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L’explosif Gilles Ostrowsky hache menue les Atrides

Copyright : Ronan Thenadey
Copyright : Ronan Thenadey

Meurtres, parricides, incestes, infanticides, matricides, viols, guerres… Qui dit mieux ? À eux seuls, les Atrides cumulent. Si les dieux s’acharnent sur eux sur des générations, la faute vient d’Atrée, qui a fait manger à Thyeste, son frère jumeau, ses deux enfants cuits en morceaux. Sur scène, à en croire Gilles Ostrowsky qui incarne à tour de rôle une foule de personnages, ce fut un régal.

Seul sur le plateau, dès les premières secondes, le comédien déjanté aux mimiques inépuisables nous fait rire aux éclats. Enfermé dans une cage, casque de centurion sur la tête et tongs aux pieds, c’est tout naturellement en pleine élaboration de son ragoût nécessitant deux bébés frais et de la feta que l’acteur lance son spectacle loufoque. Pas facile de découper des bébés ? À l’époque non seulement ça se fait, mais ça se digère plutôt bien. Surtout entre jumeaux consanguins. Arborant des tenues délurées, modulant l’environnement à sa guise, se travestissant sans limites, Gilles Ostrowsky est fou, son hystérie est communicative. Bien orchestré, le spectacle ne souffre d’aucun temps mort, la création sonore est efficace et le décor ne cesse de surprendre. Entre moments d’incarnation des personnages mythologiques et considérations hilarantes bien que réfléchies sur cette famille. La réussite tient surtout au fait que l’on comprend finalement assez bien l’histoire, recomposée à un rythme frénétique dans nos esprits. Et quelle histoire !

Pour se venger de son frère, Thyeste, en plein doute, va voir l’Oracle qui lui conseille de faire un enfant à sa fille, celui-ci le vengera. Logique ! Se dit Thyeste. Pélopia, sa fille enceinte et à son tour en plein doute, se marie alors à son oncle qui élève le fils qui le tuera, Egisthe, aussi meurtrier d’Agamemnon. Survolté, Gilles Ostrowsky invoque les dieux et saute les générations sans difficultés alors que le sang déferle sur scène. Si le spectacle qui couvre aussi la Guerre de Troie jusqu’au jugement d’Oreste accusé de matricide est aussi jubilatoire, c’est que le comédien parvient admirablement à faire de cette histoire tragique un moment extrêmement comique notamment par des jeux de mots habilement placés. On pense notamment à la berceuse que chante Pélopia à son fils intitulée l’air de rien « Moussaka et Tzatziki », ou aux moments d’extrême simplification du mythe dont on se ne lasse pas conduisant à ce genre de dialogue entre Oreste et Clytemnestre : « Tu vas me tuer ? – Oui Maman ».

Avec une grande économie de moyens, Gilles Ostrowsky a misé sur un jeu clownesque très bien mené laissant voir qu’il n’y a rien de pire qu’un grec en plein doute désespéré au point d’écouter l’Oracle. Qu’à cela ne tienne, voilà un spectacle délirant qui se digère bien, on en veut encore !

« Les fureurs d’Ostrowsky, Délire mythologique », un spectacle de Gilles Ostrowsky, d’après (très très lointainement) la terrible histoire des Atrides, jusqu’au 24 avril au  Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur www.theatredebelleville.com

Reprise au Festival OFF d’Avignon 2016 – du 7 au 30 juillet à 16h10 au Gilgamesh




Les Enfarinés, drôle d’Archipel !

Théâtre de l’Archipel, Xe arrondissement, un vendredi soir.
Une petite salle parisienne comme il en existe tant, à cette particularité près qu’elle fait également office de cinéma.

Mais c’est de théâtre dont nous parlons aujourd’hui.
« Les Enfarinés », la nouvelle création de Gracco Gracci, auteur et metteur en scène, se joue jusqu’au 13 janvier 2013 dans cette intimité réconfortante.

En quelques mots, la pièce nous dépeint les déboires d’un couple aux prises avec son fils, adopté, et son père biologique, puissant baron du cartel de la drogue colombien. Sans retour du fils dans son pays natal, le dangereux patriarche s’attachera à liquider le père adoptif.
Trafic de drogue, trafic d’armes, corruption, proxénétisme, tout y passe durant cette heure et demie.

Surprise dès l’entrée en scène des différents comédiens, nous n’en dirons pas plus pour vous la préserver intacte !
S’ensuit une première partie quelque peu poussive, le temps que le décor et l’histoire se mettent en place. Un début où les comédiens semblent surjouer, et usent de ficelles peu convaincantes (la réaction de la salle en témoigne d’elle-même).
Une grande inquiétude émerge alors à l’esprit du spectateur : « Et si ça ne s’améliorait pas dans les scènes suivantes ? » … On entraperçoit alors un long moment de solitude … surtout lorsque l’on se porte garant d’une belle soirée auprès de ses amis !

Mais que nenni ! (Phrase théâtrale pour un revirement de situation théâtral lui aussi)
Un déclic, une réplique, un ou deux tics … et le tour est joué !

La situation s’emballe, le jeu se déride (certains spectateurs rêveraient que ça leur arrive aussi … ), les calembours font mouche (rien à voir avec l’effet du camembert …) !
Tout s’enchaîne du tac au tac, les acteurs maîtrisent la scène et leur jeu, les fous rires retentissent. Les zygomatiques sont alors mises à rude épreuvre, pas de répit possible.
On ne fait plus vraiment attention à l’histoire et à l’intrigue qui se développe devant nous tant les gags des acteurs sont prenants.
Et le plus surprenant reste sans hésitation cet état de doute dans lequel est parfois plongé le spectateur : quid de l’improvisation ? quid de l’écriture ?

En effet, au-delà même des ficelles plutôt « traditionelles » de la comédie (calembours, comique de situation et autres décalages de ton et de langage), ce sont toutes les petites références à cela même qui est en train de se dérouler qui font mouche auprès du spectateur.
Je ne sais s’il s’agit là de « méta-communication » mais ça y ressemble fortement. Les acteurs réagissent autour et à propos même du jeu qu’ils sont en train d’offrir à une salle comblée (à défaut d’être comble) !

Et l’on vient à en faire un rapprochement avec une autre pièce, encore à l’affiche et qui connaît un véritable succès partout en France : « Si je t’attrape je te mort ». A noter d’ailleurs au rang des similitudes entre ces deux pièces, la présence à l’affiche de la désopilante Kim Schwarck. La jeune actrice excelle d’ailleurs dans la propagation du doute entre jeu / mise en scène et dérapage / improvisation / fou rire.

Le dénouement arrive presque trop vite, tant cette seconde partie est jouissive pour le spectateur.
N’allez toutefois pas chercher de message philosophico-subliminal. Pas de morale à se mettre sous la dent (juste un peu de cocaïne peut-être … ). Juste un pur moment de délectation !

les enfarinés

 

Les Enfarinés
Théâtre de l’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, Paris Xe
Jusqu’au 13 janvier 2013
Les jeudis, vendredis et samedis à 21h30 et dimanche à 18h30
http://www.larchipel.net/

Auteur et metteur en scène : Gracco Gracci
Distribution : Pascal Barraud, Ariane Gardel, Emmanuelle Graci, Othmane Larhrib, Siewert Van Dijk, Eliott Lerner, Kim Schwarck