1

[Théâtre] Quand le refuge se transforme en prison

Jules Sagot et Elsa Agnès dans « Après la fin » © Simon Gosselin

Le jeune metteur en scène, Maxime Contrepois, monte Après la fin d’après Dennis Kelly. Un drame psychologique d’une profondeur bluffante.

Mark vient de sauver Louise d’une attaque nucléaire, mais elle ne se souvient pas de la catastrophe. Pour se protéger des radiations, les deux survivants évoluent, cloîtrés dans un abri atomique. Entre refuge et prison, la scène devient le théâtre d’une cohabitation de plus en plus inhumaine.

Au cours de cette colocation forcée, on apprend à connaître Mark. Il est amoureux de Louise, mais elle en aime un autre. Insidieusement mais sûrement, un rapport de domination s’installe sous nos yeux. Sous l’homme attentionné, Mark révèle un garçon rejeté et blessé, qui exige qu’on l’aime. Un béton triste et froid enveloppe cette intrigue terrifiante. On peut parfois se surprendre à détourner le regard d’une scène trop dure. Comme pour se rappeler que l’on n’est pas dans le bunker avec les personnages. La trentaine à peine, Maxime Contrepois nous fait perdre nos repères. Un procédé aussi grisant que fondateur de la représentation théâtrale.

Une authenticité qui prend aux tripes

Dans cette pièce, Dennis Kelly évoque comment l’instinct de survie déshumanise. Mais Après la fin explore aussi le champ de la frustration, sociale et affective. Et peut-être surtout, comment elle explose dans un espace confiné. Pour son troisième spectacle, le jeune metteur en scène nous explique s’être emparé d’un texte où la « parole produit des situations ». Dès lors, il n’hésite pas à demander aux acteurs un « travail titanesque ».  Ils travaillent jusqu’au trouble, comme chez Krystian Lupa, pour se fondre dans leurs rôles. Elsa Agnès et Jules Sagot se glissent dans leurs personnages avec une authenticité qui nous prend aux tripes.

De grands bains noirs opaques scandent le spectacle avec un rythme impeccable. Ce travail de lumière est rondement mené par Sébastien Lemarchand. Le spectateur peut prendre le temps de se remettre d’un choc, ou de saisir l’ampleur de ce qui vient d’être dit. Alors qu’Après la fin prend pour toile de fond l’asservissement d’une femme, le rapport entre les sexes n’est pas l’unique sujet. Rejeté par un groupe à cause de sa différence, de sa difficulté à tisser un lien social, Mark est délicatement bercé de contradictions. Le monstre présenté dans la première partie du spectacle peut tout à fait attendrir dans les derniers instants. Maxime Contrepois place au coeur de son propos que « les salauds ne sont pas des monstres mais des êtres humains ». Un spectacle subtil, porté par une mise en scène délicate et puissante. 

Après la fin, de Dennis Kelly, mis en scène par Maxime Contrepois
Avec Elsa Agnès et Jules Sagot
Durée 1h30 environ
Dates de tournée à retrouver sur : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Apres-la-fin-24901/lesdates/




[Théâtre] Une Reprise d’intérêt public avec Milo Rau

« La Reprise. Histoire(s) du Théâtre(s) » de Milo Rau © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

S’approprier un drame, reprendre un procès, le monter au théâtre pour le rendre aux familles et l’offrir au public. Milo Rau fait tout cela dans son avant dernier spectacle qui tourne avec succès depuis Avignon dernier. La Reprise. Histoire(s) du Théâtre (I) est une création majeure, indispensable et forte.

Ihsane Jarfi est un homosexuel d’origine maghrébine. En avril 2012 à la sortie d’un bar, il est assassiné, au préalable torturé. Mais quel est le rapport entre ses origines, la crise de l’emploi à Liège et son attirance pour les hommes ? Milo Rau ne répond pas et pour cause, c’est toujours un mystère pour la famille et les juges. À l’époque du drame, toute la ville fut secouée et l’incompréhension quant au mobile des tueurs, inspire l’artiste suisse.

Si ce n’était pas arrivé, on aurait dû l’écrire tant ce fait divers est un nœud des maux de notre temps. Racisme, homophobie, désœuvrement des chômeurs, espaces publics dangereux, etc. Tout y est pour le drame dans sa forme ancestrale : inexplicable meurtre et abîmes de tristesse. Milo Rau s’en empare pour un théâtre du réel. D’un naturalisme cru, violent mais parfois drôle, cette dernière création est la première à faire suite au « Manifeste de Gand » (à retrouver dans l’article de Christophe Candoni sur Sceneweb).

Milo Rau propose un théâtre généreux. Un.e spectateur.trice exigent.e se rassasiera d’une œuvre quidécortique les rouages de la représentation ; se demandant, par exemple, comment débuter un spectacle ou bien l’achever ? Ou quelle distance est la bonne pour montrer la mort ? Mais les moins techniciens ne seront pas en reste grâce à un propos fort, parce que universel. Pourtant c’est bien un cas des plus particuliers qui est à l’origine de ce récit, à la mise en scène pointue et le ton faussement désinvolte. Plongés au cœur de la scène dans une expérience viscérale, on ne peut échapper aux questions qui nous tarraudent tout au long de la pièce.Milo Rau sur le fil, ravive d’un rythme impeccable, une tension nécessaire et d’intérêt général.

« La Reprise. Histoire(s) du Théâtre (I) » conçu et mis en scène par Milo Rau.
Au théâtre de Nanterre-Amandiers, jusqu’au 5 octobre 2018.
Autres dates de tournée sur https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/La-Reprise-Histoire-s-du-theatre-I/lesdates/




[Cinéma] Moi, Tonya

© Mars Distribution

Courte mais intense, la carrière de la patineuse Tonya Harding inspire tumulte et violence au réalisateur Craig Gillespie (Une Fiancée pas comme les autres ou The Finest Hour). Si Moi, Tonya ne semble ni savoir où aller ni quoi nous dire, c’est peut-être pour coller à l’image d’une héroïne paumée.

Tonya Harding c’est d’abord une petite fille qui ne se remettra jamais du départ de son père, elle se crèvera d’entraînement pour la seule chose qu’elle sait faire : patiner. Adolescente en lutte éternelle contre elle-même, elle va quitter très tôt une maison toxique. Malmenée par une mère qui la frappe, la rabaisse, elle se barre à quinze ans, barbelé sur les dents avec un mec violent qui la cogne, lui aussi. Si elle sait se défendre avec son effronterie, elle maquille ses bleus dont elle a tant besoin. On la bat et cela la booste, elle rappellera même Jeff, devenu son ex-mari, la veille d’un championnat, tant elle a besoin de coups pour se remotiver.

Mais pour qu’un scénario patine si lourdement, c’est qu’entre portrait, enquête, psychologie de comptoir ou simple tranche de vie, on ne sait pas où cela va. Qu’est-ce qu’un biopic qui balaie en trois dates et pas plus de scènes sur la glace, une carrière si houleuse ? Même si Margot Robbie excelle autant sur des patins que dans les baskets de la championne, l’histoire est trop brouillonne et part dans tous les sens. Sur une pseudo-rythmique d’allers-retours maladroits entre interviews de l’athlète et immersion dans son couple, le spectateur peut se perdre dans un film incomplet. L’envie irrépressible de trouver un documentaire sur la vie de la vedette peut être dérangeante car malgré le titre qui emphase sur le « moi » de Tonya, c’est plutôt sur le reste que la camera se braque. On sort peu renseigné de cette biographie satisfaite de la facette badass du personnage Harding.

L’explosion de sa carrière occupe à peine l’espace dans deux heures assez longues. Cinq minutes à l’écran pour ce coup de matraque qui secoua le monde du sport ainsi que toute la presse. Cela semble un poil court pour « l’affaire Harding-Kerrigan » que l’on ne présente plus, mais surtout mal jaugé pour l’instant fatidique qui fit basculer toute entière la vie d’une championne. Depuis qu’elle a trois ans elle s’exerce sur la glace mais c’est sur à Lillehammer qu’elle patinera hélas pour la dernière fois. Retour en 1994 quand les JO d’hiver se déroulaient en Norvège et que Tonya Harding amorçait son épreuve : le fameux programme court. Celle qui fut la première, femme et américaine à réaliser un triple axel est sous une pression monstre. Un lacet qui la gêne, elle demande au jury une seconde chance sur la piste : ils acceptent mais elle chute, et à plusieurs reprises. Dommage que Gillespie n’ait fait que survoler ce passage crucial… Trop déstabilisée par les soupçons qui pèsent sur elle et son entourage à propos de l’attaque de Nancy Kerrigan, adversaire éternelle, elle finira 10e. Alors que sa rivale blessée six semaines plus tôt décroche sur le podium la médaille d’argent, Harding est détrônée mais aussi démasquée comme complice dans cette histoire de coup-bas aux vestiaires.

Sans grande surprise alors un spectateur peut facilement se laisser aller à moult rebondissements. D’autant que le réalisateur ne manque pas de faire de l’humour, mais cela ne suffit pas pour que le film se tienne. Néanmoins on comprend, par un formidable finish, que la danseuse brutale va se reconvertir. Peu svelte sur la glace elle sautille sur un ring puisqu’elle choisit la boxe. Petite fille battue mais pas des moins robustes, on saisit (bien trop tard!) une femme inébranlable, et la boucle est bouclée.

« Moi, Tonya » de Craig Gillespie, sortie au cinéma le 21 février 2018

Tonya Harding : Margot Robbie (sélectionnée pour l’Oscar de la meilleure actrice)
LeVona Fay Golden : Allison Janney (Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle)
Jeff Gilooly : Sebastian Stan

 




[Théâtre] Juste la fin du monde au Théâtre de Verre

Photo : Victoria Sitja

En avril dernier, Victoria Sitjà nous avait éblouis pour sa mise en scène des « Trois Sœurs » de Tchekhov, et sa capacité remarquable à créer, sans moyens, de très belles images. Elle nous a marqué également par son idée d’aborder les questions de l’héritage et de la nostalgie à travers une trilogie composée à partir d’auteurs et de messages différents. Pour continuer ce travail, elle a mis en scène « Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, s’inscrivant ainsi autant qu’elle se détache de l’actualité autour de cette pièce.

« Je décidais de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le voyage », dès les premiers mots de Louis, la question de l’héritage chère à Victoria Sitjà est palpable. On ne cesse jamais de découvrir sa propre famille. À chaque retour chez soi, qui ne se rend pas compte que ces personnes qui nous élèvent ne nous connaissent finalement que peu ?

Le dispositif bifrontal, qui place toute l’action sur la longueur, bien que nous offrant l’excitante position de voyeur, ne porte pas toujours ses fruits dans les effets attendus par le spectateur. Parfois, la famille autour de Louis apparaît telle une brochette, figée, comme tenue par un pique. Une lecture carnassière de l’origine de Louis ? Ce parti pris souligne néanmoins la solitude évidente d’un héros isolé de par le regard de sa propre famille. À plusieurs reprises, le rythme des scènes le laisse à l’écart, en quelques échanges, il se retrouve seul si bien que les glissements vers les monologues se font avec fluidité. Autour de lui, les mots fusent, ils sont coupés, mâchés, débités, le dire des autres personnages crée une musique qui assaille, surcharge les épaules de Louis qui est le seul à parler posément. La mise en scène concoure toujours à renforcer cet effet. Dès que Louis est en famille, les lumières clignotent, les scènes s’enchaînent de même que le choix des musiques effectués par Victoria Sitjà qui nous donne à voir des images spectaculaires allant directement contraster avec les moments de solitude du héros qui, pour autant, sont particulièrement esthétiques. On se souvient par exemple de la famille qui, d’une marche synchronisée, soulève l’estrade depuis laquelle Louis déclame ses souffrances, annonçant le cortège funèbre prochain. À plusieurs reprises, la jeune metteure en scène réussit à nous saisir par ses tableaux devançant le texte et défiant l’action à venir.

On est marqué par le jeu classique d’Alexandre Risso (Louis), il contraste avec une Suzanne touchante, sincère, dont le rôle nous rappelle celui de Macha dans les « Trois Sœurs » où la comédienne s’était déjà illustrée. Mais la plus marquante, celle qui le mieux « cherche la vérité de son personnage, et arpente la réalité onirique de la représentation qu’elle crée », pour reprendre les mots de Krystian Lupa, reste la mère, vécue plus qu’incarnée par Dorothée Le Troadec, si jeune mais évoquant pourtant tant d’expérience, elle marque l’ensemble de la troupe par la puissance de son talent.

Par les contrastes dans le jeu et la plus grande simplicité de la mise en scène « Juste la fin du monde » marque une étape, certes moins aboutie que « Les Trois Sœurs », mais qui trouve une logique dans le travail en cours de Victoria Sitjà. Une étape qui accroit notre désir de découvrir cette trilogie dans son ensemble.

« Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Victoria Sitjà, au Théâtre de Verre en décembre 2016.




« Scènes de violences conjugales » à la Tempête : Du geste amoureux à la première claque

img_0143
Photo : Mandarine.

Après deux ans de travail d’enquête au côté d’associations, de victimes et une immersion dans la lutte associative et judiciaire mise en place contre les violences conjugales, Gérard Watkins a écrit et mis en scène « Scènes de violences conjugales », oeuvre semi-fictive actuellement au Théâtre de la Tempête. Entre écriture de plateau et sujet proche du fait divers, le metteur en scène crée un spectacle saisissant pour comprendre et lutter contre la montée du geste violent au sein du couple et par extension, d’identifier les victimes directes et indirectes de ces violences, à commencer par les femmes, puis les enfants.

Sur un plateau en forme de triangle inversé donnant lieu à un espace tri-frontal et sans décor, entre d’abord une jeune femme qui prend place derrière une batterie, l’instrument surplombe la scène et n’aura de cesse de ponctuer la pièce, suggérant dès le départ une atmosphère marquée par la violence du geste.

Quand Annie rencontre Pascal, elle est en situation de précarité, elle vit chez ses parents et enchaine les entretiens ratés, notamment à cause du RER, toujours en retard. Pascal, sur le même quai qu’Annie, est un photographe dans une situation plus aisée, même s’il enchaine les échecs. D’un autre côté, Rachida est une jeune étudiante musulmane qui vit dans une cité, elle est dans un contexte familial compliqué quand elle rencontre Liam, jeune homme venu de Châteauroux sans rien sinon le désir d’une vie stable. De là, les couples emménagent ensemble chacun de leur côté, bercés par les idéaux d’une vie commune heureuse qui leur ferait échapper à leur passé et non reproduire leurs souffrances.

Avec beaucoup d’habilité et des comédiens bouleversants de spontanéité, Watkins plonge le spectateur dans le quotidien des personnages pour lesquels on se met à craindre le pire. Grâce à la création sonore et lumineuse, on guette le basculement dans la violence, impulsé par un quotidien qui, d’une certaine manière, pourrait être le nôtre. De Rachida qui ne sait pas aider Liam à monter une étagère Ikéa à Annie qui oublie comment on fait une mayonnaise, une tension s’installe, jusqu’à frôler l’insoutenable. Les femmes, en dépit de leur incompréhension, prennent le rôle de victime, une condition dont elles ne sortiront qu’après avoir vécu le pire, ce sera la perte d’un enfant pour l’une, et l’envie de disparaître pour l’autre.

Gérard Watkins parvient alors à créer un spectacle coup de poing qui invite à repenser le secours donné aux victimes et le manque de moyens déployé pour prévenir les heurts quand on sait que beaucoup de personnes violentes ne font que reproduire ce qu’elles-mêmes ont déjà subi. Lorsqu’on sait que rien qu’en France, quelques 143000 enfants vivent dans un foyer où des violences ont déjà été signalées, et qu’une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Par une fiction au plus près de la réalité et d’une actualité quotidiennement ponctuée par ce genre de faits dramatiques, « Scènes de violences conjugales » est un spectacle qui peut être salué pour le silence qu’il permet de lever, sinon de rompre.

« Scènes de violences conjugales », texte et mise en scène de Gérard Watkins, du 11 novembre au 11 décembre 2016 au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur https://www.la-tempete.fr/




Avignon IN 2016 – Collection Lambert : « Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat » : l’œuvre fait preuve

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Le 4 novembre 1995 à Tel-Aviv, après avoir prononcé un discours à l’occasion d’une manifestation pour la paix, Yitzhak Rabin, alors premier ministre d’Israël, est assassiné à bout portant de deux balles dans le dos par un étudiant juif israélien opposé aux accords d’Oslo conclus en 1993 à Washington. Depuis 2015, l’architecte et cinéaste israélien Amos Gitaï travaille sur cet événement qui a enterré le dialogue entre Israël et Palestine et a durablement marqué l’histoire du Moyen-Orient.

C’est d’abord par la réalisation d’un film-enquête intitulé Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin présenté à la Mostra de Venise et au Festival international du film de Toronto l’an passé que le travail de Gitaï a pris forme. À Avignon depuis le 3 juillet, le regard porté sur la mort du prix Nobel de la paix de 1994 trouve sa continuité et évolue sous la forme d’une exposition à la Fondation Lambert qui se tient jusqu’au 6 novembre, et qui porte le même titre qu’un spectacle présenté à la Cour d’Honneur du Palais des Papes le 10 juillet : « Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat ». Sous forme de triptyque et par un recours à tous les arts mêlant le documentaire à la fiction, Amos Gitaï construit une œuvre critique profondément engagée, universelle et optimiste, en grande partie élaborée à partir des souvenirs de Leah Rabin, la veuve de Yitzhak.

Fils de Munio Gitaï Weinraub, Amos Gitaï reconnaît avoir été influencé par les « perceptions artistiques » de son père qui était architecte mais surtout juif, il s’était fait expulser d’Allemagne par les Nazis en mai 1933 alors qu’il étudiait au Bauhaus à Dessau, son fils en a fait un film sous forme de diptyque plus largement consacré aux deux parents entre 2009 et 2012. S’il a fait des études d’architecture et suivi les traces de son père, c’est après s’être engagé dans la guerre du Kippour en 1973, où il est blessé par un missile syrien, qu’il se lance dans la réalisation de documentaires. Rapidement, ses travaux sont marqués par des recherches théoriques et expérimentations formelles avec la caméra auxquelles il renonce dans ses œuvres consacrées à Yitzhak Rabin. Fasciné par la reconstitution d’une mémoire à partir de fragments d’histoire, Amos Gitaï entend refléter à travers des prismes artistiques aussi différents mais peu éloignés que le film documentaire, le théâtre et les arts plastiques l’impact de l’assassinat politique de l’homme d’État. Pour l’artiste, le parti pris est constant aux trois propositions, il faut installer une relation entre tous les documents qui ont servi aux recherches, à savoir la vidéo, des éléments sonores, des toiles, des sculptures de céramique, des témoignages, des correspondances… Amos Gitaï n’envisage pas une œuvre d’art sans son contexte, il écrit d’ailleurs ceci « Je comprends qu’il n’est pas possible de faire un travail artistique sans contexte. Sans contexte à la fois artistique et politique ». Alors que le film, long de près de trois heures, est un montage d’images d’archives, de manifestations, d’interviews et de scènes reconstituées par des acteurs, l’hommage continue dans une forme similaire sur les planches.

« Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat » a effectivement été le fait d’une seule et unique représentation le 10 juillet au soir, à l’occasion du Festival d’Avignon qui cette année plus que jamais revendique un choix de spectacles très politiques en prise avec l’actualité comme avec Les Damnés, Ceux qui errent ne se trompent pas en proposant tout particulièrement un focus Moyen-Orient avec des pièces comme Alors que j’attendais du metteur en scène syrien Omar Abusaada. Sur l’immense scène de la Cour d’Honneur et sur un mode récitatif, Amos Gitaï a mis en scène le récit de l’assassinat à partir d’une fable très factuelle saisissante de sobriété et de retenue portée par l’actrice israélienne Hiam Abbass et la française Sarah Adler, qui avait déjà collaborée avec le réalisateur en 2014 pour Tsili. Assises autour d’une table imposante qui renvoie l’image d’un bureau ministériel, les actrices semblent lire un manuscrit qu’elles ne lâchent pas, même lorsqu’elles se lèvent et ne bougent plus lors de la scène finale. Porté par une voix si grave et l’accent arabe de Hiam Abbass, le texte prend vie, résonne et se heurte à des images d’archives du fameux jour de l’assassinat de Yitzhak Rabbin ainsi que de manifestations pour et contre la réconciliation d’Israël et de la Palestine projetées sur tout le mur du Palais des Papes surmontant la scène. Noyé dans ces images silencieuses, le public est simultanément interpelé par deux musiciennes jouant du violoncelle et du piano ainsi que par un chœur foulant sans cesse une platebande de graviers pour un effet sonore tout à la fois captivant et écrasant. Poignant mais toujours esthétique et poétique, le spectacle qu’Amos Gitaï est venu présenter en personne avant la représentation n’est jamais seulement documentaire, si bien que l’hommage trouve naturellement son écho dans l’exposition présentée à la Fondation Lambert en Avignon.

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Arrivé au pouvoir en tant que premier ministre et chef du parti travailliste en 1992, Yitzhak Rabin avait encouragé, conjointement avec Bill Clinton, une autonomie palestinienne à peine un an plus tard. Mais dans la foulée, bien que les accords signés par Rabin aient été historiques, les partis d’extrême droite ont déstabilisé le pouvoir et perpétré de nombreux attentats à l’encontre de Rabin. Deux mois avant d’être assassiné et remplacé par Benyamin Netanyahou qui veut maintenir Israël au contrôle permanent de la Cisjordanie, Yitzhak Rabin prévoyait un découpage de territoires palestiniens remettant en question les zones de contrôles d’Israël. Le projet n’aboutira pas, de nombreuses théories du complot ont d’ailleurs été avancées concernant le jour de l’assassinat, et le rapport qui avait réuni plus de 4000 témoignages réalisé à l’issue de l’événement n’a jamais été entièrement publié. Si la pièce de théâtre était centrée sur l’homme d’État et de paix, l’exposition mêle davantage la fiction en s’annonçant dès l’entrée comme un « geste artistique inspiré d’un événement traumatisant ». À travers trois grandes salles sombres aux fenêtres condamnées, la scénographie est répétée à l’identique sur un mode ternaire. Le plus frappant vient du fait que le public est plongé dans une ambiance sonore qui ne laisse aucune chance au silence là où l’espace lui, célèbre le vide et l’obscurité ; comme au théâtre, une tension subsiste entre documents papiers et vidéos, réels et fictionnels.

amos-gitai_xl

Pour faire de la mémoire un agent du changement, Amos Gitaï a couvert les murs de photographies de grands formats donnant à voir des mouvements de foules floutés en noir et blanc, toutes portent le titre de « chronique fragmentée », toutes sont une pièce d’un puzzle politique morbide. Chaque salle participe à la reconstitution de l’assassinat et fait penser à une place vide prête à accueillir une manifestation, tout en faisant répondre à ces photographies sous vitres reflétant le visiteur comme invité à prendre part au mouvement visuel et sonore, un écran géant où des images sont projetées à grande échelle. Dans ce chevauchement sensoriel, les images prennent vie et les sons deviennent visuels, véritable acteur, le visiteur est confronté à ces œuvres qui font preuves. Le rôle et la force des images est d’autant plus mis en question qu’en dessous de ces mouvements anti-Rabin et Palestine sont présentées deux vitrines dans lesquelles des petites figurines de céramique sont elles-mêmes filmées et superposées aux images d’archives, ces petits bonhommes incarnent pour leur part une marche pour la paix qui ne bouge pas, ils sont des « Demonstrators at the peace rallye ». Face à ces modèles réduits anthropomorphiques blanchâtres comme englués là, restés coincés en 1995, on est appelé à envisager la paix comme toujours possible, toujours dormante. Aux mots et beaux discours se heurtent des révolutions silencieuses, le message d’Amos Gitaï est plein d’espoir : et si les gestes artistiques devenaient aussi forts que les balles ?

À retardement, l’art pourrait ressusciter la mémoire, entamer des mouvements et face à un pouvoir qui condamne ce qu’il considère comme dissident, Amos Gitaï propose de condamner le pouvoir, d’élaborer une stratégie sensorielle et artistique totale qui changerait la réalité. À travers cet espace d’exposition, un soulèvement semble urgent face à la reconstitution de cette histoire stagnante et la monstration des étapes de dégradation de l’événement. L’artiste a conscience qu’il ne s’agit pas du plus grand conflit du monde, là où les médias se sont tus, l’art se réveille et en restitue la force symbolique. Israël n’est pas seulement un territoire en conflit permanent, c’est aussi un lieu qui a vu naître trois religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam, occupé par une politique de mitraillettes. Que ce soit face au film, au spectacle ou dans cet espace d’exposition, le public est certes nourri d’images, pour autant, Amos Gitaï entend faire du visiteur un interprète légitime de tous ces matériaux. Plus qu’un simple consommateur du travail de l’artiste, entre correspondances de sa mère durant la seconde guerre mondiale et photographies découpées et accolées aux murs comme des meurtrières ouvertes sur la foule, c’est au public qu’il incombe de « faire l’histoire ».

Pour venir à bout de ce triptyque, Amos Gitaï a annoncé préparer un livre qui ferait office de synthèse, parce que les mots restent. À travers tous les médiums possibles, l’artiste et réalisateur ébranle l’Histoire, nous montre des frontières poreuses entre réalité et fiction, entre les objets et les images. À une époque de mise en crise des médias et de la banalisation des conflits, pour Amos Gitaï l’art peut encore servir la résurrection de l’oubli historique. Comme disait Christian Boltanski, l’artiste peut et doit poser des questions, à la différence de nombreux philosophes, politiciens ou historiens, il est celui qui ne pense pas avoir de réponses, qui ne pose plus de questions en mots, « mais avec des émotions visuelles ou sonores ».

Amos Gitaï, « Chronique d’un assassinat annoncé », jusqu’au 6 novembre 2016 à la Collection Lambert en Avignon musée d’art contemporain, plus d’informations ici : http://www.collectionlambert.fr/7/expositions/en-cours.html

L’exposition a fait écho à la présence d’Amos Gitaï au Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur le 10 juillet 2016 pour son spectacle intitulé « Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat »




Avignon OFF 2016 : « Grisélidis », confessions d’une prostituée humaniste

Photo : Jean-Erick Pasquier
Photo : Jean-Erick Pasquier

Seule en scène, Coraly Zahonero – de la Comédie-Française – pour son premier Festival d’Avignon incarne l’écrivain-poète-prostituée militante Grisélidis Réal (1929-2005), après des mois passés à lire ses livres, correspondances, rencontrer et sa famille, et des prostituées pour élaborer son personnage pour une prestations saisissante.

Dans un décor intimiste composé d’un lit, d’un paravent et d’une coiffeuse, Coraly Zahonero économise ses gestes mais pas ses mots, ponctués de temps à autres par la saxophoniste Hélène Arntzen et la violoniste Floriane Bonanni. Son discours semble donné à vif et retrace la vie de la femme, des moments passés avec ses clients à son activisme pour la « Révolution des prostituées », militante jusqu’aux Nations Unies. Si les mots sont parfois durs et peuvent sembler crus, c’est que Grisélidis s’est caractérisée par sa défense publique de la prostitution qu’elle considérait comme un acte d’humanisme. Par des récits de moments passés avec ses clients les plus étranges, l’actrice parvient à dresser une sorte de bestiaire du métier et à injecter de l’humour dans une prestation qui reste grave. Grave non pas pour la prostituée, mais pour le regard qu’elle jette sur le monde et sur la détresse des hommes dépêchés dans son lit pour qui le bonheur réside dans la chaleur d’une femme.

Après tout, qu’est-ce qu’une putain ? Au-delà de l’image de déchéance que notre société colle à la prostitution, pour Grisélidis se prostituer était une manière de venir en aide aux hommes, de comprendre la souffrance de l’autre et de faire preuve d’humanisme. Partant de son enfance massacrée par une mère moralisatrice à outrance, la comédienne tient un discours piquant sur la politique et la religion qui fait du public une assemblée d’iconoclastes prêts à entendre que « Dieu est un con », et que l’hypocrisie du créateur doublée de la morale judéo-chrétienne qui sous-tend notre monde si manichéen a assassiné la sexualité. Même si Grisélidis reconnaissait se sentir piétinée après des nuits passées avec ces hommes à qui elle volait parfois un orgasme, elle était là, socialiste convaincue pour les expulsés de l’humanité. Tout de noir vêtue, marquée par des lumières rouges chaleureuses, Coraly Zahonero touche par sa sincérité et rend un hommage vibrant à l’auteure de « Le Noir est une couleur », pour qui le sexe ne menait pas à la petite mort, mais au contraire, à la grande vie.

Grisélidis, d’après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française et Hélène Arntzen (saxophones), Floriane Bonanni (violon).

Festival d’Avignon, Théâtre du Petit Louvre, 13, rue Saint Agricole, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les 14, 21 et 28, 18h15, durée 1h15.




« Visages de l’effroi » : entrevoir la beauté où le sang a coulé

Emile Signol (1804-1892), La Folie de la fiancée de Lammermoor, 1850, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts, Tours © D. Couineau/ musée des Beaux-Arts de Tours
Emile Signol (1804-1892), La Folie de la fiancée de Lammermoor, 1850, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts, Tours © D. Couineau/ musée des Beaux-Arts de Tours

Se replaçant au sein d’une généalogie événements culturels à succès, tels « Géricault, la Folie d’un monde », « L’Europe des esprits », « L’Ange du Bizarre » ou encore « De l’Allemagne », cette exposition d’apparence séduisante et prometteuse, entend dévoiler un pan artistique du XIXème siècle, bien souvent éclipsé par la révolution impressionniste. Née de la collaboration entre le Musée de la Vie Romantique et le Musée de la Roche-sur-Yon, « Visages de l’effroi » explore les tréfonds et méandres du romantisme fantastique français, entre passions révolutionnaires, onirisme désenchanté et crainte de l’au-delà. Pour autant, devant ces maudits aux visages hallucinés, et face à cette fureur de chair et de sang, on peine à déceler la véritable cohérence derrière la fascination qu’exercent assurément de tels motifs. Au sortir de tant d’abominations, saura-t-on mieux définir l’effroi ? Aura-t-on perçu l’inventivité des Romantiques français face à leurs contemporains anglais et allemand ? Rien n’est moins certain.   

Charles Brocas, Le supplice de Prométhée, 1830, huile sur toile, Paris, Collection particulière. Visuel : http://www.montmartre-secret.com/
Charles Brocas, Le supplice de Prométhée, 1830, huile sur toile, Paris, Collection particulière. Visuel : http://www.montmartre-secret.com/

Dans cet écrin sombre et épuré aux tonalités violines, l’œil du visiteur en quête d’épouvante se pose dès l’entrée sur une toile singulière : celle de Charles Brocas, Le supplice de Prométhée. Menaçante, funeste mais non moins intrigante, elle s’élève à elle seule comme symbole de la chute héroïque, vision romantique du géant déchu s’opposant aux illustres héros antiques, célébrés par les peintres néoclassiques. Suivant les théories énoncées en 1764 dans Histoire de l’art de l’Antiquité par Johann Joachim Winckelmann, toute composition doit mettre en exergue une esthétique propre à susciter la grandeur d’âme, la noblesse des émotions, et une quiétude certaine. Une norme pleine de convenance, dont la représentation picturale des épisodes moraux de l’histoire antique s’accommode parfaitement.

Lenepveu, Jules-Eugène (1819-1898), La Mort de Vitellius, 1847, huile sur toile, Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux-arts © Beaux- arts de Paris. Dist. RMN Grand-Palais / image Beaux-arts de Paris
Lenepveu, Jules-Eugène (1819-1898), La Mort de Vitellius, 1847, huile sur toile, Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux-arts © Beaux- arts de Paris. Dist. RMN Grand-Palais / image Beaux-arts de Paris

Pour autant, l’émancipation d’une telle bienséance devient pour certains artistes, gage d’une notoriété nouvelle. Dès lors, le Salon de 1827 marque cet affranchissement où le déchaînement de violence conteste avec force l’esthétique tempérée des Néoclassiques. Quelques années plus tard, comme une ultime défiance, Jules-Eugène Lenepveu remporte le Prix de Rome de 1847, grâce à La Mort de Vitellius. Quelle expressivité peut-on lire sur ces visages criminels, quelle animosité dans leurs regards, et cette souffrance effroyable dans les prunelles de Vitellius…les limites académiques sont à présent allègrement franchies.

Mais la chute des héros prend avant tout racine dans les affres de la Révolution française. De la Terreur, dominée par l’arbitraire des exécutions brutales et massives, à la création de la guillotine, en passant par un renouvellement de l’ordre politique, tout caractérise une période où les corps et les âmes ont immanquablement soufferts. De ces bouleversements, pamphlets et caricatures satyriques sont les messagers : ces visions d’horreur et cet imaginaire macabre s’exposent à travers le motif des têtes coupées, symbole victorieux par excellence de l’effondrement de la monarchie. L’aquatinte de Louis-Jules-Frédérique Villeneuve – Matière à réflexion pour les jongleurs couronnées (sic) – est éminemment représentative de cette condamnation du pouvoir.

tête coupée
Louis-Jules-Frédérique Villeneuve, (1796-1842), Matière à réflexion pour les têtes couronnées, sans date, aquatinte sur papier, Paris Musée Carnavalet © Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Émile Mascré (actif à Paris vers les années 1830-1840), "Capet, Lève-toi !," 1833-1834, huile sur toile. Musée de la Révolution française / Domaine de Vizille © Coll. Musée de la Révolution française / Domaine de Vizille
Émile Mascré (actif à Paris vers les années 1830-1840), « Capet, Lève-toi !, » 1833-1834, huile sur toile. Musée de la Révolution française / Domaine de Vizille © Coll. Musée de la Révolution française / Domaine de Vizille

Mais dans cette atmosphère glaçante, quelques représentations à rebours émergent, vaines défenses d’une hégémonie royale qui n’est plus. Émile Mascré dans sa très belle toile Capet, Lève-toi !, dépeint avec force les mauvais traitements infligés par des bourreaux au Dauphin – le jeune Louis XVII, lors de son incarcération à la Prison du Temple. La candeur de l’enfant et sa pâleur fantomatique, marquent le contraste avec ses sombres geôliers qui chaque nuit le tourmentent.

Dans la même veine, Pierre Puvis de Chavannes s’épanche sur l’histoire de  Mademoiselle de Sombreuil, jeune femme noble durant la Révolution qui, selon la légende, fut forcée de boire un verre de sang pour sauver son père. Mis en poème par Victor Hugo près de trente années plus tard, cet évènement culmine comme la métaphore de l’innocence brisée par la cruauté des hommes :

« Ô jour où le trépas perdit son privilège,

Où, rachetant un meurtre au prix d’un sacrilège,

Le sang des morts coula dans son sein virginal !

Entre l’impur breuvage et le fer parricide,

Les bourreaux poursuivaient l’héroïne timide

D’une insulte funèbre et d’un rire infernal ! » *

Léon Cogniet (1794-1880), Tête de femme et d’enfant, Esquisse pour la Scène du Massacre des Innocents, vers 1824, huile sur toile, Orléans, Musée des Beaux-Arts © Musée des Beaux-Arts
Léon Cogniet (1794-1880), Tête de femme et d’enfant, Esquisse pour la Scène du Massacre des Innocents, vers 1824, huile sur toile, Orléans, Musée des Beaux-Arts © Musée des Beaux-Arts

Plus encore, comme un rejet face à l’horreur de ces corps mutilés, offerts par les révolutionnaires sur l’autel de l’athéisme et du renversement de l’ordre établi, éclôt une nouvelle iconographie du sacrifice. Fers de lance de cette empathie picturale, femmes et enfants deviennent l’incarnation exaltée du drame qui se joue : Victor Huguenin sculpte des têtes et bustes de la scène du Massacre des Innocents ;  Xavier Sigalon esquisse une furieuse mais néanmoins admirable Athalie ordonnant le massacre des enfants de la race royale de David ; quand Léon Cogniet peint sa captivante Tête de femme et d’enfant, où une mère tente en vain de cacher son nouveau-né aux soldats, étouffant désespérément ses cris.

Puis, vient le moment de sombrer dans un autre versant de la violence : celui du fait-divers et du mélodrame. Délaissant une muséographie violacée au profit d’une atmosphère plus dynamique, scènes de crimes et membres disloqués se succèdent dans un tourbillon de dépouilles affolant. D’un côté de la pièce, se déroulent les étapes de la célèbre affaire Fualdès, de la rue Transnonain ou de l’Auberge rouge. Témoignages sordides, procès à rebondissements, récits de corps estropiés ou donnés en pâture aux cochons, déchaînent l’opinion publique qui se rue sur les pamphlets et journaux foisonnant de détails. Les artistes comme Théodore Géricault, en quête de modernité et de compositions à même de traduire le sensationnel, n’hésiteront pas à s’emparer de ces histoires funestes, mais terriblement fascinantes. On retrouve d’ailleurs avec plaisir, un accrochage de quelques études et morceaux anatomiques du peintre : équilibre fragile des sensations, oscillant entre crudité macabre et esthétique de ces membres entrelacés.

Théodore Géricault (1791-1824), Etude de pieds et de mains, 1818-1819, huile sur toile, Montpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Agglomération – cliché Frédéric Jaulmes
Théodore Géricault (1791-1824), Etude de pieds et de mains, 1818-1819, huile sur toile, Montpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Agglomération – cliché Frédéric Jaulmes

Comme un pendant fictionnel à ces crimes crapuleux vécus par la population, se tissent les intrications passionnelles et théâtrales des mélodrames. Victor Hugo, dès sa préface de Cromwell en 1827, pose les bases d’un romantisme littéraire où le beau et le sublime, sont désormais indissociables de la laideur et de la monstruosité ; tandis que les œuvres de William Shakespeare, en pleine redécouverte, deviennent une source d’inspiration majeure pour les artistes du XIXème siècle. Eugène Delacroix, dans pas moins de vingt toiles, déclinera la tragédie des Amants de Vérone dans Roméo et Juliette devant le tombeau des Capulets, ou la fatale destinée du Maure de Venise et son infortunée épouse dans Desdémone maudite par son père.

Eugène Delacroix (1798-1863), Roméo et Juliette devant le tombeau des Capulets, huile sur papier marouflé sur toile, Paris, musée national Eugène Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot
Eugène Delacroix (1798-1863), Roméo et Juliette devant le tombeau des Capulets, huile sur papier marouflé sur toile, Paris, musée national Eugène Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

D’autres, à l’instar d’Emile Signol, se tourneront vers Walter Scott et son roman La Fiancée de Lammermoor, dans lequel la jeune Lucy Ashton poignarde à mort son époux, avant de sombrer dans la démence. Progressivement, un déplacement d’intérêt de la part du public est perceptible : lassé d’une héroïsation factice où l’homme est porteur de valeurs glorieuses et inaltérables, c’est à des personnages en proie à leurs démons et soumis à l’inéluctable qu’il veut à présent s’identifier.

Enfin, pour accéder aux tréfonds de l’âme et à l’au-delà, c’est par un petit escalier en colimaçon qu’il faut s’aventurer. Exigu et retors, il débouche sur une salle plongée dans une semi-obscurité, aux murs grenat et à l’intimité feutrée : le romantisme noir se dévoile dans un dernier souffle.

Inspirée du succès des romans gothiques anglais du XVIIIème siècle, l’iconographie puisant sa force dans l’occulte, les fantômes et les créatures fantastiques, ne tarde pas à se développer chez les artistes français. Versant dans une esthétique macabre et torturée, le motif de la femme envoûtante adepte de sorcellerie, côtoie en miroir celui de la jeune vierge enlevée par des figures repoussantes et démoniaques. Parallèlement, les Poèmes d’Ossian créés de toute pièce par l’Ecossais James Macpherson, rencontrent un fabuleux succès littéraire. Présentés par leur auteur comme des textes médiévaux inédits et narrant les exploits du jeune héros gaélique Fingal, les artistes – tel Jean Auguste Dominique Ingres, y ont puisé une inspiration guerrière et sentimentale aux accents chimériques, s’éloignant enfin de la tradition gréco-romaine.

Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Le Songe d’Ossian, 1866, graphite, lavis d’encre de Chine et rehauts de blanc sur deux calques, Montauban, musée Ingres (déposé par le département des arts graphiques du musée du Louvre) ©Montauban, musée Ingres/Cliché Guy Roumagnac
Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Le Songe d’Ossian, 1866, graphite, lavis d’encre de Chine et rehauts de blanc sur deux calques, Montauban, musée Ingres (déposé par le département des arts graphiques du musée du Louvre) ©Montauban, musée Ingres/Cliché Guy Roumagnac

Ainsi, qu’est-ce que l’effroi ? Une sourde violence assouvie sans entrave ? Des paysages désolés où la brume est maîtresse en ces lieux ? Ou l’angoisse poignante des spectres qui rôdent ? L’exposition peine à définir clairement les concepts qu’elle entend soulever, et l’on ressort au fond, un peu perdu : si beaucoup de cadavres s’étalent sur ces cimaises empourprées, est-ce à dire que l’on a embrassé toute la complexité de ce sentiment ? Devant le constat d’une utilisation indifférenciée des termes macabre et morbide, alors qu’ils n’en recouvrent pas le même sens, ou d’un parcours qui mêle réalité terrestre et monde de l’au-delà sans véritable transition, on peine à y voir clair. Face à des êtres vaincus par la folie ou cédant à des passions dévorantes, quelle définition de l’effroi retenir, quelle vision affronter ? Certes le sujet est obscur, mais une plus grande clarté du discours aurait été appréciable. A l’enthousiasme originel, succède donc une appréciation pondérée : une perpétuelle hésitation entre deux mondes, à l’image du chemin traversé.

…    

* Victor Hugo, Œuvres complètes : Odes et Ballades. Essais et Poésies diverses. Les Orientales, Ollendorf, 1912.

Thaïs Bihour

« Visages de l’effroi » – L’exposition se tient jusqu’au 28 février 2016 au Musée de la Vie Romantique. Plus d’informations sur http://www.vie-romantique.paris.fr/fr




« La Révolte » ou la vie

Depuis son XIXe siècle natal, « La Révolte » d’Auguste Villiers de l’Isle-Adam nous crie toute sa modernité flamboyante au visage, grâce à la mise en scène toute en tension de Marc Paquien. De prime abord, rédigée comme une critique de la bourgeoisie financière de son époque, la pièce s’avère représenter le sursaut de vie d’une épouse, portée par Anouk Grinberg, femme brillante et puissante.

© Pascal Victor-Artcomart
© Pascal Victor-Artcomart

Celle-ci a subit un mariage par contrat et se retrouve ainsi prisonnière, « mariée, mais pas unie à son époux ». Consciencieuse, elle est soumise à la tenue des comptes de l’affaire familiale 10 heures par jour. Elle prépare secrètement son échappée du « monde réel » dans lequel elle est enfermée depuis plus de quatre ans. Lors de la rupture, elle adopte l’attitude d’une employée qui quitte un patron abasourdi, en présentant les comptes faits et les affaires en ordre.

Le mari (Hervé Briaux) est l’archétype du bourgeois de la Troisième République, la face la plus sombre d’un personnage échappé d’un Feydeau. Il est dur, opportuniste et catégorique ; ne laissant aucune chance de s’exprimer à ceux qui l’entourent par ses discours d’intentions réactionnaires. Il est l’obscène que l’on aime haïr. Quand elle le quitte, hurlant qu’elle « veut vivre », le mari tombe des nues. Pour lui, c’est impossible, elle doit juste avoir une poussée d’hormones ! Il est alors une sorte de Jacques-Henri Jacquard face à Jacquouille la Fripouille dans « Les Visiteurs », mais nous sommes ici dans un drame : le départ de sa femme lui causera une attaque. Non pas parce que cela lui déchire le cœur, mais parce qu’il y a une faille dans le « monde réel » où il vivait jusque-là.

Les « braves gens » sont les principales victimes de cette satire. Ces bourgeois qui se cachent derrière de bons principes pour commettre des actes ignobles – ici, déloger une famille d’un appartement insalubre dans le but de gagner 3000 francs. Plus la pièce avance, plus la tension augmente. La relation entre les protagonistes est tendue et ironique. Il semble qu’un courant d’air pourrait venir briser cette mise en scène d’une grande finesse faisant ressortir parfaitement les enjeux entre les personnages. La femme revendique avoir « payé sa dette sociale » en restant avec son mari, travaillant pour lui et lui donnant une descendance. Maintenant, ça suffit. Plus qu’un couple qui se déchire ici, on est dans une confrontation entre réactionnaires et novateurs épris d’une liberté somme toute humaine. Elle veut casser le monde qu’elle connaît bien. Choquante, la pièce se termine dans un cynisme glaçant : une fois cet univers brisé, où aller ? A peine partie, la femme reviendra pour reprendre cette vie qui ne peut rien lui offrir d’autre. Fanée, c’est le « monde réel » qui l’a détruite, non sans avoir fait germer une profonde empathie envers ce personnage dans le cœur et les consciences des spectateurs.

Outre un propos prenant, le travail de Paquien est splendide et dans un temps juste, laissant aux silences la place qu’il faut pour s’exprimer – et cela peut durer plusieurs minutes. Dans ce décor minimaliste – un bureau et trois fauteuils devant un immense rideau – la lumière toute en clair-obscur et la musique sont des composantes capitales à la beauté des images. Dans « La Révolte », l’ambiance est sombre et angoissante comme une promenade à travers une vieille bâtisse bourgeoise dans laquelle on ressent le poids des siècles et des traditions sur ses épaules : comment en sortir ? La femme, n’y parvient pas. Au spectateur alors, d’imaginer des solutions pour les vies futures.

« La Révolte » d’Auguste Villiers de L’Isle Adam. Mise en scène de Marc Paquien, jusqu’au 25 avril à au théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de La Chapelle, 75010 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.bouffesdunord.com.




« Les Nègres », Wilson, oui ; Genet, non !

lesnegres

Il serait difficile de ne pas apprécier positivement une mise en scène de Robert Wilson. Depuis les années 70, l’anglais fait un parcours sans faute. Avec « Les Nègres », son premier travail sur un texte en français, le metteur en scène reste fidèle à son succès.

Le public est accueilli au son d’un funk festif et chaud, dans le genre de Maceo Parker, composé par Dickie Landry. Pas d’annonce pour éteindre son téléphone, pas de lumière qui se baisse : le signal est donné quand la musique monte crescendo. Immédiatement, on est projeté dans le spectacle.

Projetés, comme ces acteurs qui entrent un à un au son des mitraillettes pendant une longue introduction. Durant celle-ci, la scène est alors réduite par un immense mur transformé en volutes de fumées au moyen d’une projection vidéo. Chaque corps ainsi mis à la vue du spectateur, passe du trouble au calme. Entre chaque rafale, une musique onirique conduit à un changement de posture qui permet à chacun de rentrer dans son personnage. De sa condition de « nègre » maltraité, à celle d’acteur du « simulacre ».

Des acteurs qui prennent des postures pointues, nous faisant penser à la pose des balletistes du XVIIIe siècle, attendant que la musique démarre pour être dans leur rôle. C’est cette posture qui, tout au long de la pièce, différencie les personnages entre les temps de « simulacre » et les temps « d’humanité » ; la dualité de chacun étant au cœur de la pièce : brutalité et onirisme, passage de la guerre au drame, de la considération de bête sauvage à celle d’être humain aux yeux des « blancs ».

Le décor idéologique ainsi posé, Robert Wilson fait se lever le premier mur pour laisser apparaître l’incroyable scénographie dont il est l’auteur. On se retrouve, au son de Dickie Landry, dans une discothèque digne d’accueillir Scarface lui-même : MC, chanteuses, podiums, palmiers en néons, rien ne manque. Genet, dans ses didascalies, impose une estrade où les « blancs » seront installés pour assister au « simulacre » des « nègres ». Wilson sublime cette idée à merveille.

La troupe des « nègres », menée par Archibald (Charles Wattara) promet au public qu’il va montrer un drame, en veillant à ce que la compréhension en soit « impossible » pour ne pas trop nous « déranger ».

Et c’est dans cette ambiance que se déroule le drame macabre voulu par Genet. La musique glisse du funk au free jazz, en passant par des intonations à la Jan Garbarek jouées en live. La lumière termine de rendre cette ambiance hypnotique. Du public, on est fasciné, la scène éclatante de couleurs peut sombrer en un clin d’œil dans des nuances de noir et blanc, contribuant ainsi activement à la création et au maintien du « simulacre » où les « nègres » prennent enfin leur revanche sur les « blancs ».

En somme, tous les ingrédients sont réunis pour un grand spectacle, à défaut du texte lui-même. Genet est prétexte à la mise en scène, mais (sans le vouloir, certainement), Wilson montre ici à quel point ces mots sont datés. L’exagération raciste et la narration morcelée, déroutante, absolument nécessaire dans le contexte historique de décolonisation (la pièce a été créée en 1959) ne sont plus d’actualité. Le langage brut laisse place à n’importe quelle interprétation et aujourd’hui, nombreux y verront une ode à la différence. Sur les questions touchant l’Afrique, « Une nuit à la présidence » de Martinelli, spectacle sans envergure créé la saison dernière à Nanterre, est bien plus pertinent.

En sortant, on se retrouve pris dans la dualité wilsonienne rapportée à notre personne : on a vu une grande mise en scène, sapée par un texte désormais dépassé.

« Les Nègres » de Jean Genet, mise en scène de Robert Wilson, au Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 21 novembre, du mardi au samedi à 20h. Dimanche à 15h. Durée : 1h50. Plus d’informations sur www.theatre-odeon.eu.




Honnêteté VS Envie

© Pascal Gely
© Pascal Gely

Une nuit, dans la Russie communiste. Quatre élèves viennent sonner à la porte de leur enseignante de mathématiques, seule le soir de son anniversaire, des cadeaux à la main. Vivant une existence pauvre et difficile, Elena (Myriam Boyer) est touchée par cette attention et invite les jeunes gens à entrer. Ces derniers exploitent ainsi la gentillesse et le bon sentiment humain de leur professeur afin de s’introduire dans son intimité par malice. On pense immédiatement à « Orange Mécanique » de Kubrick où Alex et ses drouguies (néologisme construit sur le mot russe « droug »!) prétextent une panne d’essence afin de pénétrer chez leur victime.

Le but avoué est d’obtenir la clé du coffre où sont conservées les copies d’examen final, afin de corriger celles-ci pour avoir la meilleure note possible, et ainsi accéder à leurs rêves d’études. Les cajoleries et les gentillesses envers leur hôtesse ne suffisent pas. Très vite, on sent par des intonations et des phrases, les pensées horribles qui naissent dans l’esprit des visiteurs. De la douceur du champagne, on passe à l’horreur des menaces jusqu’aux violences les plus sombres.

On apprend aussi que le leader du groupe, Volodia (François Deblock), s’est mis en tête d’obtenir la clé uniquement par défi. Mais Elena est une Antigone moderne, et ce dernier l’a compris. Plus on essaye de l’atteindre, plus son héroïsme grandit : seule la torture d’un autre être sous ses yeux peut la faire ployer.

Volodia : « La morale est une notion humaine, donc relative ».

Tout au long de ce jeu malsain, on entend les regrets et les inquiétudes de chacun. Pour Lialia (Jeanne Ruff), le jeu va trop loin et n’en vaut pas la chandelle. De Pacha (Gauthier Battoue) et Vitia (Julien Crampon), on sent la gène qui les bride de commettre l’irréparable. Ils sont en fait les objets d’un François Deblock machiavélique. Ce dernier incarne ici un brillant manipulateur en herbe assoiffé de victoire.

Durant ce drame, Eléna est sincère, attachée à ses principes d’honnêteté. Une idéaliste qui croit en l’humanité et en l’URSS. Face à elle, la jeunesse russe rêve de richesse, de liberté et fustige les gens qui pensent mais n’agissent pas.

De ce huis-clos jaillissent tous les problèmes qui opposent l’ancienne et la nouvelle Russie. La situation extrême est propice à délier les langues. On échange sur les questions sociétales plus profondes, sur l’alcoolisme, le désir d’une vie plus légère. Ce texte est la critique d’un régime qui a beaucoup déçu, les jeunes rêvent de mettre l’honneur à mal au profit d’un monde plus rock and roll. On a l’impression de voir naître devant nous les oligarques Russe actuels : obsédés par l’argent et le pouvoir à tout prix. Sauf que les élèves d’Eléna, conscients d’être allés trop loin, quittent l’appartement en laissant la probabilité d’une reconstruction. Inquiétant.

Cependant, on regrettera un texte parfois un peu trop explicatif, reflet d’un monde et de préoccupations aujourd’hui éloignés. Essayer de transposer cette situation aux grandes questions sociales modernes, c’est commettre un solécisme théâtral : on comprend ce qu’elle nous raconte sur le monde actuel, mais la manière de le dire est un peu maladroite.

« Chère Eléna » de Ludmilla Razoumovskaïa, actuellement au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse (6e arrondissement), du mardi au samedi à 21h. Dimanche à 15h. Durée : 1h40. Plus d’informations sur www.theatredepoche-montparnasse.com/.




Prêts pour une descente dans la poudreuse

Pas question de ski.
Du free ride éventuellement.
Beaucoup de freestyle ça c’est sûr.
Et de la poudreuse à foison.
De la poudreuse et des diamants.
Mais ces diamants là ne sont pas éternels.
N’est pas éternel non plus le délire qu’ils procurent.
Ce serait trop simple.
Une montée et c’est fait.
Rester perchés pour l’éternité.
Loin de la réalité.
Loin du doute.
Loin des emmerdes.
Il paraît qu’il est libre Max, il paraît que y’en à même qui l’ont vu voler.
(Désolé pour la référence …)
Ça c’est certain.
Il a plané même.
Aux yeux de tout le monde.
Même des flics.
Mais tel Icare des temps modernes, il a vite fait de se brûler les ailes.
Avec en guise de soleil, les emmerdes du quotidien.
Et un souvenir qui ne part pas.
Un souvenir qui le terrasse.
Un souvenir qui le hante.
Celui d’un père parti trop vite.
Parti trop tôt.
Parti d’un coup d’un seul.
Parti d’un coup d’un gun.
Pas de coup d’essai dans la vie.
Pas de générale.
Une seule représentation.
Toute sortie est définitive.
L’homme doit se connaître.
Pour son bien.
Pour celui des siens.
Sinon il se bouffe.
Il se torture.
L’esprit.
Le corps.
Le coeur.
Il devient cannibale.
Cannibale.
Bienvenue.
En pays cannibale.

Ouf … On reprend son souffle. On respire. L’air frais à la sortie de l’Archipel ce dimanche soir est le bienvenu. Pour son premier long métrage, Alexandre Villeret a mis la barre haut. Et le rythme qui va avec. Road-movie en noir et blanc, aux airs de La Haine, avec les héros de Trainspotting. Ou ses faux héros. Mise en abîme d’un documentaire express. 48h de la vie d’un dealer, à travers ses potes, ses filles, ses clients, ses shoots, ses montées, ses descentes. Autant de chapitres que de personnages et de personnalités. De Madame Fanta au Gros Louis en passant par Marie, les séquences s’enchaînent, ne laissent pas de répit. Le spectateur monte avec les personnages. Jusqu’à la chute. La chute finale. Tout un monde qui s’écroule devant le poids des souvenirs et la pâleur des illusions.

Suivre sur Twitter : https://twitter.com/EnPaysCannibale
Suivre sur Facebook : https://www.facebook.com/enpayscannibale
Réalisateur
: Alexandre Villeret
Auteurs : Alexandre Villeret et Aymeric de Heurtaumont
Image : Jean-Baptiste Rière
Son : Clément Martin
Costumes : Jérémy Baré
Montage : Charlotte Teillard d’Eyry et Alexandre Villeret
Producteur délégué : Aymeric de Heurtaumont
Produit par : Takamaté Films, Tracto Films, Shaman-Labs et Commune Image
Distribué par : Commune Image Media et Takamaté Films en association avec La Vingt-Cinquième Heure

Avec :
Max : Axel Philippon
Lenny : David Saracin
Yoann : Ivan Cori
Angelo : Jo Prestia
Marie : Sophie Chamoux
Joséphine : Magdaléna Malina
Nathalie : Dany Verissimo
José : Shamzy Sharlézia
Lady Fanta : Claire Amouroux
Mon adjudant : Yves Pignot
Dexter : Dexter Dex Tao
Gros Louis : Thierry Nunez

 

 




Jeunes et cons : du Punk Rock au Théâtre 14

photo_lot_punk_rock_2

Sur scène des jeunes, des uniformes scolaires, des cahiers, une bibliothèque et des sonneries marquant début et fin des cours. En quelques bavardages on est dans le bain : nous voici de retour au lycée. Un lycée anglais mais un lycée comme les autres.

Adaptation de la pièce dramatique de l’auteur britannique prometteur Simon Stephens. Au cœur de leur débat sans jamais être énoncé clairement il y a la découverte de l’autre et de soi, la crainte du futur, le besoin d’amour… Un huis-clôt dans la bibliothèque du lycée Stockport en Grande-Bretagne où William et ses camarades préparent leurs examens d’entrée à l’Université.

Entrecoupé de morceaux punk-rock et de stroboscopes à gogo, l’enchaînement des scénettes nous fait ressentir le malaise latent qui grandit entre ces élèves aux caractères bien trempés.
Vous n’êtes pas devant un épisode d' »Hélène et les Garçons ».
Dans cette pièce de Stephens, on est d’avantage dans l’esprit d’un « Péril Jeune » (1).
Mal dans leur pompes, ces héros de la puberté le sont et ça se sent. Comme cette légère odeur de poudre que l’on peut sentir avant une explosion inévitable.

L’interprétation de ces 8 grands ados sonne juste. La mise en scène est efficace et chorégraphiée simplement par un écran placé au dessus de la scène et indiquant l’évolution dans le temps de la date et de l’heure .
Même si la violence fait partie de notre quotidien, son escalade dans la pièce est un peu rapide pour être parfaitement réaliste.
Car ne vous fiez pas à l’affiche : tout n’est pas rose, le héros n’est pas Billy Elliot (2) et ça ne finira pas en chanson.

C’est davantage entre Le Cercle des Poètes Disparus(3) et Sex Intentions (4) que la pièce réussit un grand écart.
Provoc’, certes mais pas que. La réflexion transgénérationnelle ne paraît pas inutile, lorsqu’on a eu connaissance des évènements de Concordia, Columbine, Virginia Tech ou Aurora.
Il n’est pas ici fait référence à l’excellence académique de ces campus américains mais bien à l’usage de la force réalisé par certain des élèves à l’encontre de leurs camarades.

Pour paraphraser les Nèg’ Marrons (5) « La routine quotidienne met les jeunes sous pression ». « Y a-t-il une solution pour calmer la tension, avant l´hémorragie interne avant l´auto-destruction? »

Le débat est dignement ouvert par cette pièce perturbante dont vous ressortirez chamboulés.

Bande Annonce
http://theatre14.fr/saison/spectacle/punk-rock/bande-annonce

Notes :

(titre) Jeunes et cons, titre de Saez sorti sur l’album Jours Etranges en 1999
(1) Le Péril Jeune, film français réalisé par Cédric Klapisch sorti en 1994
(2) Billy Elliot, film dramatique anglais réalisé par réalisé par Stephen Daldry en 2000
(3) Le Cercle des Poètes Disparus, film américain de Peter Weir, sorti en 1989
(4) Sexe Intention, film américain de Roger Kumble sorti en 1999, inspiré de l’oeuvre de Laclos, Les liaisons dangereuses
(5) Extrait de la chanson des Nèg’ Marrons, « Ca dégènère » sortie en 2000 sur l’album Le Bilan

 

Pratique : Mardi, vendredi et samedi à 20 h 30. Mercredi et jeudi à 19 h. Matinée le samedi à 16 h. Jusqu’au 23 Février au théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier (14e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 45 45 49 77. Informations complémentaires sur theatre14.fr
Tarifs : entre 11 € et 25 €

Durée : 1 h 40

Texte : Simon STEPHENS

Adaptation française : Dominique HOLLIER et Adelaïde PRALON

Mise en scène : Tanya LOPERT

Avec : Aurélie AUGIER (Docteur Harvey), Alice de LA BAUME (Tanya Gleason), Issame CHAYLE (Bennett Francis), Clovis GUERRIN (Chadwick Meade), Roman KANÉ (William Carlisle), Mathilde ORTSCHEIDT (Lily Chill), Laurent PRACHE (Nicholas Chatman), Alice SARFATI (Cissy Francks).

Merci à Flo, de m’avoir accompagné pour cette soirée au Théâtre 14.




Mailles à l’envers – Marlène Tissot

La cruauté de la vie n’épargne pas la narratrice de cette histoire, une petite tête blonde. Sous la plume d’une enfant, d’une adolescente et d’une jeune adulte, les faits les plus cruels et révoltants sont parfois bien peu de choses.

Naïveté de l’écriture, innocence de l’enfance, la vie et ses méandres apparaissent comme un concours de circonstances perdu d’avance.
De l’ivresse alcoolique du père  à la débauche amoureuse de la mère : la cellule familiale de la narratrice est en perpétuelle mitose, perpétuelle séparation reproduisant à l’infini le même cauchemar.

La violence du quotidien la frappe de plein fouet. Toutes les violences y passent : verbales, physiques, psychologiques. C’est trop pour une seule et même personne, surtout quand cette jeune personne sort tout juste de l’enfance ou de l’adolescence.

Extrait 1 :
« C’était pas de la jalousie que j’avais au fond du ventre. Pour ça, il aurait fallu de l’amour. Et l’amour, j’y étais réfractaire. Mon coeur dormait dans un congélateur. Mais la fidélité avait un je-ne-sais-quoi d’essentiel à mes yeux. Le genre de truc un peu étrange, un peu magique, auquel j’avais besoin de croire. »

Marlène Tissot nous emmène, vous l’aurez compris, dans un récit fort, dont on ne peut sortir indemne. Dans ce premier roman, elle jongle entre les âges de sa narratrice, entre ses souffrances, ses peurs, ses espoirs, aussi maigres soient-ils.
L’écriture est à l’image de celle qui écrit son journal : crue, amère et directe. Parfois un peu trop directe d’ailleurs, où l’on regrette alors le choix de l’auteure de se fondre complètement dans la peau de son personnage, s’attacher à un langage se voulant enfantin / adolescent, et s’y retrouver comme coincée.

Une traversée de la souffrance humaine (hélas) ordinaire.
Poignant. Saisissant.

Extrait 2 :
« J’ai obtenu mon bac. Haut la main, avec un putain de mention. Val était recalée. Apparemment, elle s’en foutait. On s’est bu un jus au bistrot d’à côté. Puis elle m’a raccompagnée. Rocade. Cent quarante kilomètres à l’heure. Sa rage un peu plus appuyée sur l’accélérateur. Sirotant les feux rouges comme des grenadines. Bercée par le cri du moteur, je me suis remise à espérer un accident. Un truc violent, rapide, définitif. Histoire de clore le chapitre en beauté. Mais j’étais pas seule dans la carlingue. »

 

Mailles à l’envers, de Marlène Tissot
Editions Lunatique
www.editions-lunatique.com
156 pages
Date de parution : février 2012