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[Théâtre] Une Reprise d’intérêt public avec Milo Rau

« La Reprise. Histoire(s) du Théâtre(s) » de Milo Rau © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

S’approprier un drame, reprendre un procès, le monter au théâtre pour le rendre aux familles et l’offrir au public. Milo Rau fait tout cela dans son avant dernier spectacle qui tourne avec succès depuis Avignon dernier. La Reprise. Histoire(s) du Théâtre (I) est une création majeure, indispensable et forte.

Ihsane Jarfi est un homosexuel d’origine maghrébine. En avril 2012 à la sortie d’un bar, il est assassiné, au préalable torturé. Mais quel est le rapport entre ses origines, la crise de l’emploi à Liège et son attirance pour les hommes ? Milo Rau ne répond pas et pour cause, c’est toujours un mystère pour la famille et les juges. À l’époque du drame, toute la ville fut secouée et l’incompréhension quant au mobile des tueurs, inspire l’artiste suisse.

Si ce n’était pas arrivé, on aurait dû l’écrire tant ce fait divers est un nœud des maux de notre temps. Racisme, homophobie, désœuvrement des chômeurs, espaces publics dangereux, etc. Tout y est pour le drame dans sa forme ancestrale : inexplicable meurtre et abîmes de tristesse. Milo Rau s’en empare pour un théâtre du réel. D’un naturalisme cru, violent mais parfois drôle, cette dernière création est la première à faire suite au « Manifeste de Gand » (à retrouver dans l’article de Christophe Candoni sur Sceneweb).

Milo Rau propose un théâtre généreux. Un.e spectateur.trice exigent.e se rassasiera d’une œuvre quidécortique les rouages de la représentation ; se demandant, par exemple, comment débuter un spectacle ou bien l’achever ? Ou quelle distance est la bonne pour montrer la mort ? Mais les moins techniciens ne seront pas en reste grâce à un propos fort, parce que universel. Pourtant c’est bien un cas des plus particuliers qui est à l’origine de ce récit, à la mise en scène pointue et le ton faussement désinvolte. Plongés au cœur de la scène dans une expérience viscérale, on ne peut échapper aux questions qui nous tarraudent tout au long de la pièce.Milo Rau sur le fil, ravive d’un rythme impeccable, une tension nécessaire et d’intérêt général.

« La Reprise. Histoire(s) du Théâtre (I) » conçu et mis en scène par Milo Rau.
Au théâtre de Nanterre-Amandiers, jusqu’au 5 octobre 2018.
Autres dates de tournée sur https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/La-Reprise-Histoire-s-du-theatre-I/lesdates/




[Théâtre – Avignon] Si le terrorisme ne se voit pas, avec Gosselin il se vit

Frédéric Leidgens et Victoria Quesnel dans « Joueurs, Mao II, Les Noms » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Qu’est-ce qui peut bien mériter de s’enfermer dix heures dans une salle de spectacle ? Un effet de mode sans doute, la clim’ et les banquettes de la FabricA certes, mais peut-être et surtout l’expérience du théâtre. Tous les prétextes sont bons pour aller voir « Joueurs, Mao II, Les Noms », la dernière création de Julien Gosselin.

Un attentat se prépare au World Trade Center, celui des années 1980. Dans un appartement un couple se déchire, se masturbe et s’ennuie. À première vue quel rapport ? Joueurs, premier volet du spectacle, y répondra pour nous. Mao II, le deuxième, questionne le rôle de l’écriture dans un monde gangrené par l’idéal terroriste. Il est presque 23h lorsque s’amorce Les Noms, ultime partie de la soirée. Un homme seul assassine en Méditerranée des victimes choisies par leurs initiales. Julien Gosselin convoque magistralement l’Histoire en une pièce qui présente de façon irradiante les maux de notre temps.

De la violence, donc. Tissée comme un fil rouge elle n’est jamais illustrée mais expérimentée pour traverser les trois romans (dont Gosselin garde les titres) de Don DeLillo. Spectateurs et comédiens sont à leurs places respectives poussés vers leurs limites : épuisement des corps, excitation de l’ouïe, perte de la notion de temps, sommeil, envoûtement. De quoi faire taire les idiots qui déclarent en sortant, furieux et peu inspirés, qu’ils ne vont pas au théâtre pour voir du cinéma.

Connu pour éprouver, questionner le théâtre, le metteur en scène phare de l’École du Nord, use ingénieusement de la caméra embarquée. Elle est sur le plateau un personnage en soi, prodigieusement maniée par Jérémie Bernaert et Pierre Martin (respectivement régisseurs et créateur vidéo). Outil mais pas seulement, le cinéma permet de raviver la question de ce que l’on montre ou pas dans une salle de spectacle. Et il ne faut pas moins d’une petite dizaine d’heures à Julien Gosselin pour cerner les contours, explorer les ressorts d’une mécanique actuelle : le terrorisme.

L’ambition est haute mais le spectacle s’y hisse.

Quoi de mieux que l’Histoire pour rappeler à la salle que l’islamisme radical semé partout dans le monde n’a vraiment rien inventé ? Consumérisme des biens, des plaisirs, des désirs : une société malade de trop de facilités fabrique en son propre sein l’idée de sa destruction. Trop fin pour le déclarer sur un ton dogmatique, l’habile chef-d’orchestre compose une pièce très fine qui donne généreusement au spectateur les clés pour comprendre son époque. Un tour de force qui réside dans une capacité à faire digérer un festin de dix heures qui sert du terrorisme marxiste, de l’Amérique des expats, la funeste secte Moon et l’amour qui se meurt. Rien que ça, en effet ! L’ambition est haute mais le spectacle s’y hisse.

Envie irrésistible de ne pas lâcher son siège. Fatigué ? Affamé ? Vous pouvez tout à fait sortir pour prendre l’air, griller une cigarette ou faire une petite sieste. Mais l’on ne veut pas souffrir de ces besoins triviaux tant on est accrochés par ce qui se passe sous nos yeux. Le seul risque encouru est d’en rater une miette. Une savante lumière propose des atmosphères toujours plus saturées d’une sensualité folle. Le corps est à l’honneur, sublime et tellurique. Tous les sens s’alertent aux vues des performance de monuments d’acteurs. Un espace temps théâtre puissant et manifeste.

« Joueurs, Mao II, Les Noms » d’après Don DeLillo. Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin
Dates de la tournée sur : https://www.theatre-contemporain.net/




[Théâtre – Avignon] Comme une parenthèse avignonnaise en somme

Anouk Grinberg dans « Et pourquoi moi je dois parler comme toi » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Pupitres, instruments, micros, projos. Anouk Grinberg et Nicolas Repac avancent sans décors ni costumes. Pourtant vêtus de noir ils semblent complètement nus. Une musique émouvante, une voix envoûtante,  la poésie diffuse nous transperce sans qu’on s’en aperçoive. « Et pourquoi moi je dois parler comme toi »  une mise en mot bouleversante de « Textes Bruts » puissants.

Certains passent pour de l’écriture automatique, technique de rédaction spontanée très prisée par les surréalistes et dadaïstes. Mais cette littérature est celle d’internés en hôpital psychiatrique. La plupart des auteurs ne sont donc pas artistes, et pourtant…  Bien que la société les ait écartés, ils sont les mieux placés pour exprimer un désir de vie. Si certains sont malades, d’autres sont juste sensibles. Leur point commun est d’être tous des incompris, privés de parole artistique et sociale.

Leurs mots s’échappent un temps des murs des hôpitaux, de même que leurs maux s’enfuient par leurs plumes. Ce sont des lettres à leurs proches qui les ont enfermés, ou des journaux intimes où sont librement rédigés leurs désirs les plus fous. Les textes que l’on entend sont assez tristes souvent, mais drôles aussi, parfois. Et lorsque l’on s’amuse, c’est rarement volontaire, comme à la dérobée. Car le geste artistique d’un tel spectacle est loin d’être voyeur, encore moins impudique.

Sur un plateau simple, dénué d’artifice, le duo se saisit de ce phrasé dit « brut » et gagne le spectateur d’une osmose caressante. La souplesse des notes de Nicolas Repac épouse la chair des mots qu’Anouk Grinberg souffle d’une voix brune et suave. Le passage à Lili rend une grâce authentique à un cri pour un corps qui conquiert l’assemblée. Dans un savant mélange de musique et de verbe, « Et pourquoi moi je dois parler comme toi » nous murmure à l’oreille un tumulte intérieur qui peut faire chavirer.

 

« Et pourquoi moi je dois parler comme toi » par et avec Anouk Grinberg et Nicolas Repac

 




[Théâtre – Avignon] Où vont « Les choses qui passent » ?

Abke Haring (Elly) et Aus Greidanus Jr. (Lot) dans « Les choses qui passent » m.e.s. par Ivo Van Hove © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Le récit transgénérationnel de Louis Couperus, fabuleusement mis en scène par Ivo Van Hove, propose une immersion dans une famille rongée par un lourd secret. Parmi « Les choses qui passent » il y a surtout la jeunesse. L’angoisse universelle de vieillir magnifiée par une certaine lenteur, peut s’avérer trop opaque pour les jeunes générations.

Qu’est-ce que la vieillesse ? Le metteur en scène belge et directeur artistique du Toneelgroep d’Amsterdam ne l’explique pas, il le montre. Les comédiens plient le dos, traînent une patte folle ou claudiquent sur une canne. Un couple de petit vieux se poste à la fenêtre chaque jour qu’il leur reste, parfumant l’atmosphère d’un « je-ne-sais-pas-trop-quoi » hérité de Beckett. De la décrépitude ? Et si tout ces vieillards assombris tiennent le choc, c’est car depuis soixante ans, ils ruminent une histoire sordide, plus ou moins bien cachée.

La veille de leur mariage, deux époux s’aiment juste « bien ». Miné par un amour excessif pour sa mère, Lot n’est pas un sensuel et Elly fera avec. La tendresse est entre eux de l’ordre de l’amitié mais l’on assiste tout de même à une parade nuptiale complètement déjantée.

Une mère dépendante de l’affection des hommes cache la frustration de n’avoir pas eu de père. Les liens de cette famille sont nocifs et dérangent, néanmoins ils sont forts. Les plus âgés s’agglutinent en bande, tous unis par le noir des vêtements qu’ils portent. Les moins vieux sont eux aussi, vêtus d’habits de deuil, mais se déplacent à deux, et bien plus souvent seul. Cela fait partie des images, des allégories, qu’un néophyte aimerait pouvoir saisir d’emblée.

Dépeignant ce qu’il y a de pire au sein d’une famille, et ce avec une grande force notamment corporelle, l’adaptation d’Ivo Van Hove fait l’unanimité en cette 72e édition du Festival d’Avignon. Pourtant elle laisse de marbre quelques esprits plus jeunes qui, tout à fait concernés par le temps qui passe, auraient pris du plaisir à s’identifier. À trop esthétiser la froideur des personnages, un spectateur novice ne peut s’intéresser au plus profond du propos. Ces « choses qui passent » pourtant, sont bien universelles.

« Les choses qui passent » m.e.s par Ivo Van Hove d’après un texte de Louis Couperus
Jusqu’au 21 Juillet dans la cour du Lycée Saint-Joseph, Avignon
Plus d’informations sur https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/




[Théâtre – Avignon] Quand « Tartuffe » devient « Tartiufas »

Vesta Grabstaité et Giedrius Savickas dans les rôles de Elmire et Tartuffe © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Le metteur en scène Lituanien Oskaras Kosrunovas actualise le mythe de l’imposteur et réussit à transposer la partition de 1669 aux politiques nationalistes actuelles. Teinté de baroque et de burlesque, la pièce ne perd pas une once de la légèreté de Molière. Pour sa cinquième fois au Festival d’Avignon, le fondateur du Oskaro Korsunovo Teatras à Vilnius, conquiert l’Opéra Confluences.

La plupart s’arrêterons à l’esthétique du kitch. Dommage de penser une pièce par ce seul biais visuel. Certes il y a du très chic, avec la mère d’Orgon qui porte une rangée de perles, et du un peu moins chic chez Valère en survêtement Adidas. Mais ces costumes improbables renferment bien des caractères. Marianne, promise à Valère, est en pleine crise d’ado : elle a les cheveux roses, se maquille beaucoup trop et passe sa vie sur Snapchat. Mais Tartuffe, l’imposteur déguisé en prêtre, s’infiltre dans la famille pour tenter de l’épouser et récolter tout l’argent de son gros bourgeois de père, Orgon.

Si Molière propose une satire de la société au siècle de Louis XIV, Oskaras Korsunovas fait de même mais avec son époque. Bourrée de trouvailles hilarantes, la mise a jour y puise toute son énergie. À commencer par la vidéo, montrant les acteurs en train de jouer. Les nombreuses apartés dont recèle le texte prennent la forme de confessions, face-caméra en coulisses. C’est à a fois bien trouvé, bien dosé et efficace. Les frontières de la salle sont alors élargies et le 4e mur s’effondre avec humour : la caméra à l’épaule est loin d’être un caprice. Le récit s’actualise, non pas car l’outil est bel est bien moderne, mais plutôt parce que ce qui se tourne ressemble à une télé-réalité.

Mais Tartuffe c’est d’abord une fable comique. Et pas une once du texte, fondamentalement subversif, n’échappe aux comédiens. Casting équilibré : on ne sait dire lequel est meilleur que les autres. Entre éclats de rire allègres et raillerie politique, l’ironie est toujours fine et proportionnée. Korsunovas colle au texte mais l’augmente d’un pamphlet contre les dirigeants populistes d’aujourd’hui, et c’est bien à propos !

 

« Tartiufas » m.e.s par Oskaras Korsunovas d’après le « Tartuffe ou l’Imposteur » de Molière
Plus d’informations sur : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2018/tartiufas




[Théâtre – Avignon] « Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète »

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Raconter la guerre mais pas comme aux infos : quatorze comédiens nous la susurrent à l’oreille. Bercés par une douce pénombre leur récits sont terribles. Le metteur en scène Gurshad Shaheman choisit les témoignages d’artistes ou de personnes issus de la communauté LGBTQI+ et sa proposition est forte.

Plongée dans un noir profond, la salle écoute d’abord un garçon détailler son coming-out à sa mère. Une voix féminine s’adosse à la sienne pour laisser la parole à une transexuelle. Vivre de l’intérieur les bombardements en Irak, les fusillades de Bachar Al-Assad, là est le tour de force de Gurshad Shaheman. Né en Iran pendant la Révolution, l’acteur, performeur et metteur en scène a passé son enfance sur le front au combat dans les années 1980. Il se fait également le porte-parole d’exilés, lui qui a quitté son pays pour rejoindre la France, ainsi le recours aux micros permet de baigner à la fois dans la grande et la petite histoire.

Les mots dévoilent une fuite, celle du Moyen-Orient et des pays du Maghreb, qui ne s’explique pas seulement à cause des guerres locales. Persécutés du fait de leurs identités, particulièrement de genre, ces anonymes dont ne parlent quasiment pas les JT, ont trouvé sur la scène une voie pour s’exprimer. Mais pas question pour l’auteur de brosser le portrait de victimes de l’Histoire. On sent, tout au contraire, le désir de conquérir enfin sa liberté.  Les représentations, avignonnaises seulement, s’enrichissent de présences, celle de quatre exilés au milieu des acteurs. L’un chante dans sa langue, l’autre lit un texte en arabe ; on les démasque à peine et c’est revendiqué.

Au rythme aléatoire de leur prise de micro, les personnages allument ou éteignent une petite lampe, au sol, devant eux. Une « mise en présence plus qu’une mise en scène », comme le révèle Gurshad Shaheman en conférence de presse. Cette jolie trouvaille ouvre l’imagination d’un spectateur qui peut y comprendre un campement, pourquoi pas dans la jungle, mais de Calais bien sur. La pleine lumière revient et l’on découvre enfin que le temps du spectacle les comédiens avaient gardé les yeux fermés. Appel à l’Occident ? Peut-être qu’il est temps d’ouvrir grand les nôtres. Regarder en face ce qui se déroule aux portes de notre Europe, questionnée, divisée et prise à témoin désormais.

 

« Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète » texte et conception de Gurshad Shaheman
Dates de tournée à retrouver sur : https://www.theatre-contemporain.net/




[Théâtre – Avignon] Thyeste à l’ombre de Sénèque

THYESTE © Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

Dans la cour d’honneur du Palais des Papes, le vent soufflait hier. Si le mistral a permis de magnifier les costumes, il s’engouffrait également dans les quelques tunnels du Thyeste mis en scène par Thomas Jolly. La tragédie de Sénèque n’aurait que peu souffert de deux ou trois coupes. Certaines scènes sont longues et pointent la limite d’une adaptation chargée. 

C’est une histoire complexe et rarement montée à laquelle s’attaque « l’enfant terrible » d’Avignon. Atrée et Thyeste sont jumeaux et rivalisent d’abjection pour succéder à leur père, l’infanticide Tantale. Condamné par les dieux à la soif et à la faim éternelle, l’ancêtre des Atrides qui avait osé douter des savoirs olympiens plongea sa lignée dans une abominable folie. Le spectre de la revanche pousse alors ses deux fils à redoubler d’horreur pour se châtier l’un l’autre. Tenant du rôle d’Atrée, le metteur en scène révèle bien tout l’effroi de la pièce, mais il prend son temps. L’exemple du messager (personnage féminin) qui rapporte la recette du festin cannibale prévu pour Thyeste, parvient difficilement à finir sa scène sans une certaine lenteur. Souvent c’est un sursaut, de lumière et de son, qui vient pour raviver une tension qui baisse au fil du spectacle. 

C’est d’autant plus dommage que la virtuosité ne manque pas à Thomas Jolly. Couché sur le côté la bouche grande ouverte, un visage occupe la droite du plateau pour signifier la soif. Sur la gauche une grande main se tend comme pour cueillir un fruit qu’elle ne peut pas atteindre. Le décor impeccable agit comme un fantôme du supplice de Tantale, inspirateurs des maux que s’infligent ses fils. Le choeur antique est actualisé dans la figure d’une jeune fille lookée punk-bariolée, qui slame parfaitement sur de la techno bien dosée. La musique fait sens et porte effectivement le sentiment tragique. Thomas Jolly sublime chacune des âmes malades qui flottent chez Sénèque, sans parvenir néanmoins à s’emparer de l’ensemble. Question de rythme, peut-être.

 

« Thyeste » de Thomas Jolly, d’après un texte de Sénèque traduit du latin par Florence Dupont
Du 6 au 15 Juillet, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Avignon
Plus d’information sur la tournée en France sur http://www.lapiccolafamilia.fr/tourneethyeste/

 




[Théâtre] Tempête de Mendjisky avec « Le Maître et Marguerite »

© Pascal Gely

Le diable aurait-il pénétré Moscou dans chacun de ses recoins ? Sur toutes les lèvres et dans quelques esprits, il avance masqué, on ne sait le trouver… Igor Mendjisky met en scène le roman déluré de Mickaïl Boulgakov, et c’est une réussite.

Non sans espièglerie, Mendjisky s’empare d’un texte en « poupées russes » qui mêle trois récits. Il tient aussi le rôle de Ivan, interné en clinique, dans un Moscou moderne, on est au XXe siècle. Ce soupçon de folie ouvre sur la vie d’un auteur qui écrit une pièce sur le Christ et Pilate. Puis du fond de la salle débarque un farfelu, le professeur Woland, qui s’incruste dans une conversation sur l’existence de Dieu. Fort accent germanique et maître en magie noire, cet espèce d’arriviste bouscule en pleine bronzette Rimsky et son ami. La scène comme une arène est cernée d’un trait blanc et vont s’y enchaîner de magistrales scénettes. Certaines donneront à voir des visions de l’esprit du personnage qui parle. En français ou en russe, en hébreu ou en grec, c’est une idée brillante pour plonger parfaitement dans cette mise en abyme. Rien n’illustre, tout s’incarne comme par enchantement. Quoique de courtes longueurs affectent par moments une mise en scène tonique, c’est très vite oublié. La troupe se régale et tout cela se sent. 

L’humour n’est pas en reste, le public se marre entraîné par Woland en hypnose collective. Déjà plutôt génial, le verbe de Boulgakov est augmenté par cette performance, celle de Romain Cottard, irradiant dans ce rôle de magicien qui frôle le stand-up. De temps à autre on s’offusque. Cynisme et mauvais goût chamboulent un spectateur qui peut alors hésiter à rire ou être outré. Cette pièce est l’expérience du divertissement même. Les doutes existentiels sont si bien esquissés que l’on s’amuse autant que l’on médite sur l’Homme. Le Bien ou le Mal, ces doutes métaphysiques sont montrés et l’on regarde, avec avidité. Si le plateau explose la barrière des lieux, chaque espace se tient et captive l’assistance qui change aussi de forme. Téléspectatrice pendant un live TV filmé, le tout devant ses yeux, l’assemblée se régale des envers de décor. Igor Mendjisky partage la beauté de son art à l’occasion d’une scène où dansent comme des pantins les comédiens, excellents. Amorcé en burlesque, ce passage s’achève en un moment sublime, à l’image de l’ensemble.

« Le Maître et Marguerite » de Michaïl Boulgakov, mis en scène par Igor Mendjisky
Durée 1h50
Plus d’informations sur https://www.la-tempete.fr/saison/2017-2018/spectacles/le-maitre-et-marguerite-76

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[Théâtre] Avignon/IN : L’Antigone japonaise de Satoshi Miyagi

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Après son Mahabharata monté il y a trois ans à la carrière de Boulbon, Satoshi Miyagi ouvre le 71e Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur avec Antigone version japonaise. Pour son spectacle, il fait disparaître toute la scène sous l’eau, et nous immerge dans la tragédie grecque par le biais du théâtre traditionnel japonais pour un beau – mais peut-être trop long – moment de contemplation.

Tout le monde ou presque a déjà vu Antigone, ou bien en connaît au moins les tenants et les aboutissants si bien que dès le début du spectacle Satoshi Miyagi nous surprend en se jouant de la connaissance partielle que nous avons de cette pièce. Les dix premières minutes sont en effet consacrées à un résumé en français de la tragédie de Sophocle avec un humour ravageur, tant le français semble être difficile à parler pour la troupe japonaise. Sur le miroir d’eau, le préambule comique passé, les comédiens tels des silhouettes fantomatiques blanches ondulent, jouent et miment la pièce. Le metteur en scène a en fait dédoublé certains personnages comme Antigone, Ismène ou Créon de sorte que l’un conte la fable tourné et figé vers nous, tandis que l’autre mime la scène dont les mouvements sont projetés sur le Palais des Papes dans un jeu d’ombres envoûtant.

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Du début à la fin, la mise en scène de Satoshi Miyagi est parfaitement orchestrée, tous les gestes très lents des comédiens concourent à la création d’une ambiance très zen, très chorégraphiée tant les rituels sont dansés. Que ce soit Antigone fardée d’une perruque blonde perchée sur un rocher massif jouant les scènes avec grâce, ou tous les comédiens formant un cercle processionnel hypnotique, la démesure du lieu, du miroir d’eau et des ombres se heurtent à une quiétude remarquable mais qui finit par provoquer de l’ennui. Cette Antigone marquée par le bouddhisme japonais est surtout un spectacle contemplatif pour nous public occidental. Souvent, certains mouvements sont si codifiés que nous sommes relégués à la contemplation de ce que nous trouvons beau sans vraiment savoir pourquoi. Si le théâtre d’ombres voulu par le metteur en scène est spectaculaire, il reste néanmoins figé et certaines scènes s’étirent trop en longueur.

Heureusement pour le public, la méditation poétique à laquelle il est convié est accompagnée de la musique pensée par Hiroko Tanakawa. Ce dernier a composé une partition répétitive, faite de percussions très marquantes dont on ne se lasse pas. De fait, cette Antigone montée avec beaucoup de soin et de grandeur nous impressionne mais reste trop hermétique à son public pour qui la simple contemplation, aussi agréable soit-elle, ne peut suffire quand elle ne dit rien de percutant sur la situation du monde actuel.

Antigone, de Sophocle, mise en scène Satoshi Miyagi, Spectacle en japonais surtitré en français, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon – Du 6 au 12 juillet, relâche le 9 à 22h. Durée : 1h35. Pour plus d’informations : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2017/antigone




[Critique – vu à Avignon IN 2016] Au Théâtre de la Cité Internationale : Quand la démocratie éclabousse

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Sur une scène noire de laquelle n’émergent que des isoloirs blancs faisant office d’écran, une élue zélée entre et installe méticuleusement une urne en attendant l’arrivée du maire. À la capitale le bureau 14 est prêt, c’est jour de vote ! Alors que tout le monde prend place, les heures défilent et, toujours aucun électeur en vue, les isoloirs n’isolent personne : est-ce à cause de la tempête de pluie battante ? Les responsables du bureau aimeraient s’en convaincre, tous se mettent à appeler leurs proches à voter et deviennent fous à la vue du seul électeur venu, ce qui donne lieu à des scènes pleines d’humour au milieu du chaos. Lorsqu’enfin les électeurs se déplacent, le résultat est édifiant : le pays a enregistré un taux d’abstentionnisme record, 80% de votes blancs.

De là, tout s’accélère, les politiques sur-réagissent et la pièce s’emballe. Maëlle Poésy construit alors une comédie noire sur le monde politique et la démocratie. En effet, elle met tour à tour en scène un petit groupe de ministres reclus, tous stéréotypés et appelant à la comparaison avec notre propre paysage politique. Que se passerait-il si demain, un tel scénario avait lieu ? Dans la capitaless, un état d’inquiétude est proclamé, des cellules de crise, des collectifs d’infiltration pour la vérité sont créés et plutôt que de tenter d’écouter le peuple, on assiste aux revers du pouvoir et au recentrement des ministres sur leur petite personne. Pour eux, gouverner c’est mettre ses sujets hors d’état de vous nuire, qu’advient-il alors des libertés fondamentales de la démocratie une fois les « gens radicalisés » et devenus « nuisibles » ?

Finement orchestrée, la pièce met en lumière le fossé existant entre les politiques et le peuple et entre en écho direct avec le contexte actuel. Si l’on regrette quelques longueurs et que le spectacle aurait gagné à être plus ramassé pour ne pas souffrir de coupures de rythme, la scénographie est hypnotique, l’ambiance sonore et lumineuse est très réussie. Le chaos, signifié par la pluie qui envahit le plateau pour laisser place à une ambiance lourdement tropicale, laisse imaginer une capitale ravagée, irradiée par les actes fous des ministres. Prêts à sortir des lance-flammes pour réprimer un peuple inactif, ils se disent en état de siège bien que pour certains, les souvenirs du siège remontent à des cours de latin du collège.

Tournée en dérision avec lucidité, la soit disant franchise des politiques perd toute sa crédibilité dans ce spectacle, les mises en scène successives de discours télévisés achèvent de les rendre risibles. Bien assis, le public s’y retrouve d’autant plus invité à une remise en question qu’il est considéré comme ce peuple qui, rassemblé, détient le vrai pouvoir : la république est morte, vive la république !

Ceux qui errent ne se trompent pas, de Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy, d’après « La Lucidité » de José Saramago. Mise en scène de Maëlle Poésy, avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian.

Du 5 au 18 décembre 2016 au Théâtre de la Cité Internationale (Paris) Plus d’informations ici : http://www.theatredelacite.com/




Avignon OFF 2016 « Monsieur Kaïros » : une rencontre du deuxième type

Christophe Leclaire
Christophe Leclaire

Kaïros est une création de Fabio Alessandrini, auteur, comédien et metteur en scène. C’est l’histoire d’un écrivain qui, seul chez lui face à son ordinateur, est en train de retaper son roman qui parle d’un médecin humanitaire en zone de guerre, jusqu’à ce que sans qu’il ne s’aperçoive, le personnage de son roman fasse irruption dans la nuit. L’intrigue se tisse autour de cette rencontre inopinée faisant sombrer le romancier dans la folie grâce à une mise en scène très mentale.

Dans un espace sombre, l’écrivain se trouve assis à son bureau qui fait lui-même face à un store blanc qui va devenir lieu de projections abstraites évoquant souvent le sang lié au métier du chirurgien dès son apparition. Alors qu’il est seul et qu’il parle à voix haute tout en retranscrivant son roman, l’homme apparait. Perdu, cherchant à passer un coup de fil, l’homme se révèle être le personnage du roman de l’écrivain après un interrogatoire surprenant. Incrédule, le romancier commence alors à discuter avec le médecin convaincu d’être réel, qui se met à lui raconter ce qu’il vit en zone de guerre, accusant par là celui qui l’a fait naître de ne pas avoir conscience de ce qu’il dépeint dans son roman.

Si derrière les échanges entre les deux hommes émerge un discours sur la guerre, l’engagement et l’existence, le personnage voudrait profiter de la présence de l’auteur pour que sa vie soit réécrite, comme améliorée, la pièce reste psychologique. Entre situations cocasses et plus graves, comme lorsque le médecin évoque ce qu’il aimerait voir être changé dans sa vie comme s’il faisait une liste de courses et le romancier qui ne se soucie que des ventes, les comédiens sont naturels et captent l’attention du public sans exagérer. Malgré tout, le spectacle de Fabio Alessandrini reste un spectacle très mental, l’ambiance semble irréelle, on en vient à douter de la rencontre de ces deux types. Après tout, le personnage ne serait-il pas une projection mentale et le romancier en plein délire ?

Kaïros n’est pas un chef d’œuvre, mais quelque chose d’inquiétant s’en échappe, créant une situation en suspens, de sorte que le spectateur ne sombre jamais dans l’ennui.

Monsieur Kaïros, écrit et mis en scène par Fabio Alessandrini, avec Yann Collette, Fabio Alessandrini.

Festival d’Avignon, Chapeau d’Ebene Théâtre, Place de la Principale, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, à 11h et 15h, durée 1h10, à partir de 13 ans.




Avignon IN 2016 « Truckstop » : polar en bord de route

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Dans un relais routier, un truckstop, une mère et sa fille essayent fébrilement de faire fonctionner l’entreprise familiale jusqu’à ce qu’un jeune camionneur ne vienne ébranler l’affaire. Derrière la vie intimiste de ce trio porté par des acteurs remarquables, un discours bien tissé est brossé de notre société actuelle et des inquiétudes qu’elle fait naître.

Blessés, comme oubliés de la vie, c’est ainsi qu’apparaissent les personnages dès leur entrée sur scène dans un décor qui a l’air d’une boîte qui les enferme. Tout y est gris à l’exception des rideaux en dentelle crochetée, vestiges d’une époque où le relais routier était, pour les camionneurs, synonyme d’oasis de paix dans une journée passée sur les routes. Recluses dans cet espace vide cruellement étouffant, mère et fille font équipe, bien que rapidement la mère apparaisse comme ayant une emprise inébranlable sur sa fille manifestement malade. Tout semble montrer qu’elles aiment et tiennent à cet endroit qui prend des couleurs le jour où Remco un jeune homme porté avec justesse par Maurin Ollès – révélation de ce spectacle – offre à Katalijne une petite lampe en verre coloré qui va donner lieu à de vives réactions.

Alors que tous semblent solitaires, l’entrée de Remco dans la vie de la jeune fille doublée de son accession à la majorité et de fait, à son compte épargne, morcelle l’équilibre familial. Animé par l’espoir d’échapper à l’entreprise de ses parents qui font dans la viande d’autruche, le jeune homme rêve de s’acheter un camion pour aller sillonner les routes d’Europe et du monde, mais il lui manque l’argent que Katalijne, qui se met à espérer un départ à ses côtés, découvre posséder. Pour la mère, c’est un affront, comment survivre sans l’argent de sa fille qui pourrait sauver le bar routier qui nécessite de multiples rénovations pour prétendre attirer de nouveau les clients. En effet, dans une société mondialisée qui consomme de plus en plus et exige tout de suite incarnée par des enseignes telle que Mc Do, le truckstop et ses fameuses boulettes de viande ne peut plus se targuer d’offrir l’hospitalité quand les gens voudraient la rapidité déshumanisée. Si l’intrigue monte en puissance jusqu’au crime final, dès le début l’ambiance laisse place au mystère et chacun des personnages semble porter en lui de l’étrangeté. Alors que Claire Aveline et Maurin Ollès sont tout à la fois décapants et délicats, Manon Raffaelli manque davantage de nuance dans son jeu bien qu’il faille lui reconnaître des attitudes sombrement humoristiques dans son rôle de jeune femme imprévisible et intenable.

De bout en bout la pièce est bien orchestrée, lorsqu’on comprend que les personnages nous parlent du côté des morts, le portrait social qu’ils dressent monte encore d’un cran. Coincés dans ce truckstop et pris entre l’idée de parcourir le monde ou le faire venir à eux, ils semblent destinés à revivre inlassablement leurs espoirs déchus, la fougue liée à leur jeune âge aura eue raison d’eux, leur quête d’idéal en devient bouleversante et tragique.

Truckstop, de Lot Vekemans, mise en scène Arnaud Meunier, avec Claire Aveline, Maurin Ollès et Manon Raffaelli

Festival d’Avignon, Chapelle des Pénitents Blancs, Place de la Principale, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 16 juillet, à 11h et 15h, durée 1h20.

Tournée : du 7 au 11 février 2017 à La Comédie de Saint-Etienne Centre dramatique national, du 8 au 10 mars au Théâtre Nouvelle Génération, Centre dramatique national de Lyon, du 14 au 17 mars à la Comédie de Béthune Centre dramatique national Nord – Pas de Calais – Picardie, du 4 au 6 mai au Préau Centre dramatique Normandie de Vire.




Avignon IN 2016 « Lenz » : de l’idéalisme à l’ennui

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

En 2012, à l’occasion du Festival de Salzbourg, Cornelia Rainer a présenté Lenz, une création qui vise à réhabiliter le poète et dramaturge allemand Jakob Michael Reinhold Lenz à partir de son séjour en 1777 au Ban de la Roche, dans les Vosges chez le Pasteur Oberlin, resté dans l’ombre de Goethe. Alors que le théâtre de Lenz est traversé par des portraits de la société allemande du XVIIIe et de son aristocratie, la mise en scène de Rainer ne donne à voir qu’un poète devenu naïf à force d’idéalisme, écrasée par des détails.

Dès le départ, toute la pièce est centrée autour de l’arrivée de Lenz dans la demeure du Pasteur dans les montagnes. C’est une énorme structure de montagnes russes en bois qui contient la maison où le mobilier et les costumes des personnages sont d’époque. Dans ce décor très esthétique un batteur fait son entrée et se met à utiliser tout ce que la scène réserve pour faire du bruit et jouer de la musique, mais cette introduction captivante qui laisse présager un spectacle bien mené et surprenant laisse rapidement place à de longs silences, discours plats et à un jeu d’acteurs qui sonne faux. Dans le rôle de Lenz, Markus Meyer en fait trop, son idéalisme et son besoin de réclamer la vie dans tout auront raison de lui, il finira désespéré , seul dans les montagnes.

Le travail de réhabilitation de Cornelia Rainer n’a pas l’effet escompté car en nous plongeant dans cette maison sans vie sinon domestique où l’on épluche des pommes de terre en continu, Lenz appelle au rejet. On comprend alors le fait qu’il soit resté dans l’ombre et on regrette que le rythme lancé par les dix premières minutes du spectacle n’ait pas été tenu davantage, le batteur infernal ne refaisant une apparition qu’une fois la fin venue. Loin d’être aiguisée, notre curiosité ne nous pousse pas à nous renseigner quant aux écrits du poète, la mise en scène de Cornelia Rainer, à vouloir en dire trop manque de cohérence, seule la scénographie parvient à attirer notre attention le temps de la représentation.

Lenz, adaptation et mise en scène Cornelia Rainer, scénographie et costumes Aurel Lenfert, dramaturgie Sibylle Dudek, avec Markus Meyer, Heinz Trixner, Cornelia Köndgen, Jakob Egger, Noah Fida, Merlin Miglinci, Jele Brückner, Julian Sartorius

Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph, 62, rue des Lices, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 13 juillet, 22h, durée 1h40.




Avignon IN 2016 : « Alors que j’attendais » : le théâtre comme acte de résistance

Photo : Didier Nadeau
Photo : Didier Nadeau

Si cette année le Festival d’Avignon revendique son caractère politique, la pièce « Alors que j’attendais » mise en scène par le syrien Omar Abusaada met le focus sur le Moyen-Orient et sa brûlante actualité. À partir d’un fait réel, à savoir la mort en 2013 d’un jeune syrien battu après deux mois passé dans le coma, le metteur en scène qui était allé à la rencontre de la famille au moment des faits, a construit son spectacle sur ce moment d’inconscience qui éclate, qui rapproche les familles et fait émerger des sentiments inavoués que seul un contexte mêlant si brutalement espoir et deuil peut faire émerger. Avec Mohammad Al Attar qui est à l’origine du texte, Omar Abusaada s’inscrit alors dans un théâtre documentaire résistant.

Les événements se déroulent à Damas où Taim a été admis à l’hôpital après avoir été retrouvé inconscient à un checkpoint, gisant dans son sang sur le siège de sa voiture dans des circonstances inexpliquées. Depuis, il est dans le coma, allongé sur un lit d’hôpital au milieu d’une scène vide, surmontée d’une structure métallique imposante sur laquelle l’esprit du jeune Taim va s’élever pour surplomber et le public, et le checkpoint familial qu’est devenue sa chambre d’hôpital. En effet, depuis son coma le jeune homme entend tout et croit pouvoir se déplacer au milieu de ses proches venus se recueillir, se rencontrer et souvent, se heurter. Face à l’incompréhension de cet accident, sa mère, sa sœur, sa compagne et d’autres proches apportent leur version des raisons qui auraient pu le conduire là. Autour de l’inconscient, la famille fractionnée depuis longtemps se trouve bouleversée par des silences enfin levés, comme ce qui avait poussé Salma, la sœur de Taim, à partir pour Beyrouth. Avec quelques touches d’humour qui rendent le spectacle moins difficile d’accès qu’il n’y paraît au début, des sujets d’actualité comme la situation de la Syrie, et graves comme la peine de cette famille sont abordés.

Au-delà de leurs émotions respectives face au corps inanimé, c’est une réflexion sur la situation de Damas, sur Bachar el-Assad et l’islam radicalisé qui traverse le spectacle. Grâce à une création sonore réalisée à partir de bruits de bombardements, d’appels à la prière, de « soupirs de ceux qui font encore l’amour » et de circulation routière, l’ambiance créée saisit l’imaginaire du spectateur déjà plongé dans la langue des comédiens qui parlent en arabe. À cela, viennent s’ajouter des images de manifestations auxquelles aurait participé Taim qui préparait un film sur Damas au moment de l’accident – jamais la violence n’y est montrée. Le spectacle réussit à parler d’actualité à travers aussi bien le prisme d’images réelles ne montrant pas le sang que les médias nous ont déjà trop diffusé, et les sentiments singuliers de la famille de Taim où tous incarnent à leur manière une façon de résister, que ce soit dans le renoncement au niqab de sa sœur à l’avortement tant remis en question de sa compagne.

En explorant le chaos d’une ville qui n’évoque plus pour les occidentaux que le sang, l’auteur et le metteur en scène syriens assistés d’une troupe de jeunes comédiens talentueux parviennent à dire l’horreur d’une cité sans la montrer, et faire de la peine et l’égarement de ceux qui y vivent encore un acte de résistance.

Alors que j’attendais, de Mohammad Al Attar, mise en scène Omar Abusaada, avec Mohamad Al Refai, Mohammad Alarashi, Fatina Laila, Nanda Mohammad, Amal Omran, Mouiad Roumieh.

Festival d’Avignon, Gymnase Paul Giéra, 1, rue Paul Achard, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 14 juillet, relâche le 10, 18h30, durée 1h40.

Tournée : 18 au 20 août 2016 au Theater Spektakel (Zürich), 26 et 27 août au Festival Noorderzon de Groningen (Pays-Bas), 31 août et 1er septembre au Theaterfestival Basel (Suisse), 4 et 5 septembre à La Bâtie Festival de Genève (Suisse), 8 au 10 septembre au Schlachthaus Theater Bern (Suisse), 29 et 30 septembre au Vooruit de Gent (Belgique), 12 au 15 octobre au Tarmac dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, 26 et 27 octobre ay Onassis Cultural Center (Athènes), 18 et 19 novembre à Bancs publics – Festival Les Rencontres à l’échelle (Marseille), 24 au 26 novembre au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais.




Avignon 2016 : « Fukushima, terre des cerisiers », cataclysme poétique

Fukushima_mur

Le 11 mars 2011 à 14h46 le plus important séisme mesuré au Japon suivi de près par un tsunami a lieu, causant entre autre l’arrêt des systèmes de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima. Tenant compte des rejets radioactifs, l’accident nucléaire est le plus grave près de quarante ans après Tchernobyl. Alors que cette année 2016 est marquée par l’anniversaire de l’accident nucléaire Ukrainien dont le théâtre s’est emparé, notamment sur base des écrits de Svetlana Alexievitch, c’est au tour de Fukushima d’irradier les planches.

Plus que du théâtre documentaire. Dans « Fukushima, terre des cerisier », seule en scène, Brigitte Mounier entend certes informer et impulser un processus mémoriel sans renoncer à la poésie. En ne faisant pas du théâtre un lieu seulement voué à condamner un passé regrettable, l’actrice et metteure en scène esquisse le récit possible et impossible qu’il est possible de faire de Fukushima. Sur une scène dépouillée, seuls des panneaux de toile blanche et rouge coulissants font évoluer l’espace scénique destiné à recevoir le tremblement de terre, et l’actrice, témoin corporel de l’onde de choc par la chorégraphie impeccablement orchestrée qu’elle donne à voir en complément d’un déferlement de mots. Par des jeux d’ombres remarquables et un recours restreint à quelques objets significatifs comme les livres tombant du plafond pour s’écraser au sol au moment du récit du tremblement, à l’usage de la télécommande TV pour reancrer le récit dans un présent médiatique saisissant, Brigitte Mounier offre une performance délicatement menée. La douceur de ses gestes invite l’œil du spectateur à guetter l’eau du thé qui frémit et toutes ces actions quotidiennes effectuées par l’actrice pour parler tantôt du chant des oiseaux qui s’est tu, tantôt des chiffres de cet accident nucléaire devenu spectacle du monde.

Si la réflexion sur la catastrophe implique de poser des questions comme celle de la sortie du nucléaire et de la responsabilité des états dirigeants, la comédienne ne tombe jamais dans la gravité emphatique. Elle est aussi la voix des morts comme des survivants, alternant entre des mises en scène de panique sous les tables devenues revers de la vie et moments de chorégraphie de l’onde de choc, l’une des scènes les plus saisissantes de ce spectacle reste le moment d’immersion dans l’eau. Derrière l’un des panneaux se cache un aquarium radioactif, tout illuminé de lumière verte d’où des débris, comme un petit ours en peluche, s’échappent et coulent en une danse macabre. Intégralement plongée dans ce volume d’eau macabre, durant de longues minutes la comédienne d’abord coule comme ces corps emportés par la vague, ensuite se débat et se met à danser pour un moment hypnotique poignant qui va bien au-delà de tous ce que les mots.

Tout en sobriété, ce seul en scène sert un théâtre engagé qui n’oublie pas, et rappelle qu’au Japon et pour le monde, la catastrophe ne fait que commencer. La dictature du nucléaire y est admirablement dénoncée, parfois tournée en dérision, et questionnée. Si le dernier volet du spectacle aurait gagné à être davantage dynamisé par la danse, le résultat reste poétique et émouvant. Qu’adviendra-t-il de ce pays victime de la bêtise humaine d’où Fukushima est mondialement devenu le plutonium du peuple ? Qu’en est-il des océans et répercussions climatique préoccupantes comme les fissurations massives de l’Antarctique ?

Alors que le monde est en quête de réponses, à raison les cerisiers eux, sont en fleurs, indifférents à la rumeur des hommes.

Fukushima, terre des cerisiers, texte d’après « Fukushima, récit d’un désastre » de Michaël Ferrier, mise en scène Brigitte Mounier, Chorégraphie Antonia Vitti, avec Brigitte Mounier, production Compagnie des Mers du Nord/Ville de Grande-Synthe.

Festival d’Avignon, Théâtre Présence Pasteur 13, rue du Pont Trouca, 84000 Avignon, 07 82 90 08 21, jusqu’au 30 juillet, relâches les 9, 11 et 25, 14h, durée 1h10.