[Exposition] « Klaus Barbie, le procès », ou l’absolue nécessité d’un réveil mémoriel

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Copie du mandat d’arrêt international émis par le juge d’instruction Christian Riss le 3 novembre 1982 à l’encontre de Klaus Barbie. © Archives départementales du Rhône, Lyon.

Le 11 mai 1987, s’ouvre le premier procès pour crime contre l’humanité en France : Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo de Lyon, s’apprête à être jugé devant la cour d’assises du Rhône. A l’occasion du 30e anniversaire de ce procès historique, le Mémorial de la Shoah revient sur ces 37 jours d’audience qui ont marqué les consciences, à travers de nombreux témoignages et documents inédits. Saisissante, l’exposition met en lumière le rôle du contre-espionnage américain qui a protégé Barbie, mais aussi l’action déterminante des époux Klarsfeld dans la traque du criminel nazi, ainsi que les démarches menées par Fortunée Benguigui et Ita-Rosa Halaunbrenner, dont les enfants furent déportés. De salle en salle, documents des services secrets, images d’archives, extraits d’audiences et coupures de presse, retracent les étapes d’un procès qui a bouleversé l’opinion au-delà des frontières françaises. Trente ans après, la parole des rescapés d’Auschwitz et le souvenir des 44 enfants d’Izieu, restent gravés dans la conscience collective, marquant l’absolue nécessité d’une mémoire à conserver.

Né le 15 octobre 1913 en Rhénanie-Westphalie, Klaus Barbie intègre les jeunesses hitlériennes avant d’être recruté par le service de sécurité du parti nazi en 1935. Affecté à Lyon dès novembre 1942, il ne tarde pas à prendre la direction du département IV de la Gestapo et reçoit le surnom de « boucher de Lyon » pour les nombreuses arrestations, tortures et déportations qu’il ordonne. Il est ainsi reconnu comme le commanditaire de la rafle de l’Ugif rue Sainte-Catherine du 9 février 1943, de celle des 44 enfants d’Izieu le 6 avril 1944 qui furent gazés à Auschwitz, et du dernier convoi de déportés du 11 août 1944. Enfin, le 21 juin 1943, il arrête Jean Moulin et le torture à mort avant de s’enfuir lors de la Libération.

Klaus Barbie dans son box avec son interprète. © Archives photo Le Progrès.

Pour autant, à l’indicible effroi des crimes commis par Klaus Barbie, se superpose la cruelle opération des Américains : ces derniers le recrutent au sein de leur cellule de contre-espionnage et lui permettent de se réfugier en Bolivie sous le nom de Klaus Altmann, tandis que les services secrets français tentent de suivre sa trace. Tout aussi implacable est l’attitude des services de renseignements allemands qui emploieront secrètement Barbie jusqu’en 1966. Face à ce triste constat, le malaise va en grandissant. La muséographie sobre et épurée, parée de bois clair et tonalités sombres, accentue cette froideur qui prend au ventre ; toute démonstration ornementale serait superflue : les faits et les documents parlent d’eux-mêmes, silencieux mais criants de vérité.

Suivant une trame chronologique, le parcours s’ouvre sur la traque de Klaus Barbie ; douze années durant lesquelles l’ancien officier SS – aidé par le parquet de Munich qui enterre toutes les poursuites à son encontre, parvient à échapper à la justice, jusqu’à sa remise aux autorités françaises en 1983. Pour en arriver là, il aura fallu la détermination sans faille d’hommes et de femmes à l’instar de Serge et Beate Klarsfeld, d’Ita-Rosa Halaunbrenner ou du résistant Raymond Aubrac, prêts à tout pour faire entendre leur voix et celle des victimes de Barbie : « Six millions de morts étaient avec moi aujourd’hui : s’ils ont marqué le jury, j’aurais gagné quelque chose », témoigne l’ancienne déportée Simone Kaddoshe-Lagrange lors du procès.

Arrivée au palais de justice Fortunée Benguigui et Ita-Rosa Halaunbrenner le jour de leur audition le 2 juin 1987. © Archives photo Le Progrès.

Abondamment documentée, l’exposition relate minutieusement l’instruction du procès qui se déroule entre février 1983 et octobre 1985. Le dossier est complexe, tant par la nature des actes commis que par la temporalité des évènements : Barbie est accusé de crimes prescrits depuis près de dix ans lorsqu’il est transféré à la prison Saint-Joseph de Lyon. Il est donc primordial de fournir de nouvelles preuves pour relancer l’affaire ; désormais, c’est au juge Christian Riss de prouver que Barbie s’est bien rendu coupable de crimes contre l’humanité, imprescriptibles aux yeux de la loi.

Mais l’accusé refuse de se présenter au procès et lorsqu’il accepte de répondre aux faits qui lui sont reprochés, il les réfute et atteste n’avoir aucun souvenir des témoins qu’on lui présente. Face à l’une de ses victimes, Julie Fino-Franceschini, on lui demande : « Cette dame vous reconnaît formellement. Vous avez entendu son témoignage. Qu’en pensez-vous ? » ; il répond : « Je n’ai rien à dire. » Confronté aux rapports de déportations signés de sa main, aux documents qui comptabilisent les arrestations et au télégramme envoyé par ses soins après la rafle d’Izieu, il ne cesse de nier, soutenu par son avocat Me Jacques Vergès qui affirme qu’il s’agit de faux.

Durant sept semaines, magistrats allemands spécialisés dans la traque d’anciens nazis, experts de la persécution des Juifs en France, scientifiques chargés d’authentifier les pièces à conviction et témoins directs, se succèdent à la barre. La parole portée par les rescapés des camps ébranle l’opinion et le procès Klaus Barbie s’affiche en une des journaux du monde entier : le réveil de la mémoire est amorcé. Le 15 octobre 1992, le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation est créé, les établissements scolaires organisent des entretiens entre élèves et anciens déportés, tandis que François Mitterrand inaugure le Mémorial des Enfants d’Izieu en ce 24 avril 1994.

À gauche, Alain Jakubowicz à droite, Serge Klarsfeld, avocats des parties civiles pendant le procès Klaus Barbie. © Archives photo Le Progrès.

Le parcours de cette exposition poignante et ô combien nécessaire, s’achève sur les images filmées du procès et retransmises pour la première fois en intégralité. Après tant de preuves à charge et de vies brisées, on est désemparé, la gorge nouée par la plaidoirie de Me Vergès qui scande lors de la 37ème audience : « Au nom de l’humanité, du droit et de la France, acquittez Klaus Barbie. »

Cette ultime déclamation échoue, et après sept semaines d’un procès inoubliable, Klaus Barbie est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Une nouvelle étape en faveur de la construction mémorielle de la Seconde Guerre mondiale est franchie, dont nous sommes désormais les garants.

Thaïs Bihour

L’exposition « Le procès Klaus Barbie. Lyon, 1987 » se tient jusqu’au 15 octobre au Mémorial de la Shoah. Plus d’informations sur http://www.memorialdelashoah.org/

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