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Arditi chante sous la pluie au Théâtre Edouard VII

 

Copyright Emmanuel Murat
Copyright Emmanuel Murat

« Comme s’il en pleuvait »,
Pleuvait quoi ? des billets, des euros, de l’oseille, des biffetons, de l’oseille,
Sur ? Bin sur Evelyne Buyle (Laurence) et Pierre Arditi (Bruno),
Sur ce modeste couple de gauche, qu’ils campent à ravir,
Sur le petit salon de leur appartement du XVème arrondissement,
Pour ? Ma foi, pour une belle comédie de mœurs qui fait la part belle au show-man qu’est Arditi.

 

Que faire de cet argent mystérieusement tombé du ciel, pas mérité donc forcément jugé comme illégitime et louche. Le dépenser ? Thésauriser ? Voici la trame de la pièce. Mais la réflexion idéologique ne plombe pas bien longtemps l’ambiance divertissante.  Quelques phrases cultes sont distillées au gré de la pièce au rang desquelles on retiendra « C’est pas parce qu’on est de gauche, qu’on doit porter des pulls qui grattent ». Puis, de ce sujet classique du théâtre qu’est l’appât du gain, on bascule rapidement dans le baroque, le loufoque.

Les actes s’enchaînent de manière fluide, la pièce est très cadencée, ça bouge. Sur scène le couple Buyle-Arditi est rejoint par Véronique Boulanger (la femme de ménage à l’accent très prononcé) et Christophe Vandevelde (le voisin excédé). Ils participent du crescendo rythmique et dramatique avec des personnages caricaturaux très représentatifs de la comédie de boulevard. Ils sont le grain de sable qui fait que ça déraille, que ça chauffe et ça s’échauffe sur les planches. Bernard Murat à la mise en scène pose un joli décor simple avec jeux de lumières recréant l’heure du jour mais, nous y a réservé quelques surprises.

La prestation d’Arditi dans le rôle de Bruno est délectable. Quand l’ours mal léché du théâtre français « pète littéralement un câble » c’est truculent. Il a les yeux fous de Jack Nicholson dans Shining et on se demanderait presque où s’arrête l’acteur et où commence l’homme tant il semble être dans la peau du personnage … bref, il lâche les chiens.

Le réalisateur, Sébastien Thiéry, a écrit le rôle de Bruno en pensant à Pierre Arditi. Si vous donnez le rôle du soleil à un acteur qui rayonne déjà beaucoup, de son aura et de son charisme, l’avantage est qu’il donnera tout ; cependant il brille presque trop au détriment de ses comparses et d’un développement sur d’autres axes de la pièce : le burlesque, la relation entre les personnages, l’introspection.

On passe un excellent moment dans l’écrin élégant du Théâtre Edouard VII installé au coin de la place au nom éponyme, reliée au Boulevard des Capucines par une rue piétonne. Un tableau tout à fait réjouissant seulement assombri par l’absence de répondant ou de mordant suffisamment vigoureux pour contenir Arditi… juste un peu.

 

Pratique : Du Mardi au Samedi à 21h, Le samedi à 18h et le dimanche à 15h30

Au Théâtre Édouard VII, 10 place Édouard VII, Paris IXeme.
Réservations par téléphone au 01 47 42 59 92
Tarifs : entre 20€ et 53 €.

Durée : 1h15

De : Sébastien Thiéry

Mise en scène : Bernard Murat

Avec : Evelyne Buyle, Véronique Boulanger, Christophe Vandevelde, Pierre Arditi.




« Vous n’avez encore rien vu » – Cet étrange objet du cinéma

Un O.C.N.I., Objet Cinématographique Non Identifié.
C’était mon premier Alain Resnais. Ne vous attendez donc pas à des parallèles à répétition, des analogies avec ses précédents films, une analyse systématique de l’évolution de son style et de sa pensée dans le temps …

Non, vraiment, rien de tout ça. Simplement cet étrange sentiment qui gagne le spectateur tout au long de la séance. L’ennui guette, il sent qu’il aurait une place attitrée dans un tel film, personne n’oserait la lui contester. Et pourtant il guette, mais ne trouve pas l’occasion de s’immiscer dans la tête du spectateur. Car ce que nous propose Alain Resnais dans son film est une véritable performance artistique, un coup magistral tant dans l’histoire du cinéma que du théâtre.

Imaginez plutôt voir se représenter devant vous deux (voire trois) écoles du théâtre, autour d’une seule et même pièce, Eurydice de Jean Anouilh. Forcément, l’envie primaire est à la comparaison, « le théâtre classique est quand même plus fidèle », « les mises en scène modernes sont vraiment spéciales » … Vous savez ce même « spécial » utilisé par Xavier Dolan dans Laurence Anyways … Ce « spécial » passe-partout et pourtant tellement signifiant, synonyme de rejet, de dégoût.

Puis une fois la comparaison rapidement épuisée de son sens et de son intérêt, surgissent l’intérêt et la complémentarité. Il n’y a clairement pas une unique vision d’une même pièce, ni d’une même mise en scène. On touche alors à l’épineuse question de la liberté laissée à l’acteur par son metteur en scène. Et de ce que le metteur en scène recevra de la part de ses acteurs pour enrichir sa mise en scène, et la rendre unique.

Car c’est bien là l’essence de la pièce. Prétexte pris du décès d’un metteur en scène les ayant réunis par le passé pour jouer Eurydice, 14 acteurs se retrouvent en huis clos dans une cérémonie orchestrée par le majordome du défunt pour donner leur point de vue sur une mise en scène moderne de cette même pièce.

Formidable mise en abyme du jeu théâtral. Bouleversants hommages à ses acteurs, jouant leur propre rôle.
Mais jusqu’où est-ce le rôle pensé par le metteur en scène, et où commence la personnalité de l’acteur ?
Mention toute particulière et très personnelle pour quatre d’entre eux : Pierre Arditi, impressionnant, Michel Robin,  touchant,  Mathieu Amalric, inquiétant et Sabine Azéma, saisissante.

 

Réalisation : Alain Resnais et Bruno Podalydès (pour la captation Eurydice par la Troupe de la Colombe)
Scénario : Laurent Herbiet, Alex Reval1, d’après Eurydice (1942) et Cher Antoine ou l’Amour raté (1969) de Jean Anouilh
Musique : Mark Snow

Distribution:
Sabine Azéma : Eurydice 1
Anne Consigny : Eurydice 2
Pierre Arditi : Orphée 1
Lambert Wilson : Orphée 2
Mathieu Amalric : monsieur Henri
Michel Piccoli : le père
Anny Duperey : la mère
Denis Podalydès : Antoine d’Anthac
Jean-Noël Brouté : Mathias
Hippolyte Girardot : Dulac
Michel Vuillermoz : Vincent
Andrzej Seweryn : Marcellin
Michel Robin : le garçon de café
Gérard Lartigau : le petit régisseur
Jean-Chrétien Sibertin-Blanc : le secrétaire du commissaire

La troupe de la Colombe
Vimala Pons : Eurydice
Sylvain Dieuaide : Orphée
Fulvia Collongues : la mère
Vincent Chatraix : le père
Jean-Christophe Folly : monsieur Henri
Vladimir Consigny : Mathias
Laurent Ménoret : Vincent
Lyn Thibault : la jeune fille et le garçon de café
Gabriel Dufay : le garçon d’hôtel