Danser contre l’oubli, « Dancefloor Memories »

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© Cosimo Mirco Magliocca / coll. Comédie-Française
© Cosimo Mirco Magliocca / coll. Comédie-Française

De nos jours, Pierre et Marguerite Delorme fêtent leurs noces de camélias, soit 51 ans de mariage. Les souvenirs, des familles brisées par les guerres du XXe siècle, pour Pierre, la leçon principale de cette longévité est qu’il est plus facile de se souvenir du lointain passé que du proche présent.

Pierre a une maladie dégénérative, il oublie tout, de plus en plus. Par des post-it, sa femme lui rappelle qu’elle l’aime et que les toilettes se situent troisième porte à gauche. Afin de continuer à vivre, elle va danser avec Garry, son futur amant octogénaire. Pendant ce temps, Pierre est émoustillé quand l’aide à domicile antillaise lui fait sa toilette. Comme cette dernière, Garry finira par s’installer à domicile, dans la chambre d’ami. Marguerite devient une mère pour son époux, bien que son amant ne souhaite pas avoir d’enfant. Cette histoire est baignée de danse et de musique, de la biguine au tango en passant par le swing, l’émotion est à la nostalgie.

Le texte de Lucie Depauw a été le coup de cœur des spectateurs de la Comédie-Française en 2012 lors d’une mise en lecture. L’écriture de la jeune auteur est hachée. Elle oscille entre poésie et narration, passé et présent, élégance et trivialité – on pense notamment à Garry qui, pendant qu’il danse avec Marguerite, hurle à qui veut l’entendre qu’il « bande ». Les idées grivoises modernes viennent nourrir cette romance pour public mûr (« sucer n’est pas tromper », dira Garry à Marguerite qui, par jeu, l’écoute). Ces réflexions nous questionnent : comment ceux qui se souviennent vivent avec ceux qui s’oublient ? Comment faire quand le désir est plus fort que la mémoire, plus intense que la fidélité jurée il y a des décennies à une personne qui n’est plus vraiment la même ? Lucie Depauw raconte une histoire d’amour, une seconde vie pour personnes du troisième âge qui, comme les adolescents, peuvent avoir des petits problèmes auxquels il y a forcément des solutions.

Elsa Lepoivre porte les mots avec classe et prestance, habilement épaulée par Christian Gonon (Garry) et Hervé Pierre (Pierre). La scénographie apporte une belle touche esthétique : trois miroirs entourent une piste de danse qui change de couleur en fonction des lumières. Hervé Van der Meulen signe ainsi une mise en scène un peu surannée, en décalage avec notre époque ; mais le résultat est élégant et le questionnement très moderne : les âges passent, mais le désir de danser subsiste.

 « Dancefloor Memories » de Lucie Depauw. Mise en scène d’Hervé Van der Meulen, jusqu’au 10 mai au Studio-Théâtre de la Comédie Française, Carrousel du Louvre, 75001 Paris. Durée : 1h10. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr/.

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