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[Théâtre – Avignon] Quand « Tartuffe » devient « Tartiufas »

Vesta Grabstaité et Giedrius Savickas dans les rôles de Elmire et Tartuffe © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Le metteur en scène Lituanien Oskaras Kosrunovas actualise le mythe de l’imposteur et réussit à transposer la partition de 1669 aux politiques nationalistes actuelles. Teinté de baroque et de burlesque, la pièce ne perd pas une once de la légèreté de Molière. Pour sa cinquième fois au Festival d’Avignon, le fondateur du Oskaro Korsunovo Teatras à Vilnius, conquiert l’Opéra Confluences.

La plupart s’arrêterons à l’esthétique du kitch. Dommage de penser une pièce par ce seul biais visuel. Certes il y a du très chic, avec la mère d’Orgon qui porte une rangée de perles, et du un peu moins chic chez Valère en survêtement Adidas. Mais ces costumes improbables renferment bien des caractères. Marianne, promise à Valère, est en pleine crise d’ado : elle a les cheveux roses, se maquille beaucoup trop et passe sa vie sur Snapchat. Mais Tartuffe, l’imposteur déguisé en prêtre, s’infiltre dans la famille pour tenter de l’épouser et récolter tout l’argent de son gros bourgeois de père, Orgon.

Si Molière propose une satire de la société au siècle de Louis XIV, Oskaras Korsunovas fait de même mais avec son époque. Bourrée de trouvailles hilarantes, la mise a jour y puise toute son énergie. À commencer par la vidéo, montrant les acteurs en train de jouer. Les nombreuses apartés dont recèle le texte prennent la forme de confessions, face-caméra en coulisses. C’est à a fois bien trouvé, bien dosé et efficace. Les frontières de la salle sont alors élargies et le 4e mur s’effondre avec humour : la caméra à l’épaule est loin d’être un caprice. Le récit s’actualise, non pas car l’outil est bel est bien moderne, mais plutôt parce que ce qui se tourne ressemble à une télé-réalité.

Mais Tartuffe c’est d’abord une fable comique. Et pas une once du texte, fondamentalement subversif, n’échappe aux comédiens. Casting équilibré : on ne sait dire lequel est meilleur que les autres. Entre éclats de rire allègres et raillerie politique, l’ironie est toujours fine et proportionnée. Korsunovas colle au texte mais l’augmente d’un pamphlet contre les dirigeants populistes d’aujourd’hui, et c’est bien à propos !

 

« Tartiufas » m.e.s par Oskaras Korsunovas d’après le « Tartuffe ou l’Imposteur » de Molière
Plus d’informations sur : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2018/tartiufas




[Critique] Amphitryon : rire des dieux avec éclat

Photo : André Muller
Photo : André Muller

Amphitryon est une pièce de Molière que l’on voit finalement peu montée, c’est une comédie en trois actes où les dieux et les hommes se rencontrent avec humour. Tout juste marié à Alcmène, Amphitryon est appelé à la guerre, Jupiter – derrière qui se cachait Louis XIV critiqué pour ses amours – saisit l’occasion de séduire la belle mortelle en prenant les traits de son jeune époux. Alors que Mercure garde un œil sur la situation, Amphitryon finit, accompagné de son valet, par rentrer plus tôt et tomber nez-à-nez avec son sosie, ce qui sème la confusion et crée un quiproquo fantaisiste où dieux et mortels se confondent.

Guy Pierre Couleau, qui la saison dernière s’était fait remarquer avec Don Juan revient de la guerre pour sa capacité à créer de très belles images grâce à une scénographie soignée et très esthétique, revient avec une création tout aussi onirique et une mise en scène constellée. Lorsque le rideau s’ouvre, on découvre une scène dépouillée où tout semble plongé dans la nuit, mais une nuit étoilée par des suspensions qui donnent de l’éclat et de la magie aux situations. La scénographie, qui repose par cette évocation constante des dieux qui regardent les mortels et se jouent d’eux depuis les cieux, rappelle les mises en scène de Jean-François Sivadier qui a récemment monté Don Juan au Théâtre de l’Odéon. Avec son Amphitryon, Guy Pierre Couleau crée de très belles situations qui ne perdent pas en intelligence, tout semble parfaitement orchestré, chorégraphié, on ne peut que saluer la limpidité de la pièce qui est en grande partie due au choix des comédiens très bien pensé pour les rôles. Aux physiques très différents, les acteurs sont toujours identifiables malgré les scènes entre sosies où les dieux prennent l’apparence d’humains, de sorte que l’on ne perd pas un mot de la représentation qui nous emmène dans un monde cosmique où si les personnages ne savent plus démêler le vrai du faux, on se régale de cette farce mythologique.

L’âme magique que le metteur en scène parvient à donner à la pièce grâce à des comédiens très bien dirigés augmentés d’une scénographie impeccable qui réveille notre âme d’enfant nous illumine. On se plait et on rit de ces dieux qui s’ennuient dans ce monde où la Terre ne tourne pas – plus – autour du Soleil et où la place de l’homme est en pleine interrogation.

Amphitryon, de Molière, mise en scène de Guy Pierre Couleau, Tournée du 17 au 28 janvier aux Célestins, Théâtre des Lyon. Durée : 2h. Pour plus d’informations : http://www.celestins-lyon.org/

 




Au Théâtre de l’Odéon, Dom Juan fait trembler les dames

Photo : Jean-Louis Fernandez
Photo : Jean-Louis Fernandez

En 2013, déjà sur les planches de l’Odéon, Jean-François Sivadier proposait une mise en scène punk se jouant des codes de la théâtralité du Misanthrope de Molière, dans laquelle Nicolas Bouchaud jouait Alceste. Alors qu’il incarne aujourd’hui un Dom Juan qui ne se contente plus de rire de tout ni de ne croire en rien, Bouchaud s’entiche des femmes du public, leur offrant même des fleurs. Son personnage veut des « Marie, des Fatima », il veut plus encore si bien qu’à nouveau, le metteur en scène parvient à relever le défi de renouveler Molière et plus précisément, de réveiller Dom Juan.

Éternellement suivi d’un Sganarelle ici incarné par Vincent Guédon, Dom Juan, pour qui le plaisir de l’amour réside dans le changement, n’en finit pas de séduire dans une scénographie très esthétique constitué de boules suspendues qui nous font penser à des astres voire même d’énormes boules de Noël. À cela vient s’ajouter un décor toujours éclaté, déglingué, qui vient régulièrement faire trembler la salle. Dans son rôle de Dom Juan toujours plus transgressif, Nicolas Bouchaud séduit et performe. Tout dans sa diction et ses mimiques laisse à penser qu’il est fait pour le personnage, désinvolte au possible, la transgression est portée à son comble lorsqu’il nous lit un extrait de La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade, comme si, un siècle plus tôt, il annonçait le Valmont des Liaisons dangereuses.

Jean-François Sivadier, en plus d’actualiser son Dom Juan au point de lui faire chanter « Sexual Healing » de Marvin Gaye en se déchaînant sur scène, a pris le parti d’insister sur des scènes de charmes notamment entre Charlotte et Pierrot. D’autres moments émergent tout autant comme la scène où Dom Juan tente de faire blasphémer un pauvre, assisté d’un Sganarelle qui ferait tout pour racheter son âme. Enfin, quelques farces émergent par leurs habiles ressorts scéniques mis en œuvre, on pense par exemple à un combat que mène Dom Juan face à; non pas trois acteurs jouant les bandits, mais face à trois piñatas qui rendent la situation des plus comiques.

Ce Dom Juan finalement très empreint de magie nous interpelle : jusqu’au bout il défie ce ciel qui paraissait de prime abord si calme et si serein.

« Dom Juan », de Molière, mise en scène de Jean-François Sivadier, jusqu’au 4 novembre 2016 au Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris. Durée : 2h30. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-odeon.eu/fr




Au Banquet d’Auteuil, Besset joue à « qui aura la plus folle ? »

Photo Lot
Photo Lot

En mai 1670, à Auteuil, c’est l’événement dans la maison de campagne de Molière. Chapelle, son vieil ami l’écoute encore une fois se lamenter sur les humiliations que lui fait subir Armande, son infidèle de femme… Mais ce matin-là, il se passe quelque chose de différent. Les angoisses de Molière ne sont pas seulement motivées par sa mésaventure maritale, car on apprend vite que Michel Baron est de retour après trois ans d’absence et qu’il a passé la nuit dans le lit du maître. Molière est donc pris entre les deux feux d’une tempête sentimentale, jurant sur sa femme et s’inquiétant que Baron ne parte de nouveau en quête d’une gloire qu’il ne pourrait pas lui donner ou pire encore : dans les bras d’un autre homme.

Avec « Le Banquet d’Auteuil », l’auteur ne suppose pas, il dépeint Molière comme étant homosexuel – ce qu’aucun élément historique n’étaye sérieusement. Jouissant de sa liberté d’artiste, Jean-Marie Besset dessine ainsi un pédéraste anxieux, fou amoureux de son jeune prodige. Michel Baron est un peu pétasse, à la fois muse et sirène, à la fois source d’inspiration et de destruction. Et parce qu’un homme seul dans ses angoisses ne suffit pas à faire une pièce, Chapelle a pris la liberté d’inviter quelques amis illustres (parmi lesquels Lully et Dassoucy), à dîner afin de deviser de façon plus ou moins discrète sur leurs mœurs coupables, avant de décider de mourir en groupe en se jetant dans la Seine. En monument d’érudition, Besset donne ainsi son interprétation des mœurs du Grand Siècle où tous les hommes de talent seraient des suiveurs – sexuels plus que littéraires – de Théophile de Viau.

Sur scène, dans un premier temps, on assiste à l’arrivée d’une bande de folles où chaque vieux pervers est accompagné de son mignon. Ils portent des noms illustres mais pourraient tout aussi bien être des inconnus libidineux. Ils semblent clairement là pour baiser tout ce qui bouge. Pour bien insister sur le plaisir d’être entre hommes, on les voit sombrer dans une misogynie omniprésente par le dialogue (« nos femmes, ces monstres », obsédées « par le désir de plaire »…), qui achève de placer ces légendes dans le rang des hommes comme les autres. Heureusement que le spectre de Cyrano de Bergerac vient apporter un peu de poésie.

Photo Lot
Photo Lot

Cette pièce est-elle un manifeste ? Très peu probable : les situations sont si grotesques et les répliques parfois si scabreuses, qu’il ne fait nul doute que nous sommes dans la farce ; et de ce point de vue, c’est très réussi. On pense notamment au disciple de Dassoucy qui confesse avoir été non seulement formé mais aussi « déformé » par son maître, devant une salle hilare.

On relève cependant de beaux moments de finesse, notamment dans le caractère de Molière que toute cette comédie excède : il voudrait juste être seul et tranquille avec Baron. Jean-Baptiste Marcenac qui tient le rôle titre est brillant de sensibilité et incarne avec talent, une personnalité austère et meurtrie, amoureux et jaloux que d’autres que lui puissent désirer Baron. La distribution est juste et bien dirigée. Soulignons cependant les prestations d’Hervé Lassince incarnant un Chapelle nihiliste aux faux-airs de vieille tante alcoolique et Alain Marcel, un Cyrano de Bergerac à la prestance de Dalida non dénuée d’une touchante finesse.

Mais la véritable révélation de cette pièce, c’est le talent de metteur en scène de Régis de Martrin-Donos qui fait ressortir toute la drôlerie du « Banquet » en ménageant de belles images poétiques aux moments clés du drame, soutenu par des lumières élégantes allant du clair obscur à l’ambiance spectrale d’un film de Tim Burton. Chaque scène est composée comme un tableau dynamique et la dizaine d’hommes ne paraît jamais de trop – exceptée pendant la scène d’arrivée, où ils semblent placés en rang d’oignions.

Alors, ne voyons pas le « Banquet » comme un drame d’une grande finesse, mais plutôt comme un moment burlesque bien mené où, pour une fois, ce sont les hommes que l’on dénude ! Aussi, et c’est l’élément le plus important, les personnages sacrifiés sur l’autel de la folie nous parlent à tous : « Le Banquet d’Auteuil » est, en somme, une forme de caricature, et on sait à quel point, de nos jours, il est important qu’elle continue à exister.

« Le Banquet d’Auteuil » de Jean-Marie Besset, mise en scène de Régis de Martin-Donos, jusqu’au 25 avril 2015 au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur theatre14.fr.




Le Malade Imaginaire, bal de névrosés cartoonesque

Copyright : Serge Martinez
Copyright : Serge Martinez

Le 13 janvier 2015, dans le théâtre de la Manufacture de Nancy, Michel Didym (directeur du CDN et metteur en scène du spectacle) prend la parole avant le lever de rideau. Il tient à marquer sa solidarité vis-à-vis des victimes des tueries de la semaine passée : « les artistes sont nécessaires. Ils doivent faire appel au sens critique, à l’intelligence du spectateur. C’est ce que faisait Molière, un français, cela est important car en France, plus qu’ailleurs, notre génie réside dans la critique. Dans ce théâtre, notre façon de résister, c’est donc de porter Molière ». L’acte de résistance est totalement réussi.

Le « Malade Imaginaire » est connu pour être la dernière pièce jouée par Molière. La légende voudrait qu’il soit mort dans le fauteuil du héros, Argan (André Marcon). Dans cette comédie, celui-ci est un hypocondriaque prêt à tout – dont sacrifier le bonheur des siens –, pour s’entourer de nombreux médecins et recevoir leur science.

Ici, l’objet du rire n’est pas le médecin, ni même le malade. C’est le ridicule dans lequel certains se complaisent en se croyant importants. En cela, la comédie n’est pas cruelle ou offensante, elle conduit le spectateur (bien avant la création de la psychanalyse) à la prise de conscience que seul un regard extérieur peut nous apporter. Dans le « Malade Imaginaire », on retrouve certains personnages de Tartuffe : un homme qui en idolâtre un autre alors que celui-ci n’a aucun mérite, un frère qui incarne la raison, une servante désinvolte – l’esprit critique –, et une fille soumise aux colères de son père.

Cette résonance avec la pièce-symbole de la critique de la religion, conforte le spectateur dans la confiance d’assister à une pièce absolument moderne. L’hypocondrie n’est pas le sujet principal. Cette comédie pose la question de notre rapport à la médecine, mais plus encore à toutes les drogues ou objets de dépendance. La médecine devient un culte, car c’est en elle que tous les espoirs de vie sont placés. La contradiction entre les discours des docteurs, l’absurdité des remèdes, rien n’ébranle Argan dans sa croyance. La mise en scène vient souligner cet aspect évident : on serra notamment effrayé par l’arrivée du médecin-inquisiteur, lorsque le frère du héros, Béralde (Jean-Claude Durand), ordonne que « le lavement de monsieur » soit reporté.

Copyright : Eric Didym
André Marcon / Copyright : Eric Didym

André Marcon incarne ici un malade extrémiste, fanatique de ses gourous médecins. Il est prêt à leur donner sa fille (Jeanne Lepers) pour venir à bout de la maladie contre laquelle il croit se battre. La servante (Norah Krief) s’assoit sur les tables devant Argan pour mettre les pieds dans le plat. Elle le brutalise, lui met son nez dans le ridicule dans lequel il baigne. C’est elle qui fera ouvrir les yeux à son maître en lui faisant simuler sa mort. Toinette « est Charlie ».

Sous la baguette de Michel Didym, ce combat devient film d’animation aux multiples facettes. Cartoon, par la couleur et la forme de la scénographie, à la fois classique et futuriste. Une grande pièce à vivre classique est installée en diagonale, cachant une scène de cabaret derrière un voile doré. Dans l’exagération contrôlée des personnages, il y a du Tex Avery. Chacun est marqué de traits névrotiques distinctifs (hypocondrie, hystérie, psychopathie …), ce qui soutient le comique du texte à merveille. Pour souligner ces traits, les acteurs semblent parfois pris d’accès burlesques, très maîtrisés.

Enfin, ce « Malade Imaginaire » est plein de surprises. La pièce ne s’installe dans aucun cycle répétitif – notamment au moyen des intermèdes, trop souvent supprimés. Didym réussit la prouesse d’ajouter à cela, une fidélité sans faille au texte que l’on entend très bien. On en ressort (a)guéri.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« Le Malade Imaginaire » de Molière, mise en scène Michel Didym, actuellement en tournée : jusqu’au 24 janvier à la Manufacture de Nancy, du 27 au 29 janvier 2015 à l’Opéra-Théâtre de Metz, les 31 janvier et 1er février à La Nef (Saint-Dié-des-Vosges), du 3 au 5 février au Théâtre de Lorient, le 7 février à Ris Orangis, les 9 et 10 février au Manège (Maubeuge), le 12 février à la Maison de la Culture de Nevers, les 16 et 17 février à Limoges, les 19 et 20 février à La Comète (Chalons-en-Champagne), du 22 au 24 février à Clermont-Ferrand, les 26 et 27 février au Théâtre Anne de Bretagne (Vannes), le 1er mars à Cesson-Sévigné, les 3 et 4 mars à la Comédie de Caen, le 6 mars à Epinal, du 10 au 21 mars au Théâtre National de Strasbourg, les 23 et 25 mars à Annecy, du 27 au 29 mars à Montpellier (au Domaine d’O), du 31 mars au 10 avril, aux Célestins (Lyon), du 14 au 17 avril à la Comédie de Béthune, du 21 au 24 avril au Volcan (Le Havre), les 28 et 29 avril à Quimper, les 5 et 6 mai à Perpignan, les 12 et 13 mai à Tarbes, les 15 et 17 mai à Recklinghausen (Allemagne), du 19 au 23 mai à la MAC de Créteil, du 26 mai au 6 juin à Rennes (TNB). Durée : 1h50. 




Le Misanthrope : cris, vodka et vers’n’b

Misanthrope

Dans la salle haute du Théâtre de la Bastille, l’ambiance est à la fête. Çà et là sont installées des tables avec des bonbons, des verres en plastique et un large éventail désaltérant : de l’eau pétillante à la vodka. Stevie Wonder crache dans les enceintes, tout le monde bavarde et se confond, public et comédiens. Soudain, une bagarre éclate : Alceste (Marc Arnaud) ne supporte pas cet univers mondain, ses poings commencent par parler avant sa bouche.

La violence dans laquelle commence le drame, entièrement transposé dans une ambiance moderne, donne le ton du reste de la représentation : hurlante, mais solide. Hurlante, car, chez Vincent Macaigne c’est aussi le cas, les cordes vocales des acteurs sont mises à rude épreuve : dans la deuxième moitié du spectacle, Alceste peine un peu. Représentation solide, car dotée d’une puissance réelle : les cris sont nourris d’un vrai propos. Difficile d’atteindre le niveau de Molière en matière d’analyse de l’âme humaine, le Misanthrope nous le montre très bien.

Alceste en 2014 manque d’amour et de considération vraie. Il est fatigué de la convenance et de l’hypocrisie inhérente à la société qu’il habite. Mais aussi, tel l’ancêtre d’un Yes Man, sa trop grande honnêteté cause des drames, parmi lesquels sa dispute avec Oronte qui débouchera sur une décision de justice. Sans oublier sa désillusion vis-à-vis de Célimène qui à vouloir séduire tout le monde se retrouve honnie par tous.

Dans cette mise en scène de Thibault Perrenoud, on voit clairement tout cela au moyen d’images violentes, mais belles : explosion de fleurs, nudité et eau à profusion, instants chorégraphiés baroques où les personnages ajoutent à leurs jeans et pull, une perruque à boucles ou une veste de velours. On pense aussi à une scène dans le noir, très bien réalisée.

Côté acteurs, tous manient bien le contraste de la langue et de l’époque. Il y a une différence entre le parler et le faire. Marc Arnaud fait preuve de virtuosité en incarnant un Alceste tout en nuance, de la colère au pardon. D’intonations chiraquiennes à un vers’n’b improvisé.

Le texte a été légèrement adapté pour en souligner la portée moderne. Une scène où les acteurs parlent normalement des mœurs de la cour a été adaptée pour parler du petit milieu du théâtre, c’est drôle et soigneusement fait.

Enfin, le drame se déroule comme il avait commencé : de façon très rock and roll. On est impressionné par la palette de sentiments modernes exposés avec cette langue de 1666. Un groupe de scolaire de 15 ou 16 ans se regarde au moment des applaudissements en répétant à plusieurs reprises « c’était trop bien », et nous aussi, nous aurions pu nous limiter à cela.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« Le Misanthrope » de Molière, mise en scène de Thibault Perrenoud, jusqu’au 20 décembre au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette (11e arrondissement), du mardi au samedi à 19h. Dimanche à 15h. Durée : 1h55. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-bastille.com




George Dandin, drame d’Hervé Pierre

(c) Christophe Raynaud de Lage
(c) Christophe Raynaud de Lage

Après avoir présenté Trahison de Pinter en début de saison, le Vieux-Colombier continue de mettre en lumière la noirceur des relations homme-femme avec George Dandin de Molière. Cette pièce cruelle, montre un paysan parvenu ayant épousé Angélique, une noble désargentée. Cette union, dont aucun n’est dupe – « c’est nos biens qu’ils épousent », comprend Dandin – devient pour le héros un rappel perpétuel à sa basse condition, de laquelle il ne peut s’extraire pour tout l’or du monde. Dans ce climat, le pauvre homme surprend un arrangement galant qui doit avoir lieu entre son épouse et le seigneur local. Cela le rend affreusement jaloux. Malheureusement pour lui, son seul témoignage ne suffira pas pour obtenir les soutiens nécessaires, pour que la fautive lui rende des comptes.

Nous revoilà dans un monde où les nobles pensent que leur naissance leur donne tout pouvoir. La jeune épouse, mais surtout ses parents, rabaissent, cassent, à chacune de ses paroles le pauvre paysan qui pensait s’offrir un rêve, mais qui, en fait, a payé un cauchemar hors de prix. Toute cette horreur conjugale est bien orchestrée par Hervé Pierre, et les quelques pertes de rythme de la représentation n’empêchent en rien ce spectacle d’être tout à fait réussi.

La belle scénographie a été composée par Eric Ruf. Grâce à celle-ci, ce George Dandin semble se dérouler au Far-West, au pied d’une maison de planches qui occupe toute la hauteur du théâtre. La mise en scène, vivante et bien dosée, fait ressortir toute l’exclusion et la solitude dans laquelle est placé Dandin. L’ensemble de ce monde de sang bleu, avec l’aide de domestiques zélés, parvient à faire passer l’honnête paysan pour un fou, le poussant ainsi au suicide. L’espace est aussi utilisé à la composition de jolis tableaux ; on retiendra particulièrement l’idée (simple, mais ingénieuse) de faire jouer la scène nocturne dans le noir total.

« J’enrage de bon cœur d’avoir tort, lorsque j’ai raison » (Dandin)

Du texte ressort tout l’humour, l’autodérision et la cruauté. Les passages muets, dansés, montrent des nobles qui s’arrangent entre eux pour conserver leur supposé prestige hypocrite, au nez et à la barbe du mari. Mais la musique délicate et les meilleurs parfums ne cachent pas toute la laideur des bonnes gens.

De cette vision classique, mais bien jouée de la pièce, peut s’opposer un autre point de vue qui semble apparaître dans les 30 dernières minutes. Et si George Dandin devenait une réflexion sur le mariage, cette institution aujourd’hui souvent considérée comme vieillotte ? Angélique questionne à un moment son mari : « mais vous m’avez demandé mon avis avant de m’épouser » ? Faisant écho aux arrangements entre familles qui peuvent encore avoir lieux aujourd’hui dans le monde. Alors, cette épouse malhonnête devient aux yeux du public une femme libre, qui a décidé de vivre la vie qu’elle désire et non plus celle que la société attendait d’elle.

(c) Christophe Raynaud de Lage
(c) Christophe Raynaud de Lage

« George Dandin » de Molière, mise en scène d’Hervé Pierre, jusqu’au 1er janvier 2015 à la Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier (6e arrondissement, Paris), le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h. Dimanche à 16h. Durée : 1h25. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




Tartuffe et son délirant entourage

© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

« Tartuffe ou l’imposteur », probablement l’une des pièces les plus jouées de Molière ces dernières années en France. Peut-être au même titre que « L’Avare » : il y en a au moins une version par an. C’est toujours l’histoire de cette riche famille qui accueille en son sein l’ignoble Tartuffe. Un voleur et menteur aux airs de dévot, dont le père a été séduit par le zèle apparent de ses prières malgré les mises en garde de son entourage. L’histoire se répète, mais sa forme change et Tartuffe reste l’une des comédies qui expose le mieux les noirceurs de l’âme.

Au lever du rideau, Galin Stoev veut faire croire au public qu’il va assister à un spectacle classique : mur bleu, grands volumes et costumes pastel. Mais dès les premières minutes, on se rend compte que tout cela n’est que tartufferie et si le rôle-titre apparaît seulement au troisième acte, le décor tout entier est une allégorie de sa personne. Cela se remarque au moyen de nombreux détails : Marianne (Anna Cervinka) fume une cigarette électronique, Damis (Christophe Montenez) est débraillé, presque provocant dans sa tenue comme dans sa coiffure. Ces petites choses nous mettent la puce à l’oreille, mais tout devient clair lors des changements de décors, quand la lumière s’éteint et qu’apparaissent des pages qui fouillent la maison et changent les meubles de place, alors qu’en fond de scène, d’autres membres de l’équipe apparaissent écoutant chaque fait et geste de la maison derrière une glace sans tain. Tout converge pour conduire le public à tenter de voir ce qui ne semble pas visible au premier abord. Aussi, Galin Stoev se moque des codes classiques du théâtre français, pour en faire ressortir toute la préciosité et la fausseté supposée : aujourd’hui, on en rigole de bon cœur.

Dans cet étrange univers, le jeu des acteurs est particulièrement appuyé par le caractère des personnages. Ici non plus, aucune préciosité, même chez Serge Bagdassarian (Cléante) qui habituellement en joue avec brio. Didier Sandre est un Orgon superbe, mêlant avec virtuosité les aspects doux et intransigeants du personnage. Son inquiétude vis-à-vis de la santé de Tartuffe fait immédiatement penser à de l’amour aveugle. Quant à Tartuffe (Michel Vuillermoz), il délaisse complètement l’aspect inquiétant du personnage pour lui donner un visage de libidineux un peu sot : aucun sentiment de crainte ne nous vient à son contact. Etonnant. Mais le parti pris est juste dans la mise en scène de Galin Stoev. Un détail gêne plus, c’est le costume de Dorine (Cécile Brune) ; elle campe le rôle à la perfection, mais ses habits ne précisent pas quelle est sa condition. Habillée comme ses maîtres, elle n’a plus rien d’une servante : Molière ne lui en avait pas donné le comportement, Galin Stoev lui en retire l’apparence. Le personnage perd donc sa part de comique qui réside en partie dans ce contraste. Cela est d’autant plus dommage que Dorine est puissante et occupe ici, l’un des rôles principaux de la pièce. Sans doute cet aspect déroutera le spectateur qui n’a jamais vu la pièce – et il y en aura forcément dans le public du Français dans les semaines à venir.

Outre le décor et le jeu des acteurs, Stoev joue et s’amuse, insistant dans les instants critiques (ou plutôt christiques pour le coup), sur l’aspect aveuglant de la religion interprétée de façon littérale. Les personnages sont poussés jusqu’au délire, la folie générale monte sans jamais s’arrêter, jusqu’à donner une fin onirique aux allures d’hallucination collective.

La comparaison avec le « Tartuffe » monté la saison passée dans une autre grande maison, l’Odéon, surgit forcément pour le public amateur. Là où Luc Bondy donnait une lecture extrêmement sombre, Stoev en fait un manifeste de la vie face à la religion qui coupe l’homme de son intelligence. On guérit de la tartufferie par le rire et de catholicisme revendiqué, c’est à toutes les religions (faussement) pratiquées dans leur sens littéral que Stoev questionne. Et c’est bien salutaire.

« Tartuffe » de Molière, mise en scène de Galin Stoev, à la Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 16 février 2015, Durée : 2h15. Plus d’informations sur www.comedie-francaise.fr/




Affreux, terrible, dramatique Tartuffe !

(c) Thierry Depagne
(c) Thierry Depagne

Luc Bondy fait ici le choix de nous montrer un Tartuffe moderne. Moderne de par son cadre : la pièce se déroule dans le salon d’un grand appartement froid au carrelage en damier noir et blanc (symbolique de la dichotomie de perception dont bénéficie Tartuffe de la part des membres de la famille ?). Moderne aussi de par son caractère : ici, le faux dévot (joué par Micha Lescot) ose et adopte un comportement de cadet de famille mal élevé qui fait tout pour faire punir ses frères et sœurs. Par exemple, lorsque le fils Damis (Pierre Yvon) vient se plaindre du comportement de Tartuffe, celui-ci se mortifie face au père Orgon (Gilles Cohen), et lorsque ce dernier à le dos tourné, Tartuffe fouette le fils de sa cravate. Ce comportement de « sale gosse » dure jusqu’à la fin de la pièce et prend de multiples formes, jusqu’aux dernières minutes du drame où Tartuffe, arrêté par les autorités, pleure comme un enfant à qui on vient de taper sur la main, après qu’il ait été pincé à la tremper dans le pot de confiture.

Ce comportement gestuel abondamment ajouté par Bondy, donne une dimension dramatique presque œdipienne : Tartuffe séduit le père (adoptif) et le conduit de façon perverse à sa perte pour pour pouvoir coucher avec la mère. Sous cet angle, une sensation d’étrangeté nous capte tout au long de la pièce. Les coups accompagnant les paroles déjà chargée de sens font ressortir la dimension profondément dramatique de ce qui est, à l’origine, une comédie satyrique. Tartuffe est ici un monstre, on rit, oui, mais pas de sa personne ou d’Orgon mené en bateau : on rit pour ne pas compatir au supplice qu’endurent les personnages.

Non, tout n’est pas sombre pour autant, le rire est aussi provoqué sincèrement par les gags de mise en scène. Notamment par la présence récurrente d’une servante muette (Léna Dangréaux), craintive et semblant tout faire pour être discrète : c’est admirablement joué et profondément drôle, elle semble créée à partir d’une fusion entre un personnage de Walt Disney et Tim Burton. Dès son entrée en scène, elle nous capte. D’autres artifices s’ajoutent au fil de la représentation : les bondissement de derrière les rideaux ou le peignoir ringard enfilé par Tartuffe lorsque la mère feint de céder à ses avances pour mieux le piéger fonctionnent très bien… Le drame resurgit néanmoins puisque la scène entre le dévot et Elmire (Clotilde Hesme) va jusqu’au viol quand certains metteur en scène se contente d’un baiser. Bondy pousse la pièce jusque dans ses retranchements tragiques.

Ce texte, qui ciblait les dévots qui truffaient alors Versailles à la fin des années 1660, avait fait scandale à sa création car Tartuffe était habillé comme eux. Elle est encore maintenant l’une des pièces les plus justes par son analyse de l’hypocrisie. Aujourd’hui, lorsqu’on écoute ces vers avec notre sensibilité contemporaine, « le ciel » loué par l’antihéros est le système en place, Orgon fait partie des « braves gens », qui ne voient que ce qu’ils ont envie de voir. On pense à ces parents qui laissent sombrer leurs enfants dans les paradis artificiels et qui refusent d’y voir leur part de responsabilité : ici, Orgon détruit sa fille en la promettant à Tartuffe alors qu’elle aime Valère. Peu à peu, on la voit sombrer dans une affliction touchante. À la fin, lorsque l’huissier vient pour saisir la maison, on se demande si Orgon ne va pas aller jusqu’au suicide.

Dans le programme du spectacle, Bondy aborde justement cette question du « voir et ne pas voir » […]. Tartuffe nous interpelle, que choisissons-nous de voir ? Face à quoi, dans la vie moderne, nous masquons nous délibérément la vérité ? Chacun y trouvera sa réponse personnelle, Tartuffe mis en scène comme l’a fait Bondy, s’adresse à tout ceux-là.

 Pratique : Le Tartuffe, jusqu’au 6 juin au théâtre de l’Odéon (Salle Berthier, 17e). Horaires et réservations sur www.theatre-odeon.eu et par téléphone au 06 44 85 40 40.

 

 




L’École des Femmes, leçon acide à La Tempête

Laura Mariani
Laura Mariani

En montant les grands auteurs classiques (essentiels ?) du théâtre français, le metteur en scène prend un risque. Le risque de montrer quelque chose de déjà (trop ?) vu ou encore celui de vouloir sortir des codes au détriment de l’essence de la pièce. Comme à son habitude [1. Philippe Adrien a mis en scène de nombreuses pièces classiques, pour la liste complète, se référer au site du théâtre de La Tempête], Philippe Adrien ne tombe pas dans un mauvais piège et son École des Femmes respecte le texte tout en lui donnant une résonance moderne.

Le spectacle se déroule dans un décor raffiné, champêtre où la teinte majeure est le gris. Les personnages ont quitté le XVIIe français où ils sont nés pour être transposés dans une toute fin de XIXe siècle morne et un peu angoissante.

Inutile de revenir en détail sur les enjeux du drame, mais l’École des Femmes trouve encore aujourd’hui une véritable raison d’être entendu. Philippe Adrien fait ressortir toute l’horreur de la situation où Arnolphe a voulu sculpter – par l’éducation – une femme (Agnès) selon ce qu’il attendait d’elle, pour pouvoir ensuite l’épouser. Ainsi, il se protégerait de tous les travers (supposés) de la féminité. Une brillante critique du patriarcat moderne en somme, amplifiée par la scénographie où cohabitent une salle de torture et les plaines brumeuses de l’arrière pays [2. La scénographie est de Jean Haas].

Les acteurs sont tous juste, parfois drôles, dans leurs rôles respectifs, notamment Patrick Paroux, campant Arnolphe, qui fait de ce personnage un homme entre Panisse et Louis de Funès, avec quelque touche bouleversante qui laissent voir un égoïsme sans limite au milieu d’une douleur sincère : celle du rejet de sa personne par Agnès, au profit du jeune Horace.

Bien sur, l’amour triomphe dans une scène de fin collégiale en forme de tableau à la Courbet, et l’on quitte la salle, conquis, heureux d’avoir aussi bien entendu le texte de Molière, soutenu par ces ambiances féeriques, oniriques et pourtant très simples dont Adrien a le secret.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre 2013 au théâtre de la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € et 18 €.

Durée : 2 h

Texte : Molière

Mise en scène : Philippe Adrien

Avec : Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Joanna Jianoux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Patrick Paroux.




« Georges Dandin » au Lucernaire

Copyright : Clément Bertani
Copyright : Clément Bertani

Dans un décor à la croisée d’une réalisation de Wes Anderson et d’une bande dessinée de Gotlib, Matthieu Penchinat montre un George Dandin sous un jour comique et grotesque, écartant presque le drame que montre cette pièce d’un revers pour n’en garder que le rire.

Heureusement, cela marche très bien. Cette histoire de mari cocu dont tout le monde se joue est à l’origine un bien triste drame : George Dandin contre sa fortune a pu épouser une noble appauvrie. Celle-ci ne voulant pas de ce mariage se refuse à son mari et se laisse courtiser par Clitandre, aux yeux et à la barbe de son mari, qui n’obtiendra jamais gain de cause et adoptera la solution du suicide.

L’apparence moderne et grotesque de chacun des personnages fait de la pièce un moment irréel où le texte original est interprété de façon très moderne (ce qui ajoute encore au comique de situation de cette mise en scène). George Dandin ressemble plus à un dépressif un peu bête, avec qui on n’a pas vraiment envie de compatir dans le malheur. Julien Testard qui l’interprète est particulièrement excellent, cannette de coca à la main et cheveux en bataille, il a tous les attributs que l’on pourrait donner à une caricature du paysan contemporain.

La mise en scène, vivante et précise, souligne l’absurde et la folie grandissante de ce personnage injustement malmené. Les corps explosent et le texte n’est pas le seul vecteur d’amusement, le geste l’accompagne allègrement. La musique de Lully remplacée par celle d’Edith Piaf ajoute encore au décalage entre le texte et l’interprétation qu’en fait Matthieu Penchinat.

On y voit encore très bien le regard effroyable que porte la noblesse à l’égard des parvenus, comment une étiquette colle à la peau toute un vie malgré les efforts pour s’en défaire. C’est aussi un bel exemple du pouvoir de manipulation que les femmes ont sur les hommes et comment, par amour pour leurs enfants, les parents peuvent ignorer l’évidence. Et tout ça, dans une foule d’éclats de rires.

Pratique : Jusqu’au 30 mars au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris.
Réservations par téléphone au 01 45 44 57 34 ou sur http://www.lucernaire.fr.
Tarifs : de 15 à 25 €.

Durée : 1 h 10

Mise en scène : Matthieu Penchinat, assisté d’Edouard Bonnet

Avec : Julien Testard, Julie Méjean, Sylvère Santin (ou Edouard Bonnet), Philippe Baron et Anne Juliette Vassort.




Au théâtre de Paris, « Tartuffe » déçoit

Cachez ce (mauvais) Tartuffe qu’on ne saurait voir ! Celui-là même qui est actuellement donné au théâtre de Paris où Pierre Chesnais joue l’illustre imposteur aux yeux et à la barbe d’Orgon, incarné par Claude Brasseur. La célèbre comédie de Molière, maintes fois racontée, montrée et mise en scène depuis presque 350 ans n’avait vraiment pas besoin qu’une version aussi médiocre s’invite dans son Histoire théâtrale. Marion Bierry en signe ici une énième mise en scène de la pièce, sans rien apporter au spectateur, pas même un divertissement.

Le décor est tout de blanc construit, escaliers, murs, tables et chaises. Même le piano a eu droit à ce relooking qui fait que la pièce semble se dérouler dans un décor créé pour un clip d’Enya. De plus, l’espace est mal utilisé. Les comédiens semblent se déplacer et utiliser l’espace sans raison apparente, juste parce qu’ils ont toute cette place à leur disposition et qu’on leur a dit d’en profiter. C’est d’ailleurs toute la mise en scène qui manque de structure et de dynamisme. Dommage, car les six entrées laissées à la créativité du metteur en scène pouvaient laisser croire une utilisation plus vivante de la scénographie.

Le mécanisme de changement de décor est lui aussi mal fait : un rideau noir fond sur la scène pendant que sont changés les accessoires de plateau. Lorsque le tissu se relève, une banquette est apparue comme par magie… Beaucoup de bruit pour pas grand chose.

A l’image de ces changements de décor inutiles, tout le spectacle manque de surprise. Des douze personnages que compte la distribution, seuls trois semblent prendre du plaisir à être sur scène et à être dans leur personnage : Claude Brasseur, Chantal Neuwirth (Dorine) et Arnaud Denis (Damis).

Patrick Chesnais, lui, est incroyable de sérieux, habillé en janséniste et flanqué d’une tête d’enterrement, on peine à croire qu’il n’est pas l’austère homme de foi qu’il prétend être. Il nous faut du temps pour croire toutes les accusations dont il est victime par le personnel de maison et les enfants du maître. Et quand il est en position de séduire la femme de son hôte (Elmire, Beata Nilska), la scène est dénuée d’érotisme, d’excitation ou d’une quelconque friponnerie. C’est juste ennuyeux comme un sermon en latin un matin de Pâques. Les seuls instants drôles, c’est au génie de Molière qu’on les doit, grâce aux situations embarrassantes qu’il fait vivre à ses personnages.

Rester chez soi et lire le texte, une bien plus riche idée que de se rendre au théâtre, au moins cela permet d’éviter les tunnels d’ennuis  qui creusent la pièce. Cela permettrait également de nous replonger dans la profondeur de critique des dévots, scrupuleux de respecter le Ciel à condition que cela serve leur avidité. On pardonnera donc aisément la fin bâclée au théâtre de Paris, car elle sonne pour le public comme une libération.

Pratique : Actuellement au théâtre de Paris, 15 rue Blanche (9e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 48 74 25 37  ou sur www.theatredeparis.com / Tarifs : entre 18 € et 48 €.

Durée : 2 h

Texte : Molière

Mise en scène : Marion Bierry

Avec :  Claude Brasseur, Patrick Chesnais, Chantal Neuwirth, Beata Nilska, Emilie Chesnais, Julien Rochefort, Arnaud Denis, Marcel Philippot, Guillaume Bienvenu, Roman Jean-Elie, Alice De La Baume et Jacqueline Danno

Un projet MyMajorCompany – http://www.mymajorcompany.com/projects/tartuffe-au-theatre-de-paris

 




Le Bourgeois Gentilhomme … perd la boule

Si certains ont un grain de folie, un petit grain de sable alors la troupe qui se produit au théâtre de la Porte Saint Martin, a tout le Sahara dans la tête … François Morel est tout à son aise sur scène et il fait ce qu’il fait de mieux, le pitre. Affublé d’un déguisement de derviche tourneur, il tourbillonne et  lévite un air ahuri pétrifié sur son visage si enclin à la mimique. Ah ça pour sûr, peu de comédiens interprétant Monsieur Jourdain ont fini l’acte IV en slip à la lumière polaire d’un néon trop blanc. La grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf façon Molière est ici électrisée par une mise en scène chamarrée et sous acide. Lâchez le « Des »chiens !  

Catherine Hiegel nous propose une mise en scène déroutante, frôlant le grand n’importe quoi. Elle aurait pu tomber dans la facilité qui aurait consisté entre autre à glisser quelques références à l’actualité adjointes de fortes œillades bien senties au public mais non, Catherine Hiegel ne fait pas dans le prévisible. La sociétaire et doyenne de la Comédie-Française offre au public du théâtre de la porte Saint Martin une mise en scène surprenante de la célèbre comédie-ballet de Molière, « Le Bourgeois Gentilhomme ».

Le ballet parlons-en : aux pas de menuet  et pantomimes traditionnels en petits collants succèdent danses tribales, hakkas et entrechats très contemporains. Paradoxalement ça ne jure pas tant que ça avec le texte de Jean-Baptiste Poquelin et c’est certainement ce qu’il y a de plus plaisant dans cette interprétation.

Le chant assez présent dans Le Bourgeois Gentilhomme est quant à lui, assez pénible. Les passages sont longs, trop en décalages avec les costumes et l’interprétation modernisante. Rendons tout de même à  César ce qui lui appartient, Morel quoi que piètre chanteur et danseur est particulièrement cocasse dans son interprétation de « Jeanneton ».  Ce qui nous renvoie à la comédie.

La diction des comédiens est très travaillée et participe pleinement de la dynamique comique de la pièce sans en perturber la destinée. Le maitre à danser (David Migeot) est rudement précieux et  Dorimène (Héloïse Wagner) a cet accent furieusement contemporain de la parisienne bêcheuse de la rive droite.

La prestation des acteurs  est sympathique, Gilian Petrovski est un Cléonte touchant,  Marie-Armelle Deguy est éructante en volcanique Madame Jourdain,  Emmanuel Noblet perfide en Dorante et Alain Pralon excellent en grand charlatan / maître de philosophie.

Cependant il n’y a bien que Jourdain et Covielle (David Migeot encore) pour avoir cette folie lunaire. Aussi, les autres acteurs semblent au service de l’éblouissante révélation scénique de François Morel.

Dans son costume de lumière François Morel est bigrement drôle mais s’il faut concéder le caractère innovant de l’interprétation, on regrettera un hic dans la mise en scène. Un petit quelque chose manque avant l’entracte (peut-être trop classique ?) mais après, il y a un gros quelque chose de trop. Trop provoc’ ou peut-être trop loufoque pour emporter pleinement notre adhésion sans restrictions.

Au-delà de cette nouvelle mise en scène, il est remarquable de voir avec quelle force les thèmes de la pièce trouvent aujourd’hui encore un écho des plus d’actualité. Argent vs Art, Naître vs Paraître, Origines vs Ambitions, … Les thèmes sont là, les absurdités subsistent … Tour d’horizon des maux qui ont traversé les âges, sans vieillir pour autant !

L’art(gent)

« … son argent redresse les jugements de son esprit; il a du discernement dans sa bourse; ses louanges sont monnayées » (I, 1, Maître de Musique)

La délicate relation de l’art et de l’argent peut sembler poussée à la caricature au travers de cette tirade du Maître de Musique. Et pourtant, dans des temps plus proches, les débats autour de l’art contemporain, des mécénats d’entreprise, des placements de capitaux dans toutes sortes oeuvres d’art ne lui confèrent-ils pas une justesse indéniable ?

Que serait l’art sans les soutiens financiers qui l’accompagnent ? Aurait-il pu traverser les âges comme il l’a fait ?

Sans aucun doute y a-t-il bien un substrat indiscutable, fondement de toute forme d’art, sur lequel se base notre discernement du beau. Mais ce fondement n’est-il pas en train de disparaître au profit de pures transactions financières de haut vol, assurant des placements sans risque, au-delà de toute notion de raisonnable (prenons en exemple les montants atteints par les toiles de maître qui se négocient aujourd’hui dans les plus grandes maisons de ventes aux enchères) ?

L’art a besoin de l’argent pour vivre. C’est un fait.
Mais n’assiste-t-on pas aujourd’hui à une déviance à l’extrême de ce rapport incestueux ?
Je vous en laisse juge …


L’être et le devenir, aveuglante ambition

« Monsieur Jourdain. – Est-ce que les gens de qualité en ont ?
Maître de Musique. – Oui, Monsieur.
Monsieur Jourdain. – J’en aurai donc. … » (II, 1)

« Monsieur Jourdain. – Madame ! Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener … Ah ! impertinent que vous êtes ! voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes de qualité. » (IV, 2)

« Monsieur Jourdain. – Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l’on vient de me faire Mamamouchi. » (V, 1)

Au travers de ces trois passages du Bourgeois Gentilhomme, on voit nettement se distinguer les pouvoirs ravageurs d’une ambition démesurée, insensée.

Qui la qualifieraient d’un aveuglement sans faille, qui encore d’un reniement sans scrupule de sa propre famille .

N’est pas Gentilhomme qui veut, vous l’aurez compris. Tout le monde n’a pas la « chance » (?) d’avoir du sang royal couler dans ses veines.
Ou si vous me permettez cette extension, tout le monde n’a pas la chance de connaître le phénomène de starisation, de peoplisation, de succès médiatique, …

Mais que ne ferait-on pas pour l’atteindre ?
Se mettre à dos, femme, enfant, amis …
Se couvrir de ridicule, sans vergogne aucune.
Si vous aussi, vous voyez poindre des « Loft Story », « Nice People », … alors vous voyez de quoi je veux parler.

Et bien sûr, ces nouveaux nobles modernes, ces stars en devenir, ou plutôt « devenues », et déjà loin dans l’oubli, réclament le respect. Leur faire ouvrir les yeux est la plus ardue des tâches que l’on puisse se voir attribuer, tant le scintillement de l’or qui brille dans leur horizon les aveugle !

Peut-être serait-il bon pour notre société de convoquer des Etats Généraux modernes … 


Auteur : Molière
Artistes : François Morel, Marie-Armelle Deguy, Emmanuel Noblet, Alain Pralon, Stephen Collardelle, Héloïse Wagner, Camille Pélicier, Gilian Petrovski, David Migeot, Géraldine Roguez, Eugénie Lefebvre, Anicet Castel, Frédéric Verschoore, Joss Costalat, Romain Panassié, Olivier Bioret + 5 musiciens
Metteur en scène : Catherine Hiegel

 

Théâtre de la Porte Saint-Martin
Du 12 janvier 2012 au 27 mai 2012

 

 




Henri IV, la dérangeante modernité d'un souverain

Il était une fois un Roi de France. Un bon Roi de France. Moins pire que les autres en tout cas. Le Bien Aimé, comme il aimait à se faire appeler.


Un Roi de France capable, par ses seules paroles, par un unique écrit, d’instaurer la paix religieuse en son royaume. Mais aussi, plus tard, la guerre en Europe.

Henri le Quatrième. Henri IV, le Bien Aimé.


Sujet de la nouvelle pièce de Daniel Colas, présentée au théâtre des Mathurins, dont il est le co-directeur depuis 2006. Un voyage de 2h30 dans les souvenirs de l’Histoire de France, enfouis en chacun de nous, et ne demandant qu’à refaire surface. Mission réussie.



Dès les premières minutes, le public est transporté en plein XVIe siècle, à la cour du Roi de France. Décors, costumes, personnages. Tout y est. Henry IV y compris, incarné par l’excellent Jean-François Balmer (qui signe ici sa deuxième composition royale, après avoir interprété Louis XVI dans « La Révolution Française », films de Robert Enrico et Richard T. Effron, 1989).



Le lever du Roi. Les disputes conjugales du Roi. Les maîtresses du Roi. Les conseillers du Roi. Le confesseur du Roi. La vie du Roi.
Une vie bercée et chahutée par les émotions de cet homme, tantôt séducteur, tantôt colérique. Une vie traversée d’émotions et d’humeurs souvent contradictoires et antonymiques. Mais une vie tellement moderne et proche de nous. C’est bien là le trait de génie de Daniel Colas.


Retour en arrière.
2009. Théâtre des Mathurins déjà. Daniel Colas présente son spectacle intitulé « Les Autres ». Retour à la France des années 1960. En pleine guerre d’Algérie, Jean-Claude Grumberg, l’auteur de la pièce, nous présente le racisme ordinaire. La haine et l’indifférence au seul motif de la différence. Des phrases choc. Des situations où le rire se mêle à la détresse et la gêne. Des murmures qui courent dans la salle. Est-ce allé trop loin ? Non. Il faut aller loin pour se rapprocher de son public et l’impressionner (au sens littéral), étrange paradoxe.


Dernier acte à la Cour de France

Daniel Colas aime à nous replonger dans des périodes plus ou moins lointaines de l’Histoire de France pour mieux pointer du doigt les injustices ou les absurdités de notre société contemporaine. Ainsi, ce vieux Roi, pourtant volage, colérique, comploteur, fait preuve d’une véritable clairvoyance. Il aspire à la liberté de culte, au respect mutuel. Il souhaite bannir toute haine religieuse de son royaume, et commence pour ce faire, par appliquer ses préceptes à ses plus proches conseillers et amis.
C’est un véritable appel à la tolérance auquel le spectateur assiste alors.


Une fois de plus, le message passe. Le spectateur ressort de la salle transporté à une autre époque, si lointaine et pourtant si proche. Il se prend à rêver d’un Edit de Nantes revisité. Une injonction au respect mutuel, à la liberté de culte, à la liberté de moeurs, proclamée par une organisation au-delà des préoccupations politiques et financières.

Comme l’écrivait un écrivain moderne : « Et si c’était vrai ». Cela ne coûte rien d’y croire et d’espérer.



Henri IV, le Bien-Aimé, Théâtre des Mathurins, 36, rue des Mathurins (VIIIe).
Tél. : 01 42 65 90 00.
Horaires : mar. au sam. 20 h 45, sam. 15 h 30, dim. 15 h.
Places : de 26 à 47 €. Durée : 2 h 30 (avec entracte de 15 minutes)