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Avignon OFF 2016 : « Grisélidis », confessions d’une prostituée humaniste

Photo : Jean-Erick Pasquier
Photo : Jean-Erick Pasquier

Seule en scène, Coraly Zahonero – de la Comédie-Française – pour son premier Festival d’Avignon incarne l’écrivain-poète-prostituée militante Grisélidis Réal (1929-2005), après des mois passés à lire ses livres, correspondances, rencontrer et sa famille, et des prostituées pour élaborer son personnage pour une prestations saisissante.

Dans un décor intimiste composé d’un lit, d’un paravent et d’une coiffeuse, Coraly Zahonero économise ses gestes mais pas ses mots, ponctués de temps à autres par la saxophoniste Hélène Arntzen et la violoniste Floriane Bonanni. Son discours semble donné à vif et retrace la vie de la femme, des moments passés avec ses clients à son activisme pour la « Révolution des prostituées », militante jusqu’aux Nations Unies. Si les mots sont parfois durs et peuvent sembler crus, c’est que Grisélidis s’est caractérisée par sa défense publique de la prostitution qu’elle considérait comme un acte d’humanisme. Par des récits de moments passés avec ses clients les plus étranges, l’actrice parvient à dresser une sorte de bestiaire du métier et à injecter de l’humour dans une prestation qui reste grave. Grave non pas pour la prostituée, mais pour le regard qu’elle jette sur le monde et sur la détresse des hommes dépêchés dans son lit pour qui le bonheur réside dans la chaleur d’une femme.

Après tout, qu’est-ce qu’une putain ? Au-delà de l’image de déchéance que notre société colle à la prostitution, pour Grisélidis se prostituer était une manière de venir en aide aux hommes, de comprendre la souffrance de l’autre et de faire preuve d’humanisme. Partant de son enfance massacrée par une mère moralisatrice à outrance, la comédienne tient un discours piquant sur la politique et la religion qui fait du public une assemblée d’iconoclastes prêts à entendre que « Dieu est un con », et que l’hypocrisie du créateur doublée de la morale judéo-chrétienne qui sous-tend notre monde si manichéen a assassiné la sexualité. Même si Grisélidis reconnaissait se sentir piétinée après des nuits passées avec ces hommes à qui elle volait parfois un orgasme, elle était là, socialiste convaincue pour les expulsés de l’humanité. Tout de noir vêtue, marquée par des lumières rouges chaleureuses, Coraly Zahonero touche par sa sincérité et rend un hommage vibrant à l’auteure de « Le Noir est une couleur », pour qui le sexe ne menait pas à la petite mort, mais au contraire, à la grande vie.

Grisélidis, d’après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française et Hélène Arntzen (saxophones), Floriane Bonanni (violon).

Festival d’Avignon, Théâtre du Petit Louvre, 13, rue Saint Agricole, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les 14, 21 et 28, 18h15, durée 1h15.




Week-end – Et que le vaste monde poursuive sa course folle…

Le 7 août 1974, un funambule tire un câble entre les Twin Towers et offre à New York ébahie le spectacle de sa traversée. Au même moment un moine qui consacre sa vie à améliorer celles des prostituées du Bronx trouve la mort dans un accident de voiture. A ses côtés Jazzlyn, l’une d’entre elles laisse derrière elle deux petites filles. Elle tapinait depuis sa plus tendre enfance entre sa mère et les cuillères d’héro… Ces petites vies encastrées les unes dans les autres offrent au lecteur un somptueux panel d’odeurs et de couleurs new-yorkaises.
Odeur de l’argent, odeur de la crasse, vue vertigineuse.

Cet assemblage de petits destins est à l’image de la ville qui les abrite. Grandiose. Le titre de ce roman emprunté au poème d’Alfred Lord Tennyson, Locksley Hall : « Et que le vaste monde poursuive sa course folle vers d’infinis changements… » donne le ton. S’en suit un grand roman.

Tout était fabuleux, y compris les décentes et la déprime […]

Je n’ai pas peur de le dire : les taxis se battaient pour moi. Mais la vie nocturne me vidait, la  me jaunissait les dents, j’avais le regard voilé. Parfois mes yeux avaient pratiquement la couleur de mes cheveux. Une drôle de sensation ça, quand la vie vous quitte par le cuir chevelu. Un drôle de fourmillement.

Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle

Editions Belfond, 2009, 20€90