1

Joël Pommerat, le maître de la lumière à l’Odéon

corees

Comme pour « Ma chambre froide », Joël Pommerat n’utilise pas l’espace conventionnel d’un théâtre. Point de sièges, point de scène. Ces attributs sont remplacés par deux rangées de gradins face à face pour les spectateurs et un espace scénique de plusieurs dizaines de mètres entre les deux comme terrain de jeu(x).

Au sens propre comme au figuré, Pommerat déstructure les codes du théâtre pour les faire entrer dans son univers très particulier. Un monde sombre où les personnages sont parfois de simples volumes de chair sur lesquels se reflète la lumière, la véritable actrice des mises en scène du créateur.

Comme à son habitude, Pommerat créé tout en même temps. La mise en espace, le décor, les jeux lumineux et le texte. Dans « La réunification des deux Corées », pas d’histoire, mais plusieurs tableaux dont le fil conducteur est l’amour et les crises qui l’accompagnent. Pêle-mêle, on y voit un couple lesbien en thérapie conjugale, un mari qui rend visite à sa femme complètement amnésique, deux parents dont l’avis diverge sur le fait que leur fils veuille partir à la guerre…. L’humour peut suivre la gravité, l’ironie succède à la souffrance ou le calme à la colère et l’absurdité la plus totale quand un curé vient expliquer à une prostituée dont il est le client fidèle qu’il se passera désormais de ses services car il a « rencontré quelqu’un ».

Le noir se fait entre chacun des scénarios et lorsque la lumière (toujours magnifique) se rallume, la nouvelle scène apparaît sous nos yeux comme par magie. L’éclairage dessine parfois un soupirail, une boîte de nuit, un parvis d’église où la mariée se prépare à monter les marches ou une rue sombre où un fantôme vient chercher sa promise. On est toujours surpris, émerveillés d’un tableau à l’autre. Pommerat arrive jusqu’à recréer le reflet des feux d’artifice sur le sol d’une ville, et il n’a pas peur de faire venir des auto-tamponneuses sur le plateau pour les besoins d’une scène.

Néanmoins, cette création pèche un peu par la qualité qui varie d’un « sketch » à l’autre. Certains s’étirent trop en longueur, d’autres semblent connaître une fin bâclée … De plus, la justesse des comédiens change d’un personnage à l’autre. Parfois d’une neutralité dérangeante, ils peuvent également se révéler en grand contraste avec ce décor si puissant.

Malgré ce bémol, Pommerat s’inscrit en maître de la création d’ambiance poétique et onirique. Ce spectacle est, et doit être vu, comme une nouvelle grande réussite à mettre sur le compte du metteur en scène, car on quitte la salle comme des enfants quittent un cirque : des étoiles pleins les yeux et la hâte d’y revenir.

Pratique : La réunification des deux Corées
Jusqu’au 3 mars au théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier,  au théâtre de l’Odéon, 1 Rue André Suares  (75017, Paris). Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu. Tarifs : entre 6 € et 30 €.

Durée : 1h50

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.




Identités


 

– « Martin Page ? J’connais pas. »

– « Ca va te plaire » m’avait-elle dit, en bonne boulimique d’encre qu’elle était, « c’est  l’auteur de Comment je suis devenu stupide…. »

– « … »

« … Mais c’est des nouvelles ? Bof, c’est chiant à lire les nouvelles… Ah, y’ a des images … »

Alors j’ai lu. Et j’ai ri. Et j’ai beaucoup réfléchi…. à La mauvaise habitude d’être soi.


J’ai commencé par l’histoire de Raphaël. Héraut kafkaïen hébété devant cet enquêteur chargé de résoudre son meurtre. Puis, curieuse, j’ai continué avec Philippe, aux prises avec ce choix cornélien : échangera-t-il sa vie avec un inconnu au risque de n’être plus personne ?


Alors conquise, j’ai enchaîné avec ce mec qui emménage à l’intérieur de sa tête, cet autre qui découvre qu’il est une espèce en voie de disparition, ce dernier qui enquête sur la désertion des cafards parisiens… Avant d’enfermer tous ces frappés dans leur prison de papier.


Quelque chose me dit que ce livre pourrait me remuer bien plus que ce qu’il n’y paraît. Alors, je le ré-ouvre quelques fois, lorsque je chasse le zébu, nue à la pleine lune sur les toits de Paris, tout en cherchant une nouvelle tête volontaire, mon corps ayant eu raison de la première.



Martin Page et Quentin Faucompré, La mauvaise habitude d’être soi, Éditions de l’Olivier, 2010.