Une soirée au Petit-Saint-Martin : « La beauté » et « Ring »

image_pdfimage_print
Bernard Richebé
Bernard Richebé

On peut apprécier passer une soirée sur les Grands Boulevards 1, sans pour autant aimer péter au lit avec son épouse. C’est pourtant ce que semble sous-entendre Eric Loret dans un article un brin condescendant, paru dans la série « Libé » explore le théâtre de boulevard, où il traite (un peu) du spectacle Divina, mettant en scène Amanda Lear dans une pièce de Jean Robert-Charrier.

Eric Loret incarne dans cet article, le critique (trop) snob, rappelant les nobles qui venaient « s’encanailler » sur les boulevards au XVIIIe. Pour ce public étaient prévus des loges munies d’un grillage, afin d’assurer leur discrétion dans ces lieux affreusement populaires. Un snobisme de la part de Loret, qui s’illustre par la nécessité de donner son avis sur tout, et surtout pas sur l’essentiel. On a droit à son avis de critique mondain sur le public (« Un monsieur d’une soixantaine d’année avec sa maîtresse »), monsieur Loret est-il aller demander s’ils étaient bel et bien amants ? On notera ici l’allusion sexiste volontairement boulevardière, où il n’existe aucune possibilité que ce soit « une femme d’une soixantaine d’année avec son amant ». On a ensuite droit à l’avis de critique gastronomique, quand il commente la commande du couple précédent (« ce sera deux suprêmes de volailles »), comment ? Tous les publics de théâtre ne commandent pas des « émulsions » et autres « gyosa » avant d’aller au théâtre ? Dieu que le boulevard Montmartre est rétrograde…

On a droit ici à ce que Libération fait (rarement heureusement) de pire. Où la critique montre sa face moribonde, affreusement tournée sur elle-même, s’illustrant à destination d’un public d’amis.

Nous revendiquons donc, sur Arkult, le droit de pouvoir s’amuser sur les boulevards, de temps en temps, pour lâcher prise, pour se vider la tête, car c’est un moyen comme un autre après tout ? C’est moins classe qu’un rail de coke, c’est sûr, mais selon le public, c’est tout aussi efficace. Il faut de tout pour faire un monde, non ? 2

De notre côté, jeudi soir, on est allé passer une soirée très enrichissante au théâtre du Petit Saint-Martin. Qui n’a bien sûr pas la même vocation drôlatique » que celui des Variétés, mais qui a le malheur de se trouver dans la même zone géographique. Et pourtant, les deux productions qu’il accueille sont excellente et « de très bon goût ».

Rémy Perthuisot
Rémy Perthuisot

La beauté, recherche et développement

Le spectacle de début de soirée accueille le public au son d’une voix off toussoteuse qui semble se vouloir rassurante. On se croirait entré dans un séminaire de développement personnel dont la brochure aurait été trouvée dans un Nature et Découverte, un soir de novembre. Quand la lumière s’éteint, c’est un « voyage » qui commence. Conduit par Brigitte et Nicole, ce parcours sur plateau nu met à l’épreuve l’imagination du public. Un public venu suivre une visite guidée sur la notion de beauté.

C’est sans machine et sans gadget que le duo nous guide dans l’aventure. Leur jeu est très complémentaire, elles sont là pour nous faire du bien, pour nous montrer le beau, sans pour autant masquer leur faiblesse (feinte), qui fait voir le beau en chaque chose. Elles sont un mélange entre des Madame Loyal et des vendeuses-animatrices de grande surface des années quatre-vingt dix, empaquetées dans une gestuelle clownesque.

L’humour ne réside pas forcément dans leurs répliques, mais dans l’auto-réaction qu’elles suscitent, leur simplicité les amuse et nous amuse dans la foulée. L’inspiration du texte ? La vie d’une quadra de classe moyenne, dans la vie de tous les jours. On joue sur les mots, sur le registre de l’autodérision, mettant en lumière la faiblesse des moyens techniques pour soutenir leurs discours. On notera la richesse d’investissement corporel des actrices qui ont le talent de nous faire sourire d’un geste de main (alors imaginez quand elles dansent !).

Quelques zones d’ombre dans la vie de Brigitte et Nicole jalonnent ce « voyage » et n’en font que ressortir la drôlerie pour le public. On relève la dédramatisation du monde actuel, celui qui est prêt aux pires horreurs pour retrouver la beauté, et qui finalement se mutile. Une certaine poésie réside dans les métaphores et offre finalement plusieurs niveaux de lecture au public. A la fois drôle et intelligent, ce spectacle est un manifeste humaniste.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h10

Mise en scène : Pierre Poirot

Avec : Florence Muller, Lila Redouane

ring2
Bernard Richebé

Ring

A 21 h, place au spectacle de Catherine Schaub mettant en scène Audrey Dana et Sami Bouajila, Ring. Dans ce décor moderne, une toile blanche étendue sur le mur et sur le sol, deux accessoires : un banc et un lit et se déroulent devant nous toutes les facettes de l’amour.

Cette suite de tableaux débute par une dispute de couple banale, entre Adam et Eve. Elle s’ennuie, elle veut « s’épanouir intellectuellement » et son mari ne sait plus quoi faire pour qu’elle puisse se divertir. Le problème ? Ils sont seuls. Plus tard, un autre couple : elle domine et veut de la baise, et c’est elle qui fait peur à l’homme. A un autre moment ils se connaissent à peine, ou se rencontrent par hasard. Les rôles changent et s’inversent et on est souvent surpris. Il y a du sexe, de la violence, de la volupté, parfois un peu de passion, et beaucoup d’amour.

Quand on lit le paragraphe précédent, on pourrait croire qu’il y a du drame dans toute la pièce. Oui, il y en a, mais il passe au second plan derrière tant d’humour. Le texte de Léonore Confino est extrêmement drôle, il est d’un style très affirmé et audible. Dana et Bouajila se l’approprient profondément et s’investissent corps et âmes sur le plateau, dans une mise en scène, tout en déséquilibre, réussie. Le plaisir que ces comédiens ont à jouer ensemble est visible, palpable.

Le décor est sensitif, le blanc se prête à la réflexion du bleu, du rouge, à la projection d’un décor en 3D et contribue (avec la musique, électronique, parfaitement froide mais agréable) à nous plonger dans une sorte d’hors-temps et d’hors-espace, bien que les histoires racontées mettent en lumières les problèmes relationnels et existentiels d’un couple moderne, dans un échange dominant/dominé. Des histoires d’amours difficiles, mais qu’on a un plaisir fou à vivre quand on est dans le public.

Pratique : Actuellement au théâtre du Petit-Saint-Martin, 17 Rue René Boulanger, 75010 Paris- Réservations par téléphone au 01 42 08 00 32 ou sur www.petitsaintmartin.com/

Durée : 1h40

Mise en scène : Catherine Schaub

Avec : Audrey Dana, Sami Bouajila

 

  1. Les boulevards qui relient la place de la République à l’entrée du boulevard Haussmann sont, depuis le XVIIe siècle, le point géographique où sont rassemblés à Paris les théâtres de divertissement pour le public populaire
  2. Aaaah ! Encore un horrible adage populaire !

Du même auteur ...