Efraim Medina Reyes : « Ecrire, c'est aussi laisser les choses derrière soi, comme on sortirait les poubelles d'une maison »

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« Il était une fois l’amour mais j’ai dû le tuer » est le Bildungsroman hallucinant et halluciné, sous acide, d’Efraim Medina Reyes, auteur originaire de Ville Immobile a.k.a Carthagène, Colombie. De ces romans, qui te brûlent les doigts rien qu’à les toucher, tant les mots sont incandescents. Frappée, tu le dévores en une nuit. Le matin venu, la plume d’Efraim Medina Reyes t’a laissé fiévreuse, un poil tourmentée mais repue.
C’est donc avec un peu d’appréhension que je m’apprête à rencontrer la « Bête », auteur de ce trip éveillé. Une heure durant, il répondra avec calme et beaucoup d’humour.
Extraits.


Commençons par le début. Tu pourrais me raconter ta rencontre avec la littérature ?


La littérature, c’est elle qui m’a trouvée. J’ai grandi dans un contexte où ces choses-là n’avaient pas d’intérêt. Je me suis d’ailleurs d’abord intéressé aux sciences. J’ai même étudié la médecine. Ma relation avec l’art s’est longtemps résumée à la musique. C’est un élément important de ma culture.
A l’âge de 21 ans, je suis tombé en dépression et ai été hospitalisé parce que ma situation psychologique était incontrôlable. J’ai pris beaucoup de médicaments. Mon psychiatre m’a alors offert quelques livres. Il pensait que ce serait une bonne idée que je lise. J’avais des problèmes d’insomnie, à l’époque. Il me les a donnés comme des somnifères. Un peu comme on donnerait de la dope à un sportif.
Parmi ces livres, il y avait « Le métier de vivre » d’un auteur italien, Cesare Pavese. Le psychiatre n’avait pas dû le lire. Pour un dépressif, ça peut être un livre dangereux. A la fin du livre, l’auteur dit que ce n’est plus la peine. Trois jours après, il se suicide. Curieusement, le livre de Pavese a eu un effet extrêmement fort et bénéfique sur moi. Je me suis relaxé. Et après l’avoir lu, j’ai pu dormir une dizaine d’heures d’affilée. Comme ça a marché, tout le monde a commencé à m’offrir des livres. De tout et n’importe quoi. Et je lisais tout. Je consommais. Peu importe. Ma mère allait m’acheter des livres. Elle ne connaissait pas grand-chose à la littérature : elle me prenait juste les plus gros.
Ce qui est très ironique, c’est que je me suis mis à lire tellement que j’ai fini par abandonner mes études de médecine. Au grand désespoir de ma mère qui, du coup, a voulu me soigner de la littérature. Et un peu comme l’homme qui au bout de plusieurs années de vie commune avec une femme, finit par l’épouser, je suis devenu écrivain.


Et ça correspondait à quelle période?


Si je me souviens bien, la première fois que j’ai écrit, c’était pour dire à une fille que je l’aimais. Une actrice de théâtre. C’était mon premier écrit: une lettre de quarante pages! Et elle n’a dû lire que les quinze premières parce que je n’ai jamais eu de réponse.
J’ai donc commencé par un échec. En tant qu’écrivain mais aussi en tant que séducteur.


Justement, la notion de l’échec dans ton oeuvre me fascine beaucoup. Dans ton dernier roman, la boîte de production s’appelle « Fracaso Limitida ». Le label que tu as créé « Fracaso Records ». Le titre, le cœur même du livre raconte un échec amoureux – « fracaso » en espagnol. C ‘est une obsession?



J’ai grandi dans un quartier très difficile, très pauvre et aussi, très violent. Les gens ne mourraient pas de faim. Mais ils n’avaient absolument rien. Il n’y avait pas de place pour l’ambition.
Avec mes amis, notre passe-temps préféré se résumait à chasser des gringas à la plage, et attaquer des gringos sur les remparts.
Avec ces amis, j’ai eu envie de monter un groupe de musique. Ca ne les intéressait pas vraiment. Mais je suis très têtu. J’ai réussi à les convaincre. Aucun d’entre nous n’avait vraiment de connaissances musicales. Mais en Colombie, si tu demandes à quelqu’un dans la rue, tu peux m’emmener sur la lune, il ne te dira jamais non. Il te répondra qu’il va essayer. On s’est donc lancés, avec un talent plus que bancal. Le nom de notre groupe en a découlé: 7 Torpes. Les sept maladroits. Alors qu’on n’était que trois.


Un peu comme les sept plaies d’Egypte ?


Mais oui, certainement! (Rires). On a joué dans des bars. Le patron nous faisait jouer à la fin parce que ça correspondait au moment où il avait envie que les gens s’en aillent. Notre premier enregistrement sur cassette – il y en avait 30 copies, on l’a intitulé « Chansons médiocres ». On a dû en vendre 9. Comme ça devenait une petite entreprise, on a décidé de lui donner un nom: Fracaso Limitada. Notre slogan: « Là où il y a un échec, nous sommes là ». Même quand ça a commencé à marcher, j’ai voulu garder ce nom parce que pour moi, c’est comme une manière de me protéger. Dans cette devise, j’y ai trouvé un peu ma manière d’ « être » au monde.


Et tu te considères d’abord en tant que musicien ou en tant qu’écrivain? Ou aucun des deux?



Quand on me propose un travail, j’ai pour habitude de répondre que je ne sais rien faire. Mais j’ai une façon bien à moi de ne pas savoir faire.
A mon sens, il n’existe pas de disciplines, d’arts ou de gens différents. Mais juste des langages. Ce qui m’importe, c’est d’ « exprimer » mon langage. Quelque soit le medium. Je pourrais tout aussi bien le faire en étant serveur dans un restaurant.


C’est quelque chose qu’on retrouve dans ton œuvre. Dans le roman, il y a plusieurs couches de narration, comme plusieurs angles cinématographiques. Plusieurs chapitres, plusieurs arts représentés. Tu sous-titres ton roman « musique des Sex Pistols et de Nirvana ». C’est un concept?



Parler de littérature, c’est obsolète. C’est comme les Italiens qui adorent le tango, en ce moment. C’est absurde! Je ne suis pas un écrivain au sens de la littérature. Je suis un écrivain au sens d’écrire. Ce qui m’importe, ce n’est pas la littérature mais écrire. Si je pouvais, j’utiliserais les mots comme des artefacts, des legos pour créer des structures.
Écrire « pour » la littérature, ça reviendrait à apprendre le tango. Il faudrait apprendre les mouvements, mais aussi les émotions. Comme si c’était quelque chose qu’on pouvait transmettre. A Rome, j’ai déjeuné un jour avec deux fans de tango. La fille n’a pas voulu s’asseoir sur sa chaise parce que ça ne correspondait pas à une posture de tango. Au fond, c’est comme si elle était dans un cercueil. Si j’écrivais « pour » la littérature, je serais aussi dans un cercueil.


Dans ton dernier roman, le héros Big Rep te ressemble furieusement. Est-ce ton double ou personnage purement fictionnel ?



La réalité est absurde. On ne peut pas faire de la réalité un langage. C’est pour cela qu’il faut fictionnaliser la réalité pour la rendre langage. J’ai eu une existence absurde. La seule chose qui puisse me faire du bien, c’est de faire du réel un objet littéraire. Un auteur ne peut pas être un seul personnage puisqu’il les a tous créés. Il y a quelque chose de moi dans chaque personnage. Si j’ai été Rep un jour, je ne le suis plus. Ca appartient au passé et n’existe plus aujourd’hui. Écrire pour moi, c’est aussi laisser les choses derrière moi, comme on sortirait les poubelles d’une maison.


Il était une fois l’amour mais j’ai dû le tuer
d’Efraim Medina Reyes, à 13e Note Editions. Disponible dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre.


Merci à Jeanne Chevalier, co-traductrice du roman et à Isabelle Louis, les anges gardiens de cet entretien! Et bien sûr, Efraim!

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