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Hernani, drame moderne

Cigales, chaleur, temps lourd, c’est dans une ambiance un peu triste de fin de vacances que le Printemps des Comédiens a clos le second chapitre de l’ère Jean Varela. Mais parce que la dernière nuit est souvent la plus belle, le public a pu assister à la création de « Hernani » par la Comédie Française, dans une mise en scène bi-frontale de Nicolas Lormeau.


La voix de Thierry Hancisse introduit le propos en lisant des phrases choisies de préfaces de Victor Hugo, dans un passage, l’auteur définit le drame… Celui-ci doit répondre à l’attente de la foule en l’amusant, du penseur en le conduisant à la méditation et de la femme en lui procurant de l’émotion. Telle est l’ambition d’Hernani. Ce timbre descriptif nous accompagnera durant toute la représentation : c’est elle qui lit les didascalie en début d’acte, comme pour planter le décor.


Un décor magnifique, bien que les comédiens évoluent sur un plateau vide. Grâce aux lumières d’abord, chaque scène est baignée dans une ambiance particulière, irréelle, soulignant le désir d’onirisme voulu par Nicolas Lormeau, des tableaux atteignent une beauté extrême. La musique de Bertrand Maillot complète cette vision, toute en étant discrète, les notes sont importantes, elles soutiennent la mélancolie et le drame aux instants clés de l’action, devenant parfois la septième comédienne de la pièce.


Tout au long de la pièce, on « entend » le texte (sous réserve de ne pas être en haut des gradins, le jeu en extérieur est injuste avec les spectateurs). Les paroles du drame sont vécus, ingérés par des comédiens maîtrisant l’art de la nuance. Les répliques vivent, conformément au désir d’Hugo de briser les règles du théâtre classique, elles sonnent avec un écho de modernité, 180 ans après leur écriture. « Je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire ».


Capter les mots


Donner au public la possibilité de capter la beauté des mots, c’est le défi des metteurs en scène contemporains. Faire en sorte que des vers centenaires soient « entendus » aujourd’hui. Le Printemps des Comédiens 2012 a soutenu des créations allant en ce sens. Il n’y a qu’à relire le programme pour réaliser : Le Bourgeois Gentilhomme (m.e.s de Denis Podalydès) ou Antigone (m.e.s de Gwenaël Morin) résonnent avec bien plus de sens que la prose de Brecht (m.e.s par Antoine Wellens).


Dans le « Hernani », Nicolas Lormeau a, en plus, la chance que tous les acteurs soient justes et brillants (mais on en attendrait pas moins du Français!). On sent l’hésitation, le caractère et l’humanité de chaque personnage, ils ne semblent pas de simples comédiens en costume jouant des vies poussiéreuses. On est pris dans leur histoire, les sanglots montant parfois à la gorge ou bien les rires portés par la situation absurde, fort bien mises en valeur. La folie et le désespoir de l’action finale sont bouleversants. Ce couple sublime composé de Félicien Juttner et Jennifer Decker sombre dans un abîme shakespearien réussi, « Voilà notre nuit de noce commencée, je suis bien pâle pour une fiancée », murmure Dona Sol.


Enfin, le metteur en scène a fait le choix de transposer les personnages au XIXe siècle (l’action se situe normalement peut avant le couronnement de Charles Quint en 1519), ce sont donc des gentilshommes en costumes qui sont sur scène et non plus des Grands d’Espagne, les revolvers nous le rappellent souvent.


Ce drame où toutes les actions sont portées par la question de l’honneur souligne la douleur que les hommes ressentent vis à vis (de la plus belle) des femmes. Elle interroge la place du mari et de l’amant sans érotisme tapageur. Victor Hugo savait manier l’élégance des sentiments débarrassés de son animalité.


« Hernani » par Nicolas Lormeau a été créé le vendredi 29 juin 2012 en clôture du Printemps des Comédiens. Il sera repris au théâtre du Vieux-Colombier (Paris VI e) du 30 janvier au 17 février 2013.

Mise en scène : Nicolas Lormeau

Distribution : Catherine Sauval, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Félicien Juttner, Jennifer Decker, et Elliot Jenicot.

 




Une puce bien épargnée


Une nouvelle auteur fait son entrée au répertoire de la Comédie Française en cette fin de mois d’avril. Pour la première fois en France, « Une puce, épargnez-la ! » de l’Américaine Naomi Wallace, dramaturge et poète, est donnée en public dans une mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

Mr et mrs Snelgrave attendent patiemment, face à leurs grandes baies, la fin d’une quarantaine. Au crépuscule du XVIIe siècle, la peste noire sévit partout en Europe. Leurs domestiques en sont morts et les deux maîtres n’ont plus que quatre jours à tenir en viepour prouver leur bonne santé.

C’était sans compter que deux intrus allaient s’introduire dans la maison, l’un par la cave et l’autre par la cheminée, à quelques jours de la libération. Kabe, le garde, les a vus. La quarantaine est naturellement prolongée d’un mois supplémentaire. Une longue attente se dessine pour les habitants de la demeure, légitimes ou non. Ils vont désormais vivre entre deux pièces, le salon et la cuisine. Une aventure de l »intime commence.

La scène est baignée dans une lumière étrange, reflétant le sombre intérieur d’une maison close de l’extérieur. Tout est nuance de noir et de blanc. Les costumes stricts des propriétaires, les guenilles de Bunce, l’un des intrus, ne font pas exception. Les visages sont blanchis de n’avoir vu le soleil depuis des semaines. Les murs nus de la bâtisse poussiéreuse ont une couleur oscillant entre le gris et le vert. La seule touche de couleur durant toute la pièce, c’est la robe jaune de Morse, l’autre intrus, une gamine de 12 ans dont la mère est une domestique morte dans la maisonnée.

Le public assiste à une escalade vers le plus profond de l’être de chacun des personnages, chaque instant est propice à une révélation sur l’un des occupants du plateau. L’une vit dans un corps calciné, l’autre déserte la guerre et la violence tant qu’il peut… Ces découvertes sont accompagnées de la folie progressive causée par l’enfermement prolongé et la cohabitation forcée entre riches méconnaissant la réalité de pauvres qui la fréquente au quotidien.

Le choix de mise en scène fait par Anne-Laure Liégeois donne à voir une succession de tableaux, séparés distinctement par un procédé répétitif aveuglant et assourdissant le public, c’est dommage, car cette astuce nous fait, « sortir » de la pièce et nous libère, malgré nous, de l’ambiance close et silencieuse installée dans la salle. Dès lors que les projecteurs s’éteignent, la scène est à nouveau visible et le décor a évolué, les personnages l’occupent comme les modèles d’une composition picturale précise, très esthétique.

Les acteurs tous excellents, Guillaume Gallienne est méconnaissable en quinquagénaire anglais, cruel et colérique, quant à l’introduction et la conclusion du récit interprété par la puce, Julie Sicard, sont captivantes. La dernière description qui parle de Londres après le départ de la peste est magnifique et nous offre un final plein de sérénité après deux heures de remous intérieurs.

« Une puce, épargnez-la ! » au théâtre éphémère de la Comédie-Française (Place Colette, Paris)

Mise en scène : Anne-Laure Liégeois

Distribution : Catherine Sauval, Guillaume Gallienne, Christian Gonon, Julie Sicard, Félicien Juttner

Jusqu’au 12 juin – Informations supplémentaires et réservations  sur le site de la Comédie Française




Le Skeleton Band – Un côté « bastringue » et « bringuebalant »

Le Skeleton Band est un groupe ayant vu le jour à Montpellier, créateur d’un rock sombre et onirique aux multiples influences. Leur album « Bella Mascarade » sera dans les bacs le 20 février. Rencontre avec le chanteur, Alex Lee Jacob. 


Vous avez créé « Le Skeleton Band » en 2007, qu’est-ce que chacun de vous faisait avant de se lancer dans ce projet ?


Alex Lee Jacob : Avant on avait un autre groupe, une première expérience qui nous a appris à faire de la musique. Je sortais du Conservatoire d’Art Dramatique, Bruno (guitare basse et banjo) sortait tout juste du lycée et Clément (batterie) tentait une première année de musicologie.


Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de l’aventure ?


Le premier groupe s’est séparé, on y était plus nombreux. On avait des divergences de goûts musicaux avec plusieurs membres, cela rendait la situation difficile. On s’est donc retrouvé tous les trois, ensemble nous sommes allés vers la musique qui nous touchait particulièrement. On peut dire que le véritable déclic ça a été quand pour mon anniversaire, j’ai reçu un enregistreur numérique quatre pistes ! Clément et moi nous retrouvions dans mon appartement pour essayer de créer des choses, c’est dans ces moments que sont nées les premières compositions que l’on a jouées avec “Le Skeleton Band” sur scène. Des musiques qu’on ne voulait pas voir “arrangées” par d’autres membres de l’ancien groupe.


C’était quand la première fois que votre travail a été entendu par le public ?


Lors de ma dernière année de Master Arts du spectacle à l’université Paul-Valéry (Montpellier). On a composé la musique de mon travail de fin d’étude tous les trois, c’était en mars 2007.


Quel est le type de musique qui vous touche ?


Notre groupe a des références communes, certains artistes ont été très importants, Tom Waits par exemple nous a beaucoup marqués. Tout ce côté “bastringue” ou “bringuebalant” des choses. L’idée, c’est que tous les sons, qu’ils soient industriels ou sortis de la rue, une fois liés à une musique traditionnelle, ça crée des histoires fortes qui racontent beaucoup de choses. C’est pour cela qu’on a tendance à dire que notre musique est cinématographique, parce que le collage de toutes ces sonorités créé un espace de voyage pour l’auditeur.


Quelles sont ces fameuses histoires que vous racontez dans votre album, « Bella Mascarade » ?


Dans ce disque il y a deux parties. Les huit premières chansons vont ensemble, elles créent une conclusion et un rebondissement au cœur de l’album. Dans celles-ci, il est question de gens qui auraient bien voulu être vagabonds, tout quitter et partir à l’aventure, mais ils échouent. C’est triste car en un sens, c’est pire que d’avoir une véritable vie errante, car ceux qui essayent seulement n’arrivent pas à se détacher de ce qui les entrave, pour pouvoir être libre. La seconde partie est plus fantasque, ce sont des vies de personnages décadents, il y a une chanson qui dépeint un tableau fait d’un équipage de migrants sur un bateau, certains sont travestis, d’autres sont ivrognes… Dans une autre chanson on rencontre un marginal qui refait le monde…


Vous auriez aimé être un vagabond et tout quitter ?


Je ne sais pas ! (Rires), je crois que c’est pas mal de fantasmer. Dans la réalité ce n’est pas la même chose.



Vous essayez de faire de vos prestations en live des moments particuliers ?


On a cette façon particulière d’exprimer notre musique sur scène, que certains qualifient de «théâtrale», même si je ne suis pas entièrement d’accord car ça reste de la musique avant tout. On a aussi eu la possibilité de faire quelques collaborations, ciné-concerts ou concert et bande dessinée. En mars on participe au festival Hybrides puisqu’on joue dans “Épreuve”, le nouveau spectacle de Julien Bouffier. On a toujours des projets annexes qui nourrissent l’univers du groupe.


Ce n’est pas trop difficile de trouver sa place quand on est un jeune groupe aujourd’hui ?


On a jamais eu de concessions à faire, mais on ne vend pas 10 000 albums ! Après, il est vrai qu’on ne gagne pas encore notre vie. On passe tout notre temps à faire de la musique, malheureusement ce n’est pas encore suffisant pour vivre. Même si ça va de mieux en mieux. On a choisi de mettre en avant notre univers qui est, je crois, très personnel. Donc on accepte les inconvénients que cela amène.


Pourquoi portez-vous le même nom de famille que le bassiste ?


Jacob ? C’est notre nom de famille ! Bruno est mon petit frère.


D’ou vous vient l’envie de chanter en Anglais ?


Nos influences sont anglophones, quand on est jeune artiste on essaye de prendre des appuis sur des modèles de musicalité. Les nôtres sont en anglais. Ils viennent de Tom Waits, Léonard Cohen ou Bob Dylan.


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Yves Bommenel, 10 ans de Montpellier à 100 %

Depuis une dizaine d’années, le festival Montpellier 100% existe.
D’abord dans tout le grand Sud au mois de novembre, puis uniquement sur Montpellier, le festival s’est cherché et s’est trouvé. Dix jours de concert, de danse, d’exposition à travers la ville. Un véritable temps à proportion humaine (il n’est pas difficile d’assister à l’intégralité des propositions du festival) entre le 1er et le 11 février.


Depuis combien de temps portez-vous le projet du festival « Montpellier 100% » ?


Depuis dix ans, le festival est né pour fêter le 100e numéro du Cocazine (un magazine et agenda culturel gratuit diffusé sur tout le Grand Sud NDLR) qui existait lui aussi depuis dix ans. C’est incroyable, quand on sait dans quelle précarité ont été ces deux aventures, on est incapable après vingt ans d’expliquer comment on a tenu.


Essayez !


Bien sûr il y a eu un renouvellement des équipes, et la curiosité y est pour beaucoup également. Je sais que j’aurais déjà jeté l’éponge si chaque année n’avait pas été une occasion d’apprendre quelque chose, ou de découvrir de nouveaux artistes. Dans ce sens, le collectif y est pour beaucoup. On se surprend les uns et les autres.


Ce festival est un espace-temps dédié à la découverte ?


La découverte artistique, on la retrouve dans tous les festivals. Chez nous ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’on interroge les formes différentes du concert, par des installations, ou des projections. Et les artistes eux-même nous interrogent. F.J. Ossang c’est un musicien qui fait du cinéma, pas un cinéaste qui fait de la musique ! Prenez les arts numériques, tout ce qu’on a fait jusqu’à présent, il y a dix ans on était incapable d’imaginer celà possible ! Ou alors c’était tellement colossal qu’il aurait fallu que l’on soit le MoMA pour pouvoir se le permettre. On montre que la musique, ce n’est pas seulement un concert ou un disque.


Vous êtes attentifs à l’évolution de la technologie ?


On est au XXIe siècle, donc la technologie est présente dans la vie de tous les jours, les propositions artistiques intègrent naturellement cette idée. Après, on a essayé de ne pas s’enfermer là-dedans. Quand on propose « OK! » (l’année dernière NDLR), c’est une solution 100% analogique puisqu’en fait, ils fabriquent leurs instruments avec des bouts de bois récupérés, pareil pour « Hell’s Kitchen » qui fait de la percussion avec des éléments pris sur des lessiveuses. C’est intéressant aussi ce mélange entre organique et technologique à notre époque. D’ailleurs, on s’est rendu compte après coup que cette idée de mélange, de recyclage est un peu le fil rouge de notre édition.


Les mélanges, on connaît ça depuis des lustres !


On a bien vu la première décade du XXIe siècle passer, et même si des musiciens comme Black Strobe s’inspirent énormément de la musique du XXe siècle, on est plus dans la fusion des années quatre-vingt-dix où on pouvait dire que telle chose était un bout de funk, telle autre du métal et ici du hip-hop. Aujourd’hui on est dans autre chose, le hip-hop qui intègre de l’électro c’est différent que ces deux styles chacun de leur côté.


Quelles nouveautés dans cette édition du festival ?


La principale nouveauté c’est la venue de F.J. Ossang, on organise une rétrospective importante de ses films. On y ajoute une part d’éducation à l’image avec les Beaux-arts et la fac de Lettres. Le travail avec le Centre Chorégraphique est nouveau lui aussi, il va nous permettre d’accueillir Claudia Triozzi et Haco pour une création.


Un mot sur la programmation ?


On a essayé de ne pas tomber dans des clichés. C’est facile d’aller dans ce sens, d’être très intellos, très « si tu ne connais pas l’encyclopédie numérique en 25 tomes tu vas rien comprendre à ce qu’on te montre ». On est dans un festival qui revendique un côté haut-de-gamme, mais on a confiance en l’intelligence des gens, et en même temps on a de l’humour.


Comment découvrez-vous les personnes que vous programmez ?


On observe, on est entouré de personnes très attentives, je pense notamment à Vincent Cavaroc qui avant était ici et qui maintenant travaille à la Gaité Lyrique à Paris. On a Julien Valnet qui travaille à la Friche de la Belle de Mai à Marseille, ancien montpelliérain lui aussi. Mais j’insiste sur le fait que tout le collectif a sa part d’influence dans les choix de programmation.


Vous, Yves, comment avez-vous fait ce choix de vie ?


J’avais des grands frères qui m’ont élevé à coup de Stones, et j’ai fait beaucoup de radio associative. L’Eko des Garrigues (88.5) à Montpellier ça a été mon université, je dis souvent que j’y ai fait « Sup’ de Punk ». Tous les gens qui ont fait des choses intéressantes dans cette ville sont passés par là bas au début des années quatre-vingt-dix. On y trouvait Fifi de la TAF, Habib d’Uni’Sons, ou les Pingouins… Après je suis allé à l’Institut National de l’Audiovisuel, j’ai eu un parcours d’apprentissage, mais l’Eko c’est ce qui m’a ouvert les yeux sur le monde alternatif.


Quelles sont vos espérances pour l’avenir ?


Pour l’instant dans le festival on diffuse beaucoup de créations, mais on n’est pas un moment de création à proprement parler. J’aimerais aller dans ce sens. Un autre aspect, c’est celui de la médiation, de ce côté-là on a beaucoup de travail à faire. Avoir les moyens de faire un travail d’éducation au son, d’aller dans les collèges et les lycées. Expliquer ce que nous proposons. Donner des clés de compréhension par l’histoire de la musique…


Au début de l’interview vous avez utilisé le mot précarité, vous avez les moyens de vous projeter vers l’avenir ?


Tous les ans on part sur une utopie. On a failli fermer vingt fois, le comptable nous prédit notre mort chaque année. On survit, c’est incroyable. On a un tout petit budget, on fonctionne avec 100 000 euros pour la totalité du festival. Notre force réside dans le fait que nous avons aussi beaucoup de partenaires. Mais on est très loin d’être des barons, chaque année on se demande comment c’est possible.


Tous les détails sur la programmation et les arguments du festival sur : www.festival100pour100.com




Dans l’oeil de la Dame aux esclaves, Castorf crée son monde à l’Odéon


 

Le décor sur plateau tournant nous offre en première vue une masure méditerranéenne. Un garage au rez-de-chaussée, réaménagé en chambre de fortune. Un étage avec une petite chambre et une terrasse qui sert de poulailler, la cuisine à l’extérieur. Dès le lever de rideau, le thème de prédilection de Franck Castorf est là : petites personnes et bourgeoisie se côtoient dos à dos, les riches contre les pauvres. Comment les premiers ne prêtent aucune attention aux seconds.


Trois princesses se parlent, se touchent, se caressent. L’une va dans le poulailler, s’allonge et commence à mourir. Râle de trois femmes de robes vêtues. Elles déclament leurs mots, qu’ils soient de Dumas, Bataille ou Müller. Cette litanie est le ton général de la pièce. Personnages « prolos », sans recherche de bonnes manières, goujats riches et obsédés par la futilité. Marguerite Gauthier et ses amies sont des putes, appellation que les personnages décrits par Dumas n’auraient jamais accepté.


Le décors changent, le monde aussi. Public projeté dans un club aux parois de plexiglas animé par un anglais, portant un masque cornu en latex, qui nous rassure : « n’ayez pas peur, ici, soyez juste vous même ! ».


Dans la boîte, on livre Marguerite Gauthier, morte, emballée dans du plastique. Son amant la pleure dans une ambiance fluo-trash. Dès la première heure (sur quatre), le public est averti. L’histoire, le texte, tout est mis au second plan, en soutien de la mise en scène pure. Surtout, ne pas chercher à comprendre, on est à l’inverse du théâtre classique, les mots soutiennent un jeu d’acteur, au public d’en saisir des bribes, des propos, des sensations.


Le drame, on se le créé dans nos têtes. Il est celui qui nous plaira, composé des images qui nous sont offertes.


Décalage, repoussoir de l’obscénité du monde. Un panneau « Anus Mundi » tourne à dix mètres de hauteur sur un cabaret désuet, où la chanteuse, toute heureuse, suit un homme sortant de scène. Elle, frétillant de plaisir, « j’adore les favelas ! », comme d’autres aiment tant la « musique hip hop » ou « l’art de l’Afrique ». Bourgeoisie déconnectée des réalités importantes, évidentes aux yeux de Castorf.


Une partie du public s’exile à la fin de la première partie. Deux heures, si on essaie d’y voir une Dame aux Camélias au sens où l’incarnait Sarah Bernhardt dessinée par Mucha, cela peut paraître longuet. Pour les autres, l’aventure continue.


Lors du retour du public, les trois premiers quarts d’heure sont projetés sur grand écran, pendant que les acteurs jouent dans une cavité du décor. Le procédé est grandiose et impressionnant d’intimité. Dans six mètres carrés, caméramans et preneurs de sons filment deux acteurs. Un huis-clos en gros plan, inimaginable lors de la première partie.


Puis on part plus dans une réflexion de Müller, sur l’esclavage, la condition du peuple noir en Jamaïque, les ouvriers roumains qui défilent sur grand écran, sans oublier la condition du peuple mexicain, déconnecté de ses racines Aztèques dont il ne reste que les pyramides. Essayez de comprendre, c’est finir comme Arnaud de Montebourg le soir de la première : endormi pendant deux heures.


Le spectacle est un voyage, un Grand Huit de sensations, une mise en scène envoûtante, des messages clairs au milieu d’un monde sans repère. Un panneau publicitaire installé sur scène, parodie de la réclame, affiche comme message d’adieu : « Le rêve d’une vie, vivre dans nos meubles ». Castorf réécrit la théorie de la relativité.


 

à partir de l’œuvre d’Alexandre Dumas fils
et des fragments de L’Histoire de l’œil de Georges Bataille et de La Mission d’Heiner Müller

mise en scène Frank Castorf

Certaines scènes de ce spectacle peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes, il est donc déconseillé aux moins de 16 ans.

7 janvier – 4 février 2012
Théâtre de l’Odéon / 6e

dramaturgie : Maurici Farré
décor : Aleksandar Denić
costumes : Adriana Braga
musique : Sir Henry

avec Jeanne Balibar, Jean-Damien Barbin, Vladislav Galard, Sir Henry, Anabel Lopez, Ruth Rosenfeld, Claire Sermonne.

production Odéon-Théâtre de l’Europe, Théâtre National de la Communauté française de Belgique

 




« Golgota Picnic », un doux pétard mouillé

On vit vraiment une drôle d’époque, plus de 2000 ans après la mort du Christ, il se trouve encore des gens pour hurler au blasphème et proférer des menaces, dont le Seigneur se serait bien gardé, à l’attention de l’équipe de « Golgota Picnic » pour avoir mis sur pied une pièce faisant soi-disant offense à Jésus.


Le soir de la première, il est difficile d’accéder au théâtre plus d’une heure trente avant la représentation. Un premier cordon de sécurité à 100 mètres de la porte ne fait passer que les spectateurs munis de billets; à l’entrée, un second contrôle ne vous laisse que vos chaussures et avant de pénétrer dans la salle de spectacle, on passe un dernier détecteur de métaux, histoire d’être tranquille. Si vous décollez depuis l’aéroport du Rond-Point, vous ne risquez pas d’embarquer un terroriste à bord !


Enfin, une fois face à la scène, on savoure avant même le spectacle. D’être entré, certes, mais aussi cette délicieuse odeur de pains à hamburger, qui sont étalés sur la scène en totalité. Jean-Michel Ribes, faisant les cents pas de façon papale surveille au bon ordre de l’installation du public. Après 20 minutes de retard, les acteurs entrent enfin…


C’est parti pour une heure et des poussières de reproches en tout genre à l’Eglise, ils sont bien écris, prêtent à sourire, nous divertissent sans ennuyer. Listant tour à tour les méfaits d’une religion qui a perdu la confiance de ses fidèles (pédophilie, inquisition, génocides…), Garcia parle comme un enfant qui se rend compte de la véritable nature de ce qu’il a fantasmé, ou ce qui l’a guidé pendant des années mais qui aujourd’hui a perdu toute crédibilité dans son monde, ce monde qu’il semble détester et qu’il ne regrettera pas de quitter (message transmis par les acteurs).


Dans les premières minutes, la tension des contrôles de sécurité n’est pas complètement retombée, on s’attend au pire, aux symboles trash et insoutenables, il n’en est rien, pas même une esquisse. Une légère larme vient pour l’auteur, qui semble en fait terriblement déçu de l’absence de Dieu. Mettant les actions de l’église face à leurs contradictions (les Noirs ont été créés pour danser le funk et rouler des havanes), Garcia ne fait pas pour autant de la propagande anti-christique, encore moins « christianophobe », néologisme se prêtant très mal à ce propos. L’auteur ne cherche pas à convaincre, il se contente juste de se raconter, ça peut nous intéresser comme on peut faire le choix de s’en foutre. Les seules choses que les comédiens maltraitent sont d’authentiques vers-de-terre filmés en gros plan, affairés à bâtir une tour de Babel symbolique en tranche de pain.


Les acteurs sont à l’aise et jouent bien, même si le texte prononcé se suffit à lui même, la mise en scène n’est pas transcendante ni ratée, banale en somme, si on enlève les hamburgers.


Malgré les citations de Bush prêtées au Christ, (« Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi »), la qualification de « messie du SIDA », n’ayant « jamais travaillé » reste quand même très soft comparé aux moindres dialogue de L’Exorciste ou des paroles d’un groupes de death metal quelquonque, qui pourtant ne mobilisent pas autant d’intégristes aux portes de leur salles respectives.


Mêlant théâtre, performance et musique, quelques symboles sont bien intégrés, de la plaie au flan de Jésus servant de poche pour l’argent, aux acteurs recouverts des couleurs de la Vierge utilisées dans l’iconographie religieuse (bleu et rouge) jusqu’à en devenir des êtres ignobles couverts de boue, jusqu’à la création en direct d’un authentique Suaire de Turin. Mais ces quelques idées n’atteignent pas la moitié d’un « budget ménage » nécessaire à un Macaigne.


Le texte se termine sur un facile « Pour trouver ta voie, il y a Google Maps », avant de conclure la pièce (les quarante dernières minutes), sur un piano où un musicien nu interprète les « Sept dernières paroles du Christ » adaptées pour l’occasion. Bien que d’une belle interprétation, la force se perd entre chaque mouvement et, au moment d’applaudir, le public est un peu perdu. Egaré entre la haine portée par les acteurs au premier acte et l’amour donné par la musique en conclusion.


Etrange goût amer que laisse un spectacle sans trop de pépins. Une bombe qui se révèle en fait n’être qu’un doux pétard mouillé, un bon boulevard un peu osé-olé qui a pris comme thème le Christ quand d’autres ont choisi le couple ou les discussions de comptoir.


Golgota Picnic

 




Pas de panique avec Midam

Le nouveau tome des aventures de « Kid Paddle », (Panic Room) signé Midam est sorti à la fin du mois d’août. Ce nouvel album marque le retour du petit héros, après la plus longue absence qu’il ait connue depuis sa création, en 1993.


L’auteur qui pour l’occasion fait une tournée des FNAC françaises confie que cela lui « prend de plus en plus de temps de produire un volume ». Et à son impresario de rajouter, plus tard, que l’auteur « passe parfois des journées entières sans vouloir voir personne pour finir un gag, pour qu’il soit percutant, c’est un véritable stakhanoviste du travail », et cela se ressent.


Les « running-gags » sont très présents dans les pages, Midam a gardé les bonnes habitudes sans être répétitif. « C’est bien plus dur de faire des variantes ! », assure-t-il. On y retrouve à nouveau Horace qui finit à l’hôpital, le Kid en train d’imaginer son père en agent spécial, ou encore la salle de jeu vidéo et son gardien patibulaire. De nouvelles idées font aussi leur apparition et elles deviendront des gags récurrents. « Un jour dans un aéroport, j’ai acheté une sorte de livre  »Que-sais-je ? », et c’est en lisant ce bouquin que j’ai pensé à la piscine de salive qu’on retrouve dans Panic Room. J’aimerais garder l’idée de ces  »le saviez-vous ? » dans les prochains albums ».


Et Kid Paddle, hors-Euope, comment ça marche ? « C’est la deuxième bande dessinée étrangère la plus vendue au Québec après Garfield, la troisième si on compte  »Les Nombrils », BD typiquement québécoise. C’est quand la série télévisée est apparue qu’ils ont commencé à être demandeurs ». Seul ennui, le retard que prend la sortie des albums du Kid dans la Belle Province : d’un à deux mois à cause du transport en bateau ! Midam s’y rendra donc cet automne. Dans un genre voisin, l’épouse de l’auteur explique que « Titeuf ne marche pas au Canada, à cause du sexe », il est vrai que de ce côté, Kid Paddle sait rester discret, même si l’arrivée d’une nouvelle héroïne amoureuse du garçon à la casquette apparaît dans le dernier numéro…


Dans sa tournée, l’auteur s’arrêtera pour la deuxième fois de sa carrière à Angoulême. Pour l’occasion, il a mis les petits plats dans les grands avec un stand customisé : « un Kid Paddle géant et une immense tâche d’acide sulfurique qui se verra de très loin ! », nul doute que les fans sauront apprécier. Au fait, qui sont-ils ? Quelle relation Midam entretient-il avec eux ? « Je suis toujours un peu intimidé, mais eux aussi ! », alors pendant qu’il dédicace, il pose des questions, s’intéresse vraiment à qui le lit. « Maintenant, le héros a plus de 18 ans d’âge, il traverse les générations, je n’ose plus demander aux adultes qui viennent en dédicace si c’est pour leurs enfants, car c’est souvent pour eux-mêmes ». Certains lecteurs y trouvent d’ailleurs plusieurs niveaux de lecture, là où le gosse voit un gag, l’adulte y décèlera une complicité particulière père-fils par exemple. « Quand j’entends cela, j’acquiesce, même si je n’avais absolument pas voulu faire passer ce message lors de la création du dessin ».


À propos de relation père-fils. Même les lecteurs occasionnels de la BD ont dû se rendre compte que la mère n’était tout bonnement jamais dessinée, ni même évoquée. « Elle a existé le temps d’une case dans le premier volume de Kid Paddle, elle disait à son mari  »Chéri, tu vas être en retard à ton travail », puis à la réédition j’ai remplacé  »chéri » par  »papa », j’aime les contraintes, et pour l’instant la contrainte c’est que la mère n’existe pas ». Le public se pose-t-il la question ? « Au début, j’ai eu droit à des félicitations de gens qui m’affirment  »bravo, vous avez su créer une bande dessinée avec une famille monoparentale », là aussi je laissais dire, mais c’est l’imagination du public ».


Et au fait, le père du Kid doit être forcément fan de jeux vidéos ! « Pas du tout, je ne joue pas » confesse-t-il timidement.


Les lecteurs les plus assidus ont dû remarquer que Midam avait quitté Dupuis depuis le dernier tome. « La rentabilité prenait trop le pas sur la qualité, la première édition du tome 11 était intégralement gondolée, à force de vouloir faire des économies, ils ont vendu 380 000 exemplaires dans cet état, je n’aime pas ça ! »  clame l’auteur. Il a créé en réaction, MAD Fabrik, qui en est à sa cinquième parution ! Sa maison met un soin tout particulier à la qualité de l’objet. Un pari réussi avec ce tome 12, en papier, comme en gags !



 

 

 

 




« Frontières » sans limites à NAVA

 



Le festival NAVA (Nouveaux Auteurs dans la Vallée de l’Aude) est un monde dans un monde. Une poignée de pèlerins qui s’intéressent aux plumes du théâtre, présentes et futures, au milieu de nulle part, dans un de ces magnifiques paysages français.


À l’intérieur de la programmation 2011, il y a eu une œuvre qui sera considérée un jour comme « de jeunesse » d’un auteur résolument nouveau : Régis de Martrin-Donos, aujourd’hui âgé de 23 ans. Baptisée « Frontières », c’est la première mise en espace établie à partir de ce texte.


Quels mots ! Et quels comédiens !


Dans le cadre splendide du château de Serre, une chaise attend l’acteur. Le jour s’éteint peu à peu, et, entre chien et loup, le Fils (Sylvain Dieuaide) s’installe. La folie se lit dans son regard, une psychose évidente se confirme sur le visage dès les premiers mots de sa mère (Raphaëline Goupilleau), plutôt marâtre. Elle s’évertue à descendre son fils plus bas que terre, secouant la mémoire du grand frère modèle comme une cloche au-dessus du crâne de sa dernière progéniture tout en l’habillant des pieds à la tête. L’habillant de mots, l’habillant d’insultes, l’habillant pour l’hiver en somme.


« Plus je te regarde et plus tu es laid » lance-t-elle. Comme la mère d’H.P. Lovecraft à son fils. Quand on sait dans quelle folie ce rejet maternel a plongé l’écrivain, on ne peut pas se retenir d’imaginer le pire pour ce garçon qui évolue face à nous. Heureusement, il ne se laisse pas brimer sans réagir. On assiste à sa première rébellion envers celle qui l’a mis au monde. Il lui dit qu’il veut sortir, faire sa vie, savoir qui il est, partir à la Guerre.
La folie s’exprime enfin. Le Fils est un humain avec des airs de mutant, ou de zombie, aucune importance… Il arrive désormais à sortir le monstre que sa mère a enfanté avec lui.


Sylvain Dieuaide offre une interprétation juste, nous faisant par là-même oublier qu’il tient un texte en main. Lorsqu’on suit le fil de son parcours en 2011, il a joué dans « La Coupe et les Lèvres » d’Alfred de Musset mis en scène par Jean-Pierre Garnier, une œuvre collective où seul le groupe avait sa place, et le seul souvenir marquant que pouvait laisser le comédien était qu’il jouait du piano. Puis il a interprété Jean-Louis dans « Perthus » de Jean-Marie Besset, mis en scène par Gilbert Désveaux. Un rôle très bien incarné mais où il n’était pas le héros. Dans « Frontières », il est ce héros, il habite ce Fils, il est fou et nous emmène sans efforts dans sa folie transcendante.


Lorsqu’enfin, il s’échappe, c’est pour tomber sur le balai du gardien de l’immeuble (Yves Ferry), qui finit de dessiner ce monde rédhibitoire aux yeux du jeune homme. Une terre dévastée où la guerre entre Nord et Sud fait rage. « C’est trop tôt pour voir le monde » ou encore « Tu n’as pas le droit ! » lui serine-t-il. Cet échange (comme le reste de la pièce) est magnifiquement mis en espace par Benjamin Barou-Crossman, le gardien et le fils s’installant dans un jeu de chat perché dominant /dominé très esthétique.


Il s’avère au moment de partir que cet homme est le père que le Fils n’a jamais connu. C’est l’auteur qui prend un coup d’avance sur le spectateur en faisant se poser la question au personnage avant qu’elle n’arrive à notre esprit. Et cette brillante prise de court sur le public n’est qu’un petit rubis échappé de ce texte qui, entier, est couronné de joyaux.


La troisième scène représente le Fils complètement fanatique, ayant traversé des déserts entiers pour rejoindre le front à pied, il rencontre un déserteur (Stefan Delon). Cet homme le met face à ce qui habite souvent la jeunesse : la fougue, la naïveté, la sensation d’être invincible quand on sort enfin à la découverte du monde. Lorsque l’on s’évade « du rêve de ses parents », que se passe-t-il ?


Refusant de tuer le soldat, Le Fils repart et expérimente. Il tente de vivre la vie dont il rêvait, et finalement, se retrouve nez à nez avec sa mère, la Guerre est finie, mais il souffre de n’avoir pu se battre. Et c’est dans les derniers mots que naît l’évidence, avec une phrase particulièrement forte, d’un Fils aux ailes coupées adressée à celle qui l’a mutilé : « J’ai compris que mon seul ennemi c’était toi, je te déclare la guerre ».


Quand un jeune auteur met ces mots sur du papier, et que d’excellents comédiens les incarnent aux yeux d’un public unanime, on aurait tendance à s’interroger sur ce qui a poussé Régis de Martrin-Donos à écrire cela, à sa vie, à ses blessures. Mais lorsque l’on vit ce moment de théâtre intense dans un festival si singulier, alors on ne peut qu’imaginer le futur et ce qu’on pourra encore découvrir de cet écrivain à la plume si brillante. On ne sort pas du spectacle rassasié, non, on sort conquis et avide de découvrir la suite.


La seconde pièce de Régis de Martrin-Donos, « Un garçon sort de l’ombre » sera créée lors de la saison 2011-12 du CDN des Treize Vents à Montpellier du 27 octobre au 4 novembre. La mise en scène sera signée Jean-Marie Besset, et Stefan Delon y tiendra de nouveau l’affiche.


Plus d’informations : http://www.theatre13vents.com




Hamlet Rock’n’Trash

Mélangez un crucifix à un préfabriqué, une enseigne lumineuse et quelques machines à café. Ajoutez-y un château gonflable, des coups de feu et une banane habillant un acteur. Secouez, et vous voilà dans l’écrin du Hamlet à la sauce Macaigne, rebaptisé pour l’occasion, « Au moins j’aurais laissé un beau cadavre ». Trois heures trente qui ne laissent pas rigide.


Dès les premières minutes, les hurlements et les insultes fusent entre Hamlet-fils et Claudius habillé du fruit cité précédemment. Oui, c’est bien une banane géante qui habille le fratricide. Ce costume et le dialogue irréel qui s’installe entre les deux hommes donnent le ton de toute la première partie : décalé, surprenant, vif, mais aussi un peu en force dans le jeu et un tantinet grossier, le texte étant parfois du Shakespeare, et à d’autres moments de l’authentique phrasé de pilier de comptoir.


Parfois, le public est interpellé, brusqué, arrosé (évitez les premiers rangs et les places côté escalier !), les images violentes fusent et servent bien certains passages de l’histoire, en particulier celui où Hamlet-fils est choqué par le remariage précipité de sa mère. Il s’en réfugie dans la tombe de son père, prend son cadavre dans ses bras, questionne le spectre paternel (ici, furet empaillé)… Bagarre, fruits qui volent, chaises que l’on casse, on voit tout. Rien n’est suggéré, et l’attention du spectateur est captée par l’excitante question : jusqu’où vont-ils aller ?


« Regarde toutes ces vieilles connes [le public], tu crois pas qu’elles ont été jeunes et belles comme toi ? » questionne Laërte à l’adresse de sa soeur. Cette phrase précède la nuit de noces érotiques entre Gertrude et Claudius, dont la couche nuptiale est la tombe du défunt frère/mari Hamlet Ier : de symboles et d’actions chocs, le spectacle foisonne. On se surprend même à sursauter et sentir d’agréables sueurs froides quand Hamlet-fils surgit une tronçonneuse à la main. Le juste milieu est trouvé, et sans jamais dépasser les limites, on se retrouve à rire, on se gausse de ce grand guignol de haute voltige dont le décalage est le mot d’ordre. Une première partie forte, violente et très drôle.


L’entracte offerte au public laisse à Hamlet le temps d’écrire « La souricière des traîtres », pour montrer à Claudius, son nouveau beau-père, qu’il connait la vérité sur le meurtre du roi.


Malheureusement, le second départ contient un peu plus de longueurs. Les acteurs semblent avoir du mal à passer de l’énergie explosive nécessaire à cette mise en scène, à la finesse requise pour certains passages du texte. Ceci a pour effet de casser le dynamisme impulsé aux débuts. Et puis ça hurle, ça ne s’arrête jamais de hurler, mais les gestes accompagnent moins cette colère. Dommage, car malgré cela, certains effets de scène sont bluffants et beaux dans le sens esthétique du terme, ils agissent comme une alternance entre de belles performances artistiques et des passages s’éternisant par un jeu d’acteur incertain.


D’après ce qu’il se dit, quelques soirs de rôdage ont aidé la troupe à trouver ses marques, et à emmener le public dans cet Hamlet qui, c’est certain, ne peut être imaginé avant d’être vu !


Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :


2011


  • Du 2 au 11/11 au théâtre national de Chaillot (Paris)
  • Du 16 au 25/11 à la MC2:Grenoble


2012


  • Du 5 au 6/01 à la Filature / Scène nationale de Mulhouse
  • Du 11 au 12/01 à l’Hippodrome-Scène nationale de Douai
  • Du 18 au 20/01 au centre dramatique national d’Orléans/Loiret/Centre
  • Du 25 au 27/01 au Lieu unique (Nantes)
  • 8/02 au théâtres de la Ville de Luxembourg
  • Du 14 au 15/02 au Phénix / Scène nationale de Valence


Distribution


mise en scène, conception, adaptation Vincent Macaigne
scénographie Benjamin Hautin, Vincent Macaigne, Julien Peissel
concepteur son Loïc Le Roux
lumière Kelig Le Bars
artisanat Marie Ben Bachir


avec Samuel Achache, Laure Calamy, Jean-Charles Clichet, Julie Lesgages, Emmanuel Matte, Rodolphe Poulain, Pascal Rénéric, Sylvain Sounier

 




Un vivant « Suicidé » au 65ème festival d’Avignon

Le Suicidé est une pièce de Nicolaï Erdman écrite en 1928, puis censurée par le régime stalinien en 1932. L’auteur ne l’aura jamais vue montée. En 2011, mise en scène par Patrick Pineau, elle a été créée le soir d’ouverture du 65ème festival d’Avignon. Le public a pu découvrir que sous ce titre dramatique se cache une pièce drôle et intelligente.


Sur la scène des Carrières de Boulbon, la scénographie est faite de quatre blocs, qui composent les pièces d’un appartement collectif de l’ère soviétique. Aux premières minutes de la pièce, l’un d’entre eux s’ouvre et laisse apparaître un décor coloré et soigné. Sur le lit, un homme ne dort pas, il a faim…


Dès le dialogue initial, les mots servent une situation qui s’inverse aussi soudainement qu’elle a démarré : le mari veut manger, réveille sa femme pour qu’elle s’occupe de lui, et finalement se retrouve très vite à empêcher cette dernière de se lever pour qu’elle lui prépare un repas. Ce type de rebondissements fait de contradictions revient à de nombreuses reprises dans le texte, et ils sont, dans la mise en scène de Pineau, valorisés par un jeu d’acteur où la réaction des comédiens face aux mots est rapide et provoque de vifs changements d’expressions, tordants !

Ces mêmes mots se suivent tout en dissension, et ne sont pas étrangers aux drôles de relations qui nouent les personnages. Quand Maria Loukianovna pense que son mari, Sémione Sémionovitch, va passer à l’acte et se suicider parce qu’il se sent un moins que rien, le moment où elle confie son inquiétude à sa mère (la brillante Anne Alvaro), puis à son voisin, veuf depuis peu, sont des situations d’un comique rare.


Comique, pour nous public. Mais lorsque la belle-mère Sérafima Illinitchna essaye de faire rire son beau-fils pour éviter qu’il n’attente à sa vie, ses blagues font chou blanc. Par cet humour osé, l’auteur a réussi à faire ressortir le contexte politique qui le cernait, et le metteur en scène à nous en faire sentir l’écho évident que l’Histoire a sur la situation politique actuelle dans le monde occidental. Les personnages réduits à vivre dans des petites boîtes se questionnent sur leur désespoir, le travail à la sauce stakhanoviste et leur envie de voir changer les choses.


Leur principal espoir, ils le voient en Sémione Sémionovitch, cet homme pensant se tuer. Tour à tour l’intelligentsia russe, le représentant des commerçants, la femme jalouse ou le pope défilent à sa porte pour le convaincre de rejeter la faute sur le pouvoir en place, justifiant qu’« à notre époque, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire » et ajoutant « les gens qui se tuent aujourd’hui n’ont pas d’idées et ceux qui ont des idées ne meurent plus pour elles ». Chacun tente d’appâter le défunt, lui promettant un enterrement en première classe comme d’autres dans le monde actuel promettent quarante vierges contre un attentat-suicide.


Les situations improbables et drôles continuent de ponctuer l’action. Notamment au moment où le futur suicidé fait part de ses doutes sur la mort, c’est un sourd-muet qui l’écoute.


En seconde partie se met en place un banquet à la Tchekhov, scène de groupe où une quinzaine de comédiens sont sur scène et ça fonctionne plutôt pas mal. C’est l’occasion pour le « Suicidé » d’un dernier repas, il est 10 heures, à midi il devra se tuer. Condamné à mort par des idées. Léger bémol, car malgré la force du message qui prend tout son aspect concret, on ressent quelques longueurs et mollesse dans les interventions des personnages.


La pièce se termine avec les mêmes armes que l’introduction, faisant se côtoyer messages et situations extravagantes avec une touche d’absurde : le mort se réveille, et tous sont paniqués. La mise en scène de masse est très bien menée et sert à merveille l’ultime action comique. Un « Suicidé » bien vivant et réussi assurément.


Après Avignon, il vous sera possible d’assister au spectacle aux endroits suivants :


2011

  • 17 et 18/11 à la Maison de la Culture de Bourges
  • 23 et 24/11 à l’Espace Malraux / Scène nationale de Chambéry
  • Du 29/11 au 3/12 au théâtre Vidy-Lausanne
  • Du 6 au 9/12 à la MC2:Grenoble
  • 12 et 13/12 au théâtre de Villefranche

2012

  • Du 6 au 10/01 et du 12 au 15/01 à la MC93 Bobigny
  • Du 17 au 21/01 à la Scène nationale de Sénart
  • Du 24 au 28/01 au théâtre La Piscine de Châtenay-Malabry
  • 31/01 au théâtre de l’Agora d’Evry
  • 4/02 au théâtre Louis Aragon / Scène conventionnée de Tremblay
  • 7 et 8/02 au Volcan / Scène nationale du Havre
  • 11/02 au théâtre Jean Arp à Clamart
  • Du 15 au 23/02 au théâtre du Nord à Lille
  • Du 29 au 4/03 aux Célestins / Théâtre de Lyon
  • Du 7 au 17/03 au Grand T à Nantes
  • 20 et 21/03 au théâtre de l’Archipel à Perpignan
  • 27/03 au théâtre de la Colonne à Miramas
  • 30 et 31/03 au CNCDC Châteauvallon


Distribution


mise en scène Patrick Pineau
traduction André Markowicz
collaboration artistique Anne Perret, Anne Soisson
scénographie Sylvie Orcier
musique et composition sonore Nicolas Daussy, Jean-Philippe François
lumière Marie Nicolas
costumes Charlotte Merlin, Sylvie Orcier
accessoires Renaud Léon


 
avec Anne Alvaro, Louis Beyler, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, David Bursztein, Catalina Carrio Fernandez,
Laurence Cordier, Nicolas Daussy, Florent Fouquet, Nicolas Gerbaud, Aline Le Berre, Manuel Le Lièvre,
Renaud Léon, Laurent Manzoni, Babacar M’Baye Fall, Charlotte Merlin, Sylvie Orcier, Patrick Pineau


Et pour visionner (ou revisionner) la pièce, diffusée dimanche 10 juillet sur Arte:





Printemps des Comédiens – Slava's Snowshow

Slava Polunin est habituellement un maître en matière de merveilleux. Il s’est illustré avec des spectacles qui frisent souvent le sublime, notamment dans sa collaboration avec le Cirque du Soleil pour Allegria. Aujourd’hui, son spectacle le Slava’s Snowshow a récolté les éloges d’un public conquis à chaque représentation depuis sa création en 1994..


Je ne suis pas d’accord.


Au commencement, Slava entre sur scène, corde à la main, tristesse lisible sur le visage. Effet de rire quand on se rend compte qu’à l’autre bout du fil, un autre clown est dans la même situation. Dès la première minute s’installe alors une chorégraphie clownesque qui sera le fil conducteur du spectacle. Entre le héros habillé en jaune et rouge et une bande de homeless men en manteaux verts, casqués d’un étrange bonnet qui selon l’angle serait avion miniature ou des oreilles de lapin blasé.


Les tableaux se succèdent et se ressemblent, nourris d’absurdes et d’autodérision trop calculée et prévisible, et ce malgré quelques passages où la lumière bleue baignant la scène plonge le spectateur dans une sorte de rêve éveillé, mais où il est impossible d’être dupe, même à 8 ans, ou sous LSD.


La bande-son fait se succéder Vangelis, Eric Sierra, Jorge Ben jusqu’au Boléro de Ravel qui sonne pour annoncer l’entracte après 30 minutes de spectacle. Inutile de chercher un sens, il n’y en a pas, c’est le but. Et je me pose malgré tout la question, pourquoi autour de moi les gens rient-ils et ont-ils l’air de se régaler à ce point ?


Un spectacle si simple, voire simpliste dans un décor de carton-pâte où les gags sont déjà vus cent fois. Le plus récurrent : envoyer à la figure des spectateurs cette fameuse neige constituée de bouts de papiers, puis arroser ces mêmes personnes. Ça fait énormément rire le public, même les concernés. La beauferie et les éclats de joie automatiques constituent l’ambiance. Le Slava’s Snowshow a su marier le taureau piscine et les concerts d’André Rieu. Après une heure de succession de tableaux, deux personnes sont sur scène, côte à côte, comme au début du spectacle, symbole parfait du show : rien n’avance, cette suite de postures ne mène nulle part.


Dans un final wagnérien où tout ce qui n’a pas été jeté de neige durant la représentation est propulsé à la tête du public avec un ventilateur géant, Slava nous a offert là un spectacle sans histoire et sans émotions, saupoudré d’une poésie de Franprix.


Informations pratiques :

www.slavasnowshow.com




Les « Noirs » d'Odilon nous éclairent

Il est toujours intéressant de prendre le temps de découvrir le parcours d’un peintre. Surtout si celui-ci a vécu, pinceau à la main, la naissance d’un des courants picturaux les plus connus du grand public aujourd’hui, sans pour autant y prendre part : l’impressionnisme.


Odilon Redon défendait une autre vision de l’art occupant une place singulière dans le symbolisme, un artiste à part que l’exposition au Grand Palais nous montre de façon chronologique, enfin ! Car aucune rétrospective ne lui avait été consacrée dans le pays depuis 1956…


Entrée en matière


La première salle est plongée dans la pénombre, y sont montrés les fameux « Noirs » de l’artiste, nourris de l’imaginaire de Baudelaire, de Poe et des théories évolutionnistes de Darwin que le grand public découvrait à l’époque.


Les dessins originaux de certaines lithographies et études y sont montrés, notamment la Vieillesse (faisant partie de la série la Nuit), qui tout de suite trouble par la justesse de l’émotion donnée par le trait. On y voit les prémices des Rêves, œuvres fantastiques et oniriques. On y voit de manière évidente un des principes même du symbolisme : les formes et les traits peuvent parler de l’intérieur, de l’intime, et pas forcément d’une réalité visible au premier regard.


Toujours à travers ses « Noirs », Redon rend hommage aux clairs obscurs des maîtres Italiens. Dans le Diable enlevant une tête, c’est une référence directe au frontispice du Faust de Goethe peint par Delacroix. À ses débuts, l’artiste est souvent seul dans son cheminement, il ne s’inscrit pas dans des groupes mais il n’est pas orphelin pour autant : son travail est chargé de références.


Sa carrière lithographique proprement dite débute avec « Dans le Rêve », en 1878. Il suit en ce sens les conseils d’Henri Fantin-Latour pour « multiplier ses dessins et se faire connaître dans le monde littéraire ». Cette œuvre intégralement exposée creuse le contraste avec les préoccupations de ses contemporains (naturalistes et réalistes), en dessinant un monde déconnecté de la réalité où il y a une récurrence de têtes coupées, de barques, d’yeux géants et de sphères.


Loin d’être gratuits, ces rêves sont souvent métaphoriques, on pense notamment au « Joueur » dans la série « Dans le Rêve » qui porte un dé à six faces à l’orée d’un bois comme un lourd fardeau.


Un air de Riou


Au fil des dessins accrochés sur les murs, on a du mal à ne pas comparer, au moins furtivement, certaines des planches aux illustrations que faisait Edouard Riou pour illustrer Jules Verne dans ses livres parus aux éditions Hetzel. Mais Redon n’était pas un illustrateur de bouquins dans son essence, et nombre de ses créations sont d’autant plus formidables à regarder qu’elles permettent à notre imaginaire à nous spectateurs, de se construire autour du trait et d’y bâtir nos propres rêves (ou nos cauchemars !) sans les rapporter à d’hypothétiques lectures que l’on aurait eues. Car Odilon Redon préférait suggérer dans ses œuvres, plutôt que de les expliquer. Il aimait l’équivoque.


Et parfois au milieu de toutes ces figures, pour se reposer l’imaginaire, il y a une série limpide. Par exemple, les « Origines » fait la part belle aux monstres mythiques : cyclopes, satires et centaures triomphant, finissant par l’Homme, cherchant à tâtons la sortie vers la vie.


Autre série lithographique exposée, « A Edgar Poe », datant de 1882, auteur qui dans ses écrits était comme Redon dans son art opposé au réalisme. Une suite de planches rendant hommage à l’écrivain américain, dans son monde sombre et imaginaire.


Une « Araignée souriante » à dix pattes fait face à une plante grasse anthropomorphe, les « Noirs » nous éclairent sur les méandres créateurs de l’artiste.


En continuant à passer de pièce en pièce, on découvre d’autres recueils, notamment des séries dédicacées à Flaubert ou la littérature de celui-ci (notamment en 1886 et 1889). Il y a la série « La Nuit » qui contient le dessin nommé « La Vieillesse » tout bonnement inouï.


Le mariage à la couleur


Dans la suite de l’exposition, on assiste au passage de la peinture avec les « Yeux-clos ». Aux alentours de 1900, Redon a « épousé la couleur » et il n’imagine plus s’en passer. Cela fait ressortir en lui d’immenses talents de coloristes et le place vers la fin de sa vie en véritable père du fauvisme. Les dessins sont plus « réalistes » dans les traits, les thèmes bibliques font des apparitions récurrentes, les Rêves prennent place dans les couleurs qui, elles, n’ont rien de réelles.


Au pied d’un escalier, une pièce est entièrement dédiée au temps des fleurs de l’artiste. Datant du début du XXe, elles peuvent déconcerter quand on les met (par l’esprit !), à côté des lithographies que l’on vient d’admirer à l’étage, mais en prenant le temps de comprendre, le cheminement est pourtant clair : l’imaginaire est toujours présent puisque peintes à partir de modèles, l’artiste s’est mis à inventer des variétés de fleurs, baignant au milieu des papillons.


Ces fleurs omniprésentes dans l’un des décors que l’artiste a fait pour le château de Domecy et qui est reconstitué dans l’avant-dernier espace du parcours.


Enfin, il est offert de voir pour finir quelques portraits et thèmes bibliques (notamment un intéressant Saint-Sébastien) mais surtout deux versions du « Char d’Apollon » de Delacroix, ultime hommage de l’élève à ce maître qu’il admirait tant.


Exposition très complète, et ayant comme léger défaut d’être un peu trop dense. Peut-être à faire en plusieurs fois ? Mais à faire assurément !


Informations pratiques :


L’exposition est visible au Grand Palais jusqu’au 20 juin prochain. Elle descendra ensuite dans le sud puisque c’est la grande exposition estivale du Musée Fabre de Montpellier, du 5 juillet au 16 novembre.


http://www.rmn.fr/odilon-redon




Dany Boon, malheureusement trop ch'tylé

Trop cool, je vais voir le dernier spectacle de Dany Boon ! J’espère secrètement qu’il n’aura pas perdu sa saveur tel un vieux yaourt que l’on goûte après l’avoir laissé plusieurs jours sur le bord de l’évier… La question m’est venue parce que son « nouveau » show tourne depuis 2009, et que quand on fait des blagues sur l’actualité ça peut ne plus être très pertinent.


Que nenni ! Le rideau rouge s’ouvre sur un grand drap blanc et Dany danse derrière en ombre chinoise un « Pump Up the Jam » saisissant, me voilà rassuré question rance et manque de modernité. Ceci dit, cela reste le moment le plus drôle du spectacle, je me suis même surpris en train de me dire que j’allais passer un bon moment, tellement cela partait fort.


Mais voilà, le premier sketch parle de la grippe H1N1, un sujet encore plus froid et oublié que les vaccins eux-mêmes dans les frigos de Bachelot.


De la maladie et des microbes, il se transforme en un Portugais appelé Da Silva (quelle imagination), qui est saoûl et propose d’aller remonter le mur de Berlin parce que les Portugais bossent mieux que les Polonais ! (Et vlan, prend ta dose d’idées reçues qui font même plus rire Gérard au bistrot !)


Après un moment d’émotion où il parle de l’amour comme Franck Dubosc dans son premier spectacle, il arrive au sujet tant attendu, sa psychanalyse envers son public du phénomène « Bienvenue chez les Ch’tis », et comment par quel miracle il ne mange plus de pain depuis que la boulangère s’évanouit en le voyant arriver. C’est une étape un peu forcée pour un artiste de son envergure financière qui est devenu businessman plus que comédien en se lançant dans les films labélisés TF1. Il se sent obligé de montrer au public qu’il n’a pas changé, ce fameux public à qui il doit tout et donne tout son amour à 50 € la place.


On se prend une deuxième couche d’humour pas très drôle quand il raconte qu’il y a eu une parodie de son film, un pastiche pornographique nommé « Bienvenue chez les Chtites Coquines » et une deuxième couche de rance quand il raconte devant des familles de gens « comme tout le monde » que dans le film ça baise à tout va et que dans le porno ils n’ont pas peur des microbes (oui, les fameux microbes du premier texte pour ceux qui n’ont pas suivi !)


Un hommage à Raymond Devos plus tard, Dany reprend avec une suite de sketches moins personnels où il parle d’inventions inutiles comme le pédiluve ou les lingettes citron, et finissant son spectacle sur une mise en scène de procès où il est jugé pour avoir voulu euthanasier sa femme car elle avait un gros cul.


Soyons réalistes, les éclats de rires n’étaient pas toujours très contrastés d’avec les bruits de portes des gens qui partent. Un Dany Boon qui se bigardise de plus en plus pour essayer de garder le contact avec ce public qui l’a porté aux nues, presque triste, ou plutôt disons plein de « tendresse » pour éviter les mots qui blessent.


« Dany Boon, Trop Stylé », en tournée dans toute la France et du 23 novembre au 18 décembre 2011 à l’Olympia – 75 009 Paris.




Pas pour l'amour de Raphael

L’histoire


Monsieur et Madame Gérard sont d’abord un père (Romain Apelbaum), et une mère (Sophie Arthur). Pas vraiment amoureux, ni même heureux d’être ensemble, c’est sans saveur qu’ils vivent sous le même toit à la fin des années cinquante. Jusqu’au jour où (par nécessité de se reproduire ?), maman tombe enceinte.


Cela n’arrange en rien les sentiments mutuels du couple mais les deux mettent leurs rêves et leurs espoirs dans ce petit : le père veut l’appeler Charles,  comme De Gaulle et jure qu’il préfère que son fils « meure en n’étant que quelqu’un plutôt qu’il vive en n’étant personne » ! La mère quant à elle aura le dernier mot et prénommera ce petit Philippe en lien avec la passion fanatique qu’elle voue au comédien du même nom : Philippe Gérard est né ! Seul problème, il n’a qu’un doigt à chaque main ; pour refaire le monde c’est un peu compromis.


Le public se retrouve donc à suivre ce jeune garçon (Raphaël) qui travaillera dans un cirque dirigé par un couple (Bernard Alane et Emma De Caunes), pour le reste de l’histoire.


Ce que l’on voit


La pièce dure 1h40. Débutée par une belle demi-heure de non-amour entre Sophie ARTHUR et Romain Apelbaum, les échanges verbaux sont vifs, drôles et fins malgré la densité du texte. Les mots sont menés par le jeu brillant des deux comédiens qui portent la plume de Pierre Notte, musicale même en dehors des mélodies qui accompagnent ponctuellement les comédiens à des moments clés de l’histoire.


Mais voilà, au bout de 30 minutes Raphaël entre en scène, et l’hystérie qui devrait accompagner chacune des entrées de l’artiste n’est juste pas. Cet homme n’est pas acteur, et ce n’est pas son public qui remplit la salle. Le jeu est monotone tout comme sa voix, incapable de donner une phrase sans cligner des yeux pour ponctuer ses répliques, c’est très pauvre en émotions. Au final, le personnage du fils Gérard est plus Jugnot que Philipe et c’est bien dommage. Car le message évolue peu à peu vers une sorte de mélange de scénarios entre le Plus Grand Cabaret du Monde et Freaks, des films où les monstres physiques sont beaux dans leur âme en contraste avec les beaux de corps et méchants dans les actes. Et ce jeu que n’importe quel acteur avec un minimum de talent aurait réalisé avec un peu de profondeur, Raphaël n’en fait rien, et c’est l’ennui qui envahit le public. Et c’est le seul des comédiens qui ne chante pas une seule fois du spectacle, un comble.

Rien ne le met en valeur.


De plus, certains détails de la pièce ne tiennent pas sur la longueur. On admet qu’il n’est pas facile de garder un seul doigt tendu en faisant abstraction des autres sans en sentir une certaine gêne. Gêne devenant palpable au fur et à mesure de la pièce et qui fait que, finalement, ça ne marche pas, on n’y croit pas une seconde.


La cerise sur le gâteau reste Emma De Caunes qui bute sans arrêt sur son texte. Même sans le connaître avant de venir voir la pièce, on  entend le massacre de la musique des mots de Pierre Notte.


Conclusion, si vous allez voir ce spectacle, essayez pour une fois de trouver une place sur strapontin, parce qu’au bout de 30 minutes, quand les parents deviennent figurants il n’y a plus rien à voir…


« Pour l’amour de Gérard Philipe », actuellement au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère – 75 009 Paris. – www.theatrelabruyere.com