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Avignon OFF 2016 : « Kennedy », au nom du père, du fils, et des États-Unis !

Photo : Aude Vanlathem
Photo : Aude Vanlathem

Avec Kennedy, Ladislas Chollat, salué en 2014 pour sa mise en scène de Le Père de Florian Zeller qui avait remportée pas moins de trois Molières, propose une immersion dans les rouages familiaux et politiques – pléonasme dans leur cas – de la famille Kennedy.

Le public, habité par des images de l’assassinat à Dallas en 1963 de JKF, d’une Jackie Kennedy en tailleur Chanel et au sex-appeal de l’ex-président et de ses frères, découvre la puissante dynastie sous un nouveau jour. Avec des symboles efficaces comme le drapeau américain et des documents d’archives ou de films typiquement américains, le metteur en scène plante le décor d’une suite d’hôtel composée de deux panneaux servant souvent d’écrans, sans pour autant sombrer dans un effet Powerpoint qui avait caractérisé sa mise en scène d' »Encore une histoire d’amour », au Studio des Champs-Elysées cette saison. Du début à la fin du spectacle y sont en effet projetés des portraits de la famille Kennedy dont JFK et son frère Bobby, fiction et réalité se mélangent, parfois le président s’adresse à nous, mais l’effet House of Cards n’opère pas.

Les Kennedy, c’est d’abord un clan et beaucoup d’argent. On pense alors aux prochaines élections Clinton-Trump et à cette politique américaine oligarchique qui ne bouge pas, pour autant, les Kennedy restent un cas unique. Joseph Patrick Kennedy, le patriarche, rêvait déjà de briguer la Maison Blanche de sorte qu’il parvint à éduquer ses fils avec ce seul dessein, planifiant ainsi l’accession au pouvoir minutieusement programmée de sa descendance. Dès le départ, le spectacle s’inscrit dans ce rapport à la filiation et au « projet Kennedy ». Dépeint sous un angle inhabituel, JFK est présenté comme un homme malade, angoissé, fragile, cassé par les rêves de son père et paranoïaque – tout dans les attitudes du comédien traduit ces inquiétudes. Au duo des Kennedy vient enfin s’ajouter une femme, tantôt Jackie, tantôt Marilyn, elle est surtout aux yeux du président une potentielle espionne. Dans une atmosphère qui accentue la décadence, notamment sexuelle de JFK sans cesse sauvé par le clan, le pouvoir et la politique sont présentés sous un jour bien sombre. La fortune familiale, soupçonnée de s’être constituée sur fond mafieux y est remise en question et par extension, les bases du pouvoir à l’américaine. Si les acteurs sont convaincants, leur jeu manque toutefois de ce qui fait l’imaginaire social des Kennedy, à savoir un charisme à l’américaine et une allure séductrice.

Au demeurant, la qualité du texte et de la mise en scène réside dans le fait que les Kennedy sont, certes démystifiés, mais pour mieux servir le mythe. Comparés aux Atrides, à ces dynasties grecques et à ce qui fait une grande famille de pouvoir, quelque chose d’héroïque ressort de la mort annoncée du président. À la manière d’Achille, JFK a fait le choix de prendre le risque de mourir et d’entrer au panthéon des présidents adorés plutôt que d’avouer son infirmité et de rester sur ses gardes. Peut-être plus encore que le clan Kennedy, c’est un discours sur la politique américaine qui émerge de cette création, en écho avec les prochaines présidentielles, on ne peut s’empêcher de penser que ces élections n’ont rien de plus à proposer que du scandale et un pouvoir appuyé par l’argent déjà bien en place. Aux États-Unis, la présidence est une affaire de familles.

Kennedy, de Thierry Debroux, mise en scène de Ladislas Chollat, avec Alain Leempoel, Dominique Rongvaux et Anouchka Vingtier.

Festival d’Avignon, Théâtre du Chêne Noir, 8bis, rue Sainte-Catherine, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les lundis, 15h, durée 1h30.




Delanoë, la libération… Enfin ?

Delanoë

Yves Jeuland nous a habitués à mettre son service au talent de la politique française [1. Il a réalisé, entre autres, « Camarades, il était une fois les communistes français » (2004), « Un village en campagne » (2008), « Le Président » (2010). Ce dernier porte sur la campagne de Georges Frêche pour conquérir la région Languedoc-Roussillon.], la livrant telle qu’elle est aux yeux du spectateur, souvent cruelle et manipulatrice. Avec « Delanoë libéré », c’est un autre exercice auquel se consacre le réalisateur, puis qu’ici, il se donne une place (corps et voix) au casting. Il est installé avec Bertrand Delanoë dans un studio de tournage (bien que toujours de dos), et c’est lui qui mène l’entretien avec celui qui, en mars 2014, portera le titre (honorifique!) d’ancien maire de Paris.

Le contexte est intéressant : le maire socialiste (le premier à Paris depuis 1 siècle !) ne se présentera pas à sa succession [2. La candidate du Parti Socialiste est une « lieutenant » de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo.], il est « libéré » d’engagements futurs et peu donc dresser une sorte de bilan. Une « sorte », car ce n’est pas un bilan politique qu’il faut s’attendre à voir ici, encore moins un bilan de mandat. Quel intérêt à dresser ce dernier pour soi-même si ce n’est pas pour être réélu ? C’est donc un bilan humain qui s’écrit pendant ce film, comme le récit d’une vie, d’un homme, de ses souvenirs, avant son retrait de la vie publique.

Jeuland n’en est pas à son premier documentaire où Delanoë a un rôle important. Il y a douze ans, il tournait un film baptisé « Paris à tout prix ». Diffusé en deux épisode sur Canal+, il montrait tout de la bataille que les candidats se livraient entre eux pour l’Hôtel de Ville. Ce documentaire s’arrête sur la proclamation des résultats. La caméra était restée à l’entrée, elle a attendu patiemment la sortie. C’est d’ailleurs avec plusieurs images de ce premier documentaire que s’ouvre « Delanoë libéré ».

Filmé de trois-quarts on voit monsieur le maire regarder les images, on profite ainsi de ses réactions. Il donne l’apparence d’un homme simple, au regard fatigué, sans être agacé, qui est assis face à nous. Fait rare pour un homme politique : il s’exprime en bon français, dans cette voix grave de fumeur de cigarillos couronnée d’une légère intonation de dandy, que même l’auditeur occasionnel lui connaît. On le voit en ami de Lionel Jospin, admirateur de Gaston Defferre, inséparable de Dalida… Cette dernière qui l’accompagnait dans les rues du 18e arrondissement au soir de sa première élection en tant que député pour fêter la victoire en 1981.

C’est un vieux combattant qui porte maintenant un regard façonné par la maturité et l’expérience sur sa propre vie. Une naissance à Bizerte en Tunisie, son mai 68 à Rodez, sa montée à Paris quand il avait 24 ans et les engagements menés alors. Il parle des leçons données par ses parents, qui n’ont pas connu son ascension brillante. L’occasion pour lui de revenir sur l’un de ses grands combats face à lui-même : contre l’orgueil, un vieux démon dont il donne l’image de s’être complètement libéré aujourd’hui. Il commente aussi son coming-out, réalisé à fin des années quatre-vingt dix et se félicite du fait qu’aujourd’hui « le maire de Paris soit homosexuel, et que tout le monde s’en foute ! ». Il assume son célibat, ou plutôt, sa liberté encore une fois, confessant que jamais « [il] ne veut se priver d’une affection naissante ». La liberté, véritable luxe de cet homme sans téléphone portable, peut-être…

Il y a aussi une certaines douleur et peut-être un peu de regret quand il revient sur ses échecs internes du parti Socialiste. Fataliste, il commente : « c’est que cela ne devait pas arriver ». Douleur également, mais philosophie aussi, quand il repense à la tentative d’assassinat dont il a été victime à l’Hôtel de Ville ce samedi soir de 2002, lors de la première édition des Nuits Blanches, il dira qu’il « se peut que cela [lui] ai apporté un peu de sagesse ».

Enfin, la question de savoir, pourquoi il s’arrête là ? Alors qu’il aurait tout a fait pu être réélu si cela l’avait intéressé ? [3. Bertrand Delanoë avait annoncé dès son élection qu’il n’exercerai que deux mandats à la tête de Paris.] Delanoë répond qu’il a « admiré deux grands maires : Defferre et Chaban-Delmas, et que ces deux ont fait quelques mandats de trop ». Il préfère donc penser à l’après mars 2014, imaginant sa vie entre « voyages, plage et copains », sans pour autant écarter toute possibilité de responsabilité politique, disant en substance que si on lui confiait une « mission », il ne la refuserait peut-être pas…

Comme à son habitude, Yves Jeuland et son équipe ont le génie pour faire voir l’humanité dans le héros et comment celui-ci arrive, d’une certaine manière, à nous le faire aimer. Ils construisent une histoire autour de ce sujet qui ne semble pas forcément évident au départ. Et pourtant, on comprend tout. On s’intéresse à chaque minute du film même si on ne connaît pas grand chose de l’homme au départ [4. C’est le cas de l’auteur de cet article.]. Le mélange entre images d’archives, interview et clins d’œil musicaux (chers à Jeuland) donne un bel équilibre à l’ensemble, on ne relève pas de longueurs ou de détail qui viendrait en gâcher l’harmonie.

Ce documentaire mérite l’attention du spectateur amateur ou non de jeux de pouvoirs. Il offre l’image intéressante d’un homme politique peut-être un peu plus vrai que les autres ? Assurément vrai, car (volontairement) libéré !

« Delanoë libéré » sera diffusé le 18 octobre sur France 3 à 23h10