1

[Théâtre] Une Mouette qui nous prend au vol et s’abat sur nous

Photo : Clément Carmar

Le Théâtre de la Bastille accueille La Mouette, une pièce de Tchekhov mise en scène par Thibault Perrenoud, qui nous en offre une version décapante, saisissante de réalité et toujours en prise avec l’actualité.

Dans la pièce de Tchekhov, la mouette n’est autre que Nina, une jeune femme qui va périr d’amour. D’abord aimée de Constant qui lui écrit une pièce, la jeune actrice qu’elle est va s’enfouir avec l’amant de la mère de celui qui l’aime et qui lui abattra une mouette. Comme d’habitude chez Tchekhov, tous sont tourmentés, se cherchent, fuient mais reviennent confrontés à ce qu’ils sont. Dans la mise en scène signée par Thibault Perrenoud, les personnages sont ceux de Tchekhov mais comme actualisés, transposés à aujourd’hui et nos vies. Dès leur entrée sur un plateau où le public est installé dans un système en quadri-frontal, ils se révèlent proches de nous, ils jouent des sentiments que l’on connaît tous, ils sont assis parmi nous et dans une temporalité qui nous échappe tant cette pièce ainsi montée s’impose comme une évidence, on est balloté d’émotion en émotion, de la détresse de chacun à la mort annoncée de l’un d’eux.

Même s’il prend des risques avec le texte original, le metteur en scène crée un spectacle épuré, marqué par des fulgurances qui nous heurtent en plein vol si bien que l’âme de Tchekhov plane toujours au-dessus de nous, et ce malgré le choix d’un franc-parler déroutant au départ. Là où Thibault Perrenoud comme sa troupe d’acteurs excellent, c’est aussi dans ce qui n’est pas dit mais que l’on voit ou que l’on entend quand même. Car entre les répliques ou pendant, les situations semblent se vivre « pour de vrai », toujours il se passe des choses hors-scène, et toujours les frustrations de chacun – amoureuses ou artistiques – sont prégnantes.

En deux heures à peine, on éprouve les vies des personnages, leurs difficiles relations entre eux et avec le monde qu’il faut habiter. Par de multiples clins d’œil intelligents à notre actualité, le chômage, l’écologie, le terrorisme, le metteur en scène nous achève et montre qu’avec peu de choses il reconstitue tout un monde et un tissu social qui nous interpellent. Et plus le temps passe, plus comme cette mouette abattue, spectatrice constante abandonnée en bord de plateau, on y laisse quelques plumes.

« La Mouette », de Tchekhov, mise en scène Thibault Perrenoud, actuellement au Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-bastille.com/saison-16-17/les-spectacles/la-mouette




Le Misanthrope : cris, vodka et vers’n’b

Misanthrope

Dans la salle haute du Théâtre de la Bastille, l’ambiance est à la fête. Çà et là sont installées des tables avec des bonbons, des verres en plastique et un large éventail désaltérant : de l’eau pétillante à la vodka. Stevie Wonder crache dans les enceintes, tout le monde bavarde et se confond, public et comédiens. Soudain, une bagarre éclate : Alceste (Marc Arnaud) ne supporte pas cet univers mondain, ses poings commencent par parler avant sa bouche.

La violence dans laquelle commence le drame, entièrement transposé dans une ambiance moderne, donne le ton du reste de la représentation : hurlante, mais solide. Hurlante, car, chez Vincent Macaigne c’est aussi le cas, les cordes vocales des acteurs sont mises à rude épreuve : dans la deuxième moitié du spectacle, Alceste peine un peu. Représentation solide, car dotée d’une puissance réelle : les cris sont nourris d’un vrai propos. Difficile d’atteindre le niveau de Molière en matière d’analyse de l’âme humaine, le Misanthrope nous le montre très bien.

Alceste en 2014 manque d’amour et de considération vraie. Il est fatigué de la convenance et de l’hypocrisie inhérente à la société qu’il habite. Mais aussi, tel l’ancêtre d’un Yes Man, sa trop grande honnêteté cause des drames, parmi lesquels sa dispute avec Oronte qui débouchera sur une décision de justice. Sans oublier sa désillusion vis-à-vis de Célimène qui à vouloir séduire tout le monde se retrouve honnie par tous.

Dans cette mise en scène de Thibault Perrenoud, on voit clairement tout cela au moyen d’images violentes, mais belles : explosion de fleurs, nudité et eau à profusion, instants chorégraphiés baroques où les personnages ajoutent à leurs jeans et pull, une perruque à boucles ou une veste de velours. On pense aussi à une scène dans le noir, très bien réalisée.

Côté acteurs, tous manient bien le contraste de la langue et de l’époque. Il y a une différence entre le parler et le faire. Marc Arnaud fait preuve de virtuosité en incarnant un Alceste tout en nuance, de la colère au pardon. D’intonations chiraquiennes à un vers’n’b improvisé.

Le texte a été légèrement adapté pour en souligner la portée moderne. Une scène où les acteurs parlent normalement des mœurs de la cour a été adaptée pour parler du petit milieu du théâtre, c’est drôle et soigneusement fait.

Enfin, le drame se déroule comme il avait commencé : de façon très rock and roll. On est impressionné par la palette de sentiments modernes exposés avec cette langue de 1666. Un groupe de scolaire de 15 ou 16 ans se regarde au moment des applaudissements en répétant à plusieurs reprises « c’était trop bien », et nous aussi, nous aurions pu nous limiter à cela.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« Le Misanthrope » de Molière, mise en scène de Thibault Perrenoud, jusqu’au 20 décembre au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette (11e arrondissement), du mardi au samedi à 19h. Dimanche à 15h. Durée : 1h55. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-bastille.com