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L’humour plus fort que la mort

Que faire quand l’un de nos proches nous supplie de mettre fin à sa vie pour ne plus souffrir ? C’est la question que se posent Tal Granit et Sharon Maymon dans leur dernier long-métrage Fin de partie. Sujet sensible à l’heure des nombreux débats sur la fin de vie, le film traite avec humour et drame des questions et dilemmes que peuvent nous réserver nos dernières heures.

Et si parler d’un sujet sérieux comme la mort avec humour permettait de mieux faire passer un message ? C’est en tout cas ce qu’ont eu l’air de penser les réalisateurs, Tal et Shaon quand ils ont écrit le scénario de Fin de partie. À la frontière de la comédie et du drame, le film raconte comment une bande de pensionnaires d’une maison de retraite va mettre au point une machine à mourir dans le but de soulager des malades en fin de vie. A la manière d’anges exterminateurs, ils se baladent de maisons en maisons pour apporter libération à ceux qui la réclament. Une veuve, un vétérinaire, un policier et un inventeur, tel est le visage de cette nouvelle génération du crime organisé.

© Eurozoom
© Eurozoom

Un sujet sinistre et pesant duquel se dégage pourtant, légèreté et jovialité, confirmant l’adage, selon lequel on peut rire de tout. Rire, pleurer, se révolter, autant d’émotions qui nous traversent, se répètent et se mélangent au travers de scènes drôles et tristes à la fois. On y parle de la mort avec humour, de l’amour après la mort, toujours avec subtilité et ce qu’il faut de justesse pour dispenser le spectateur du pathos qui entoure la question dans l’actualité. Entre l’absurde et l’originalité, le scénario nous surprend et nous amène à sourire quand, par exemple, une coupure de courant vient contrecarrer les plans d’une vieille dame qui s’apprêtait à se donner la mort.

Ce sont surtout les personnages qui nous étonnent et nous tirent le sourire à chaque minute. Des acteurs pour l’occasion âgés, que l’on a peu l’habitude de voir au cinéma et qui, placés dans des situations cocasses composent la formule gagnante. À la fois touchants et surprenants, ils campent chacun un rôle qui permet de comprendre l’évolution du débat sur la fin de vie dans la société : la femme dévouée qui ne supporte plus de voir son mari souffrir, le meilleur ami indécis, l’opposante catégorique, le médecin impartial etc. On déambule au travers des histoires de chacun afin de comprendre motivations et fondements de leurs actions.

Pourtant, passé l’effet de surprise, le décalage et les scènes amusantes, le film traine en longueur. On regrette une réalisation à l’image de l’ambiance des maisons de retraites : endormie. La caméra tourne et prend trop le temps de fixer visages et expressions. Beaucoup de silences et de moments vides viennent graduellement encombrer et couper l’envolée des débuts prometteurs.

Un film argument qui tente de conduire à l’ouverture et l’acceptation du débat sur l’euthanasie qui, malgré quelques imperfections, mérite d’être vu lorsqu’on s’intéresse à ces questions.

 « Fin de partie », de Tal Granit et Sharon Maymon, sortie au cinéma le 3 juin 2015.




Les amants de l’ombre

Quelques mois après la sortie du film A trois on y va, le triangle amoureux est à nouveau à l’honneur sur les écrans. Cette fois-ci, Philipe Garrel est derrière la caméra pour A l’ombre des femmes. Familier des réalisations de drame amoureux (La jalousie, Un été brulant), le cinéaste nous livre, comme à son habitude, une œuvre intimiste toute en sobriété et élégance.

Derrière ce nouveau titre poétique et mystérieux, l’histoire presque banale d’un couple qui s’aime, mais ne se comprend plus. D’un côté il y a Pierre (Stanilas Merhar), réalisateur de documentaire et sosie de Thomas Dutronc. Il est le stéréotype de l’homme torturé, éternel incompris. De l’autre, il y a Manon (Clotilde Courau), l’amoureuse des temps modernes. Deux aimants, amants usés par la monotonie d’une relation qui les conduira à voir ailleurs.

© SBS Distribution
© SBS Distribution

Pierre aime Manon, pourtant, il l’a trompe. Il ne peut s’empêcher de revenir dans les bras d’Elizabeth, collant à la représentation classique de l’homme infidèle qui succombe aux charmes d’une jeune étudiante. Avec Elizabeth tout est plus simple, il se sent vivant, mais Pierre aime Manon, alors il rentre à la maison comme chaque soir un bouquet de fleur à la main. De ce synopsis basique, Garrel créer une œuvre authentique et troublante sur la complexité des relations entre un homme et une femme. Il parvient à saisir avec éclat, les visages, les expressions, mais surtout, à rendre compte avec justesse des différences de réactions et de comportements d’un couple face à l’infidélité, notamment au travers du personnage de Pierre qui ne peut admettre l’adultère de sa femme, alors que lui-même en est coupable.

Pour Pierre, tromper est une chose d’homme, c’est physiologique et presque naturel. Dans son esprit, les femmes, elles, sont trop pures et délicates pour succomber à la luxure. Alors, quand celui-ci apprend que son épouse le trompe à son tour, c’est toute leur relation qu’il remet en question. De leur amour naît la haine et de leur trahison commune, la rupture. Récit aux allures féministes, Garrel prend ici la défense des femmes, mettant en lumière son actrice principale, Clothilde Coureau, sublime dans le rôle. Un personnage tout en douceur, fort et faible à la fois qui représente la femme, les femmes, courageuses et passionnées.

Tourné en noir et blanc dans un Paris que l’on imagine des années 60-70, le film n’est pas sans rappeler l’esprit de la Nouvelle Vague. D’une esthétique irréprochable, il réconciliera tous ceux qui pourraient avoir des frictions avec le noir et blanc. Un choix judicieux qui apporte beauté et délicatesse à l’histoire, à l’image de son thème : l’amour.

Une autre force du film réside dans sa durée : 1h13. Sobre, simple et réaliste, Garrel va à l’essentiel. Il filme le vrai sans artifice. Il installe ses personnages autour d’une table, d’un lit ou d’un café. Cela suffit. Il nous fait découvrir des lieux, des places, des rues avec un regard nouveau. L’œuvre de Garrel parvient à sublimer les relations amoureuses dans ce qu’elles ont de plus simple et ordinaire. Un cinéma qui renoue avec l’exigence et la qualité des Godard, offrant aux spectateurs, un bref mais délicieux moment.

 « L’ombre des femmes », de Philippe Garrel, sortie au cinéma le 27 mai 2015.




De l’insouciante légèreté de la jeunesse

L’âge de la jeunesse : passage sublime et inconscient duquel on ne sort jamais indemne et dont on garde, souvent, des souvenirs impérissables. Une période qu’Arnaud Desplechin raconte avec douceur et légèreté dans son dernier film, Trois souvenirs de ma jeunesse

Le temps qui passe, l’existence, l’amour, autant de thème qu’aborde ce nouveau long-métrage, qui, une fois de plus, ne nous déçoit pas en étant cet hymne à la vie et au vivant. D’un récit en trois parties, le réalisateur nous conte différentes étapes, de l’enfance à l’adolescence, sous les traits et le jeu de Paul Dédalus, son personnage principal. Pourtant, à la fin du film, c’est bel et bien d’Esther dont on a retenu le nom et le visage ; cheveux blonds et regard enchanteur, elle est le souvenir d’un amour de jeunesse perdu. Le cœur de l’histoire repose ainsi sur l’amour, naïf, brut, que les relations adolescentes peuvent entretenir. Les liaisons passionnées et destructives de nos vieux amants d’antan qui conditionnent notre avenir.

© Jean-Claude Lother / Why Not Productions
© Jean-Claude Lother / Why Not Productions

Les premières minutes du film portent l’ambiance nostalgique et mélancolique qu’accompagne les belles histoires d’amours qui se terminent. Paul, s’apprête à quitter le Tadjikistan et les bras d’une jolie femme qui semble plus émue que lui à l’idée de le voir partir. Il retourne en France, très vite rattrapé par des souvenirs : son enfance et la relation conflictuelle avec sa mère, les liens familiaux avec ses frères et sœurs, sa première sortie scolaire avec son meilleur ami. Avec succès, Desplechin, ne manque pas de jouer sur le décalage narratif de certaines séquences, intervertissant des scènes dramatiques avec de l’action. Le chapitre sur la Russie est d’ailleurs un battement très agréable de l’histoire, bref mais efficace, qui donne une nouvelle dynamique. Une partie primordiale pendant laquelle Paul est amené à offrir ses papiers à un jeune garçon, lui donnant ainsi son identité. N’étant alors plus le seul Paul Dédalus sur la terre, il se questionne quant à l’existence et sur qu’est-ce « être quelqu’un ».

Son existence, il ne semble l’avoir trouvé qu’à travers les yeux d’Esther, qui constitue la troisième partie, bien plus longue, du film. Loin des teen movies à l’eau de rose, c’est une histoire d’amour poétique, philosophique presque, qui revient sur les prémisses des premiers amours, des tendres moments de séductions aux désaccords qui entrainent la rupture. Un tableau sublime qui se compose doucement pendant plus de deux heures par le biais de séquences intemporelles, d’images comme ralenties, de regard fixe qui emportent le spectateur. D’une beauté visuelle, le film repose également sur la qualité de ces dialogues et du génie du bon mot de Desplechin. On lui reconnaît l’art de la citation, de la belle parole qu’il nous chuchote aux oreilles. Chaque mot sonne juste et vrai résonant ainsi plus fort en chacun de nous.

De cette envolée filmique on retient également les acteurs, Quentin Dolmaire (Paul) et Lou Roy Lecollinet (Esther). Tous deux signent ici leur premier grand rôle avec triomphe. De leur maladresse, se transmet un charme fou. Attachant dans leurs imperfections, ils sont tous deux le reflet d’une jeunesse exaltée et passionnée qui promet de grande chose. Trois souvenirs de ma jeunesse agit comme un véritable miroir et nous renvoie à nos expériences (mal)heureuses de jeunesse. Un film qui en bouleversera certains, doux, tendre dans lequel flâne un agréable parfum de nostalgie donnant envie d’avoir à nouveau 20 ans.

 « Trois souvenirs de ma jeunesse », d’Arnaud Desplechin, sortie au cinéma le 20 mai 2015.




Les clandestins : naufrage au cœur de l’horreur humaine

 

© The Jokers / Le Pacte
© The Jokers / Le Pacte

Le cinéma sud-coréen jouit ces dernières années d’un coup de projecteur, lui valant aujourd’hui d’être connu et reconnu à travers le monde. Tenant le pari d’être à la fois exigeant et ambitieux tout en restant populaire, à l’instar du dernier film de Shim Sung-Bo : Les Clandestins.

Les Clandestins, candidat à l’oscar du meilleur film en Corée du Sud, est le premier long-métrage de Shim-Sung Bo en tant que réalisateur. Son travail de scénariste avec Bong Joon Ho pour le film Memories of Murder était déjà un succès. Nous retrouvons ici le duo gagnant, qui confirme avec ce film une œuvre saisissante. Celui-ci raconte l’histoire d’un capitaine, Mr Kang, infortuné mais épris de passion pour son bateau : le Junjin, qu’il refuse d’abandonner. Pour le sauver lui et ses hommes, il acceptera alors de basculer dans l’illégalité en transportant des clandestins lors d’un voyage qui vire au chaos. Le récit, inspiré de faits réels, est avant tout un drame social à la croisée des genres : entre thriller et film d’horreur, basculant parfois dans la comédie grâce à la palette de personnages tous plus déments les uns que les autres.

Pourtant, c’est bien une tragédie qui se joue dès les premières minutes de film, au travers d’un paysage déjà assombri et d’un capitaine au visage fermé, qui ne nous laissera jamais l’occasion de le voir sourire. Se refermant tout au long de l’histoire dans l’agressivité et la fureur. Se transformant petit à petit en une créature monstrueuse capable des pires atrocités pour sauver son bien le plus précieux. Interprété par le brillant Kim Yun-Sesk, adepte des rôles de méchant, celui-ci réussi avec brio à susciter chez le spectateur autant de haine que d’empathie dans ce rôle de capitaine abandonné.

© The Jokers / Le Pacte
© The Jokers / Le Pacte

Ce banal transport de clandestin bascule dans le cauchemar lorsqu’on découvre la vingtaine d’hommes et de femmes enfermés dans la cale, sans vie. Se montre alors à nous un nouveau visage de l’horreur humaine quand vient le moment pour l’équipage de se débarrasser des corps à coups de haches. Tournant essentiel du film, qui revelèra alors les vrais personnalités et la véritable nature de chaque membre de l’équipage pour qui, jusque là, un sentiment de sollicitude régnait. Shim-Sung Bo, réussit très bien ce retournement de situation apportant au film un nouvel élan essentiel. L’enfermement dans une sorte de huit à clos à ciel ouvert sur un pont nous permet de vivre tous les évènements comme si nous y étions : le débarquement des clandestins pendant la nuit de tempête, le contrôle de la police sur la bateau, l’histoire d’amour entre un marin et une clandestine. Histoire d’amour qui aura d’ailleurs une place importante tout au long de l’histoire, déclenchant jalousies et animosités qui feront perdre la tête et bien plus à certains membres de l’équipage. La romance s’entrelaçant avec l’horreur apporte un contraste qui vient intensifier les émotions. Là est bien la force de Shim Sung Bo : jongler entre les genres avec adresse et apporter une dynamique qui ne s’essouffle jamais.

Peu de surprise quand à la chute de l’histoire : alors que sombre au loin le capitaine et son bateau, les deux amoureux s’enfuient à la nage. Une fin vendue très vite au cours du film, où l’on comprend un peu naïvement que l’amour triomphera de toute la méchanceté du monde. Mais c’est sans compter sur le brillant réalisateur sud coréen qui ne laissera pas le film s’achever sur un commun happy end et qui réservera un dernier rebondissement. Les Clandestins est un savant mélange de genre, qui ne nous laisse pas une minute de répit, nous plongeant progressivement dans une horreur de plus en plus effrayante. Faisant basculer chaque personnage dans leurs travers les plus sombres, amenant même les plus innocents à devenir des bêtes. Nous dévoilant les plus noirs facettes de l’être humain et son instinct d’animal, nous laissant dubitatif quand à ce que notre voisin de fauteuil serait capable de faire dans une situation pareille.

 « SEA FOG : Les Clandestins », de Sung Bo Shim, sortie au cinéma le 1er avril 2015.




Dear White People : des noirs dans un monde de blanc

© Happiness Distribution
© Happiness Distribution

Grinçant, railleur, cynique, la nouvelle et toute première réalisation de Justin Simien, interpelle tant sur la forme que dans le fond. Une comédie américaine satirique qui ne manque pas de surprendre, décriant les relations entre noirs et blancs sur un campus d’université.

Des films autour du racisme aux Etats-Unis, il y en a eu et il y en aura encore. Dear White People s’attache à suivre la marche tout en restant de l’autre côté de la rampe, demeurant ainsi un véritable ovni dans le paysage cinématographique. Justin Simien nous emmène dans les coulisses des plus prestigieuses universités américaines, au cœur des rapports blancs-noirs où se mêlent questions d’appartenances et de dominations.

Le début du film nous projette directement sur le campus de l’université de Winchester où se côtoient différents clans, aux personnalités ou couleurs bien distinctes : le groupe des afro-américains, la bande des intellos à lunettes, celle des fils à papa ou encore des bimbos en plastique. On suit le quotidien de quatre jeunes noirs, lâchés dans le milieu hostile d’une université majoritairement blanche dans laquelle il faut choisir entre lutter ou rejoindre le troupeau. Quatre personnages et autant de perceptions et de manières de s’intégrer ou non, à une communauté au teint plus pâle. De la charmante mais agaçante Sam, désinvolte et rebelle qui n’a de cesse de moquer ouvertement les blancs à travers son émission de radio ; de l’affriolante et extravertie Coco, qui n’a de noire que sa couleur de peau et qui se rêve en star du net ; en passant par Tony l’athlète et élève modèle, aux ambitions de futur président de l’université.

Dès la présentation des personnages, l’overdose de clichés nous submerge, venant rajouter à ces personnages d’autres encore plus caricaturaux que les premiers : le vice-président noir aigri de la place qu’il occupe au sein de l’université devancé par un blanc moins méritant ou encore le brut et insolant élève américain, fils du directeur de l’école. Mais très vite, on sent derrière cette accumulation l’envie d’aller plus loin qu’une simple comédie stéréotypée bas de gamme. C’est une vraie réflexion qui s’installe à travers cette surenchère toujours plus excessive de ces personnages en quête d’identité et de reconnaissance. Qui sommes-nous et quelle est notre place ?

© Happiness Distribution
© Happiness Distribution

Les noirs veulent devenir blancs et les blancs se déguisent en noirs : paradoxe et questionnement sur la race à l’ère post-Obama. Et puis le rythme du film finit par nous emporter avec des scènes drôles et des dialogues incisifs qui ne manquent pas de faire rire la salle aux éclats. Même si on regrette le côté parfois excluant pour la communauté « blanche » qui passera surement à côté de quelques bonnes vannes ou jeux de mots bien trouvés propre à la culture afro-américaine.

Il y a quelque chose d’audacieux et d’arrogant à la fois dans la réalisation de Simien, en jouant la satire sur un sujet polémique et encore très controversé aux USA, il prend tout le monde à contre-pied et déstabilise totalement son spectateur. On ne sait plus quoi penser des personnages ; les moquer, les aimer ou bien les haïr. Prendre parti pour les blancs ou bien les noirs. Tout s’entremêle si brillamment que nous perdons la tête à chercher un sens, peut être inexistant. On se moque, on s’attache, on cogite mais surtout on se marre face à des situations cocasses et des répliques tordantes : « le nombre d’amis noirs désormais requis pour ne pas apparaître raciste vient de passer à deux. Et désolé, cela n’inclut pas Tyrone, votre dealer de shit… » Rajouter à cela une véritable esthétique des couleurs et des décors à la hauteur de l’affiche du film : brillante et haute en contrastes ; des acteurs talentueux et le prix du jury spécial au festival de Sundance 2014 et le tour est joué. Un message transmis et des spectateurs conquis, un bon début pour un premier long métrage.

 « Dear White People », de Justin Simien, sortie au cinéma le 24 mars 2015.




L’amour rend aveugle

Sofie Rimestad, Vincent Macaigne / D.R.
Sofie Rimestad, Vincent Macaigne / D.R.

Le mythe du rêve Américain ne s’applique pas à l’amour. Ce n’est sans doute pas ce que pensait Vincent, en traversant le Pacifique pour rejoindre sa belle : Barbara.

Dans un New York grisonnant, bien loin des posters de salon à la mode, le temps semble figé. Vincent (Vincent Macaigne) est venu rejoindre la femme qu’il aime pour tenter de la reconquérir. Une démarche perdue d’avance pour Barbara (Kate Moran), qui dès le début du film, lui avoue que leur histoire est bel et bien terminée. Sourd à ces paroles, Vincent n’entend pas la laisser filer et ruse de toutes les situations pour la retrouver et la séduire à nouveau. Tombant dans un cercle obsessionnel de plus en plus inquiétant. Il l’a retrouve dans des vernissages, la suit lors de ses balades au parc, ne cesse de parler d’elle aux inconnus dans la rue… Hypnotisé et incapable de voir la beauté du monde en dehors de l’être aimé, il s’enferme dans une routine noir et cafardeuse, trainant chaque soir sa solitude dans les bars de la ville. Il relate son chagrin à qui veut bien l’écouter. Et même quand une jeune femme souriante s’attache à lui et tente de lui redonner le sourire en joignant sa solitude à la sienne, Vincent demeure toujours aveuglé.

Dans son deuxième long métrage, Armel Hostiou nous dépeint une comédie d’amour bien loin des standards habituels dans laquelle le personnage principal est, pour une fois, un être ordinaire, quoiqu’un peu dérangé, bancal. Les dialogues sont absurdes, parfois même déconcertants. Interprété par un Vincent Macaigne bien moins bon que dans « Eden », mais qui, une fois passé le mauvais jeu d’acteur parvient à nous emporter par sa tendresse. Le film nous entraine alors dans un univers mélancolique ou l’amour est à la fois salvateur et destructeur. Vincent y perd petit à petit pied.

On regrette toutefois de nombreuses longueurs. Armel Hostiou peine à garder le spectateur éveillé tant le scénario manque en force et d’attraction. Les personnages peu captivants, les scènes répétitives… Un film dont on ressort vide, sans grande émotion. Un film qui passera certainement inaperçu dans les salles, et c’est peut être mieux ainsi.

 « Une histoire américaine », d’Armel Hostiou, sortie au cinéma le 11 février 2015.




L’amour impossible de Felix et Meira

© Urban Distribution
© Urban Distribution

L’histoire d’amour impossible : un thème récurrent au cinéma. De « Autant on emporte le vent » à « Love Story » ; de l’américaine « Titanic » à la française « Pas son genre » ; de la plus classique « Roméo+Juliette » à la plus moderne « Une éducation ». De celle qui se termine bien « N’oublie jamais » à la plus tragique « La princesse de Montpensier » … le genre ne cesse d’être exploité. Mais alors que l’on pourrait croire le sujet épuisé, certains films réussissent encore la prouesse d’apporter un regard original et singulier autour de la rencontre de deux êtres que rien ne prédestinaient à se rencontrer et s’aimer.« Felix et Meira » est l’un d’entre eux.

Félix et Meira c’est l’histoire d’une rencontre improbable, d’une attirance interdite, de deux êtres que le malin hasard décide de rassembler ; au détour d’une ruelle, d’un restaurant, d’un hall d’escalier. Elle, femme juive orthodoxe, mère au foyer prisonnière d’une communauté dont elle ne partage pas les valeurs. Lui, homme indépendant, sentimentalement instable, qui n’a d’autre activité que de dilapider l’argent familial. Meira, jouée par la talentueuse Hadas Yaron (Meilleure interprète féminine à la Mostra de Venise 2012 pour son rôle dans « Le cœur à ses raisons »), n’est pas heureuse dans sa vie de femme au foyer. Elle s’échappe en dessinant des objets, des meubles, dans son petit carnet secret. Mais le dessin, c’est interdit au sein de sa communauté. Comme bien d’autre plaisir de la vie telle que la musique, qu’elle écoute aussi en cachette. Les femmes ne sont à leur place qu’à la maison, à s’occuper des enfants, coiffées d’une immonde perruque brune en carré et toutes vêtues d’une même robe noire. Il leur est interdit de parler aux gens extérieurs à la communauté ou encore de croiser le regard d’autres hommes. Une prison invisible de laquelle Meira cherche doucement à s’extirper et accélérée par sa rencontre avec Félix (Martin Dubreuil).

C’est à travers son deuxième long-métrage, que le réalisateur Maxime Giroux, a choisi de nous conter cette histoire d’amour contemporaine et originale, en dehors des codes des comédies romantiques classiques. Avec douceur et sans trop en faire, il parvient à filmer la passion, l’amour, sans jamais recourir à la facilité. Ainsi, on ne voit jamais les deux amants s’embrasser, c’est tout au plus si ils s’enlacent. L’amour est subtil, suggéré plus que donné en spectacle. Pas de long discours, aux oubliettes les « Ô Roméo! Roméo! pourquoi es-tu Roméo? », place au silence et au jeu de regard.

Maxime Giroux réalise un travail quasi-documentaire, doublé d’une critique acerbe de la communauté juive orthodoxe. Leurs coutumes, leurs habitudes, la condition et la place de la femme … tout y est abordé avec justesse. L’un des acteurs principaux du film, Luzer Twersky, jouant le rôle de Shulem (le mari de Meira) étant lui même un ancien membre de la communauté. Il retrace avec authenticité un quotidien, une philosophie de vie, des valeurs : le sens de la famille, le respect… Et les difficultés auxquelles se heurtent ceux qui veulent s’en détacher. Le départ de la communauté étant irrémédiable et entrainant une rupture totale avec ses amis et le reste de sa famille. Meira emportée par son amour pour Félix, se délivrera peu à peu de sa condition, pour se révéler en tant que Femme. Elle fera l’amusante découverte du pantalon jean qui empêche de respirer, de la danse dans les bars de nuit, de la liberté d’être ce qu’elle est. Chaque minute du film nous réjouit de découvrir un bonheur retrouvé, des joies quotidiennes que l’on fera nous même plus attention à apprécier.

Mais alors que la fin du film nous paraissait déjà tracée, sous fond de « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant », Maxime Giroux y dérègle une nouvelle fois. Achevant son récit, sur un plan des des deux personnages dans une gondole à Venise, sans que l’on puisse réellement savoir ce qu’il adviendra d’eux et de leur amour. Agaçante, frustrante, trop facile diront certain ; je dirai plutôt déroutante ou authentique, à l’image du film. A croire que les histoires d’amours impossibles restent un sujet inépuisable aux mains de talentueux réalisateurs.

« Felix et Meira », de Maxime Giroux, sortie au cinéma le 4 février 2015. Durée, 1h45.




Stephen Hawking ou l’optimisme

ddie Redmayne / Copyright : Universal Pictures
Eddie Redmayne / Copyright : Universal Pictures

« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », tels sont les mots retenus à la fin de la projection du dernier film de James Marsh. L’histoire d’un des génies du XXe siècle : Stephen Hawking, brillant mathématicien et physicien britannique, qui révolutionnera le champ de la cosmologie. Un film biographique donc ; de ses années universitaires à son grand amour en passant par le combat contre sa maladie.  

Dans les années 60 à l’université de Cambridge se balade un jeune homme qui marquera son siècle. Doué, il résout à lui seul des énigmes dont personne n’est capable. Pourtant ce jeune étudiant à qui tout promet, apprend qu’il souffre d’une malade dégénérative : appelé maladie de Charcot. Il ne lui reste plus que deux ans à vivre avant d’être totalement privé de son corps, perdant l’usage de chacun de ses membres ainsi que la parole.

Une merveilleuse histoire du temps, c’est le récit de ce prodige : condamné à vivre dans un corps qui ne lui appartient plus et de se battre pour faire entendre des idées qui peuvent changer la perception de l’univers. Le récit d’une bataille contre le temps, la perte de contrôle et la mort, leçon d’espérance et d’optimisme, qui n’est pas sans rappeler le très beau film de Julian Schnabel « Le scaphandre et le papillon ». Mais c’est aussi et surtout, le récit d’une femme, Jane Wilde. Qui fut sa compagne pendant des années et la mère de ses trois enfants. Et qui « sacrifia » sa vie pour qu’il puisse continuer à vivre la sienne.

Témoignage de vie et d’amour ; bouleversant de réalisme grâce au jeu irréprochable des deux acteurs principaux Eddie Redmayne et Felicity Jones, tout deux nommés comme meilleurs comédiens aux oscars cette année. Felicity Jones nous offrant une somptueuse palette d’émotion d’une incroyable justesse : tantôt fragile puis forte, souriante puis sombre. Mais c’est vraisemblablement la performance d’Eddie Redmayne qui donne à ce film toute sa profondeur : dégradation physique impressionnante, expression du visage… Il incarne ici la véritable relève du cinéma britannique.

À la réalisation, James Marsh, nous berce du début à la fin ; nous entrainant avec la douceur de la bande originale de Jóhann Jóhannsson et nous emportant avec la beauté des images et des couleurs. Cela sans jamais tomber dans le côté larmoyant, que peut susciter un sujet aussi fort que la maladie. Il ne tire que les beaux côtés de vie avec simplicité et nous rappelle à quel point la vie vaut d’être vécue.

« Une merveilleuse histoire du temps », de James Marsh, sortie au cinéma le 21 janvier 2015. Durée, 2h33.




Au Nord-Mali, la terrifiante poésie du monde

Copyright : Le Pacte
Copyright : Le Pacte

« Timbuktu » a été présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Ce long-métrage, quasi documentaire, retrace l’occupation du nord du Mali par des djihadistes en 2012. Une fiction poétique et politique réalisée par le Mauritanien, Abderrahamane Sissako, injustement repartit de la Croisette dans une grande discrétion.

Né d’un fait-divers — la lapidation d’un couple dans le nord du Mali — Timbuktu est un de ces films investis d’une mission : montrer ce qui passe inaperçu aux yeux du monde. Une population prise en otage, des hommes, des femmes, des enfants opprimés, humiliés, captifs, dans un village dirigé par les extrémistes où les interdictions se multiplient. Interdiction de jouer au football, de fumer, de chanter ou d’écouter de la musique, interdiction de trainer dans les rues…

Tour à tour, le film est émouvant, brutal, étonnant sans jamais tomber dans le spectaculaire ou les clichés. L’histoire se contente de nous porter lentement à travers des paysages (le soleil couchant sur le fleuve Niger, les dunes de sable), des personnages (un berger et sa famille installés à l’écart du village pour échapper à l’emprise djihadiste, une sorcière qui erre dans les rues un coq perché sur son épaule). Sissako nous ravit d’une belle mise en scène, très pudique, variant plans larges et concentrés qui donnent à ses propos toute leur intensité.

Mais derrière cette beauté, il y a la terreur. La terreur d’une population perpétuellement menacée, telle cette femme forcée à porter des gants pour vendre son poisson sur le marché ou cet homme à qui l’on oblige de retrousser son pantalon. Les mariages forcés, les coups de fouet et les lapidations, autant de scènes filmées représentant le terrible quotidien de ces habitants. Il y a cette jeune fille qui pleure, promise à un homme dont elle ne veut pas, il y a cette femme qui hurle sous les coups pour avoir chanté la nuit dernière et puis ce berger, Kidane, dont on suit le chemin jusqu’à sa mort, l’apothéose du film.

Le sujet violent n’est pas abordé sans humour. On se surprend parfois à rire de l’absurdité de certaines situations (les cours de conduites improvisés entre deux djihadistes par exemple). C’est globalement la représentation de ces djihadistes comme des hommes aveuglés par le fanatisme qui nous prête à sourire, eux-mêmes n’étant pas convaincus de leur propre engagement. L’autre élément humoristique du film, c’est la multitude des langues, qui vont créer des scènes de communications impossibles et ajouter un caractère ridicule aux échanges humains. Malgré ces touches perçantes, « Timbuktu » demeure surtout un film révélateur, beau et nécessaire.

Timbuktu, de Abderrahamane Sissako, sortie au cinéma le 10 décembre 2014. Durée, 1h37.




« Praia do futuro » : conte gay dépassé

© Epicentre Films
© Epicentre Films

Il y a de ces films dont vous sortez changés, avec une vision différente des choses, un regard neuf. Des films qui vous font voir le monde autrement, vous passionnent pour des vies et libèrent des idées reçues. Et puis il y a les autres, comme « Praia do Futuro », littéralement « La Plage du Futur ».

Ils sont deux motards, roulant à vive allure dans un désert au son du très grinçant groupe Suicide. Puis, une plage apparaît. C’est le drame : le vent et des vagues mortelles emportent les deux hommes. Donato, un sauveteur Brésilien, n’a pas le choix : il ne peut en sauver qu’un. Le destin lui choisit Konrad, un touriste allemand dont il tombe instantanément amoureux. Pour vivre cette histoire d’amour, il quitte et brise les liens avec famille et amis puis part le rejoindre à Berlin. Quelques années plus tard, son petit frère Ayrton, débarque dans la capitale allemande, annonçant tel un Camus du XXIe siècle, « maman est morte ».

 

Ce long métrage est-il censé apporter un nouveau regard sur l’homosexualité (il a été présenté en ouverture du festival du film LGBT « Chéris Chéris » en 2014) ? Rien n’est moins sur, au contraire tant tout semble dépassé : « Praia do Futuro » est digne des films gays tels qu’ont les faisait il y a 20 ans. On y retrouve des acteurs homosexuels en perpétuelle recherche de soi, sans attache et à la sexualité forcément sauvage (on pense notamment à une scène de baise dans une voiture). Des éléments clichés qui nous empêchent de nous attacher sincèrement aux acteurs, Wagner Moura (Donato) et Clemens Schick (Konrad) qui brillent pourtant dans leurs rôles respectifs. Le manque de dialogue n’y arrange rien, le réalisateur Karim Aïnouz mettant à l’honneur les sensations, il laisse la place à de nombreuses scènes muettes.

Au-delà du mélodrame amoureux, c’est le portrait d’un jeune Brésilien en pleine évolution que nous chante le réalisateur, traitant à la fois des racines, du lien fraternel ou encore de l’absence, tout cela construit autour de longues ellipses temporelles et géographiques. Le film passe des couleurs chaudes à la grisaille, d’une année à sept ans après, sans suivre de liens logiques. C’est alors la torpeur qui s’empare de nous petit à petit, tant le film manque de profondeur et de cohérence. Suivre la vie d’un homme ennuyeux ne peut que l’être pour le public. On attend cette scène, celle qui nous colle au siège, qui nous décroche de cette lenteur interminable… en vain

Le film se termine comme il a commencé : sur une plage, sur fond de retrouvailles fraternelles et amoureuses. Laissant s’échapper trois hommes dans le brouillard. Celui-ci même dans lequel nous restons une fois l’écran devenu noir.

Praia do Futuro, de Karim Aïnouz, sortie au cinéma le 3 décembre 2014. Durée, 1h46.




« Eden », visé mais pas touché

© Ad Vitam
© Ad Vitam

Sur le papier l’idée semble bonne : faire revivre le début de la musique électronique dans les années 90 à travers un duo d’ami DJs (les « Cheers »). Malheureusement sur grand écran, ce n’est pas complètement réussi. Mia Hansen Love nous présente un Eden qui ne rappelle en rien ce lieu de délice et de jouissance tel qu’il est décrit dans la Bible, tant le plaisir manque pendant la projection.

L’histoire s’inspire de la vraie vie du frère de Mia, Swen Hansen Love, véritable acteur et spectateur de l’âge d’or des soirées parisiennes électroniques des années 90. Pendant plus de 2h20, elle retrace son parcours à travers le personnage de Paul (Felix de Givry). Ce musicien passionné, voir obsédé, enchaîne les histoires d’amours ratées et oscille en permanence entre euphorie et mélancolie. On suit également son ami Stan (Hugo Conzelmann), autre moitié du duo « Cheers ». Se déroule devant nous la véritable ascension du groupe, plongés dans les folies et autres dangers du monde de la nuit.

Eden

Malgré une bande son réussie et plutôt bien sélectionnée (on regrette cependant l’omniprésence des Daft Punk, un peu trop convenue), le film peine à nous faire entrer dans l’univers de la french touch tant promis. Les scènes se succèdent et se ressemblent, sans intérêt singulier. Les dialogues sont douceâtres et participent à nous faire sombrer petit à petit dans un état soporifique. L’amour, la vie, l’amitié, la mort tout y passe et le spectateur trépasse tant chaque sujet est abordé superficiellement.

Drogue, alcool et sexe ne sont que partiellement évoqués, dans un univers que l’on sait bien loin de celui des Bisounours. La disparition soudaine de l’addiction de Paul aux drogues en est sans doute le parfait exemple. Tout cela est à l’image de son personnage : totalement bancal. Des incohérences, nombreuses, qui composent l’ennui. Ce grand gamin, incapable de prendre sa vie en main est témoin de son propre déclin. Semblable à celui de la musique garage au fil de ces fameuses années. Il passe d’ailleurs la deuxième partie du film à courir après son paradis perdu, contraint de toujours s’endetter et à vivre dans la précarité, tel ces adultes adolescents que l’on aurait bien envie de réveiller à coup de mandales.

Mia Hansen Love signe avec ce cinquième film, un flashback décevant dans lequel rien ne donne envie de nous dire « One more time ».

Eden, de Mia Hansen Love, sortie au cinéma le 19 novembre 2014. Durée, 2h20.