« Innocence », un non sens

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© Christophe Raynaud de Lage / coll. Comédie-Française.
© Christophe Raynaud de Lage / coll. Comédie-Française.

Dans « Innocence », de multiples histoires s’intercalent. Fadoul (Bakary Sangaré) et Elisio (Nâzim Boudjenah) sont immigrés clandestins. Quand ils regardent la mer, ils voient leur avenir, jusqu’au jour où celui-ci est perturbé par une femme en train de se noyer. Ils n’osent pas la secourir, ni même l’emmener à l’hôpital : si on leur pose des questions, ils risquent de se faire expulser. Leur conscience ne s’en remettra pas, « la lâcheté [les à] fait rester au sec », se disent-ils. Les clandestins finiront par trouver 200 000 euros dans un sac et, pour tenter de laver leur culpabilité, ils payeront avec cette somme l’opération oculaire d’Absolue (Georgia Scalliet), une strip-teaseuse aveugle qui adore que les hommes la regarde. Frau Habersatt (Claude Mathieu) se fait passer, auprès de parents de victimes, pour la mère de meurtriers. Frau Zucker (Danièle Lebrun), une autre mère – véritable, cette fois-ci –, maltraite sa dernière fille Rosa (Pauline Méreuze), mariée à un croquemort abstinent et qui ramène chez eux, les urnes abandonnées du crematorium… Cette galerie de personnages est bien portée par des acteurs habités, installés en permanence sur scène. C’est la lumière changeante qui déclenche les actions comme une succession de diapositives.

Les dialogues sont soutenus par un décor vidéo étonnant de Felix Dufour-Laperrière, dessinateur d’animation Québécois. Les trois murs de la scène permettent ainsi de projeter ce à quoi assistent les personnages tout au long du drame : femme noyée, téléviseur, candidat au suicide sur un pont. La touche de naïveté – d’innocence – allège et assoupli le propos de la pièce.

Le texte de Dea Loher accentue les contrastes et compose un double discours : les personnages se racontent eux-mêmes, mais narrent aussi l’histoire des autres. « Innocence » parle de l’espérance et de la fatalité. Les personnages sont des exclus qui s’adressent à ceux qui les ignorent. Une bande de destins brisés par des vies injustes auxquelles ils ne peuvent rien. Plus généralement, le texte est une réflexion sur le sens de la vie et le suicide comme issue. C’est une vision du monde moderne, considéré comme « non fiable », où, dans les pays riches les suicides sont bien plus nombreux que dans les pays du tiers-monde, pourtant démunis. Le suicide comme une maladie de riche pressé ? Ou, à l’ère des écrans, un moyen d’attirer l’attention sur soi.

Malheureusement, partant de ces idées intéressantes, le propos est lent, décousu et peu prenant. A l’image du monde actuel, le spectacle manque de vie en étant à la fois fouillis et hiératique. La réflexion amorcée par l’auteur n’est que très peu poussée. On est ennuyé par la répétition des scènes qui, avec des mots légèrement différents, racontent finalement toujours la même chose. L’expression qui ressort le plus de la bouche du public au sortir de la salle Richelieu est « interminable ». Rendons-nous à l’évidence, il n’y a pas de meilleur terme pour qualifier « Innocence ».

« Innocence » de Dea Loher. Mise en scène de Denis Marleau, jusqu’au 1er juillet à la Comédie-Française (Salle Richelieu), Place Colette, 75001 Paris. Durée : 2h20. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr.

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