1

Quand Hamlet vire Joker

Copyright : BM Palazon
Copyright : BM Palazon

Au théâtre de l’Epée de Bois, Daniel Mesguich met en scène Hamlet de Shakespeare, dans sa propre traduction. Le drame est entier, le public observe ainsi la descente vers la folie du prince du Danemark, après que son oncle a fait tuer son père et a épousé sa mère. Ce mythe, régulièrement adapté au théâtre, trouve ici toute son essence classique.

La mise en scène est construite en dualité. L’ambiance de départ est à la fois glaciale et envoûtante : les lumières, tantôt monochromes, tantôt multicolores, la scène coupée en deux par une diagonale composée d’un tapis rouge, la toile du fond de scène composée d’étoiles, contribuent à établir ces changements entre chaud et froid dans l’ambiance royalo-spectrale du drame. Entre chaque scène, le décor glisse, mené avec entrain par les acteurs.

La dualité existe aussi grâce aux corps des personnages, des paires d’acteurs jouent certains rôles importants. Ils permettent ainsi au spectateur de voir le corps du comédien et la manière dont celui-ci se perçoit. On pense notamment à Hamlet qui se voit en l’apparence d’un enfant lorsque ses désirs surgissent de son être. On pense aussi à une Ophélie double, tout aussi impressionnante. On oscille ainsi un peu plus dans la construction de la folie qui finira par habiter chacun des protagonistes. Mesguich revisite la dimension fantastique au profit d’une dimension clairement psychanalytique de la pièce. On retient particulièrement la scène où Hamlet fait venir les comédiens pour rejouer le fratricide devant son oncle coupable : les acteurs qui vont incarner ledit oncle et la reine sont les mêmes que les incriminés, mais non encore costumés.

Copyright : BM Palazon
Copyright : BM Palazon

La dualité ressort encore grâce au mélange du jeu des comédiens. Il peut être dramatique et burlesque, comme Polonius, coiffé d’une perruque orange et affublé d’un maquillage très prenant, faisant face à Claudius, grand et grave, sans fard.

Le prince Hamlet lui-même varie entre les deux possibilités. Joué par William Mesguich, il est à la fois adolescent espiègle – jonglant avec un ballon de foot – et Joker, ennemi juré de Batman-Claudius et de l’humanité entière. Parfois, il est dans une exagération telle qu’il en devient grandiloquent, mais la nuance arrive toujours à propos pour ajouter tout le talent nécessaire au personnage. On regrettera juste que le chemin de la folie soit parcouru trop vite, trop haut, presque dès son apparition en scène.

Pour orchestrer l’ensemble, Daniel Mesguich fait appel à quelques dispositifs cinématographiques : la musique est omniprésente. Un moment d’intensité dramatique sera accompagné d’une montée de violons ou d’une volée de trompettes. Les scènes longues sont soutenues par des plages sonores lancinantes, type « sons bineuronaux ». On remarque aussi certaines scènes, rejouées à partir de différents points de vues.

Enfin, comme l’exige le drame, tout au long du développement, l’histoire va s’accélérant. Dès la mort de Polonius, Ophélie, puis Laërte suivent très vite. Cependant, la fin, extrême, ne sombre pas dans la parodie d’elle-même et laisse tout l’intérêt au spectateur de réfléchir à cette situation bien rendue. Un moment horriblement classique, donc ô combien parlant à nos âmes ?

« Hamlet » de William Shakespeare, mise en scène de Daniel Mesguich, jusqu’au 30 novembre au Théâtre de l’Epée de Bois, La Cartoucherie de Vincennes, du mardi au samedi à 20h30. Dimanche à 16h. Durée : 3h (entracte compris). Plus d’informations et réservations sur www.epeedebois.com




Au festival Premiers Pas, on « Vie de grenier »

Jusqu’au mois de décembre à la Cartoucherie de Vincennes se déroule le festival « Premiers Pas ». Occasion offerte à de jeunes compagnies de présenter une première création sur la scène du théâtre du Soleil. Parmi les six spectacles, « Vie de grenier » est donné par la troupe des EduLchorés; ce travail collectif mêle théâtre, musique et danse.

Grand-mère Simone vient de mourir. Ses (nombreux) petits enfants sont venus débarrasser les meubles, ranger ses dernières affaires. Qui prend quoi ? La destination du contenu de cette caverne d’Ali Baba ne fait pas l’unanimité, certains veulent vendre tout, immédiatement, d’autres veulent se plonger dans les souvenirs. Les fantômes qui habitent ces objets vont aider ces jeunes gens à faire les choix justes en embarquant les descendants (et les spectateurs) dans un voyage entre les époques vécues par cette grand mère qui peut être celle de tout un chacun.

De cette idée qui peut sembler naïve au départ, naît en fait une manière élégante et fraîche d’interroger la relation avec les époques intimes qui nous ont précédés. Comment la jeunesse réagit-elle face à la mort, face à l’héritage ? Comment chacun vit-il le manque causé par la perte d’un être, et surtout : comment vider un grenier peut-il devenir une véritable thérapie collective, un travail de mémoire ?

On partage la vie d’horloges, livres et tapisseries, qui chacun offre ses souvenirs et ses surprises. Le spectacle est bien mené, les comédiens apportent chacun dans leur jeu une vue différente sur cette vie qui subsiste après la mort.

La mise en scène, la création lumière sont pleines d’idées et d’entrain, bien que la précision côtoie parfois un peu le fouillis (qu’on mettra sur le compte de la fougue inhérente à la jeunesse). Une mention particulière également pour la musique originale, jouée sur scène par un quatuor à cordes.

Les EduLchorés nous font vivre un beau voyage, un rêve pétri dans la poussière et les souvenirs, qu’ils partagent aisément avec le public, un beau présage en vue des créations futures.

Pratique : Du 6 au 15 décembre au théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes
Réservations par téléphone au 01 43 74 24 08 ou sur http://taftheatre.fr/ – Tarifs : entre 10 € et 15 €.

Durée : 1 h 30

Mise en scène : Emma Pasquer

Avec : Laura Périnet-Marquet, Claire Frament, Elise Pierre, Aurey Vernichon, Juliette Quillevere, Clémence Viandier, Claire Duchêne, Estelle Pasquer, Tristan Lhomel, Alexandre Goldinchtein, Matilde Vilaça.