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[Théâtre – Avignon] « Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète »

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Raconter la guerre mais pas comme aux infos : quatorze comédiens nous la susurrent à l’oreille. Bercés par une douce pénombre leur récits sont terribles. Le metteur en scène Gurshad Shaheman choisit les témoignages d’artistes ou de personnes issus de la communauté LGBTQI+ et sa proposition est forte.

Plongée dans un noir profond, la salle écoute d’abord un garçon détailler son coming-out à sa mère. Une voix féminine s’adosse à la sienne pour laisser la parole à une transexuelle. Vivre de l’intérieur les bombardements en Irak, les fusillades de Bachar Al-Assad, là est le tour de force de Gurshad Shaheman. Né en Iran pendant la Révolution, l’acteur, performeur et metteur en scène a passé son enfance sur le front au combat dans les années 1980. Il se fait également le porte-parole d’exilés, lui qui a quitté son pays pour rejoindre la France, ainsi le recours aux micros permet de baigner à la fois dans la grande et la petite histoire.

Les mots dévoilent une fuite, celle du Moyen-Orient et des pays du Maghreb, qui ne s’explique pas seulement à cause des guerres locales. Persécutés du fait de leurs identités, particulièrement de genre, ces anonymes dont ne parlent quasiment pas les JT, ont trouvé sur la scène une voie pour s’exprimer. Mais pas question pour l’auteur de brosser le portrait de victimes de l’Histoire. On sent, tout au contraire, le désir de conquérir enfin sa liberté.  Les représentations, avignonnaises seulement, s’enrichissent de présences, celle de quatre exilés au milieu des acteurs. L’un chante dans sa langue, l’autre lit un texte en arabe ; on les démasque à peine et c’est revendiqué.

Au rythme aléatoire de leur prise de micro, les personnages allument ou éteignent une petite lampe, au sol, devant eux. Une « mise en présence plus qu’une mise en scène », comme le révèle Gurshad Shaheman en conférence de presse. Cette jolie trouvaille ouvre l’imagination d’un spectateur qui peut y comprendre un campement, pourquoi pas dans la jungle, mais de Calais bien sur. La pleine lumière revient et l’on découvre enfin que le temps du spectacle les comédiens avaient gardé les yeux fermés. Appel à l’Occident ? Peut-être qu’il est temps d’ouvrir grand les nôtres. Regarder en face ce qui se déroule aux portes de notre Europe, questionnée, divisée et prise à témoin désormais.

 

« Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète » texte et conception de Gurshad Shaheman
Dates de tournée à retrouver sur : https://www.theatre-contemporain.net/




Mardi – Quel est Mon noM? de Melvil Poupaud

Contre le ciel de traîne. Le spleen. Et la routine. I say « Melvil ». Coup de coeur de la semaine, du mois même :): « Quel est mon nom » de Melvil Poupaud, édité chez Stock.

Peut-être vous demanderez vous, – comme moi, quel est ce comédien qui offre en pâture à un tel âge ses Mémoires : est-ce un présomptueux un peu fou et /ou cynique, capitalisant sur sa belle gueule et ses connexions ou bien un artiste (un peu fou aussi), qui a eu la chance, mais surtout le talent d’avoir une vie d’une richesse crasse? La bonne réponse est évidemment la deuxième 🙂

Quel est Mon noM est un étrange objet littéraire, quelque part entre le scrapbook, le journal intime, le livre d’art et le scénario de cinéma. L’opus est taillé comme son auteur : multiple, dense, poète, créatif,… et franchement passionnant.

Melvil lives in a wonderful world. On s’attarde. On flâne. On s’émerveille. Sauf que le chapelier fou, le lièvre de Mars, la reine de coeur et le lapin blanc ont pour nom Serge Daney, Raul Ruiz, Marcello Mastroianni et Sa Majesté le 7e art et la Sainte Créativité.

Entre cartes postales, brouillons de scénar, storyboards, clichés et bouts de journal intime, Poupaud décline avec grâce son interprétation du genre autobiographique. Comment mettre en scène sa vie, ou plutôt comment faire de souvenirs une oeuvre à son image. Tout est jeu.

Si lire ce livre pousse certes à se faire illico une nuit Ruiz/Deneuve/Mastroianni/Duras (et on ira se pendre après), il donne surtout une furieuse envie… de créer.
Et rien que pour ça…

Quel est Mon noM ?, Melvil Poupaud. Stock. 2011