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[Théâtre – Avignon] Où vont « Les choses qui passent » ?

Abke Haring (Elly) et Aus Greidanus Jr. (Lot) dans « Les choses qui passent » m.e.s. par Ivo Van Hove © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Le récit transgénérationnel de Louis Couperus, fabuleusement mis en scène par Ivo Van Hove, propose une immersion dans une famille rongée par un lourd secret. Parmi « Les choses qui passent » il y a surtout la jeunesse. L’angoisse universelle de vieillir magnifiée par une certaine lenteur, peut s’avérer trop opaque pour les jeunes générations.

Qu’est-ce que la vieillesse ? Le metteur en scène belge et directeur artistique du Toneelgroep d’Amsterdam ne l’explique pas, il le montre. Les comédiens plient le dos, traînent une patte folle ou claudiquent sur une canne. Un couple de petit vieux se poste à la fenêtre chaque jour qu’il leur reste, parfumant l’atmosphère d’un « je-ne-sais-pas-trop-quoi » hérité de Beckett. De la décrépitude ? Et si tout ces vieillards assombris tiennent le choc, c’est car depuis soixante ans, ils ruminent une histoire sordide, plus ou moins bien cachée.

La veille de leur mariage, deux époux s’aiment juste « bien ». Miné par un amour excessif pour sa mère, Lot n’est pas un sensuel et Elly fera avec. La tendresse est entre eux de l’ordre de l’amitié mais l’on assiste tout de même à une parade nuptiale complètement déjantée.

Une mère dépendante de l’affection des hommes cache la frustration de n’avoir pas eu de père. Les liens de cette famille sont nocifs et dérangent, néanmoins ils sont forts. Les plus âgés s’agglutinent en bande, tous unis par le noir des vêtements qu’ils portent. Les moins vieux sont eux aussi, vêtus d’habits de deuil, mais se déplacent à deux, et bien plus souvent seul. Cela fait partie des images, des allégories, qu’un néophyte aimerait pouvoir saisir d’emblée.

Dépeignant ce qu’il y a de pire au sein d’une famille, et ce avec une grande force notamment corporelle, l’adaptation d’Ivo Van Hove fait l’unanimité en cette 72e édition du Festival d’Avignon. Pourtant elle laisse de marbre quelques esprits plus jeunes qui, tout à fait concernés par le temps qui passe, auraient pris du plaisir à s’identifier. À trop esthétiser la froideur des personnages, un spectateur novice ne peut s’intéresser au plus profond du propos. Ces « choses qui passent » pourtant, sont bien universelles.

« Les choses qui passent » m.e.s par Ivo Van Hove d’après un texte de Louis Couperus
Jusqu’au 21 Juillet dans la cour du Lycée Saint-Joseph, Avignon
Plus d’informations sur https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/




La Porte des Enfers, Laurent Gaudé

La Porte des Enfers


La mort est sans doute le dernier refuge de la religion dans nos sociétés contemporaines.


La mainmise sur la cellule familiale s’estompe peu à peu, les positions d’une grande partie de l’Eglise sur la sexualité de la société semble anachronique.

La vie sur Terre n’est quasiment plus considérée comme un passage obligé avant d’atteindre un autre monde, on a vu ainsi se développer des sociétés entières basées sur le désir, la consommation, la jouissance quotidienne et polymorphe.


Mais la mort reste propriété de l’Eglise. Les cimetières ne sont-ils pas les derniers lieux à connotation religieuse qui subsistent dans nos sociétés, aux côtés des lieux de culte ?
Ils représentent d’ailleurs un culte à eux seuls : le culte des morts.


C’est à ce culte qu’est consacré le roman de Laurent Gaudé, La Porte des Enfers.


Au commencement est un enfant, Pippo de Nittis. Jeune Napolitain, du haut de ses 6 ans, il a toute la vie à découvrir. Et pourtant, c’est sa vie qui va brutalement le quitter, un matin de marché, dans les rues animées de Naples. Un matin de marché ordinaire. Un matin où il craint d’être en retard à l’école. Un matin. Naples.

Des règlements de compte. Des échanges de tirs. Une balle perdue. Un enfant. Pippo.


Cette vie qui s’achève prématurément laisse Matteo et Giuliana désemparés. Ensemble et pourtant si seuls. Aucune communication n’est plus possible entre eux. Le spectre de leur fils se dresse désormais comme une véritable barrière dans leur couple.

Chaque regard qu’ils échangent, chaque parole qu’ils souhaiteraient prononcer viennent se heurter à la vision de leur enfant mort. Seules deux choses pourraient les réunir à nouveau : que leur fils leur soit rendu, ou que leur vengeance soit consommée.

Décor posé. Le moment est venu de plonger dans l’aventure.


L’auteur joue avec les nerfs et les émotions de son lecteur. L’atmosphère étouffante, la chaleur, la puanteur, la saleté.
Dans la lignée de L’Etranger et de La Peste de Camus, du Soleil des Scorta et de La Mort du Roi Tsongor du même Laurent Gaudé, le lecteur est opprimé, il suffoque.
Il ne reprend son souffle qu’une fois le livre terminé, l’histoire achevée, les secrets enfouis dans un oubli volontaire.

Et pourtant, dès que l’occasion se présente de replonger dans les univers oppressants que dépeint Laurent Gaudé, je ne peux m’empêcher d’y aller à pieds joints ! Et toujours sans le moindre regret !


Laurent Gaudé, La Porte des Enfers, éditions Actes Sud
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