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« Perdues dans Stockholm » : épopée burlesque et folle magie

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Sur scène défilent un mobile home, une gare, un casino… Tant de lieux construits avec le même décor à tiroirs : trois caisses de bois montées sur roue. Des boites accompagnées de trois acteurs auxquels Pierre Notte a insufflé son jeu, sa musique et sa folle magie. Tout fonctionne pour emporter le spectateur dans une épopée burlesque, allant de surprise en surprise, faisant mouche dans nos esprits toujours au moment où on l’attend le moins.

Avant que la lumière ne s’éteigne, Lulu (Brice Hillairet) bondit sur scène, se change pour ne pas qu’on le reconnaisse, tel un malfaiteur qui a fait une énorme bêtise… Et c’est le cas : il vient d’enlever la présidente du Festival du film américain de Deauville (Juliette Coulon), croisée par hasard au rayon primeur du Monoprix ! Grâce à la rançon qu’il va en tirer, il va pouvoir enfin se payer son opération de transformation et devenir la femme qu’il est vraiment. Très vite, il s’avère que l’actrice n’est qu’une comédienne mineure ressemblant vaguement à la présidente en question, elle qui passait par là dans l’espoir de plaire à un directeur de casting américain. Tata Yoyo (Silvie Laguna), rentrant du casino complètement ruinée vient compléter le groupe de personnages qui, bien que nichés dans le plus profond désespoir Trouvillais, n’ont pas abandonné l’espoir de réaliser leurs rêves.

Le syndrome de Stockholm agit alors sur la kidnappée, bien décidée à rester avec les deux tendres loosers pour qu’ensemble, ils s’offrent la vie qu’ils méritent : ouvrir la première école de Geisha en Haute-Normandie.

Copyright : Giovanni Cittadini Cesi
Copyright : Giovanni Cittadini Cesi

Toutes les situations, les actions et les gestes – notamment ceux de Brice Hillairait qui se lâche complètement et nous montre ainsi toute l’étendue de son talent – sont tirés vers l’absurde comme deux aimants. Notte ne suit que ses codes, il est un roi en matière de quiproquo entre ses acteurs et le public : durant les premières minutes de la pièce, le personnage de Lulu, bien que transsexuelle, a tout d’une bigote hystérique sortie tout droit de Saint-Nicolas du Chardonnay : en enlevant la présidente d’un festival de film, on pense assister à l’obscurantisme qui kidnappe la culture. Métaphorique ! Et bien sûr, la situation s’avère ne pas être ce qu’elle semble. Ce procédé revenant de manière incessante est mené de main de maître.

Le texte est cinglant, rapide, truffé de gags. Les clins d’œil à la société moderne abondent et l’on retrouve les citations qui font la marque de fabrique de Notte : la référence aux grandes actrices, notamment Catherine Deneuve.

Entre les personnages, le cloisonnement délie les langues, en filigrane, chaque protagoniste se questionne sur son identité, ce qui fait qu’elle est unique, sur l’ignorance des autres de leur personne puisque ce ne sont pas des gens connus… Et finalement, malgré tout le rire découlant de ces situations d’un comique certain, on ne peut s’empêcher d’être touché, parfois ému et évidemment conquis par ces trois femmes formidables.

Pratique : « Perdues dans Stockholm », jusqu’au 29 juin au théâtre du Rond-Point (8e arrondissement). Horaires et réservations sur www.theatredurondpoint.fr et par téléphone au 01 44 95 98 21.




Pierre Notte réjouit le Rond-Point

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Le théâtre du Rond-Point accueille tout au long du mois de janvier deux spectacles de Pierre Notte. L’un a vu le jour à Avignon en 2011 et avait déjà connu un franc succès au festival OFF. Le second vient d’être créé pour cette saison. Les deux pièces partagent la même distribution, le même auteur et bien qu’elles soient toutes deux différentes, elle mérite tout l’intérêt du spectateur.

La dernière fois, on avait laissé Pierre Notte avec une création un peu ratée au théâtre de La Bruyère. Depuis il y a eu la tournée de son cabaret, « J’existe (Foutez moi la paix) » qui mettait en scène l’auteur et sa sœur dans des chansons légères, osées et intelligentes. Désormais, place doit être faite aux mémoires pour « Sortir de sa mère » et « La Chair des tristes culs ».

« Sortir de sa mère » : Dialogue mère-fils

Dans la première pièce, Pierre Notte est au piano. Tout commence par un dialogue entre lui et sa mère. Une discussion franche et sincère sur la vision que la mère a de ses enfants. Sur ses désirs et son amour, sur le fait d’être une femme. Un échange drôle, touchant, simplement humain qui donnera le ton du reste de la pièce.

On y suit deux jumeaux (Brice et Chloé), de leur conception à leur séparation. Mais aussi la rencontre entre leur père et leur mère, leur vie, leur mort et la vérité sur la naissance des enfants. Le texte est drôle, incisif et mélange habilement humour et poésie, une profondeur derrière une apparente légèreté et la dérision. Les acteurs sont tous les trois très justes dans toute la galerie de personnage qu’ils incarnent. Des icônes aux infirmières en passant par les héros de l’histoire. Ils sont remarquables dans leur voix comme dans leurs gestes et les chorégraphies.

La mise en scène souligne la force des acteurs qui évoluent sur un plateau nu. Ce qui n’empêche pas la vision de quelques jolis tableaux bien soutenus par la lumière magique de Nicolas Priouzeau.

Comme dans chaque spectacle de Notte, les chansons ponctuent l’action. Ce qui ajoute un effet léger, amusant, presque charmant au spectacle. Même si celui-ci traite des questions de sociétés très actuelles : la vieillesse, la maltraitance des personnes âgées, le deuil, l’abandon, la perte de la mémoire…

Ces péripéties nous mène en 1 h 10 à une fin aussi folle qu’inattendue, bien que l’on connaisse l’amour de l’auteur pour les grandes actrices aux airs d’icône…

« La chair des tristes culs » : Folie aux frontière des enfers

La seconde pièce est dotée d’un décor plus fourni, et pour cause : une marchande de crêpes accepte de louer une chambrette à un désespéré pour qu’il mette fin à ses jours. En contrepartie, l’homme lui laissera son corps pour qu’elle puisse créer une nouvelle recette savoureuse à partir de la viande qui le compose. Espérant ainsi donner un peu d’humanité à ses clients qui se font chaque jour plus rares.

Cette pièce est plus sombre, bien qu’aussi très drôle. Sur la scène se côtoient vivants et morts, dans des personnages complètement dingues et magistralement bien incarnés par de jeunes acteurs. La logeuse-marchande de crêpes borderline, dans sa réalité difficile, fait le contrepoids à une greluche briseuse de couples du monde des morts. Le contraste comme le jeu des acteurs est grandiose. Il y a celle qui veut rester en vie, celui qui veut mourir et celle qui est déjà morte. L’affrontement est brillant.

Ces remarques s’ajoutent à celle de la pièce précédente, car il y a aussi des belles chansons, bien interprétées qui ponctuent le drame. Un drame qui ne prend pas la forme à laquelle nous pourrions nous attendre. En effet, le jeune homme après avoir hurlé par la fenêtre du théâtre à l’attention des passants (pour de vrai!) un génial « Je suis une mouette », décide de ne pas mettre fin à ses jours, sauvé par le désir. Mais pour respecter son engagement, il se pèlera le cul jusqu’à en crever… La marchande pourra donc faire tourner sa boutique avec de délicieuses tranches de fesses qui fourreront ses crêpes.

Prenant parfois des airs de pastiches aux envolées lyriques, le texte est toujours excellent. Cru sans être vulgaire. Sombre sans conduire à la déprime. Dans ces deux contes, Pierre Notte est bien là, à son plus haut niveau de génie dans l’écriture, on ne peut que s’en réjouir.

Pratique : Jusqu’au 9 février au théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt (75008, Paris).
Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr.
Tarifs : entre 13 € et 30 €.

Mise en scène, musique, écriture et jeu : Pierre Notte

Avec : Brice  Hillairet, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères

 




Pas pour l'amour de Raphael

L’histoire


Monsieur et Madame Gérard sont d’abord un père (Romain Apelbaum), et une mère (Sophie Arthur). Pas vraiment amoureux, ni même heureux d’être ensemble, c’est sans saveur qu’ils vivent sous le même toit à la fin des années cinquante. Jusqu’au jour où (par nécessité de se reproduire ?), maman tombe enceinte.


Cela n’arrange en rien les sentiments mutuels du couple mais les deux mettent leurs rêves et leurs espoirs dans ce petit : le père veut l’appeler Charles,  comme De Gaulle et jure qu’il préfère que son fils « meure en n’étant que quelqu’un plutôt qu’il vive en n’étant personne » ! La mère quant à elle aura le dernier mot et prénommera ce petit Philippe en lien avec la passion fanatique qu’elle voue au comédien du même nom : Philippe Gérard est né ! Seul problème, il n’a qu’un doigt à chaque main ; pour refaire le monde c’est un peu compromis.


Le public se retrouve donc à suivre ce jeune garçon (Raphaël) qui travaillera dans un cirque dirigé par un couple (Bernard Alane et Emma De Caunes), pour le reste de l’histoire.


Ce que l’on voit


La pièce dure 1h40. Débutée par une belle demi-heure de non-amour entre Sophie ARTHUR et Romain Apelbaum, les échanges verbaux sont vifs, drôles et fins malgré la densité du texte. Les mots sont menés par le jeu brillant des deux comédiens qui portent la plume de Pierre Notte, musicale même en dehors des mélodies qui accompagnent ponctuellement les comédiens à des moments clés de l’histoire.


Mais voilà, au bout de 30 minutes Raphaël entre en scène, et l’hystérie qui devrait accompagner chacune des entrées de l’artiste n’est juste pas. Cet homme n’est pas acteur, et ce n’est pas son public qui remplit la salle. Le jeu est monotone tout comme sa voix, incapable de donner une phrase sans cligner des yeux pour ponctuer ses répliques, c’est très pauvre en émotions. Au final, le personnage du fils Gérard est plus Jugnot que Philipe et c’est bien dommage. Car le message évolue peu à peu vers une sorte de mélange de scénarios entre le Plus Grand Cabaret du Monde et Freaks, des films où les monstres physiques sont beaux dans leur âme en contraste avec les beaux de corps et méchants dans les actes. Et ce jeu que n’importe quel acteur avec un minimum de talent aurait réalisé avec un peu de profondeur, Raphaël n’en fait rien, et c’est l’ennui qui envahit le public. Et c’est le seul des comédiens qui ne chante pas une seule fois du spectacle, un comble.

Rien ne le met en valeur.


De plus, certains détails de la pièce ne tiennent pas sur la longueur. On admet qu’il n’est pas facile de garder un seul doigt tendu en faisant abstraction des autres sans en sentir une certaine gêne. Gêne devenant palpable au fur et à mesure de la pièce et qui fait que, finalement, ça ne marche pas, on n’y croit pas une seconde.


La cerise sur le gâteau reste Emma De Caunes qui bute sans arrêt sur son texte. Même sans le connaître avant de venir voir la pièce, on  entend le massacre de la musique des mots de Pierre Notte.


Conclusion, si vous allez voir ce spectacle, essayez pour une fois de trouver une place sur strapontin, parce qu’au bout de 30 minutes, quand les parents deviennent figurants il n’y a plus rien à voir…


« Pour l’amour de Gérard Philipe », actuellement au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère – 75 009 Paris. – www.theatrelabruyere.com