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« Trahisons » en marche-arrière

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© Cosimo Mirco Magliocca

Avec « Trahison », le « théâtre de la menace » d’Harold Pinter suit le chemin inverse de la logique chronologique : allant de la sentence au crime. Des retrouvailles après une rupture lointaine à la naissance des sentiments dans l’interdit d’une liaison.

Tout commence (ou plutôt, se termine) en 1978, par une scène de retrouvailles. Emma et Jerry, d’anciens amants, s’attablent dans un café et parlent de leur vieilles amours, rompues il y a deux ans. Par les gestes et les regards, on sent une flamme qui a existé et qui, écrémée des souvenirs douloureux, pourrait se trouver rapidement ravivée, peut-être le temps d’une nuit sauvage.

Tout commence, donc, bien après la trahison. Celle-ci a été consommée, ingérée, les personnages lésés ou trompés ont eu le temps de se faire à l’idée que ce n’était finalement, pas bien grave. Sauf Jerry.

De 1978, on passe à 1975, puis 1973. Venise : Emma est en voyage avec son mari, Robert, le meilleur ami de Jerry. C’est pour les amants la période de la passion. Une lettre, laissée pour elle au guichet de l’hôtel met la puce à l’oreille de l’époux. On assiste à la compréhension, douloureuse mais résignée de Robert.

Puis, le temps ne cesse de remonter jusqu’en 1968, au soir du premier baisé volé lors d’une soirée chez Emma et Robert, où les deux futurs amoureux se vouvoient encore.

Chaque scène est aussi intéressante dans les mots que dans ce qui les englobe. L’infra-verbal et le non-dit caractérisés par de longs silences, font partie intégrante des dialogues et en disent long sur les relations du couple, ou plus généralement d’un couple. Le drame se déroule dans un milieu bourgeois : ils sont éditeurs, agents littéraires ou dirigent une galerie. Mais leur histoire, à première vue banale, a quelque chose d’universel : la douleur et la trahison transcendent les classes.

« Trahison » est servie par un trio d’acteurs aux caractères marqués. Laurent Stocker incarne l’amant poltron, égoïste et préoccupé par le seul fait que sa femme ne soit pas mise au courant de son incartade. Face à lui, un Podalydès brillant, clown triste et désabusé, fait ressortir tout le cynisme d’un rôle de mari trompé qui jouit de sa position de victime. Au fil de la pièce, les comportements s’expliquent, se comprennent : on se rend compte que Jerry – qui pensait que nul n’était au courant de sa liaison avec Emma – a été abusé par la confiance excessive qu’il avait en lui. Il pensait tromper son monde, mais c’est lui qui se retrouve trahi par son meilleur ami, et probablement par sa femme.

La mise en scène assez sage de Frédéric Bélier-Garcia, souligne la poétique de l’ensemble par des lieux épurés – bureau, café, terrain de squash – qui glissent sur la scène comme une bande cinématographique qui défile. De cette pièce, pas évidente à monter de par la multiplicité des temps, il fait un conte au long cours où l’on suit le fil des âmes, pour remonter jusqu’à leur péché originel.

« Trahisons » d’Harold Pinter, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, à la Comédie-Française, Théâtre du Vieux Colombier, jusqu’au 26 octobre, le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h. Dimanche à 16h. Durée : 1h30. Plus d’informations sur www.comedie-francaise.fr/




« Candide » déchaîné à la Comédie-Française

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Il en revient à chaque lecteur de mettre ses images sur une œuvre littéraire. Surtout lorsque c’est une œuvre incontournable que tous (ou presque) ont lu (au moins au lycée). Pourtant, le regard partagé par Emmanuel Daumas dans cette adaptation est juste et plaisante, une bonne raison de redécouvrir Candide.

Le décor est planté dans le salon d’un restaurant des années 20. Des « gens d’expérience », aristocratiques, se mettent à raconter l’histoire de Candide à son avatar contemporain (Laurent Stocker). Cette mise en abîme est une excellente solution qui permet à chaque acteur d’être une part de la multitude de personnages qui composent le conte philosophique. Chacun prend la parole, en fonction du découpage originel bien rythmé et retranscrit. Notons tout de même que le Pangloss joué par Serge Bagdassarian est complètement déchaîné et Julie Sicard fait une Cunégonde érotico-burlesque à tomber.

Outre l’excellente composition dont font preuve les comédiens, et la candeur magique de Laurent Stocker, la mise en scène laisse place à de beaux moments sans paroles. Presque cartoonesques, ces instants ajoutent une touche d’humour supplémentaire bienvenue et ponctuent ce qui pourrait sembler un peu rébarbatif dans le texte.

Le conte n’est pas donné en intégralité. On est loin de la lecture (et c’est tant mieux), mais l’essence, les passages clés sont tous biens visibles et ne devraient pas ennuyer les puristes de Voltaire qui assisteraient au spectacle. Le tour du monde vécu par le héros se fait dans une antichambre cossue. Mais, une fois arrivé au bout, les acteurs sont éprouvés, et nous, spectateurs, avons bien capté le sens et les images. Les effets et les causes…

Pratique : Jusqu’au 3 mars au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli.
Réservations par téléphone au 01 44 58 98 58 ou sur www.comedie-francaise.fr.
Tarifs : entre 6 € et 8 €.

Durée : 1h15

Adaptation/Mise en scène : Emmanuel Daumas

Avec : Claude Mathieu, Laurent Stocker, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Laurent Lafitte