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[Théâtre – Avignon] Si le terrorisme ne se voit pas, avec Gosselin il se vit

Frédéric Leidgens et Victoria Quesnel dans « Joueurs, Mao II, Les Noms » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Qu’est-ce qui peut bien mériter de s’enfermer dix heures dans une salle de spectacle ? Un effet de mode sans doute, la clim’ et les banquettes de la FabricA certes, mais peut-être et surtout l’expérience du théâtre. Tous les prétextes sont bons pour aller voir « Joueurs, Mao II, Les Noms », la dernière création de Julien Gosselin.

Un attentat se prépare au World Trade Center, celui des années 1980. Dans un appartement un couple se déchire, se masturbe et s’ennuie. À première vue quel rapport ? Joueurs, premier volet du spectacle, y répondra pour nous. Mao II, le deuxième, questionne le rôle de l’écriture dans un monde gangrené par l’idéal terroriste. Il est presque 23h lorsque s’amorce Les Noms, ultime partie de la soirée. Un homme seul assassine en Méditerranée des victimes choisies par leurs initiales. Julien Gosselin convoque magistralement l’Histoire en une pièce qui présente de façon irradiante les maux de notre temps.

De la violence, donc. Tissée comme un fil rouge elle n’est jamais illustrée mais expérimentée pour traverser les trois romans (dont Gosselin garde les titres) de Don DeLillo. Spectateurs et comédiens sont à leurs places respectives poussés vers leurs limites : épuisement des corps, excitation de l’ouïe, perte de la notion de temps, sommeil, envoûtement. De quoi faire taire les idiots qui déclarent en sortant, furieux et peu inspirés, qu’ils ne vont pas au théâtre pour voir du cinéma.

Connu pour éprouver, questionner le théâtre, le metteur en scène phare de l’École du Nord, use ingénieusement de la caméra embarquée. Elle est sur le plateau un personnage en soi, prodigieusement maniée par Jérémie Bernaert et Pierre Martin (respectivement régisseurs et créateur vidéo). Outil mais pas seulement, le cinéma permet de raviver la question de ce que l’on montre ou pas dans une salle de spectacle. Et il ne faut pas moins d’une petite dizaine d’heures à Julien Gosselin pour cerner les contours, explorer les ressorts d’une mécanique actuelle : le terrorisme.

L’ambition est haute mais le spectacle s’y hisse.

Quoi de mieux que l’Histoire pour rappeler à la salle que l’islamisme radical semé partout dans le monde n’a vraiment rien inventé ? Consumérisme des biens, des plaisirs, des désirs : une société malade de trop de facilités fabrique en son propre sein l’idée de sa destruction. Trop fin pour le déclarer sur un ton dogmatique, l’habile chef-d’orchestre compose une pièce très fine qui donne généreusement au spectateur les clés pour comprendre son époque. Un tour de force qui réside dans une capacité à faire digérer un festin de dix heures qui sert du terrorisme marxiste, de l’Amérique des expats, la funeste secte Moon et l’amour qui se meurt. Rien que ça, en effet ! L’ambition est haute mais le spectacle s’y hisse.

Envie irrésistible de ne pas lâcher son siège. Fatigué ? Affamé ? Vous pouvez tout à fait sortir pour prendre l’air, griller une cigarette ou faire une petite sieste. Mais l’on ne veut pas souffrir de ces besoins triviaux tant on est accrochés par ce qui se passe sous nos yeux. Le seul risque encouru est d’en rater une miette. Une savante lumière propose des atmosphères toujours plus saturées d’une sensualité folle. Le corps est à l’honneur, sublime et tellurique. Tous les sens s’alertent aux vues des performance de monuments d’acteurs. Un espace temps théâtre puissant et manifeste.

« Joueurs, Mao II, Les Noms » d’après Don DeLillo. Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin
Dates de la tournée sur : https://www.theatre-contemporain.net/




[Théâtre] Avignon/IN : L’Antigone japonaise de Satoshi Miyagi

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Après son Mahabharata monté il y a trois ans à la carrière de Boulbon, Satoshi Miyagi ouvre le 71e Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur avec Antigone version japonaise. Pour son spectacle, il fait disparaître toute la scène sous l’eau, et nous immerge dans la tragédie grecque par le biais du théâtre traditionnel japonais pour un beau – mais peut-être trop long – moment de contemplation.

Tout le monde ou presque a déjà vu Antigone, ou bien en connaît au moins les tenants et les aboutissants si bien que dès le début du spectacle Satoshi Miyagi nous surprend en se jouant de la connaissance partielle que nous avons de cette pièce. Les dix premières minutes sont en effet consacrées à un résumé en français de la tragédie de Sophocle avec un humour ravageur, tant le français semble être difficile à parler pour la troupe japonaise. Sur le miroir d’eau, le préambule comique passé, les comédiens tels des silhouettes fantomatiques blanches ondulent, jouent et miment la pièce. Le metteur en scène a en fait dédoublé certains personnages comme Antigone, Ismène ou Créon de sorte que l’un conte la fable tourné et figé vers nous, tandis que l’autre mime la scène dont les mouvements sont projetés sur le Palais des Papes dans un jeu d’ombres envoûtant.

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Du début à la fin, la mise en scène de Satoshi Miyagi est parfaitement orchestrée, tous les gestes très lents des comédiens concourent à la création d’une ambiance très zen, très chorégraphiée tant les rituels sont dansés. Que ce soit Antigone fardée d’une perruque blonde perchée sur un rocher massif jouant les scènes avec grâce, ou tous les comédiens formant un cercle processionnel hypnotique, la démesure du lieu, du miroir d’eau et des ombres se heurtent à une quiétude remarquable mais qui finit par provoquer de l’ennui. Cette Antigone marquée par le bouddhisme japonais est surtout un spectacle contemplatif pour nous public occidental. Souvent, certains mouvements sont si codifiés que nous sommes relégués à la contemplation de ce que nous trouvons beau sans vraiment savoir pourquoi. Si le théâtre d’ombres voulu par le metteur en scène est spectaculaire, il reste néanmoins figé et certaines scènes s’étirent trop en longueur.

Heureusement pour le public, la méditation poétique à laquelle il est convié est accompagnée de la musique pensée par Hiroko Tanakawa. Ce dernier a composé une partition répétitive, faite de percussions très marquantes dont on ne se lasse pas. De fait, cette Antigone montée avec beaucoup de soin et de grandeur nous impressionne mais reste trop hermétique à son public pour qui la simple contemplation, aussi agréable soit-elle, ne peut suffire quand elle ne dit rien de percutant sur la situation du monde actuel.

Antigone, de Sophocle, mise en scène Satoshi Miyagi, Spectacle en japonais surtitré en français, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon – Du 6 au 12 juillet, relâche le 9 à 22h. Durée : 1h35. Pour plus d’informations : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2017/antigone




Avignon 2012 – « La Nuit Tombe » grâce à Guillaume Vincent

Spectateurs, nous sommes invités à nous installer dans un décor de maison hantée, n’ayant rien à envier à celle qui contribue au succès de Disneyland Paris. La lumière étrange et la toile placée entre le public et la scène nimbent la salle d’étrangeté. Dans cet écrin débute alors une suite de contes s’entrecoupant pendant toute la durée du spectacle.

Ce rituel scénique est mystérieux, surtout, effrayant, parfois (surtout les trente premières minutes). Les histoires mettent en scène des rencontres étranges, baignées de ces angoisses qui habitent l’enfant quand « La Nuit Tombe ». Ici, une mère fuyant un mari violent pendant la période de Noël semble avoir l’air possédée. Deux sœurs se rendent à un mariage de leur père, mais l’une fini par étrangler l’autre. Un réalisateur psychopathe agit bizarrement avec son actrice… Une autre mère envoie son gamin à la recherche d’un frère mort dans un monde proche de celui d’« Alice au Pays des Merveilles », avec placard sans fond, clé et labyrinthe.

Techniquement, le spectacle est très bien construit. Les bruitages, les sons d’ambiances, les voix trafiquées prolongent la sensation d’angoisse qui nous habite, Guillaume Vincent s’inspire des maîtres de l’épouvante : la peur est dans la suggestion.

La scénographie et le dispositif sont très beaux : une chambre d’hôtel décorée d’une grande baie en fond de scène. Le ciel, visible au travers, change au fil de la représentation. Il pleut, il neige, parfois, le ciel se teinte d’un vert à la « Sleepy Hollow », parfois d’un grand bleu à la « Shrek ». Quoi qu’il en soit, cette lumière est toujours irréelle. Elle, comme tout le spectacle, taquine la réalité avec des pincées de fiction.

L’ombre de la mort en souffrance plane sur chaque scène, sans jamais frapper complètement. Elle est l’épée de Damoclès des personnages. « La Nuit Tombe » est un objet théâtral attrayant, étrange et très ludique, il faut le reconnaître. La profondeur des histoires passe au second plan derrière la technique. Une création qui ne manquera pas de plaire aux jeunes et aux publics peux enclins à fréquenter les salles de théâtre.

 

Tournée :

 

  • Du 8 janvier au 2 février 2013 au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris)
  • Les 7 et 8 février 2013 au Théâtre de Beauvaisis – Scène Nationale de l’Oise
  • Du 13 au 15 février à La Comédie de Reims
  • Le 8 mars au Mail – Scène Culturelle de Soissons
  • Le 12 mars au Théâtre de Cornouaille – Scène Nationale de Quimper
  • Les 3 et 4 avril au Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre
  • Le 8 avril à Alençon – Scène Nationale 61
  • Les 11 et 12 avril au Parvis – Scène Nationale de Tarbes
  • Du 16 au 19 avril Théâtre des 13 Vents Centre Dramatique National de Montpellier
  • Le 30 avril à l’Espace Jean Legendre Compiègne – Scène Nationale de l’Oise

Texte & Mise en scène : Guillaume Vincent

Avec : Francesco Calabrese, Emilie Incerti Formentini, Florence Janas, Pauline Lorillard, Nicolas Maury, Susann Vogel et les voix de Nikita Gouzovsky, Johan Argenté et les visages de Thibaut-Théodore Babin, Io Smith.

La Nuit Tombe… a été créé le 10 juillet à la Chapelle des Pénitents Blancs en Avignon. 




Avignon 2012 – « Nouveau Roman », sauce Honoré

Christophe Honoré n’en est pas à son premier passage au festival d’Avignon. En 2005, il y présentait « Dionysos impuissant », en 2009 il revenait pour un drame d’Hugo, « Angelo, tyran de Padoue ». Cette année, trois de ses créations sont programmées, parmi lesquelles « Nouveau Roman », qui retrace l’histoire du mouvement littéraire éponyme avec ceux qui l’ont créé. Chronologie indissociable des éditions de Minuit dans la France de l’après-guerre.

Tous les acteurs sont sur scène en permanence. La scénographie mixe les attributs du tribunal et ceux du plateau télévisé. Bien que bourrée d’anachronismes (des téléviseurs à écran plat diffusent ponctuellement le témoignage d’auteurs actuels), l’ambiance des années cinquante est très parisienne. Le temps passe mais le papier peint ne se décolle pas.

Le Nouveau Roman est recréé devant le public, le temps qui passe est ponctué des prix gagnés par les  auteurs (Renaudot, Goncourt et Nobel), une horloge en fond de scène indique l’heure, le public ne perd pas la notion du temps.

On pense alors aux collectifs d’artistes et écrivains qui ont fait le foisonnement littéraire de la France, jusqu’à l’hisser comme la première nation en nombre de prix de Nobel en la matière. La pièce est riche, nostalgique, érudite, la radicalité habite les concepts énoncés.

Difficile de trouver des équivalents à notre époque. Que donnerait un cercle de réflexion réunissant Foenkinos, Levy et Musso ? L’idée même porte à sourire, la possibilité d’un mouvement baptisé la « Nouvelle Naiserie », « L’Amour Plat », ou tout simplement « La SNCF » ? Le collectif n’est pas dans l’air du temps, il n’a plus sa place, les auteurs sont seuls et le groupe du « Nouveau Roman » nous le rappelle.

Au premier abord très dense, l’humour fin, la salsa et les chansons apportent légèreté et respiration au texte, composé d’écrits et d’interviews. Des mots dits en majorité sous la forme du discours, un micro à la main. Les interventions des héros (Alain-Robbe Grillet et un Jérôme Lindon très matriarcal en tête) nous replongent dans les questions posées en cette période d’intense émulsion cérébrale, rare et réussie, sans pour autant n’être qu’une pièce-documentaire. Composée de dialogues aériens, intellectuels, vifs, on ne tombe pas la « private joke » pour public savant.

Les discussions de bureau (et quel bureau !), alternent avec les moments de solitudes des protagonistes où chacun raconte son expérience de la guerre, sa rencontre avec différents types de sexualité, ses remises en question.

Chacun des comédiens montre une maîtrise particulièrement impressionnante à habiter la psychologie de son personnage. Peu avant l’entracte, le public est invité à poser des questions à la bande. On peut questionner Jérôme Lindon, Nathalie Sarraute ou Claude Ollier comme si ils étaient face à nous. Ici, les réponses forcément improvisées sont déstabilisantes de justesse.

Le « Nouveau Roman » à la sauce Honoré n’est pas une pièce littérale où les extraits de livres donnent des indications sur la vie de leurs auteurs (ce qui aurait été dur pour cette bande en particulier). Rigoureuse sans se prendre au sérieux, à la fin de la pièce, Jérôme Lindon classe les auteurs par « importance ». Une importance dont le critères est le nombre de noms de rues, d’écoles et places publiques qui portent le nom de chacun. Pour le public, ils seront tous inoubliables.

Tournée :

– Du 10 au 12 octobre 2012 au CDDB-Théâtre de Lorient Centre Dramatique National

– Les 17 et 18 octobre 2012 au Théâtre de Nîmes

– Du 23 au 26 octobre 2012 au Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées

– Du 7 au 10 novembre 2012 à la Maison des arts de Créteil

– Du 15 novembre au 9 décembre 2012 à La Colline – Théâtre National à Paris

– Du 10 au 12 janvier 2013 au Théâtre Liberté de Toulon

– Du 17 au 19 janvier au Théâtre de l’Archipel à Perpignan

Mise en scène : Christophe Honoré

Avec : Brigitte Catillon, Jean-Charles Clichet, Anaïs Demoustier, Julien Honoré, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Ludivine Sagnier, Mathurin Voltz, Benjamin Wangermee

La bibliographie du spectacle est téléchargeable sur : www.letheatredelorient.fr/nouveau-roman

Nouveau Roman a été créé le 8 juillet 2012 dans la Cour du lycée Saint-Joseph, Avignon.




Avignon 2012 – William Kentridge épris de temps

Dans l’opéra d’Avignon, théâtre italien situé sur la place de l’Horloge, William Kentridge partage avec le public ses interrogations sur le temps. Réflexion qu’il a entamée avec le physicien américain Peter Galison.

Kentridge est un artiste pluridisciplinaire. Il est homme de théâtre, plasticien et dessinateur (c’est à lui que l’on doit l’affiche du festival cette année). La scène est un reflet de sa personne. Elle est une sorte de fourre-tout créatif où le brouhaha d’un orchestre qui s’accorde accueille le public.

Pendant 1 h 30, acteurs, musiciens, chanteurs interrogent le temps qui passe, aidés par des vidéos surréalistes et autres machines silencieuses que les occupants des planches actionnent tout en dansant des chorégraphies contemporaines.

Le spectacle est une alternance entre chansons et réflexions lues par Kentridge. Tous les temps y passent, de la création à la destruction. Il est heure, destin, joie et mort. On commence par le mythe de Persée pour arriver à la frayeur des trous noirs interstellaires. Entre les deux on passe par le temps des colonies d’où le metteur en scène est originaire (Afrique du Sud).

Parfois amusant, souvent ennuyeux (il faut ajouter à la représentation le temps de la montre que l’on consulte), le rendu est assez brouillon tellement le sujet est vaste, même si l’aspect poétique et ironique sont intéressants. Une mention particulière à cette vocaliste qui réussit la prouesse de chanter en reverse.

Au final, ce « Refuse the hour » ne convainc pas part son sujet, mais plutôt par la manière, un peu à la Tim Burton, dont il est traité. Une (petite) victoire de la forme sur le fond.

Jusqu’au 13 juillet à l’opéra-théâtre d’Avignon

Tournée :
– 15 au 18 novembre 2012 au Teatro Argentina de Rome dans le cadre du
festival RomaEuropa
– 22 au 25 novembre 2012 à l’Onassis Cultural Center d’Athènes

Mise en scène : William Kentridge

Avec : Joanna Dudley, William Kentridge, Dada Masilo, Ann Masina, Donatienne Michel-
Dansac, Thato Motlhaolwa, Bahm Ntabeni.

Musiciens : Waldo Alexander, Adam Howard, Tlale Makhene, Philip Miller, Vincenzo
Pasquariello, Dan Selsick, Thobeka Thukane.

Spectacle créé le 18 juin 2012 au Holland Festival (Amsterdam)




Un vivant « Suicidé » au 65ème festival d’Avignon

Le Suicidé est une pièce de Nicolaï Erdman écrite en 1928, puis censurée par le régime stalinien en 1932. L’auteur ne l’aura jamais vue montée. En 2011, mise en scène par Patrick Pineau, elle a été créée le soir d’ouverture du 65ème festival d’Avignon. Le public a pu découvrir que sous ce titre dramatique se cache une pièce drôle et intelligente.


Sur la scène des Carrières de Boulbon, la scénographie est faite de quatre blocs, qui composent les pièces d’un appartement collectif de l’ère soviétique. Aux premières minutes de la pièce, l’un d’entre eux s’ouvre et laisse apparaître un décor coloré et soigné. Sur le lit, un homme ne dort pas, il a faim…


Dès le dialogue initial, les mots servent une situation qui s’inverse aussi soudainement qu’elle a démarré : le mari veut manger, réveille sa femme pour qu’elle s’occupe de lui, et finalement se retrouve très vite à empêcher cette dernière de se lever pour qu’elle lui prépare un repas. Ce type de rebondissements fait de contradictions revient à de nombreuses reprises dans le texte, et ils sont, dans la mise en scène de Pineau, valorisés par un jeu d’acteur où la réaction des comédiens face aux mots est rapide et provoque de vifs changements d’expressions, tordants !

Ces mêmes mots se suivent tout en dissension, et ne sont pas étrangers aux drôles de relations qui nouent les personnages. Quand Maria Loukianovna pense que son mari, Sémione Sémionovitch, va passer à l’acte et se suicider parce qu’il se sent un moins que rien, le moment où elle confie son inquiétude à sa mère (la brillante Anne Alvaro), puis à son voisin, veuf depuis peu, sont des situations d’un comique rare.


Comique, pour nous public. Mais lorsque la belle-mère Sérafima Illinitchna essaye de faire rire son beau-fils pour éviter qu’il n’attente à sa vie, ses blagues font chou blanc. Par cet humour osé, l’auteur a réussi à faire ressortir le contexte politique qui le cernait, et le metteur en scène à nous en faire sentir l’écho évident que l’Histoire a sur la situation politique actuelle dans le monde occidental. Les personnages réduits à vivre dans des petites boîtes se questionnent sur leur désespoir, le travail à la sauce stakhanoviste et leur envie de voir changer les choses.


Leur principal espoir, ils le voient en Sémione Sémionovitch, cet homme pensant se tuer. Tour à tour l’intelligentsia russe, le représentant des commerçants, la femme jalouse ou le pope défilent à sa porte pour le convaincre de rejeter la faute sur le pouvoir en place, justifiant qu’« à notre époque, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire » et ajoutant « les gens qui se tuent aujourd’hui n’ont pas d’idées et ceux qui ont des idées ne meurent plus pour elles ». Chacun tente d’appâter le défunt, lui promettant un enterrement en première classe comme d’autres dans le monde actuel promettent quarante vierges contre un attentat-suicide.


Les situations improbables et drôles continuent de ponctuer l’action. Notamment au moment où le futur suicidé fait part de ses doutes sur la mort, c’est un sourd-muet qui l’écoute.


En seconde partie se met en place un banquet à la Tchekhov, scène de groupe où une quinzaine de comédiens sont sur scène et ça fonctionne plutôt pas mal. C’est l’occasion pour le « Suicidé » d’un dernier repas, il est 10 heures, à midi il devra se tuer. Condamné à mort par des idées. Léger bémol, car malgré la force du message qui prend tout son aspect concret, on ressent quelques longueurs et mollesse dans les interventions des personnages.


La pièce se termine avec les mêmes armes que l’introduction, faisant se côtoyer messages et situations extravagantes avec une touche d’absurde : le mort se réveille, et tous sont paniqués. La mise en scène de masse est très bien menée et sert à merveille l’ultime action comique. Un « Suicidé » bien vivant et réussi assurément.


Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :


2011

  • 17 et 18/11 à la Maison de la Culture de Bourges
  • 23 et 24/11 à l’Espace Malraux / Scène nationale de Chambéry
  • Du 29/11 au 3/12 au théâtre Vidy-Lausanne
  • Du 6 au 9/12 à la MC2:Grenoble
  • 12 et 13/12 au théâtre de Villefranche

2012

  • Du 6 au 10/01 et du 12 au 15/01 à la MC93 Bobigny
  • Du 17 au 21/01 à la Scène nationale de Sénart
  • Du 24 au 28/01 au théâtre La Piscine de Châtenay-Malabry
  • 31/01 au théâtre de l’Agora d’Evry
  • 4/02 au théâtre Louis Aragon / Scène conventionnée de Tremblay
  • 7 et 8/02 au Volcan / Scène nationale du Havre
  • 11/02 au théâtre Jean Arp à Clamart
  • Du 15 au 23/02 au théâtre du Nord à Lille
  • Du 29 au 4/03 aux Célestins / Théâtre de Lyon
  • Du 7 au 17/03 au Grand T à Nantes
  • 20 et 21/03 au théâtre de l’Archipel à Perpignan
  • 27/03 au théâtre de la Colonne à Miramas
  • 30 et 31/03 au CNCDC Châteauvallon


Distribution


mise en scène Patrick Pineau
traduction André Markowicz
collaboration artistique Anne Perret, Anne Soisson
scénographie Sylvie Orcier
musique et composition sonore Nicolas Daussy, Jean-Philippe François
lumière Marie Nicolas
costumes Charlotte Merlin, Sylvie Orcier
accessoires Renaud Léon


 
avec Anne Alvaro, Louis Beyler, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, David Bursztein, Catalina Carrio Fernandez,
Laurence Cordier, Nicolas Daussy, Florent Fouquet, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Manuel Le Lièvre,
Renaud Léon, Laurent Manzoni, Babacar M’Baye Fall, Charlotte Merlin, Sylvie Orcier, Patrick Pineau


Et pour visionner (ou revisionner) la pièce, diffusée dimanche 10 juillet sur Arte: