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« Home », asile de dingues sans un fou

Copyright : Dunnara Meas
Copyright : Dunnara Meas

La scène du théâtre de l’Œuvre est transformée en coin de paradis au milieu d’une jungle de béton : deux chaises et une table attendent les promeneurs. Rapidement, on se rend compte que nous sommes installés au milieu d’un asile et que certains « cinglés » viennent s’y retrouver au hasard de leurs délires. Des échanges, des relations se nouent ici, des instants qui n’ont pas de prise dans l’âme des pensionnaires : ils passent par là pour se créer quelques minutes de normalité : amour, bavardages et observation de la météo sont au programme.

Cette situation pourrait être propice à une heure de poésie rêveuse et décalée. Mais la pièce est si mauvaise que le public se retrouve propulsé dans un bain d’ennui mortel, au milieu de tarés dont la folie est absente. On est prisonnier, d’abord d’une conversation qui pourrait être celle de deux chômeurs dépressifs (Harry et Jack) qui n’attendent plus rien de la vie. Ils essayent de s’amuser à être quelqu’un et s’échangent – pendant la moitié de la pièce – des banalités consternantes qui aussitôt écoutées, sont illico oubliées. Ils seront rejoints par Kathleen et Marjorie. Les jeux de séduction et d’amour auxquels s’adonnent les personnages sont du niveau de ceux auxquels joueraient, la nuit, des jeunes à l’arrêt de bus de leur village paumé : dans le but de tromper l’ennui sans jamais y parvenir.

La pièce de David Storey est répétitive, linéaire, sans surprise… Le portrait d’un asile sans délire. Les acteurs font ce qu’ils peuvent, jouent des personnages vides, quand ils n’essayent pas de mimer la folie qui devrait les habiter. On pense à Carole Bouquet, d’une étonnante vulgarité, riant comme une pie crierait pour chercher l’amour dès que Pierre Palmade ouvre la bouche. Et ne parlons pas d’Alfred (Vincent Dediard), monsieur muscles dont l’auteur aurait pu nous faire grâce tant sa présence n’apporte même pas un peu de poésie…

Ce « Home » est une parodie de création absurde. La pièce vaccinerait n’importe quel spectateur, qui n’a pas l’habitude d’aller au théâtre, de l’envie d’y retourner. En sortant, on s’interroge : comment une affiche si prometteuse peut produire un résultat si médiocre.

« Home » de David Storey. Mise en scène de Gérard Desarthe, actuellement au Théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de Clichy, 75009, Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur theatredeloeuvre.fr




« Les Estivants » dans la torpeur des vacances

© Cosimo Mirco Magliocca
© Cosimo Mirco Magliocca

Qui sont les Estivants ? Ces centaines de visages dessinés en surimpression sur le rideau de scène et les troncs d’arbres qui jalonnent la scène ? Deux gardiens les définissent dès les premières répliques : ils sont nécessaires à l’économie locale, mais ils ne sont pas pour autant les bienvenus. Ce sont ces gens qui font multiplier par 10 la population des petits villages côtiers et des stations de montagne. Ils ne respectent rien. Si les locaux ne s’intéressent pas à eux, l’inverse est aussi vrai.

Une fois installés dans leurs locations habituelles, les Estivants de Gorki ressemblent aux parisiens dans le Morbihan. Les conventions sociales conduisent les citadins à prendre des vacances, et par habitude ou par manque d’imagination plus que par plaisir, ils se retrouvent au même endroit chaque année. Toute la bande est là, sur scène à s’ennuyer. Une torpeur qui les pousse à lire le journal en entier jusqu’aux brèves. Mais voilà : l’oisiveté est mère de tous les vices. Les épouses deviennent méchantes et les maris maltraitent leurs femmes. Tout cela dans un concert d’ombrelles et de bruits d’oiseaux incessants. Ces Estivants ont beau essayer d’inventer quelques intrigues d’amour, toujours pour s’occuper, comme la paille appelle le sexe dans les campagnes reculées où il ne se passe pas grand chose. Untelle papillonne sur sa balancelle, l’autre sous son parasol. Promiscuité oblige, c’est un temps qui annihile tous les fantasmes que l’on peut encore entretenir sur ses fréquentations. On vit cette désillusion, comme celle de Warwara Mikhaïlovna (Sylvia Bergé), admiratrice de Yakov Petrovitch Chalimov (Samuel Labarthe), et qui se rend compte finalement, qu’il n’est qu’un homme comme les autres.

Dans la salle, les spectateurs murmurent : bien que de la même génération, Gorki n’est pas Tchekhov. Forcément, lorsqu’on parle d’ennui, de province russe, tout cela dans une ambiance collégiale, difficile de ne pas faire le rapprochement. Chez Gorki, les personnages se sentent supérieurs au reste du pays, quand chez Tchekhov, ils ne vivent que dans leur monde. On retrouve les personnages idéalistes comme Maria Lwovna (Clotilde de Bayser) qui attendrait des écrivains qu’ils s’engagent plus. Face à elle, des passéistes, des réactionnaires, des gens qui se plaignent que rien ne change mais qui n’ont jamais rien fait pour. Heureusement, il y a aussi l’esclave qui se libère, Vlas Tchernov (Loïc Corbery) écorché vif qui met de la vie et de la désinvolture dans ce monde propre en apparence mais où tout le monde a quelque chose à cacher. Quelques belles tirades finissent de donner son importance au texte, notamment de la bouche de Labarthe, écrivain qui cherche le visage de son lecteur et Calérie (Anne Kessler) qui profite d’une certaine folie pour mettre sans cesse les pieds dans le plat : « la vie de tout homme qui réfléchit est une catastrophe », dira-t-elle.

Ce rassemblement laisse place à des situations très amusantes, très bien jouées. On pense notamment à Bruno Raffaelli en bon capitaliste et exploiteur assumé qui finira par dépenser sa fortune dans des constructions d’écoles, dépité que son neveu, Piotr Ivanovitch Souslov (Thierry Hancisse), puisse un jour hériter de sa fortune. Mention également pour Alexandre Pavloff qui campe un Pavel Sergueïevitch Rioumine bégayant, dramatiquement drôle – et qui ratera son suicide en se tirant dans le bras.

Malheureusement, la mise en scène de Gérard Desarthe est ronflante. Les acteurs sont tous sur scène, et l’on passe d’une conversation comme d’un groupe à l’autre, sur une grande toile peinte avec costumes d’époque. Chaque groupe attend que l’autre ait fini pour commencer sa conversation. Au piano, c’est forcément les saisons de Tchaïkovsky qu’on entend. Rien n’est étonnant, et trois heures sans surprise, c’est long. On dirait Desarthe inspiré par Lelouch, Deauville en moins.

Le public finit par s’ennuyer avec les personnages. Sur scène, les acteurs baillent et une douce léthargie ne peut que nous envahir, tant nous ne sommes jamais brusqués. On assiste à une sorte de crise de la quarantaine collective que rien ne motive (pourquoi cet été-là plus qu’un autre ?). La phrase terminale résume finalement bien cette pièce mi-drame, mi-comédie : « tout cela est insignifiant, tout cela est dérisoire ». Et on sort de là engourdi, de corps et d’esprit.

« Les Estivants » de Maxime Gorki, mise en scène Gérard desarthe, jusqu’au 25 mai 2015 à la Comédie-Française, 2 place Colette (75001, Paris), en alternance. Durée : 3h (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr