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« Maxi Monster Music Show » : le freaks, c’est chic

 

Copyright : Hervé Photograff
Copyright : Hervé Photograff

Pour accueillir le Maxi Monster Music Show, le théâtre noir du Lucernaire se transforme en maison hantée. Les freaks (en référence au film du même nom, sorti en 1932) nous entourent. Il y a la danseuse mécanique, l’homme-fort le plus petit du monde, la femme-tronc, le fakir insomniaque, l’homme-femme… Une joyeuse bande de musiciens menés par Gina Trapezina : la poupée barbue.

Si le « show » est d’abord musical, on est frappé par l’esthétique du spectacle. Benoît Lavigne magnifie ces monstres au moyen de lumières sobres et de volutes de fumées. Les maquillages sont splendides et contribuent à nous plonger dans ce cabaret étrange et envoûtant.

On est marqué par l’incroyable expressivité de chacun des personnages, et particulièrement du clavier, Antoine Tiburce, moitié homme, moitié femme. En apparence comme dans les mimiques, il est captivant. David Ménard à la batterie tient le rythme et malgré un jeu d’acteur important pour chacun d’eux, on ne déplore aucune fausse note.

Si les images font rêver, qu’en est-il de la musique ? On oscille entre mystère bastringue, à la Skeleton Band et la fanfare balkanique, type Shantel, le tout parsemé de quelques notes de Far West et conduit par la voix puissante de Solange de Dianous. Entre rythme, aventure et onirisme, les vibrations et l’énergie dégagée font ressentir au spectateur, un désir rare au théâtre : celui de se lever pour participer à la fête. On se surprend à rêver d’un vieux rade enfumé comme salle de spectacle, Gina Trapezina et sa troupe apparaissant au milieu des effluves d’alcool pour nous emmener dans un ailleurs où tout est possible.

Un ailleurs composé d’odes à la barbe, aux poils en tout genre – des thématiques parfaites pour l’hiver. Le Maxi Monster Music Show est un cabaret hors d’âge, sans époque définie, une référence touchante au monde des freaks bienveillants. Une revue consacrée à la beauté intérieure, et aux rêves en tout genre.

« Maxi Monster Music Show », mise en scène de Benoît Lavigne, jusqu’au 3 janvier au Lucernaire, 53 Rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.lucernaire.fr/.




Un Grand Hôtel de l’Europe délabré

Copyright : Pauline Le Goff
Copyright : Pauline Le Goff

Sur la petite scène du théâtre de Belleville sont installés un comptoir d’hôtel avec sa sonnette et son pendant : un fauteuil pour permettre à qui en aura besoin de patienter dans le hall de ce qu’on comprend très vite être un palace sur le déclin, le Grand Hôtel de l’Europe.

C’est le jour de l’arrivée d’un nouveau directeur. Cet événement exceptionnel est prétexte à montrer au spectateur une galerie de personnages peuplant l’hôtel : réceptionniste, bagagiste, femme de ménage, client, homme politique corrompu… Trois acteurs passent d’un rôle à l’autre en fonction des scénettes.

Des scènes sont ponctuées de chansons qui ouvrent les portes sur l’intime des personnages qui les interprètent. On découvre l’onirisme et les rêves qui habitent chacun d’eux, de la quête de pouvoir à la celle de plus de RTT.

Malheureusement, le spectacle semble bâclé et le résultat est souvent plus ennuyeux que l’observation d’un vrai hall d’hôtel. Les personnages, peut-être trop nombreux, sont très inégaux dans l’interprétation. On pense notamment à la réceptionniste, madame « Pinjohn » à l’accent sensé être britannique mais virant volontiers vers l’africain caricaturé.

Il y a une piste burlesque, presque cartoonesque qui est esquissée, mais les personnages ne vont pas au bout. Les acteurs semblent être comme des comédiens amateurs, obsédés par l’idée de faire rire le public au moyen de gags et autre « trucs », mais cela ne fait pas mouche puisque le fond des caractères des personnages est mal dessiné. Une grande partie des actions est déshumanisée. Rien ne paraît naturel et finalement rien ne nous touche.

Ce manque de travail est d’autant plus visible que les lumières sont aussi réfléchies que pour l’éclairage d’un hôpital, à l’exception des passages chantés où le noir se fait et laisse place à l’imagination. Une imagination néanmoins sapée par la justesse harmonique très approximative des interprètes.

Malgré quelques bonnes idées, ces nombreux défauts et une fin affligeante peignent un hall d’hôtel factice où la folie manque cruellement pour nous emporter.

« Grand Hôtel de l’Europe » un spectacle de la compagnie Tàbola Rassa,  actuellement au Théâtre de Belleville, mardi à 21h15, du mercredi au samedi à 19h15, dimanche à 17h. Durée : 1h15. Plus d’informations sur www.theatredebelleville.com.




« Perdues dans Stockholm » : épopée burlesque et folle magie

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Sur scène défilent un mobile home, une gare, un casino… Tant de lieux construits avec le même décor à tiroirs : trois caisses de bois montées sur roue. Des boites accompagnées de trois acteurs auxquels Pierre Notte a insufflé son jeu, sa musique et sa folle magie. Tout fonctionne pour emporter le spectateur dans une épopée burlesque, allant de surprise en surprise, faisant mouche dans nos esprits toujours au moment où on l’attend le moins.

Avant que la lumière ne s’éteigne, Lulu (Brice Hillairet) bondit sur scène, se change pour ne pas qu’on le reconnaisse, tel un malfaiteur qui a fait une énorme bêtise… Et c’est le cas : il vient d’enlever la présidente du Festival du film américain de Deauville (Juliette Coulon), croisée par hasard au rayon primeur du Monoprix ! Grâce à la rançon qu’il va en tirer, il va pouvoir enfin se payer son opération de transformation et devenir la femme qu’il est vraiment. Très vite, il s’avère que l’actrice n’est qu’une comédienne mineure ressemblant vaguement à la présidente en question, elle qui passait par là dans l’espoir de plaire à un directeur de casting américain. Tata Yoyo (Silvie Laguna), rentrant du casino complètement ruinée vient compléter le groupe de personnages qui, bien que nichés dans le plus profond désespoir Trouvillais, n’ont pas abandonné l’espoir de réaliser leurs rêves.

Le syndrome de Stockholm agit alors sur la kidnappée, bien décidée à rester avec les deux tendres loosers pour qu’ensemble, ils s’offrent la vie qu’ils méritent : ouvrir la première école de Geisha en Haute-Normandie.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Toutes les situations, les actions et les gestes – notamment ceux de Brice Hillairait qui se lâche complètement et nous montre ainsi toute l’étendue de son talent – sont tirés vers l’absurde comme deux aimants. Notte ne suit que ses codes, il est un roi en matière de quiproquo entre ses acteurs et le public : durant les premières minutes de la pièce, le personnage de Lulu, bien que transsexuelle, a tout d’une bigote hystérique sortie tout droit de Saint-Nicolas du Chardonnay : en enlevant la présidente d’un festival de film, on pense assister à l’obscurantisme qui kidnappe la culture. Métaphorique ! Et bien sûr, la situation s’avère ne pas être ce qu’elle semble. Ce procédé revenant de manière incessante est mené de main de maître.

Le texte est cinglant, rapide, truffé de gags. Les clins d’œil à la société moderne abondent et l’on retrouve les citations qui font la marque de fabrique de Notte : la référence aux grandes actrices, notamment Catherine Deneuve.

Entre les personnages, le cloisonnement délie les langues, en filigrane, chaque protagoniste se questionne sur son identité, ce qui fait qu’elle est unique, sur l’ignorance des autres de leur personne puisque ce ne sont pas des gens connus… Et finalement, malgré tout le rire découlant de ces situations d’un comique certain, on ne peut s’empêcher d’être touché, parfois ému et évidemment conquis par ces trois femmes formidables.

Pratique : « Perdues dans Stockholm », jusqu’au 29 juin au théâtre du Rond-Point (8e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatredurondpoint.fr et par téléphone au 01 44 95 98 21.




Les Enfarinés, drôle d’Archipel !

Théâtre de l’Archipel, Xe arrondissement, un vendredi soir.
Une petite salle parisienne comme il en existe tant, à cette particularité près qu’elle fait également office de cinéma.

Mais c’est de théâtre dont nous parlons aujourd’hui.
« Les Enfarinés », la nouvelle création de Gracco Gracci, auteur et metteur en scène, se joue jusqu’au 13 janvier 2013 dans cette intimité réconfortante.

En quelques mots, la pièce nous dépeint les déboires d’un couple aux prises avec son fils, adopté, et son père biologique, puissant baron du cartel de la drogue colombien. Sans retour du fils dans son pays natal, le dangereux patriarche s’attachera à liquider le père adoptif.
Trafic de drogue, trafic d’armes, corruption, proxénétisme, tout y passe durant cette heure et demie.

Surprise dès l’entrée en scène des différents comédiens, nous n’en dirons pas plus pour vous la préserver intacte !
S’ensuit une première partie quelque peu poussive, le temps que le décor et l’histoire se mettent en place. Un début où les comédiens semblent surjouer, et usent de ficelles peu convaincantes (la réaction de la salle en témoigne d’elle-même).
Une grande inquiétude émerge alors à l’esprit du spectateur : « Et si ça ne s’améliorait pas dans les scènes suivantes ? » … On entraperçoit alors un long moment de solitude … surtout lorsque l’on se porte garant d’une belle soirée auprès de ses amis !

Mais que nenni ! (Phrase théâtrale pour un revirement de situation théâtral lui aussi)
Un déclic, une réplique, un ou deux tics … et le tour est joué !

La situation s’emballe, le jeu se déride (certains spectateurs rêveraient que ça leur arrive aussi … ), les calembours font mouche (rien à voir avec l’effet du camembert …) !
Tout s’enchaîne du tac au tac, les acteurs maîtrisent la scène et leur jeu, les fous rires retentissent. Les zygomatiques sont alors mises à rude épreuvre, pas de répit possible.
On ne fait plus vraiment attention à l’histoire et à l’intrigue qui se développe devant nous tant les gags des acteurs sont prenants.
Et le plus surprenant reste sans hésitation cet état de doute dans lequel est parfois plongé le spectateur : quid de l’improvisation ? quid de l’écriture ?

En effet, au-delà même des ficelles plutôt « traditionelles » de la comédie (calembours, comique de situation et autres décalages de ton et de langage), ce sont toutes les petites références à cela même qui est en train de se dérouler qui font mouche auprès du spectateur.
Je ne sais s’il s’agit là de « méta-communication » mais ça y ressemble fortement. Les acteurs réagissent autour et à propos même du jeu qu’ils sont en train d’offrir à une salle comblée (à défaut d’être comble) !

Et l’on vient à en faire un rapprochement avec une autre pièce, encore à l’affiche et qui connaît un véritable succès partout en France : « Si je t’attrape je te mort ». A noter d’ailleurs au rang des similitudes entre ces deux pièces, la présence à l’affiche de la désopilante Kim Schwarck. La jeune actrice excelle d’ailleurs dans la propagation du doute entre jeu / mise en scène et dérapage / improvisation / fou rire.

Le dénouement arrive presque trop vite, tant cette seconde partie est jouissive pour le spectateur.
N’allez toutefois pas chercher de message philosophico-subliminal. Pas de morale à se mettre sous la dent (juste un peu de cocaïne peut-être … ). Juste un pur moment de délectation !

les enfarinés

 

Les Enfarinés
Théâtre de l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, Paris Xe
Jusqu’au 13 janvier 2013
Les jeudis, vendredis et samedis à 21h30 et dimanche à 18h30
http://www.larchipel.net/

Auteur et metteur en scène : Gracco Gracci
Distribution : Pascal Barraud, Ariane Gardel, Emmanuelle Graci, Othmane Larhrib, Siewert Van Dijk, Eliott Lerner, Kim Schwarck

 




« Que faire de Mister Sloane ? », une folie à la Comédie des Champs Elysées

Que faire de mister Sloane ? Ce jeune éphèbe mystérieux qui débarque pour louer une chambre dans cette maison au milieu d’une décharge ? On parle de « faire », comme si Sloane n’était qu’objet de fantasme. Pour une femme (qu’il met enceinte) et pour le frère, c’est bien le cas. Sans oublier le père, témoin d’un meurtre de Sloane il y a quelques années et dont la cécité grandit chaque jour, qui vient compléter ce quatuor de folie. Chacun joue sa partition pour mener le spectateur au cœur de sa folie.

Cette pièce est le premier succès de Joe Orton, un auteur anglais au destin terrible disparu au milieu du XXe siècle. La perversion, le sexe et la vulgarité s’y mélangent allègrement. Une pensée toute particulière pour Charlotte de Turckheim qui en est la principale cible et victime. D’ailleurs, elle doit profondément donner de sa personne durant tout le spectacle : parfois en nuisette, coiffée comme une anglaise des années Folles, elle se fait copieusement insulter par son frère. Rendu dingue par la jalousie, il ira jusqu’à hurler, « mais regardez-là ! On dirait une pute qui recherche l’extase ! ». Elle a juste peur d’avoir fait quelque chose de mal, comme une enfant injustement grondée. D’ailleurs, tous les personnages ont des réactions d’enfants pas sages.

Voilà pour la teneur de la pièce.

Le mauvais goût anglais y est poussé à son maximum (on y cuisine du jambon bouilli) et de l’exagération extrême jaillit un rire franc. Certes on a envie de prendre Charlotte de Turckheim en pitié. Elle, cougar de banlieue gênée, aime que son jeune amant (qui profite de sa générosité) l’appelle « Maman ». Les quiproquos et les scènes équivoques ajoutent beaucoup de force à ce cadre burlesque. Sans oublier les costumes (créés par David Belugou) qui donne l’air à chaque acteur de sortir de l’imagination de Lewis Carroll. Michel Fau dans le rôle d’un Eddy aux manière de grande folle christique, illuminée et miséricordieuse est totalement déjanté.

 « Que faire de mister Sloane » peut être une pièce douloureuse pour le spectateur embarrassé de pitié. Mais si l’on fait fi de toute morale et de toute considération, se contentant de jouir avec perversion de cette situation terrible, alors le rire ponctue notre souffle.

 Pratique : Jusqu’au 31 décembre à la Comédie des Champs Elysées, 15 avenue Montaigne (75008, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 23 99 19 ou sur www.comediedeschampselysees.com / Tarifs : entre 10 € et 39 € – Du mardi au samedi à 21 h. Matinée le samedi à 16 h.

Durée : 2 h

Mise en scène : Michel Fau

Avec :  Charlotte de Turckheim, Gaspard Ulliel,  Michel Fau et Jean-Claude Jay.