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En route pour « Néoplanete »

Avec « Néoplanète », le hongrois Árpád Schilling nous plonge littéralement au milieu d’un monde qui change, où l’expérience de l’exil est le point commun des habitants qui restent. Voulu comme un véritable voyage, le contenu déroute, forcément, mais il ne manque pas de trouver sa cible. Les spectateurs partent par rang entiers durant toute la pièce, à contrario, le public qui reste jusqu’au bout est aisément conquis.

Árpád Schilling utilise la vidéo, beaucoup. De très belles images forment un film où les héros de la scène apparaissent parfois à l’écran pour continuer l’histoire. Il y a du cirque aussi, de la corde et de la barre verticale, mélangée à la danse. Une intrigue (n’ayant pas grand intêret) prend forme à un moment, puis s’arrête, c’est décousu. Le public réagit lui, beaucoup, car il est invité à le faire. Un Rom (authentique) vient sur scène, une traductrice hongroise permet à ceux qui le souhaitent d’avoir une discussion avec lui, sur ses conditions de vie et sur les raisons qui l’ont poussé à partir. Beaucoup plus tard dans la pièce, deux autres Roms, à peine adolescents, viennent se prêter au jeu des questions dans un français impeccable. Symboles du non-retour, de la nécessité de partir.

On oscille, entre la curiosité, l’ennuie, le désir d’en savoir plus. On succombe à la beauté des images, on partage l’attente des personnages dans des situations qu’ils n’avaient pas prévues, ou souhaitées…

Pour tenter d’en donner une idée concrète (bouh! Le vilain mot), « Néoplanète » est une sorte de work-in progress où les personnages réfléchissent à des solutions pour pouvoir partir, avec qui partir et quels sont les choix qui conduisent à préférer ce départ, ou cette personne comme accompagnatrice.

Bel exemple de lâcher-prise, ce spectacle est loin d’être évident, mais (chose importante) le public scolaire le soir de la représentation à laquelle nous assistions était aux anges d’avoir vu un théâtre au langage simple, posant les problématiques de notre époque, mêlant les genres et les surprises. Excellent baromètre de la scène que celui de la génération en cours de construction…

Pratique : Jusqu’au 26 octobre au théâtre national de Chaillot, 1, place du Trocadero (16e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur theatre-chaillot.fr/ / Tarifs : entre 8 € et 33 € – Du mardi au vendredi à 20 h 30.

Durée : 2 h 30 (sans entracte)

Mise en scène : Arpad Schilling

Avec : Cristiana Reali, Rasha Bukvic, Léopoldine Serre, Monique Chaumette et Grétel Delattre, Estelle Dore, Bérangère Gallot, Jean-Yves Gautier, Martin Loizillon, Sandrine Molaro, Sophie Nicollas, Nicolas Pujolle, Herrade Von Meier.

 




Hernani, drame moderne

Cigales, chaleur, temps lourd, c’est dans une ambiance un peu triste de fin de vacances que le Printemps des Comédiens a clos le second chapitre de l’ère Jean Varela. Mais parce que la dernière nuit est souvent la plus belle, le public a pu assister à la création de « Hernani » par la Comédie Française, dans une mise en scène bi-frontale de Nicolas Lormeau.


La voix de Thierry Hancisse introduit le propos en lisant des phrases choisies de préfaces de Victor Hugo, dans un passage, l’auteur définit le drame… Celui-ci doit répondre à l’attente de la foule en l’amusant, du penseur en le conduisant à la méditation et de la femme en lui procurant de l’émotion. Telle est l’ambition d’Hernani. Ce timbre descriptif nous accompagnera durant toute la représentation : c’est elle qui lit les didascalie en début d’acte, comme pour planter le décor.


Un décor magnifique, bien que les comédiens évoluent sur un plateau vide. Grâce aux lumières d’abord, chaque scène est baignée dans une ambiance particulière, irréelle, soulignant le désir d’onirisme voulu par Nicolas Lormeau, des tableaux atteignent une beauté extrême. La musique de Bertrand Maillot complète cette vision, toute en étant discrète, les notes sont importantes, elles soutiennent la mélancolie et le drame aux instants clés de l’action, devenant parfois la septième comédienne de la pièce.


Tout au long de la pièce, on « entend » le texte (sous réserve de ne pas être en haut des gradins, le jeu en extérieur est injuste avec les spectateurs). Les paroles du drame sont vécus, ingérés par des comédiens maîtrisant l’art de la nuance. Les répliques vivent, conformément au désir d’Hugo de briser les règles du théâtre classique, elles sonnent avec un écho de modernité, 180 ans après leur écriture. « Je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire ».


Capter les mots


Donner au public la possibilité de capter la beauté des mots, c’est le défi des metteurs en scène contemporains. Faire en sorte que des vers centenaires soient « entendus » aujourd’hui. Le Printemps des Comédiens 2012 a soutenu des créations allant en ce sens. Il n’y a qu’à relire le programme pour réaliser : Le Bourgeois Gentilhomme (m.e.s de Denis Podalydès) ou Antigone (m.e.s de Gwenaël Morin) résonnent avec bien plus de sens que la prose de Brecht (m.e.s par Antoine Wellens).


Dans le « Hernani », Nicolas Lormeau a, en plus, la chance que tous les acteurs soient justes et brillants (mais on en attendrait pas moins du Français!). On sent l’hésitation, le caractère et l’humanité de chaque personnage, ils ne semblent pas de simples comédiens en costume jouant des vies poussiéreuses. On est pris dans leur histoire, les sanglots montant parfois à la gorge ou bien les rires portés par la situation absurde, fort bien mises en valeur. La folie et le désespoir de l’action finale sont bouleversants. Ce couple sublime composé de Félicien Juttner et Jennifer Decker sombre dans un abîme shakespearien réussi, « Voilà notre nuit de noce commencée, je suis bien pâle pour une fiancée », murmure Dona Sol.


Enfin, le metteur en scène a fait le choix de transposer les personnages au XIXe siècle (l’action se situe normalement peut avant le couronnement de Charles Quint en 1519), ce sont donc des gentilshommes en costumes qui sont sur scène et non plus des Grands d’Espagne, les revolvers nous le rappellent souvent.


Ce drame où toutes les actions sont portées par la question de l’honneur souligne la douleur que les hommes ressentent vis à vis (de la plus belle) des femmes. Elle interroge la place du mari et de l’amant sans érotisme tapageur. Victor Hugo savait manier l’élégance des sentiments débarrassés de son animalité.


« Hernani » par Nicolas Lormeau a été créé le vendredi 29 juin 2012 en clôture du Printemps des Comédiens. Il sera repris au théâtre du Vieux-Colombier (Paris VI e) du 30 janvier au 17 février 2013.

Mise en scène : Nicolas Lormeau

Distribution : Catherine Sauval, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Félicien Juttner, Jennifer Decker, et Elliot Jenicot.