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Duris, Foïs, Ulliel et Demoustier hantent le Rond-Point

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi.

« Démons » tente de montrer la déchéance amoureuse de Frank et Katarina. Un verre de whisky traîne près du lit au réveil, et tous deux fument sans cesse. Ensemble pour mourir ? Se séparer ? Ou bien continuer dans l’oppression vers plus de déchéance ? Arrivés dans une situation où tout ce qui est l’autre dérange, l’impossibilité de quitter cet autre semble se dresser comme un mur infranchissable entre deux vies possibles. Un lien cruel qui entretient cependant l’amour, alors que faire ?

Ce couple a besoin qu’il se passe quelque chose, trouver un substitut afin d’oublier cette misère affective. S’aimer au dépend d’autres ? Pourquoi ne pas diriger toutes les pulsions sadiques qui les animent vers les voisins du dessous. Inviter ces innocents, les humilier pour finalement s’aimer de nouveau. Cette rencontre, faussement impromptue, créée une situation étrange, quelques mots choquants sont échangés et, tour à tour, Katarina et Frank tentent de se faire le voisin, où la voisine, tout dépend…

Peut-être, les coupes dans le texte sont trop importantes. Cette longue pièce est ici réduite à moins de deux heures, avec de nombreux passages de mise en scène pure. Marcial Di Fonzo Bo nous prive ainsi de l’aspect lancinant du texte, faisant de cette situation de sadisme salace où les démons pourraient surgir, une bête orgie foireuse d’où personne ne sort transformé. On ne sent que l’amorce du découpage incisif que Noren fait du couple bourgeois moderne, la répétition, un aspect pasolinien tout juste effleuré. Car la situation est banale, elle pourrait tenir en une phrase, tout l’intérêt est l’analyse de la relation entre les personnages.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Des personnages incarnés par des acteurs de cinéma : Romain Duris et Marina Foïs – que l’on entend bien au théâtre, remarquons-le ! – dans le rôle du couple invitant Anaïs Demoustier et Gaspard Ulliel : Jenna et Tomas. Duris est cavalier un peu (trop) classe pour le rôle. Très charismatique, il manque néanmoins de noirceur. Ses Démons sont invisibles. Pourtant, il sait jouer des personnages complexes – au cinéma du moins, dans De Battre mon cœur s’est arrêté. Demoustier est gauche et manque d’élégance, comme le rôle lui demande de l’être et Ulliel, s’il nous surprend d’abord lors de son entrée sur scène, en jouant un personnage à contre emploi de sa carrière de mannequin, nous ramène vite à la réalité par son manque de nuance.

Soulignons néanmoins que, dans la mise en scène de Di Fonzo Bo, les deux mondes qui s’affrontent sont bien marqués. L’élégance ostentatoire des premiers contraste fortement avec ce couple de jeunes parents qui prend les premiers vêtements de la pile pour s’habiller le matin. Quand ça pète entre les pauvres – parce que chez Jenna et Tomas tout n’est pas rose non plus – les riches se délectent.

Malheureusement, d’une telle situation se dégage trop peu de tension et fait alterner quelques belles scènes et temps d’ennui. La disparité du niveau de jeu entre les acteurs achève ce tableau qui manque, malgré la perspective offerte par la scénographie, sincèrement de profondeur.

« Démons » de Lars Noren. Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, jusqu’au 11 octobre au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, 75008, Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur theatredurondpoint.fr.




« 20 Novembre », compte-à-rebours macabre

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Le 20 novembre 2006, après plusieurs années de préparation, Sebastian Bosse se rend dans son lycée et tire sur des personnes au hasard. Le jeune homme sera le seul à mourir. Avant de passer à l’acte, ce dernier aura pris soin de diffuser des vidéos ainsi que son journal intime sur internet. De la production mentale de Bosse, Lars Norèn a créé un monologue sobrement intitulé « 20 Novembre », mis en scène au Studio-Théâtre d’Alfortville par Alexandre Zeff.

Le spectateur est plongé dans un dispositif angoissant : lumière basse et bande son sourde à laquelle se mêle la voix amplifiée de l’actrice. Elle distille un discours sombre en mots comme en images. Sur scène, une étendue d’eau dans un bassin rouge. A plusieurs reprises, Sebastian Bosse joue avec cette flaque de sang pendant qu’il prépare le massacre à venir.

Brusquement, la salle s’éclaire. Bosse quitte la scène pour rejoindre le public dans un jeu désincarné et totalement naturel (formidable Camille de Sablet !), libérant de la camisole lancinante le public maintenu obsédé. En cet instant, Sebastian nous interroge alors sur nos propres contradictions, tente de nous convertir à son fatalisme sordide, à son regard sur un monde jugé ignoble. Nous sommes pris à parti, impliqués dans son projet ; mais comment pourrions-nous agir ?

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« 20 Novembre » évoque la haine qui conduit à mettre son intelligence au service d’un projet meurtrier et amoral puisqu’il conduit au désir de tuer des innocents, devenus symboles de ceux que hait le héros. Pourquoi les déteste-t-il ? Pour les brimades et les violences incessantes qu’il a vécues en milieu scolaire depuis son enfance. Traumatisme contre traumatisme : tuer pour laver l’affront, une décision prise au comble du désespoir. Plus profondément dans son discours paranoïaque, le personnage s’insurge contre la « normalité » – ce que la société attend que nous soyons – et dans laquelle il n’a jamais réussi à se fondre.

Le texte est court et puissant, dit en rafale comme les balles d’une mitraillette. Sebastian Bosse est un rebelle désillusionné, victime d’intenses harcèlements scolaires. Il est « le pauvre mec débile » dans la cour ou dans la classe, victime de toute la méchanceté de ses camarades. Cependant, à aucun moment nous ne pouvons ressentir de l’empathie ou de la compréhension vis-à-vis du personnage ; Norèn se contente d’exposer toute la folie qui conduit du désir de vengeance au passage à l’acte.

La salle sera de nouveau allumée avant le départ de l’assassin : « avant que je parte, quelqu’un veut dire quelque chose ? ». Personne ne répond, la porte claque. Aurions-nous pu éviter cela ?

Avec l’alternance entre distance et proximité, le spectateur est sans cesse bousculé par la mise en scène. Ainsi forcé de prendre conscience de cet éloge à la différence qui invite à vivre le ressenti de celui qui évolue à nos côtés, être l’autre. « 20 Novembre », par son mélange entre esthétique et pédagogie est un spectacle salutaire, qu’il serait sage d’utiliser comme un outil d’éducation auprès du plus grand nombre.

« 20 Novembre » de Lars Norèn. Mise en scène de Alexandre Zeff, jusqu’au 18 avril à au Théâtre-Studio d’Alfortville, 16 rue Marcelin Berthelot, 94140 Alfortville. Durée : 50 minutes. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-studio.com.