Alex Beaupain : « Je suis très à gauche dans la vie mais très réac quand on parle projet artistique »

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Ce n’est un secret pour personne: j’adore Alex Beaupain. Le 11 avril, date de sortie de l’album, connectée à Itunes Store, à minuit pétante, la touche F5 de mon clavier a manqué périr. L’entretien qui suit est donc celle d’une « geek », comme dirait l’artiste. Militants et militantes de la « bande à Beaupain » – ou juste mélomanes curieux, cette interview est pour vous.
Extraits.


Comme dans ton dernier album Pourquoi battait mon cœur, commençons in medias res. C’est voulu, cette narration qui se lance « au milieu des choses », alors que l’album retrace une histoire d’amour assez linéaire, avec ses différentes stations ?


Oui, la première chanson commence par « Et puis les plantes mortes ». L’idée dans cette chanson, c’est qu’après tout, on s’en fout de tout ça. Elle commence l’album comme on commencerait une histoire d’amour, dans un certain optimisme, un petit peu candide. En fait, elle annonce dès le départ que tout va très mal se dérouler après. L’idée était de partir sur quelque chose de très frontal, de très primaire. Avec une musique en majeur, plutôt joyeuse.


Il y a plusieurs co-signatures sur l’album: Jean-Philippe Verdin, Daniel Roux, Valentine Dutheil. Les textes sont-ils pour toi plus importants que la musique? Est-ce que tu y as plus de facilité?


En tout cas, j’aurais plus de mal à déléguer sur les textes. A lâcher là-dessus. Peut-être parce que, et tu as raison, je suis peut-être plus auteur que musicien. J’ai en tout cas plus de facilité à écrire des textes qu’à composer de la musique. Il y a quatre musiques qui ne sont pas de moi dans cet album. Ces gens, qui sont aussi mes amis, composent. J’écoute et quand je trouve ça bien, je pique. (Rires)


Et est-ce que tu pourrais t’imaginer poser ta voix sur un texte qui n’est pas de toi?


Difficilement. Parce que je ne me vis pas comme interprète. J’ai un intérêt comme chanteur quand je chante ce que j’écris.


C’est déjà arrivé qu’on te présente des textes?


Oui, oui. Ca va paraître prétentieux mais j’ai systématiquement trouvé ça moins intéressant que ce que je pourrais produire pour moi. Christophe Honoré a essayé au début. A mes débuts, il écrivait les textes, et moi, les musiques. Mais je trouvais ça moins bien.


Pourtant dans ton précédent album, 33 Tours, il y a une chanson, « Je veux »…


Oui, il l’a co-écrite. C’est un texte que j’ai corrigé. Christophe Honoré a plein de qualités. Je le dis tout le temps. Ca ne va pas le vexer. Il met en scène au théâtre, au cinéma, il écrit des scénarios, des livres. Mais les chansons… c’est quelque chose qu’il ne sait pas faire. C’est d’ailleurs une blague entre nous. Il est persuadé que les chansons qu’il m’a écrites sont des chefs d’œuvres encore jamais dévoilés. Et je suis persuadé que c’est mieux quand j’écris mes textes.


Et justement, sur « Je veux », c’était une volonté, cette touche à la Jacno ?


Oui, c’est un peu un pastiche, musicalement. Sur le texte, aussi. Ce texte a l’air comme ça très léger, mais raconte des choses très graves. C’est l’idée de vouloir plein de choses superficielles pour éviter d’avoir des choses profondes comme l’amour. Ce qu’on peut d’ailleurs retrouver dans une chanson comme « Amoureux solitaires ».


C’est curieux mais j’ai le sentiment que « Je veux » est un peu la grande soeur de certaines chansons du nouvel album. Notamment, dans cette dualité légèreté/gravité, lyrisme musical/cruauté des mots.


En commençant ce troisième album, j’avais deux volontés: aller vers quelque chose de plus pop et de plus rythmé. J’écoutais beaucoup Daho, Jacno donc forcément, c’est un univers qui me plaît. Dans 33 Tours, « Je veux » est presque une chanson à part. Une préfiguration de cette idée-là. Mais oui, très bien observé.
L’autre idée, c’était de s’ouvrir thématiquement un peu plus, et d’avoir des textes, je déteste le terme, sociétaux, voire politiques.


« La nuit promet » a été cosignée par Daniel Roux. Le Daniel Roux ? Quelle en est la génèse?


Oui, c’est Daniel Roux qui a écrit la musique. Il est décédé, il y a un peu plus d’un an. Il était bassiste. Il a longtemps travaillé avec Jean-Louis Aubert, avec Cali. C’était un ami, l’une des premières personnes avec qui je suis monté sur scène. Il y a très longtemps, Daniel m’avait donné plusieurs mélodies. J’aimais beaucoup ce qu’il écrivait. Et c’est sur l’un de ces playbacks que j’ai écrit « La nuit promet ». C’est une vieille chanson, en fait, que j’avais déjà essayé de mettre dans 33 Tours mais ça ne marchait pas. Ca part de mon amitié pour ce que faisait Daniel.


Et deuxième chose que personne n’a jamais remarqué dans cette chanson et qui me désespère absolument : « La nuit promet » est aussi un exercice formel. Un jeu sur les mots en –ar et en –ou. Mais si personne ne le voit, tant mieux. C’est aussi bien si on ne voit pas les ficelles.


On creuse encore. Dans le tout premier film de Christophe Honoré, 17 fois Cécile Cassard, il y a cette chanson, signée de toi et Lily Margot. Est ce que c’était un début de groupe? Tu pourrais t’imaginer jouer dans un groupe?


Pas du tout. Très simplement, on a composé, cosigné à trois la musique du premier film de Christophe. Il se trouve que pour des raisons contractuelles, c’est moi qui apparais au générique. J’avais tenu que dans le disque apparaisse aussi Lily Margot. Mais dans mon projet de chanteur, je détesterais être dans un groupe.
La démocratie, dans un projet artistique, ça ne marche pas. J’ai besoin d’avoir les rênes. Ca ne veut pas dire que je ne laisse pas de liberté au réalisateur ou aux musiciens mais à un moment donné, il faut que quelqu’un valide et en l’occurrence, sur mon album, c’est moi.


Mais est ce que ce n’est pas un poil contradictoire? Quand tu composes pour le cinéma, tu te mets au service du réalisateur, tu as des concessions à faire.


Quand je compose pour un film, c’est pareil. Je ne suis pas dans un groupe. J’obéis à quelqu’un qui est le chef, le réalisateur. Quand je fais un film avec Christophe, je me mets à son service. Je suis totalement dévoué. Peut-être un peu trop, parfois.
C’est atroce mais je crois beaucoup en la hiérarchie. Je suis très à gauche dans la vie mais très réac’ quand on parle projet artistique.


Peut-on parler d’une famille musicale Beaupain? Dans les crédits, il y a plusieurs noms qui reviennent. Des gens avec qui tu bosses depuis plusieurs albums : Rémy Galichet, Valentine Dutheil, Fabrice Petithuguenin, Fanny Lochu,…


Oui. Fanny Lochu, je la crédite parce qu’elle connaissait très bien Daniel Roux mais elle n’a pas travaillé sur l’album. Par contre, elle avait joué dans mon premier album. Valentine Duteil est ma violoncelliste de scène, qui m’accompagne depuis très longtemps. Rémy Galichet, je crois que c’est la première fois que je travaille avec lui. Par contre, je l’avais contacté à une époque pour l’inviter à travailler avec moi sur la musique de Dans Paris. Il y avait déjà une affinité dans le fait que je le connaissais déjà. Et tu as cité quelqu’un de très important, Fabrice Petithuguenin qui a fait absolument toutes les pochettes depuis le début. Et aussi la maquette de Serge, dirigé par Didier Varrod, que je connais depuis longtemps…


Qui fait aussi partie de…


Oui, qui fait partie d’une espèce de bande. Il a aussi beaucoup participé. C’est agréable, en fait. J’ai constitué avec mes amis, pas une Factory, mais il y a un peu de ça. Il y aussi Kéthévane Davrichewy, auteur. Diastème avec qui j’écris une opérette. Il y a mes musiciens. Ca finit par créer une bande.


Ce qui est drôle, c’est que tu travailles aussi avec les « bandes » des autres. La bande à Biolay : Nicolas Fiszman, Denis Benarrosh, Elsa Benabdallah,…


Oui, bien joué! Biolay, c’est un peu la figure de proue. Florent Marchet, Arman Méliès, Joseph d’Anvers, tous ces gens là. Je me sens plus proche de ce courant que de ce qu’on a appelé, il y dix ans, la nouvelle scène. Donc ce n’est pas étonnant si on travaille avec les mêmes personnes. C’est comme si on était plus dans une famille que dans une autre.


Alex Beaupain donnera ce soir un concert à la Cigale. Pour les retardataires, une autre date a été ouverte : le 4 novembre au Bataclan. Les dates de sa tournée arrivent !
Pour les cinéphiles, dans les salles, le 24 août, Les Bien-Aimés de Christophe Honoré.
Et merci à Thomas D., l’homme aux lunettes noires 😉


Pourquoi battait mon cœur. Alex Beaupain. Naïve. Sortie le 11 avril.


Crédits photos: Antoine Le Grand

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