours Florent qui est tout de même l’Ecole privée de formation de l’acteur la plus reconnue en France…]
Contre toute attente Eric Assous m’a dit « si vous la voulez elle est pour vous, elle a failli être montée 2 ou 3 fois mais ça ne s’est jamais concrétisé ». Moi j’aimais déjà beaucoup cet auteur. J’avais lu et vu plusieurs de ses pièces dont « L’illusion conjugale ». Évidemment j’étais ravi.

Nous n’avions pas du tout calculé de se retrouver à côté de gens comme Jean-Luc Moreau, son metteur en scène attitré. A la rentrée il y avait donc « L’italienne » coincée entre « Mon meilleur copain » et « Les conjoints » [voir bas de pages Infos complémentaires] mais nous ne jouons pas dans la même cour, ni dans les même théâtres et surtout on n’a pas les mêmes moyens. N’empêche qu’on a eu de super critiques, d’excellents papiers dans les journaux. Finalement, l’alchimie fonctionne.
Eric Assous a d’ailleurs vu et aimé ce que nous avons fait avec David Garcia. C’était un vrai challenge !


[Stef-Arkult] Si je résume, Eric Assous vous a donné la pièce et vous a laissé monter votre projet ?

DG : Ah oui tout à fait, il nous a donné le texte et nous a laissé maîtres.
Par exemple je voulais un écart d’âge mais différent de celui qui est écrit. Je voulais le décaler, nous avons pris un écart entre une comédienne d’une vingtaine d’année et un acteur qui a la quarantaine. Le rapport est différent.

AS : Ça passe très bien du coup lorsque mon personnage raconte ses premières expériences et son court métrage. La petite jeunette en peu écervelée et naïve qui sort un peu tout ce qui lui passe par la tête, c’est plus crédible.


[Stef-Arkult] Contrairement à ton personnage, Astrid, as-tu passé une audition ?

AS : Ben non en fait, on a déjà travaillé ensemble tous les trois. Je n’étais pas à Paris, Eric Rolland a pensé à moi, il m’a envoyé le texte, je l’ai lu et j’ai dit « banco ».

[C’est donc aussi une histoire de copains … des copains qui ont du talent]


[Stef-Arkult] Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2012 ?

AS : Le succès de « L’Italienne » jusqu’à 2013 en France et à l’étranger !

[Eric et David acquiescent sourire au coin des lèvres]


Le public alangui par d’autres récits de passions éculées ne sera pas déçu. Cette Italienne n’est pas une douche froide. La pièce sonne juste et ça n’est pas uniquement à mettre au crédit d’une Bande Originale qui nous embringue avec les deux comédiens jusqu’à l’issue finale. La pièce est différente, elle amène son petit quelque chose. Sans être « boulevard » elle amuse et sans être trop cérébrale elle innove et embryonne une charmante réflexion sur les idylles, jouée avec beaucoup de tendresse et de complicité…


« L’Italienne » au théâtre, La Comédie St Michel
95 Boulevard Saint-Michel

75005 PARIS

01.55.42.92.97

Le Vendredi et le Samedi à 20h. Durée 1h20.

Distribution :

Mise en scène : David Garcia

Avec : Astrid Pinker (Muriel) et Eric Rolland (Franck)

Compagnie de théâtre : Les petits joueurs

Facebook : http://www.facebook.com/LesPetitsJoueurs

 

Informations complémentaires :

  • « Mon meilleur copain » d’Eric Assous, mis en scène par Jean-Luc Moreau avec Dany Brillant, Roland Marchisio, Muriel Huet Des Aunay, Juliette Meyniac et Aude Thirion au Théâtre des Nouveautés à Paris.
  • « Les conjoints » d’Eric Assous mis en scène par Jean-Luc Moreau avec Anne Loiret, José Paul, Anne-Sophie Germanaz au Théâtre Tristan Bernard.

 

 




Laurence Anyways – Un projet plus grand que nature

Le jour de son trentième anniversaire, Laurence (Melvil Poupaud) révèle à sa compagne, Fred (Suzanne Clément)  son désir d’être une femme. Profondément ébranlée par cette déclaration mais néanmoins amoureuse, Fred fait le choix de l’accompagner dans sa démarche avant de perdre, à son tour, son identité. Xavier Dolan, l’insolent réalisateur de ce film-fleuve brillant, nous offre à voir une décennie de déchirements où se nouent et se dénouent toutes les problématiques du changement de sexe.

Ecce homo, « Voici l’homme »…

Montréal, dans les années 1990. Laurence entame sa métamorphose. Pour le réalisateur, cette ville cosmopolite aurait dû accueillir mieux que n’importe quelle autre un projet aussi fou que changer de sexe. Réputées sans tabou, les communautés gays lesbiennes y revendiquent le droit à la différence depuis de nombreuses années. Mais tous les tabous n’ont pas le même poids. Xavier Dolan le reconnait : « Un enseignant transsexuel soulèverait l’inquiétude, l’ire de parents anxieux de voir leurs enfants tanguer vers l’anticonformisme. La personne la plus évoluée se félicite encore intérieurement de démasquer un transsexuel dans la rue, et les ghettos identitaires sont hostiles envers le troisième sexe. » Pas d’asile pour les trans. Voici l’homme, pardon la femme, fuyez.

Autre mythe qui s’effondre. N’est pas fou qui veut, n’est pas sain qui croit. Laurence Alia veut changer de sexe, certes. Mais il n’est peut-être pas le plus dingue de tous. C’est un écrivain reconnu et un enseignant apprécié. Malgré d’évidents problèmes familiaux, il s’occupe de sa mère colérique (Nathalie Baye –géniale) et de ses amis tordus. Il est patient, réfléchi et drôle. Campé par un Melvil Poupaud au sommet de son art (on ose le dire), il glisse dans sa nouvelle peau dignement. Et surtout, il aime Fred d’un amour absolu qu’une décennie de heurts ne saura pas changer. Finalement, il est peut-être le plus normal de tous : celui qui veut aimer en s’aimant. Ce qui change, c’est l’identité du couple, son image, sa résonance. Et c’est une mutation que Fred ne peut supporter. Depuis qu’ils se sont rencontrés, Laurence et elle listent les choses qui leur enlèvent beaucoup de plaisir. Perdre l’homme qu’elle aimait tel qu’elle le connaissait lui retire tout le sien. « J’ai imaginé alors ce que ça pouvait être d’avoir devant soi un ami, un parent, un compagnon qui, du jour au lendemain, revendique l’impossible, et remet en question, s’il ne l’efface pas entièrement pour certains, l’entièreté des moments vécus ensemble. » explique Xavier Dolan. Finalement, le drame n’est pas d’être né homme quand on voudrait être femme mais bien de croire que l’amour ne peut pas résister à tout.

La liste des choses qui nous procurent beaucoup de plaisir

  • Suzanne Clément a obtenu le prix de la meilleure interprétation féminine à Cannes cette année. Une récompense que Melvil Poupaud aurait largement méritée également…
  • Après J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires, le jeune réalisateur prodige de 23 ans réalise son plus beau film. Laurence Anyways a obtenu le grand prix du film romantique à Cabourg. Un petit pas pour l’homme… un grand pas pour l’humanité.

 

Réalisé par : Xavier Dolan

Avec : Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri

Pays d’origine : Canada / France

Année de production : 2012

Durée : 2h39

Date de sortie : 18/07/2012

 Participez au jeu concours Arkult et gagnez vos places de cinéma pour le film Laurence Anyways. Rendez-vous sur www.facebook.com/arkult.fr pour connaître les modalités de jeu.

 




Lundi – La guerre amoureuse

« Une rencontre finlandaise ».

Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française, publié début 2011, commence par cette citation de Nietzsche : « L’amour dont la guerre est le moyen et dont la haine mortelle des sexes est la base ».

Dans ces quelques mots, tout est dit de la suite.
Cette guerre est sans doute la seule que toutes et tous recherchent, à laquelle tous se livrent à corps et à coeurs perdus.

Et à la lecture des pages de l’académicien, on en vient à penser que la seule issue est la défaite.
Pour chacun des camps. Drôle de guerre s’il en est.

Celle à laquelle il nous est donné d’assister dans ce roman, s’est déclarée en Finlande.
Une rencontre, qui s’est très vite muée en certitude. En passion. En déchirements.

France. Finlande.
Mariage. Séparation.
Adultère. Fidélité.

L’être désiré, l’être aimé, se transforme en tyran.
Le narrateur en subit les conséquences.
Sado-masochisme, mensonges, jalousie, délaissement.
Toute l’éventail de la torture sentimentale lui devient familier, bien malgré lui.

Et naturellement, personne n’en ressort indemne.
Qui du bourreau ? Qui de la victime ? Bien malin saurait y apporter une réponse.

La guerre amoureuse.
Histoire d’une vie.

Auteur : Jean-Marie Rouart
Editeur : Gallimard
Date de parution : janvier 2011
ISBN : 2070131041