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Marguerite à Belleville

Copyright : Fabienne Boueroux
Copyright : Fabienne Boueroux

Au début du mois de février, la presse a parlé du Théâtre de Belleville en la personne de son directeur[1. « Cinq directeurs qui donnent tout pour leur théâtre » à lire sur LeFigaro.fr], Laurent Sroussi. Ancien trader, il a décidé de reprendre cette salle emblématique du quartier en 2011 et d’y établir une programmation dramatique[2. Depuis 1988, on y jouait surtout des opérettes]. Outre l’intérêt que peut susciter cette aventure humaine (le directeur déchire lui-même les billets), c’est le théâtre qu’on y propose qui doit être mis en avant pour que le public y prenne ses habitudes. Une programmation populaire, risquée et exigeante dont « Marguerite et moi » est une belle illustration.

Avant même le début de la représentation, de multiples objets jonchent la scène. Le bruit de la mer se fait entendre en fond, ce fond sonore que Duras aimait plus que tout. Sur ce tapis reposant, serein, Fatima Soualhia-Manet commence à dresser le portrait d’une femme de fer aux idées tranchées. On est dès les premiers instants, et jusqu’à la fin de la pièce, pris dans ce qu’on pourrait appeler un manichéisme durassien. La comédienne n’est pas Duras, elle ne l’incarne pas complètement, elle est simplement un vecteur de ses mots, elle laisse de la distance et l’on n’en entend que mieux la pensée. De cette voix posée, stricte, précise et garnie de silences, elle évoque des sujets aussi variés que son amour de la cuisine, l’alcoolisme ou l’absence de père. Elle esquisse un portrait dur, sévère et souvent contradictoire de l’écrivaine, faisant ressortir le désir anarchisant de cette femme qui, bien qu’aimant la vie, avait aussi le désir de tout détruire.

« On boit parce que dieu n’existe pas » – Marguerite Duras

La matière qui compose les paroles du personnage n’est pas littéraire, mais orale. Constituée à partir d’interviews qui prennent parfois la forme d’interrogatoires. Marguerite-Fatima répond, avec sa foi personnelle, avec ses mots graves, tristes ou drôles, ironiques. L’avantage pour le spectateur c’est qu’il entend tout. Il n’y a pas de recherche littéraire dans les réponses de Duras, elle dit ce qu’elle est et fait en sorte d’être comprise. Cela rend le spectacle didactique, car, bien qu’orienté vers des sujets précis, il donne une image différente de celle véhiculée par l’écriture souvent montrée sur scène. En fait, c’est un bon complément à toute l’actualité durassienne qui occupe les théâtres en cette saison-centenaire[3. On pense à « La Maladie de la Mort » jouée au Vieux-Colombier en janvier, ainsi qu’à la trilogie Duras (Savannah Bay, Le Square et Marguerite et le président) sur la scène de l’Atelier].

On remarquera peut-être une mise en scène un peu disparate, presque superflue. Quelques accessoires viennent compléter le jeu, telle la cigarette non allumée dans la main ou un fauteuil en formica et cela auraient peut-être suffi. Mais finalement, la quantité de matériel symbolique disposée sur le plateau n’empêche pas le personnage d’être libre et c’est là l’essentiel. Il y a quelques saisons, Coralie Seyrig a tenu l’affiche dans « Madame de… Vilmorin »[4. Il avait terminé sa course au Lurcernaire pendant la saison 2011-2012.], qui était aussi un spectacle constitué d’entretiens. Elle était simplement installée sur une méridienne et cela fonctionnait. Fatima Soualhia-Manet a une telle voix et une telle présence scénique, que ces deux attributs suffisent à remplir l’espace.

C’est un personnage froid, sec, à la nostalgie communicative que l’on voit s’exprimer pendant un peu plus d’une heure sur le plateau. Et sans être un recueil de citation, des phrases continuent à résonner dans notre esprit bien après la représentation. C’est la meilleure preuve d’un spectacle réussi.

Pratique :
Actuellement au Théâtre de Belleville (relâches exceptionnelles les 13, 14, 26 et 27 mars)
Reprise du 24 septembre au 11 octobre 2014.
94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
Du mardi au samedi à 19h15, le dimanche à 20h30
Durée : 1h05
Tarifs : 10, 15 ou 25 €
Réservations au 01 48 06 72 34 ou sur http://www.theatredebelleville.com/




Charlotte de Turckheim : « Une lolita d’un certain âge »

Charlotte de Turckheim est revenue pour Arkult sur son rôle de Kathy, « lolita d’un certain âge », qu’elle incarne dans « Que faut-il faire de Mister Sloane »

On vous voit peu au théâtre, c’est une volonté de votre part ?

Depuis 20 ans, je joue mes one-woman-show sur scène, ajoutez-ça au cinéma, ça ne me laissait plus le temps pour le théâtre. Sachez qu’en général, je joue mes spectacles 1 an à Paris puis 3 ans en tournée, donc chaque spectacle me prend 4 ans, ajoutez-y la préparation et on arrive à 5. J’ai fais trois spectacle, ça fait 15 ans !

J’ai la chance d’avoir beaucoup de succès avec mes one-woman-show, j’ai adoré les jouer dans toute la France. Mais c’est vrai qu’on ne parle de vous que la première année parce que vous êtes à Paris. Une fois en province, ça n’intéresse plus les médias. Les gens ont l’impression que vous n’êtes pas là, alors que vous êtes « sur le terrain », si j’ose l’expression !

Vous avez arrêté les one-woman-show ?

Oh non ! J’y reviendrai certainement un jour. Mais là, j’avais envie de jouer avec d’autres gens. Je me régale à me retrouver dans les loges avec les acteurs, on s’entend tous super bien. J’avais envie de partager les moments forts, les joies, les peines. Surtout sur un spectacle comme ça que certains adorent et d’autres détestent. On en rigole ensemble, on se soutient, c’est extra.

Comment avez-vous rencontré Michel Fau qui vous met en scène ?

Je l’ai rencontré il y 20 ans. On jouait « Le Misanthrope » de Molière à Nice. Je m’étais vachement bien entendue avec lui, j’avais adoré sa folie, sa liberté, son insolence… On s’est entendu comme larron en foire. On était moyennement heureux dans ce spectacle car on était assez contrains, c’était pas un endroit où on pouvait exprimer une folie. C’était difficile…

C’est marrant, parce que je m’aperçois… Je viens de la grande époque du café-théâtre, et j’avais un peu minimisé l’influence que ça aurait tout au long de ma carrière. Quand j’ai démarré, je ne voulais pas jouer du boulevard, ni du classique. Dans ce milieu, on voulait faire exploser les codes. À l’époque, le Café de la Gare, c’était tout ce que j’aimais ! C’était génial ! Et Coluche, le Splendid… Ils faisaient un théâtre que je n’avais jamais vu. Après cette époque, je me suis retrouvée dans une grosse structure subventionné où il fallait aller faire des courbettes à la mairie, je rentrais dans un monde très pyramidal, conventionnel, ce n’était pas mon truc. J’avais décidé qu’après ce « Misanthrope », je ferais mes spectacles toute seule !

Pour en revenir à Michel Fau, comment vous êtes vous retrouvé aujourd’hui pour travailler sur la pièce de Joe Orton ?

On a le même agent, Jean-François Gabard. Plusieurs fois je lui ai dit que si je retournais au théâtre, ce n’était pas pour faire le premier boulevard venu, et que je n’accepterais de jouer dans un boulevard que s’il est mis en scène par Michel Fau.

C’était donc un désir de votre part de travailler avec lui.

Exactement. Du coup, c’est Jean-François qui a dit à Michel Fau, « Tu sais, Charlotte a très envie de jouer avec toi », et Michel Fau m’a proposé cette pièce.

Comment vous l’a-t-il présenté ? Vous connaissiez Joe Orton ?

Je ne connaissais pas Joe Orton, et quand il me l’a donné à lire, il a dit à notre agent, « elle ne va pas accepter ». Il pensait que je ne voudrais pas le rôle, c’est vrai qu’il ne me met pas beaucoup en valeur…

Vous pouvez nous présenter ce personnage de Kathy ?

Je pense que c’est une nana qui a entre 40 et 50 ans… Ou plutôt sans âge puisqu’elle tombe enceinte. Mais comme tout est un peu irréel… Ne mettons pas d’âge, l’idée de l’âge me vient parce qu’elle tombe enceinte. Mais est-elle vraiment enceinte ? Elle est assez folle pour se faire croire qu’elle l’est. Disons, une femme plus toute jeune, ni toute vieille. C’est une lolita d’un certain âge qui séduit un espèce de jeune homme mi-ange mi-demon qu’elle met aussi sec dans son lit. Ce qui rend le frère abominablement jaloux. Kathy est à la fois la grande gagnante et la grande perdante de la pièce.

On pourrait appliquer cette phrase au frère aussi…

Oui, sauf que dans l’histoire il y a une seule certitude, celle que Sloane est mon amant. Il n’y a aucune certitude concernant l’autre côté. Et dans le fond le frère n’assume pas vraiment son homosexualité alors que moi j’assume totalement d’être une cougar. Je passe à l’acte !

La situation de Kathy est plutôt inconfortable, et comme vous le disiez le rôle ne vous met pas particulièrement en valeur. Pourquoi l’avoir accepté ?

Je savais qu’avec Michel je pourrais aller très très loin dans le personnage, tout en étant protégée.

Protégée ?

Je savais que ça allait être bien, je savais que ça allait me plaire. Même si « bien » ça ne veut rien dire, car il y a des gens qui détestent la pièce.

Vous ne pensez-pas que si des gens détestent cette pièce, c’est probablement en partie à cause du traitement que subi votre personnage ?

Vous voulez le fond de ma pensée ? Je pense que les gens qui n’aiment pas cette pièce, sont des gens qui ont des zones d’ombre en eux. Je vois des gens qui sont tellement choqués et exaspérés en sortant ! Ça reste du théâtre tout de même, c’est pas si grave… Mais il y en a qui ne sont pas prêt à entendre des choses aussi dérangeantes sur la sexualité, sur la violence et sur la manipulation…

Vous n’avez aucune difficulté à subir autant de violence chaque soir sur scène ?

Honnêtement, si… Je fais des cauchemars toutes les nuits, d’enfants morts ou d’enfants qu’on me confie et que j’oublie dans des piscines, des gosses défenestrés… C’est dingue. Kathy a eu un enfant, il est mort ou il a été adopté, on ne sait pas.

Vous habitez complètement votre rôle…

Je m’aperçois que ça me remue beaucoup. Je suis très contente d’être sur scène, mais la folie de ces personnages remue terriblement. Je suis très fragile en ce moment, très fatiguée. Physiquement aussi, moi qui suis une lève tôt, je ne me lève pas un seul matin avant 11 heures. Ce n’est pas un rôle qu’on peut jouer avec de la technique, il faut être complètement dedans, on ne peut pas s’économiser, quand on a un peu trop confiance ça ne marche pas. Si je rentre en scène et que je ne suis pas au maximum de l’hystérie contenue, ce n’est pas bon. La première réplique, « voilà le salon », il faut que le public voit toutes les questions qui me passent par la tête « je vais me le faire ? Il va rester ? J’ai tellement envie »… Si je me contente de dire « voilà le salon » comme Jacqueline Maillan, ça ne marche pas. C’est incroyable.

Vous arrêtez « Que faut-il faire de Mr Sloane » le 31 décembre. Avez d’autres projets au théâtre en 2013 ?

Non je fais ça et c’est tout. Je me mets très à fond dans ce que je fais, et là, j’en ai pour six mois à me remettre d’un rôle pareil !

Voir notre critique de « Que faire de mister Sloane ? »

 

 




Montez le son pour PacoVolume

PacoVolume va vous donner envie de monter le son, de déguster ses rythmiques et accessoirement de sautiller sur place.



PacoVolume, est un hédoniste, il aime le vin, la mozzarella di Bufala, les kiwis (pas le fruit poilu… les néo-zélandais) et la musique, of course.



En 2006, une perle énergisante soft-rock extraite de l’album «Manhattan baby », Cookie machine avait propulsée PacoVolume au rang de meilleur espoir pop de l’hexagone (Inrocks).



Massive Passive est son second opus et il était de fait, vachement attendu. Cette vendange
tardive porte le nom de l’équaliseur utilisé par l’artiste et, à coup sûr, un bon cru.
Massive Passive est planant et habillé d’une robe lumineuse.
Il est lascif mais il a du corps.
Il a des notes florales enivrantes.
Il est parfois électrique mais toujours dans la langue de Shakespeare.
Il est produit par Julien Delfaud, qui n’est autre que le producteur de Gaëtan Roussel, Revolver et Phoenix… ce qui lui permettrait de revendiquer une certaine parenté avec des cousins audacieux et talentueux.
On peut donc s’attendre à ce qu’il booste votre été 2012 en vous offrant quelques caudalies, dès sa sortie dans les bacs en Juillet.

Faisons-donc connaissance grâce à un anti-portrait chinois avec ce frenchy qui a, souhaitons lui, « de beaux tannins ».

[Stef / Arkult] Le clip de Cookie machine est réalisé en stop motion et dans Palest Winter Light on découvre la championne de France de Pole dance réalisant son périlleux exercice adroitement accrochée à un artefact de la république française… Indéniablement tu accordes donc une
importance capitale au visuel associé à ta musique. Alors Paco, si tu étais un clip musical, quel clip
serais-tu ?

Mon clip favori, c’est le clip de la Ritournelle de Sébastien Tellier où on le voit observer le ciel, déterrer des lapins de la neige, et couper du bois. Sinon Eagles of Africa de Koudlam, dont je ne me lasse pas.

// Le fameux clip de Palest Winter Light //



[Stef / Arkult] Paco, tu as été œnologue et caviste chouchou des musiciens Bordelais, tu n’y couperas donc pas : si tu étais un vin, quel produit de l’agriculture viticole serais-tu?

Un Txakoli, un vin blanc très sec du Pays basque, aux reflets parfois verts.

[Stef / Arkult] Tes inspirations sont très diverses et vont de Crowded House à Slash alors Paco, si tu étais un groupe anglais, lequel serais-tu ?

Si j’étais un groupe à moi tout seul, et anglais de surcroît, je ne sais pas trop, peut-être le groupe Yuck, que j’ai beaucoup écouté cette année. Leurs mélodies, leurs sons de guitares, leur manière de jouer me rendent zinzin.

[Stef / Arkult] Ton parcours est fait de hasards et de rencontres, un chemin sinueux qui a rendu
ton travail original et marqué d’une certaine plénitude. C’est l’heure des « aveux » cher Paco, si tu étais une erreur de jeunesse, laquelle serais-tu ?

Une coupe de cheveux un peu trop stylisée.


Dates de scènes ? Salles ? Festivals ?

  • 15 juin aux Affranchis sur France Inter,
  • 29 juin Bus Palladium,
  • 6 juillet à Blois,
  • 9 août à Samoens,
  • 18 août à Noisy le Sec,
  • 24 août aux Nocturnes de Saint-Brieuc ,

Tournée française à partir de septembre 2012

 

Vous vous demandez encore qui est c’est hurluberlu de PacoVolume ?

Rendez-vous sur son http://pacovolume.com/site/

Découvrez les lettres qu’il écrit aux grands de notre monde, un pan de la vie publique de Paco qui le politise mais qui est avant tout très drôle : http://pacovolume.com/site/category/lettres-pour-reussir

 




Rencontre avec J. Malkovich, Y. Landrein et L.H. Macarel – Les Liaisons Dangereuses

Lorsqu’on rencontre John Malkovich, on se demande tout d’abord comment le saluer.

Une tape sur l’épaule du metteur en scène Molièrisé de la pièce de théâtre « Good canary » ?
Un bisou esquimau à Osbourne Cox l’agent de la CIA de Burn After Reading ?
Une accolade à Athos mousquetaire du roi dans L’Homme au Masque de fer?
Un baisé russe à Valmont dans la version de Stephen Fears des Liaisons Dangereuses?
Un grand salut à la cantonade en direction de John Malkovich jouant son propre rôle dans Dans la peau de John Malkovich ?
Une petite bise au réalisateur de Dancer Upstairs ?

Et si nous commencions plutôt par une poignée de main ?
Une poignée de main ferme et directe qui laisserait entendre que l’on n’est pas des « bénis oui-oui » mais que tout de même « On aime beaucoup ce que vous faites » !?

Parce qu’avec 50 pièces de théâtre et plus de 60 films à son actif, John Malkovich est une vedette, un dinosaure de la culture, en France et à l’étranger.
Mais pas un de ceux qui traînent des casseroles embarrassantes. Plutôt un des « happy few » en orbite de notre XXIème siècle. Il a joué avec les plus grands mais toujours avec une humilité et une dérision toutes « malkoviennes » et n’a sur la conscience que sa soif insatiable de créativité.

En définitive John Malkovich est un dinosaure dont,  à l’instar de « Denver », on aimerait qu’il soit « notre ami et bien plus encore ».

Et autant dire que l’on n’en mène pas large quand le dinosaure entre dans le foyer du théâtre de l’Atelier, où a lieu la rencontre avec les quelques blogueurs retenus.
Les discussions se font plus silencieuses, les postures se figent, les sourires s’esquissent … et les chuchotements peuvent commencer. Et puis très rapidement, l’atmosphère se détend.
Le metteur en scène s’installe à un tabouret, entame un premier verre de vin et commence à se prêter aux interviews.
Tout simplement.
En français.
En prenant le temps de répondre à chacune des questions posées.
En prenant le temps de discuter avec chacun.
En prenant le temps de remercier chacun de l’intérêt dont il fait l’objet.
Une file se met en place pour aller poser les quelques questions pensées, préparées, pesées des jours durant …
Essayer d’être original, ne pas commettre d’impair, ne pas lui demander son plus grand moment de cinéma, son meilleur souvenir de tournage, son meilleur film …
Eviter l’attendu … « Bonsoir Monsieur de Valmont » !
Et puis, le moment arrive … Plus personne devant nous … C’est là que l’on comprend ce qu’il nous arrive. Il est temps de la jouer faussement détendu, et de démarrer l’interview tant attendue.

Cela ne vous démangeait pas de reprendre le rôle de Valmont ?
Oh non, cette fois je m’occupe de la mise en scène!
De plus le rôle de Valmont occupe certes une grande place dans la pièce mais ce n’est pas tout, il y a tous les autres personnages et l’histoire surtout, ainsi que tous les éléments techniques.

Selon vous, les valeurs qui sont dénoncées par le couple Merteuil – Valmont sont-elles toujours d’actualité aujourd’hui en 2012 ?
Les valeurs oui, la religion certainement pas en France mais ailleurs, oui !
Aux Etats-Unis par exemple la religion est plus forte.

Comment concevez-vous la création théâtrale dans notre société moderne ?
Y a-t-il de nouveaux « grands classiques » qui pourraient émerger parmi nos auteurs contemporains ?
Les « grands classiques » sont devenus des classiques pour de bonnes raisons. Ils sont très beaux ! Je ne sais pas si l’on peut dire qu’il y a véritablement de grands écrivains de théâtre français depuis quelques siècles.
Des « ok », des biens, des intéressants, il y en a eu mais des grands non.
Depuis Molière, non.
Intéressant c’est sûr, mais si l’on compare avec l’Angleterre et l’Allemagne, non.
Je ne peux même pas en citer un seul.

Alors pas de confidence sur une éventuelle adaptation à venir au cinéma ou au théâtre d’une œuvre française ?
Oh non, je n’ai pas dit ça, je ne parle pas des écrivains, mais des auteurs de théâtre.
Les auteurs de théâtre sont certes bons, mais il y a sans doute une raison s’ils sont si rarement joués mondialement.
Jean Genet oui, Ionesco qui n’était pas français mais qui vivait là, Beckett qui a écrit en français, eux m’intéressent beaucoup mais tout ça remonte déjà à 40 ou 50 ans.
Tout cela m’amène à vous dire que finalement les grandes pièces ne vont jamais disparaître.

Et même avec les tablettes, e-books et autres smartphones, vous prédisez à ces pièces encore un long avenir ?
Votre génération écrit beaucoup plus que la mienne.
Quel est le problème ? La technologie et tout ça ? Ça m’est égal.
Moi par exemple j’écris 20 fois plus qu’il y a 20 ans.
Non, toute cette technologie, ça n’est pas du tout une mauvaise nouvelle.

D’où vous vient cet amour pour les français et pour la langue de Molière ?
Oh Molière ! C’est surtout que j’ai une maison ici depuis très longtemps.
C’est une longue histoire d’amour avec la France !

 

Et voilà …
Viennent ensuite le tour de Yannick Landrein (Monsieur de Valmont) et Lazare Herson Macarel (Azolan).

 

Bon je sais on a déjà du vous la faire mais qu’est-ce que ça fait de passer après John Malkovich ?
Yannick Landrein : Rien du tout, c’est facile…. Rires
Non au début c’est assez impressionnant et puisque tout le monde pose la question cela m’a renforcé dans l’idée que c’était quand même un truc énorme.  Mais au bout du compte John est quelqu’un de très humble et de très modeste et il n’a jamais ramené son expérience professionnelle en me disant « Moi quand je l’ai joué je l’ai fait comme ça ». Il a toujours beaucoup composé à partir de ce qu’on proposait et de la compréhension universelle du texte. Il n’a jamais cherché à me montrer comment il fallait jouer Valmont, nous avons simplement cherché ensemble à savoir comment l’interpréter le mieux possible à partir du texte de base. Il s’est comporté comme un metteur en scène et pas comme un passeur et il ne m’a jamais dit « Allez !! Y a une grosse charge sur toi… ». Au contraire il a toujours cherché à me simplifier la vie.

Quelle est la part d’improvisation car la mise en scène  est atypique ?
Y.L. : Ce n’est pas un texte classique puisque l’interprétation théâtrale a déjà trois ans je crois. Le livre est classique mais l’adaptation est contemporaine et faite en tentative de langue ancienne, en vieux français.
John est un metteur en scène contemporain, il a un univers particulier et qui est un peu déjanté, il aime bien le… comment dit-il déjà, le « fatras ». Il aime bien quand c’est drôle, quand c’est con, quand c’est décalé, il adore le théâtre et il n’a pas envie de le cacher.
En toute logique l’improvisation est un des éléments sur lequel on a travaillé très très vite. Il fallait que l’on comprenne très vite le texte et ce qu’on jouait pour pouvoir avoir la liberté par la suite de s’adapter aux envies et humeurs de chacun, ce qui fait que ça laisse la pièce dans un état de vivant enfin beaucoup plus vivant que ce que l’on peut voir dans d’autres pièces plus classiques.

Lazare Herson Macarel : Ce qui fait qu’on a dû, petit à petit, se faire à l’idée que l’on faisait du théâtre et qu’on montrait du théâtre en train de se faire : comme une répétition.

C’est justement ce qu’on a bien aimé, à savoir un texte classique mais une interprétation un peu dérangeante.
Y.L. : John Malkovich aime bien déranger un peu les gens, il aime bien les faire sortir de l’histoire pour les faire rentrer un peu dans le théâtre.

Quel est le rôle de la tablette et des téléphones portables à part prendre des photos à la volée sous la jupe de Madame de Volanges?
Regards complices : Ah bon, t’en avais un toi de portable?
Y.L. : C’est une idée qu’a eue John avant même d’avoir choisi les comédiens il y a plus d’un an et demi.
Il est vrai qu’au début on nous avait dit que nous allions beaucoup téléphoner, que l’on écrirait beaucoup de lettres et qu’il y aurait des écrans derrière nous avec les messages qu’on enverrait et il s’est avéré que dans le travail on a un peu oublié cet aspect conceptuel et c’est devenu une anecdote.
Aujourd’hui on communique par ces moyens-là : l’ordinateur, les sms, le téléphone donc on ne va pas faire comme si on ne le faisait pas mais ça n’est pas l’idée principale. Le centre de tout c’est vraiment le théâtre et pas le téléphone portable.

Une dernière question : Pensez-vous finir entiers toutes les représentations ? Qui a déjà des bleus …
Y.L. : On en a tous un peu mais c’est normal et on est tous très bienveillants les uns vis-à-vis des autres !

Une soirée toute en simplicité, en puissance et en émotions que Pierre & Stef ne sont pas près d’oublier.
Pour rappel, toutes les informations sur la pièce :

Un court billet rédigé par Stef & Pierre qui ont assisté à la Générale pour Arkult

Les Liaisons dangereuses ,Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin (XVIIIe). Tél: 01 46 06 49 24. Horaires: 20 h du mar.  au sam., mat. sam. et dim. 16 h. Places: de 10 à 38 €. Durée: 1  h  55. Jusqu’en mai.
Twitter :@LesLiaisonsD
Facebook : la page fan
Distribution :
Mise en scène: John Malkovich
Équipe technique:
décor : Pierre-François Limbosch
costumes : Mina Ly
lumières : Christophe Grelié
musique : Nicolas Errèra
maître d’armes : François Rostain
Avec: Sophie Barjac, Jina Djemba, Rosa Bursztejn, Lazare Herson-Macarel, Mabô Kouyaté, Yannik Landrein, Pauline Moulène, Julie Moulier, Lola Naymark.

 




Louis-Ronan Choisy : « le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières »


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Imaginez-vous, une soirée fraîche d’automne. Le jaune et le rouge par petites tâches sur des feuilles encore vertes. Les corps qui s’affaissent sur les chaises après une journée de labeur.  La mélodie légère du babillage, de table en table. Le cliquetis des cuillères sur les tasses de chocolat bien chaud. Paris animé. Paris gai.


Un café. Louis-Ronan Choisy en chair et en (m)ots – et en rires.


De la création artistique.  Ses correspondances. La scène. Mais aussi la vie. Extraits.


De la création en général – Qu’est-ce qui déclenche en toi « le feu créateur » ? Une situation, un sentiment, des conditions particulières ?


Il y a plusieurs cas de figure.


Quand je ne sais pas quoi raconter, je regarde dans mes souvenirs. Repère ce qui peut être intéressant. A ce moment-là, tu fais vraiment un voyage spatio-temporel. Tu essaies alors de ressentir les choses que tu as ressenties au moment où tu les as vécues. Ca, c’est une première solution.


Ou  par moments, tu es dépassé. Tu portes des choses trop lourdes. Tu as alors besoin d’écrire pour exorciser. Seulement, là, ça arrive souvent comme un gros dégueulis. Complètement informe. Mais c’est ce qu’il faut essayer de préserver. Ce côté un peu  brut, instantané. Toute la difficulté, c’est de transférer ce sang-là dans une structure de chanson. Surtout que mes chansons, ce n’est pas de la musique expérimentale. C’est vraiment de la pop. Couplet-refrain, ça reste très classique.


Dans ton troisième album, les Enfants du Siècle, tu as pourtant recours à une méthode « expérimentale », le cut-up (NDLR : technique de Burroughs).


Oui, c’était voulu, oui.


J’avais envie d’expérimenter ça. Ca s’y prêtait bien. Les Enfants du Siècle, je l’ai écrit à une période où j’avais une grande peur de l’avenir, du monde qui se barre en couilles.


Je cherchais à créer quelque chose de plutôt déséquilibré. Toujours sur le fil. Techniquement, ça voulait dire associer des mots, d’un champ lexical, d’une sphère complètement différents.

Et c’est ce qui a été la trame de tout l’album.


Un cas bien particulier alors.


De toute façon, chaque album est particulier.


A chaque album,  tu as une technique d’écriture différente. Sur le premier, c’était à partir de  souvenirs.  Le deuxième, je l’ai écrit en discothèque. Et là pour le coup, c’était vraiment de l’écriture automatique. Et sur le troisième, c’était semi-automatique. La démarche était pensée.


Et sur le dernier, Rivière de Plumes, comment as-tu travaillé ? Dans quelles conditions ?


Comme dans les Enfants…, c’était en home studio. Mais différemment. Sur les Enfants du siècle, j’ai travaillé avec un mec qui fait beaucoup d’électro (NDLR : Yann Cortella). On a d’abord travaillé en binôme. Ensuite, les musiciens sont arrivés pour apporter un peu d’organique à l’ensemble. Sur Rivière, j’ai travaillé avec mon guitariste, qui est aussi arrangeur sur l’album (NDLR : Frédéric Fuchs). On est parti d’une base guitare sèches-voix. Puis, j’ai ajouté des guitares électriques pour que ce soit un peu moins chiant.  Après le tournage du Refuge, on a décidé de rajouter de la batterie, de la basse, de la contrebasse, un peu de violon. Des petites choses discrètes pour mettre des couleurs. Que ce soit moins plat. Qu’il y ait plus d’identité à chaque morceau.


Et dans la création, est-ce que tu te fixes des limites ?  Y’a-t-il  des thèmes qui te sont tabous ?


Non.  Il me semble que le but d’un artiste, mais aussi d’un être humain, c’est de casser les barrières. S’il y a tabou, c’est que quelque chose cloche.


Il faut casser les murs. Voir si on y va ou on n’y va pas.


Après la création, il y a aussi une partie de « représentation ». La scène. Ton rapport à la scène ? Est-ce un passage obligé pour toi ?


Non, ce n’est pas un passage obligé. C’est un autre métier que de faire des disques. Je me sens plus intime du studio.


La scène, quand ça se passe bien, c’est dément. Quand ça se passe mal, c’est horrible. C’est un exercice excessivement difficile. Dans la mesure où ce que je recherche sur scène, c’est l’abandon. De rentrer dans une espèce de transe. C’est à ce moment-là que je vais pouvoir emmener les gens.  Je pense que tu n’emmènes pas un public frontalement. Mais d’abord, en s’emportant soi, puis les musiciens. Et la boucle s’agrandit. Mais c’est très difficile. Ca a dû m’arriver, dix fois en une vie. Et des concerts, j’en ai fait. (Rires)

Toi qui as touché à la fois, à la composition d’albums et de bande originale,  que peut faire passer la musique que les images ne peuvent pas forcément ?


Je n’ai pas une grande expérience de la musique de films. Pour le Refuge,  le film était assez subtil. Les émotions planquées. La grande difficulté, c’était avant tout de faire en sorte que la musique ne vienne pas piétiner les images. Qu’elle ne vienne pas foutre en l’air la sensibilité et la fragilité du film. Ca, c’était la première difficulté.


La deuxième, c’était plus technique. On avait fait le choix de ne pas avoir recours à un grand orchestre. A des envolées lyriques, ce qui aurait été un peu pompeux.  On a donc utilisé des instruments solo.  Et  là, ça relève beaucoup plus de la performance. Que le musicien soit bon quand il le fait. Et ça,  tu ne peux pas vraiment calculer.


Autre danger. Il ne faut pas non plus être trop proche des images. Sinon tu as tendance à tout alourdir. Et justement, François Ozon me demandait d’aller vers quelque chose d’assez éthéré, d’assez léger. En filigrane. Il voulait que j’apporte quelque chose d’autre.  Même si ce plus n’a rien à voir. Si par exemple, tu as une envie de courir dans les bois, tu auras ça musicalement. Les images qui raconteront quelque chose et derrière, une autre envie. Et du coup, c’est plus riche.


Une question sûrement totalement tirée par les cheveux, en rapport, cette fois, avec la spiritualité. Dans la plupart de tes albums, celle-ci semble apparaître par à coups. Quelle place tient la spiritualité dans ton œuvre ?


Dans mon œuvre, je ne sais pas. Ma musique, c’est le reflet de ma vie de toute façon. Après, est-ce que je recherche le salut par ce que j’écris ? Mon écriture lâche comme des indices sur moi-même. Mais oui, la spiritualité, je me pose des questions.


Il y a des moments où l’intellect est dépassé. Des notions comme l’exil de l’âme, la chute de l’homme, ça me parle. Je crois en l’accomplissement de l’homme. Que le destin de l’homme, c’est de grandir. De devenir un « dieu » et ensuite, d’être lumière absolue. Je ne crois pas que la vie se résume à la naissance, manger, dormir, boire, faire des enfants, avoir du plaisir et mourir bêtement. Moralement, je trouve ça absurde et c’est tellement fou que je n’y crois pas. La foi, ce n’est pas le mot. Mais c’est quelque chose que je sens au plus profond de moi. Ce n’est pas forcément explicable.


Et puis juste savoir regarder, travailler sur soi. Casser les barrières. Je crois que c’est ça, le vrai travail d’une vie.


Ce qui fatalement, se reflète dans ta musique. De ne pas parler de quotidien, de « médiocre ».


Oui, dans la musique, oui.

Chaque geste est  un sous-texte. Le quotidien, c’est une carapace, une ombre. Une enveloppe. Ce qui est intéressant, c’est de regarder ce qu’il y a dessous. Je crois que tout ce qui nous entoure, c’est de la vraie poésie. Il faut juste savoir interpréter ce qui nous arrive.


Pour finir, qu’est ce qu’on peut te souhaiter ? What’s next ?


Plein de projets. D’être heureux. De faire de beaux films et de beaux albums. (Rires). Mais le prochain, je suis curieux de voir ce que ça va donner.


Merci Louis !


Le 21 janvier, vous pourrez le retrouver au Théâtre de Poche de Béthune. Et aussi, dès aujourd’hui, dans les salles dans le film de Mikhaël Hers, Memory Lane.


Louis-Ronan Choisy, Rivière de Plumes, Bonsaï Music/Karamazov Production. Sorti en juin 2010
www.myspace.com/louisronanchoisy


Photos: M. Vandamme, AC Blanchard, myself