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A Limoges, un Vania intime

Copyright : Marion Stalens
Copyright : Marion Stalens

Pour son Oncle Vania créé au théâtre de l’Union (Limoges), Pierre Pradinas a placé Scali Delpeyrat dans le rôle titre et Romane Bohringer en Eléna Andréievna. Autour de ces deux grands noms, le metteur en scène réalise un travail classique et élégant, entièrement au service du texte.

Dans la pièce de Tchekhov, Alexandre Vladimirovitch Sérébriakov et sa femme, Eléna, viennent s’installer quelques temps dans la propriété familiale, loin de la ville. Celle-ci est occupée par la fille du premier et l’oncle de celle-ci, Vania. Cette réunion provoque inévitablement un choc des cultures où les sentiments bassement humains se mélangent pour créer une situation dramatique et à la fois banalement prévisible, où l’amour et le désir tiennent une place importante.

A l’action originelle se déroulant dans une grande propriété de province Russe, Pradinas situe le départ dans un jardin discret agrémenté de quelques buissons qui bordent une balançoire et où les oiseaux chantent. Il nous plonge ainsi dans un onirisme champêtre qui se prolongera durant toute la durée du spectacle. Onirisme maintenu notamment par les lumières superbes d’Orazio Trotta.

Du bocage, on migre vers l’intérieur de la demeure. Le décor y est composé de grands volumes d’aplats gris et les ornements y sont esquissés. Si l’éclairage zénithal illuminait intimement le jardin, à l’intérieur la lumière s’invite par les baies. Elle est douce, reposante et participe activement à la construction d’une ambiance intime, qui fait glisser cette lecture de Tchekhov dans des émotions bernhardiennes.

L’Oncle Vania de Pradinas n’est donc pas sombre, mais grinçant. Il y a une ambiance de vacances, on se dit que rien n’est grave, que tout passera. Scali Delpeyrat campe un héros plutôt sympathique, tenant plus du ravi de la Crèche que d’un Léon. Il voit la vie « telle qu’elle est » ; mais à la rancœur franche, ce Vania préfère l’espièglerie et l’abandon de l’idéalisme se fait au profit d’un plongeon dans une ironie désespérée.

Sa partenaire, Romane Bohringer, est dotée d’une voix incroyable. Quand elle parle, elle capte instantanément l’auditoire. Son corps accompagne sa finesse, elle a une démarche aérienne et la tension qu’elle entretien avec les hommes qui la désirent est presque palpable.

Par ces choix de mise en scène, on entend bien le texte et le propos est plus saisissant que chez Christian Benedetti, par exemple, qui en faisant dire les mots à une vitesse accrue, nous déconnecte de l’essence profonde de certaines situations qui demandent du temps. Pradinas prend les minutes nécessaires (et parfois un peu plus) quand celles-ci s’imposent. On pense notamment à la fin de la pièce, où le vide provoqué par le départ du couple de la ville est comblé par le retour instantané des personnages aux petites tâches qui occupent l’esprit et qui a pour seul intérêt de combler l’ennui profond.

Un seul regret dans ce spectacle : la musique choisie pour les changements de décor. C’est une sorte de world music aux accents pop. Elle n’entretient pas de rapport logique avec ce que l’on voit, elle ne prolonge pas l’onirisme et brise l’intimité créée par les acteurs et la lumière.

Cependant, la création est globalement réussie. Même avec ce parti pris édulcorant, Pradinas fait ressortir la désespérance d’une vie ratée, d’une existence mise de côté au service des autres pour des questions d’honneur. En filigrane, la situation nous questionne, sans nous brusquer, sur le sens même de l’existence moderne. On assiste à un doux manifeste théâtral, pour que chaque « vie ressemble à une vie ».

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« Oncle Vania » d’Anton Tchekhov, mise en scène Pierre Pradinas, actuellement en tournée : jusqu’au 17 décembre au théâtre de l’Union (Limoges), les 14 et 15 janvier à la Comédie de Caen, du 20 au 23 janvier à La Coursive (La Rochelle), les 26 et 28 janvier au Bonlieu (Annecy), 5 février au Théâtre de la Princesse Grace (Monaco), du 11 au 14 février à Amiens, 24 et 25 février à Narbonne, du 3 au 6 mars à Nancy, 10 et 11 mars à Albi, le 15 mars à Ajaccio, 19 au 21 mars au théâtre du Jeu de Paume (Amiens). Durée : 2h. 




« La Mouette » et « Oncle Vania » mettent le turbo

Ces deux mises en scène de Christian Benedetti avaient eu tellement de succès au Théâtre Studio d’Alfortville que l’Athénée les reprend pour une quinzaine de jours en alternance avant le départ de la troupe en tournée. La Mouette et Oncle Vania méritent l’engouement qu’elles ont engendré ces dernières années.

La Mouette dure 1 h 45, Oncle Vania 1 h 20. Cette brièveté n’est pas due à une découpe à la faux dans les phrases de Tchekhov, mais à un rythme vertigineux dans lequel nous plonge l’équipe. Pas le temps de s’ennuyer ! Dans les deux pièces, les personnages bondissent sur scène et parlent et piaillent jusqu’aux limites de l’inaudible (sans jamais s’y fourvoyer). Et afin de ne perdre personne en route, Benedetti a installé de longs moments de silence (parfois jusqu’à une minute) afin que chacun reprenne son souffle avant de repartir de plus belle.

Chaque comédien se plie au jeu sans le faire au détriment de la construction du personnage. Ils sont tous excellents. La doyenne, Isabelle Sadoyan (Marina dans Oncle Vania) en est la preuve (très!) vivante. On reste bouche bée par tant de maîtrise et d’humanité dans l’interprétation de chaque rôle. Chacun y allant de sa petite pointe de folie contenue, ou non … puisque la limite est franchie avec talent par Florence Janas dans La Mouette et Pierre Banderet dans Oncle Vania. Pour autant, la ruralité, l’esprit provincial des pères, l’idéalisme face au pessimisme (La Mouette), l’ennuie et la dureté de la vie poussant à un cynisme extrême (Oncle Vania) sont très présents et visibles dans les deux mises en scène.

Deux sujets différents et pourtant les deux pièces marchent avec force dans ces deux mises en scène très proches l’une de l’autre. Place est laissée à une scène presque vide. Quelques chaises, une petite estrade, quelques draps et la vodka font l’affaire. Un samovar indique le salon (Oncle Vania) et un tissu pendu sur un cadre indique la scène de théâtre (La Mouette).

Ce théâtre qui est utilisé dans son ensemble. Le hors champ est partie intégrante de la création. Et par ce procédé, le spectateur se sent au cœur de l’intrigue collégiale tchekhovienne. Grandiose.

Pratique : Jusqu’au 13 octobre (en alternance) au théâtre de l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19 ou sur http://www.athenee-theatre.com / Tarifs : entre 12 € et 32 €.

Mise en scène : Christian Benedetti

Avec :  La Mouette : Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Marie-Laudes Emond, Laurent Huon, Florence Janas, Xavier Legrand, Jean Lescot (ou Jean-Pierre Moulin) et Nina Renaux. Oncle Vania : Pierre Banderet, Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Florence Janas, Judith Morisseau, Isabelle Sadoyan.

Tournée :

La Mouette

  • Du 12 novembre au 1er décembre 2012, Théâtre-Studio (en alternance avec Oncle Vania), Alfortville
  • Du 11 au 13 décembre 2012 au NEST-Théâtre, centre dramatique national de Thionville
  • Le 11 janvier 2013 au théâtre Jean-Marais, Saint Fons
  • Les 14 et 15 janvier 2013 au théâtre Gérard-Philippe, Champigny-sur-Marne
  • Du 23 au 25 janvier 2013 à la Scène Nationale de Cavaillon
  • Le 26 janvier 2013 au Centre culturel La Ferme des Communes, Serris
  • Le 1er février 2013 à Ermont-sur-Scènes, Ermont
  • Le 2 février 2013 au Centre culturel des Portes de l’Essonne, Juvisy-sur-Orge
  • Du 5 au 9 février 2013 au Théâtre des Deux-Rives, centre dramatique régional de Rouen
  • Le 12 février 2013 au Tanit Théâtre / La Filature, Lisieux
  • Le 15 février 2013 au théâtre de Fontainebleau
  • Le 12 mars 2013 au théâtre de la Place, Andrézieux-Bouthéon
  • Le 2 avril 2013 au théâtre de Rungis
  • Le 4 avril 2013 au théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
  • Le 19 avril 2013 au Centre culturel Aragon-Triolet, Orly
  • Du 20 au 23 avril 2013 au théâtre de l’Ouest-Parisien, Boulogne Billancourt

Oncle Vania

  • Du 12 novembre au 1er décembre 2012 au Théâtre-Studio (en alternance avec La Mouette)
  • Du 24 au 27 octobre 2012 au théâtre de Beauvaisis – Scène nationale de l’Oise, Beauvais