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Martineau et Lavoine, comme poissons en foire

Copyright : Christophe Vootz
Copyright : Christophe Vootz

Léonore Confino est bien l’auteur surprenante que l’on espérait. Si on avait apprécié son regard acide, drôle et ironique sur l’amour dans « Ring », on se souvient aussi de la catastrophe, « Les Uns sur les autres », la pièce qui marquait le retour d’Agnès Jaoui au théâtre. Avec le « Poisson Belge », son nouveau duo, le plus haut niveau est atteint. Elle réalise une pièce géniale sur la difficulté de la rencontre, les relations familiales dramatiques et les liens qui peuvent se créer entre des êtres qui ont comme point commun, leurs différences.

La première scène se déroule un vendredi soir au crépuscule, sur un banc de Bruxelles. La Petite fille (Géraldine Martineau), fait tout pour attirer l’attention de la Grande monsieur (Marc Lavoine). Petite fille prétexte que ses parents l’ont abandonnée, le date de Grande monsieur n’arrive pas. C’est là, à ce moment précis, qu’une adoption se dessine. Les deux personnages vont partager quelques jours, semaines, de leurs vies accidentées (l’une étouffée par une paire de parents psychanalystes, l’autre par la femme qui habite dans son corps d’homme). On apprendra que les géniteurs de Petite fille sont morts dans un accident de voiture, le même vendredi soir où elle a rencontré Grande monsieur. Mais Petite fille supporte bien le deuil, mieux que son hôte, qui finira par aller lui-même à la rencontre de son propre fils, qu’il n’a jamais connu.

Cette pièce est, comme cela caractérise le style de Léonore Confino, un mélange entre narration étrange et lyrisme de l’absurde. Les personnages ont pleinement conscience de la situation atypique qu’ils sont en train de vivre, mais ils s’en accommodent au mieux. Ils acceptent leurs différences, confortés l’un par l’autre. C’est à la fois extrêmement drôle, mais aussi très tendre, sincère, une ode à la bienveillance entre les êtres.

Copyright : Christophe Vootz
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Les pièces de Confino sont mises en scène par Catherine Schaub. Ici, le dispositif mêlant vidéo, espaces neutres – presque futuristes – qui nous projettent hors du temps, et la musique électronique froide rappelle celui de « Ring ». Ce mélange de simplicité et d’élégance scénographique laisse toute la place au génie des comédiens.

Pour Marc Lavoine – déjà acteur dans de nombreux films –, c’est la première fois sur les planches. Frustré, en colère, ce rôle de transsexuel dont les seules marques de féminité sont les boucles d’oreilles, lui va à merveille. Le personnage apparaît derrière l’aura du chanteur. Et si Lavoine est bien, la vraie star du spectacle est Géraldine Martineau. Son physique juvénile aidant, on l’a souvent remarquée dans des rôles de petites filles – au théâtre comme au cinéma –, mais ici, elle ne se contente pas de bien jouer, elle transcende le rôle. Martineau est LA Petite fille, mature et délurée, intelligente, borderline. Par le corps comme par l’esprit, le rôle dessiné par Léonore Confino lui colle à la peau, elle peut y exploser de tout son talent. À la fois effrayée et contente de sa folie, elle devient sur scène un personnage fascinant à l’humour fracassant. Qu’elle danse, se cache, pleure ou rigole. Elle interpelle, démonte les codes de l’enfant bête en le hissant au rang de sage franc et maladroit. Un talent porté par le génie, Géraldine Martineau a trouvé le rôle qui, on l’espère, la révélera au très grand public. Des spectateurs emmenés par ce « Poisson Belge », comme Némo et Doris dans le courant est-australien.

« Le Poisson Belge » de Léonore Confino. Mise en scène Catherine Schaub, actuellement à La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis-Legrand, 75002, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur theatrelapepiniere.com/




« Les uns sur les autres » à la Madeleine : premier raté pour Confino

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Depuis la fin du mois de janvier, le théâtre de la Madeleine accueille la pièce « Les Uns sur les Autres » dans une mise en scène de Catherine Schaub. Ce drame comique, de Léonore Confino, raconte la vie d’une famille banale, de la scène quotidienne du « à table ! » incessamment répété par la mère de famille à celle du fils qui joue aux Doom-likes, en passant par le père toujours pressé d’aller au travail. Bien sur, au théâtre, ce n’est pas ce qu’on raconte qui constitue l’intérêt de la pièce, mais la manière dont cela est dit. Et c’est bien là tout le problème…

Pourtant, l’histoire de cette création débutait comme l’une des nombreuses success story que connaît la scène privée parisienne. Une jeune auteure sur la route ascendante est mise en scène dans un beau théâtre, celui de la Madeleine. Pour ajouter du piquant à l’événement, le rôle principal sera tenu par Agnès Jaoui en personne, elle qui n’avait pas foulé les planches depuis la dernière de Un air de famille en 1994 qui avait connu un succès unanime. Mais voilà, le texte, l’histoire, ces mots qui font l’essence même d’un spectacle, ne sont pas à la hauteur de l’événement.

Le propos de Leonore Confino se veut universel. C’est d’ailleurs cela qui a touché Agnès Jaoui et qui lui aurait donné envie de remonter sur une scène. Malheureusement, cette universalité espérée n’est qu’un pale reflet des problèmes que subit au jour le jour la famille bourgeoise de classe moyenne, plutôt supérieure. Non, tous les maris ne rêvent pas de quitter leur femme le matin en allant au travail, non, toutes les femmes ne sont pas apeurées à l’idée d’être en retard chez l’ostéopathe ou l’acupuncteur parce que la pièce de 1 euro est restée coincée dans le cadis à Intermarché. Et si l’on prend un peu de distance sur le propos : non, toutes les femmes ne sont pas maltraitées, obligées de rester chez elles pour tenir la maison. C’est néanmoins le cas du personnage joué par Agnès Jaoui, et ce jusqu’à la caricature la plus vulgaire de la fin de la pièce où maman qui en a marre raconte à son fils qu’elle avait « le vagin large comme une autoroute » après l’avoir mis au monde et qui confesse à sa fille qu’elle arrive à garder papa à la maison parce qu’elle « taille des pipes d’enfer ».

Le procédé d’écriture est pourtant amusant. Il mélange phrases construites et nuages de mots devenus lieux communs sur la vie de notre siècle, où les gens sont toujours pressés. Mais là aussi, on tombe vite dans l’idée reçue et très vite, l’humour disparaît.

Soulignons le risque qu’ont pris Jean-Claude Camus et Jean Robert-Charrier de mettre dans cette grande salle une jeune auteure, pas ou peu connue du grand public. Leonore Confino a rencontré son premier véritable succès que très récemment, avec Ring, au Petit Saint-Martin. Ce texte sur l’amour, le couple, ses succès et ses problèmes était juste, drôle, triste et joyeux. Il était porté par deux interprètes pour qui ces saynètes semblaient taillées. Coup de chance ? Ou trop d’ambition trop vite ? À La Madeleine, ça ne prend pas.

Les comédiens pourtant s’accrochent. Mais, comme un grand musicien à qui l’on donnerait une partition médiocre, on est bien obligé de voir qu’ils font ce qu’ils peuvent. Nous pourrions évoquer la belle scénographie, les procédés de mise en scène ingénieux (notamment le moment où l’adolescente anorexique atteint enfin un IMC négatif et donc devient invisible). Mais rien n’est suffisant pour sauver la pièce, à qui l’on souhaite de tomber rapidement, pour éviter à Léonore Confino que son nom soit associé trop longtemps à cet échec.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Madeleine
13 rue de Surène, 75008 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Matinée le samedi à 16 h
Durée : 1h25
Tarifs : 20/52 €
Réservations au 01 42 65 07  09 ou sur http://www.theatre-madeleine.com/